Sentinelle sud ★☆☆☆

Christian Lafayette (Niels Schneider) est un marsouin de l’armée française, rapatrié d’Afghanistan après une embuscade qui a décimé son peloton. Le retour à la vie civile n’est pas simple pour lui qui n’a trouvé qu’un emploi de manutentionnaire dans un supermarché et noie son mal-être dans l’alcool.
Henri, un autre soldat démobilisé, a perdu la raison et est soigné dans un hôpital psychiatrique. Mounir (Sofian Khammes), le frère de lait de Christian, qui l’a suivi par amitié en Afghanistan, est aussi mal en point que lui, une jambe folle et impliqué dans des trafics louches.

Sentinelle sud entrelace deux histoires. D’un côté le stress post-traumatique de soldats détruits par la guerre, incapables de se réadapter à une vie « normale ». De l’autre un polar assez classique avec son lot de petites frappes, de coups tordus et de braquages plus ou moins bien ficelés.

La recette n’est pas nouvelle et a déjà été utilisée dans plusieurs films français ou américains plus ou moins fameux : Rambo, Né un 4 juillet avec Tom Cruise,  Démineurs, l’Oscar du meilleur film attribué en 2010 à Kathryn Bigelow, American Sniper de Clint Eastwood, Maryland, un petit film français passé inaperçu avec pour acteur principal Matthias Schoenaerts, Voir du pays, sur le séjour de décompression que les militaires français déployés en Afghanistan effectuent à Chypre sur le chemin du retour, etc.

Le problème de Sentinelle sud est qu’il n’innove guère sur cette trame bien usée. L’interprétation parfaite de ses deux principaux protagonistes, brillamment secondés par India Hair dans le rôle d’une infirmière compatissante et par Denis Lavant dans celui d’un commandant droit dans ses bottes, n’y change rien.

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L’Hypothèse démocratique – Une histoire basque ★☆☆☆

L’Hypothèse démocratique se penche sur une page méconnue de notre histoire politique : la lutte pour l’indépendance basque de l’ETA, fondée en 1958 en plein franquisme, jusqu’à son auto-dissolution en 2018.
Il le fait en donnant longuement la parole aux principaux leaders de l’organisation qui témoignent pour la première fois à visage découvert.

L’Hypothèse démocratique permet d’entendre, ce qui n’est guère fréquent, cette étrange langue basque, aux origines mystérieuses, dont on dit parfois qu’elle est la plus vieille d’Europe.
Il est aussi l’occasion de réunir, dans un exemple rare de réconciliation, deux femmes : le père de la première a été tué par les GAL, ces milices espagnoles anti-indépendantistes, à Bayonne, le mari de la seconde était un policier espagnol assassiné par l’ETA.

Mais pour le reste, L’Hypothèse démocratique – dont rien n’éclaire le titre trop abstrait – gâche un sujet en or.
Il le gâche de trois façons. D’abord par sa durée anormalement obèse et que rien ne justifie : ce documentaire de 2h20 aurait été autrement plus percutant amputé d’une bonne heure.
Ensuite par son montage paresseux : des interviews trop longues sont chichement entrecoupées d’images d’archives trop rares qui ne permettent pas de comprendre la lutte indépendantiste, ses objectifs et les raisons pour lesquelles l’ETA a finalement déposé les armes
Enfin, L’Hypothèse démocratique présente le défaut de ne donner la parole qu’à un seul camp. Un seul Espagnol – qui a participé aux négociations de paix – est interviewé. Cette absence de contrechamp nuit à l’objectivité du propos ainsi qu’à son intelligibilité.

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Downton Abbey II ★★★☆

1928 à Downton Abbey. La douairière Lady Violet vieillit. Ses descendants apprennent avec étonnement que le marquis de Montmirail lui a légué par testament une luxueuse villa dans le sud de la France. Ils décident de s’y rendre pour éclaircir le mystérieux passé de leur aïeule.
Pendant ce temps, à Downton, un film se tourne avec des vedettes de cinéma toutes plus étonnantes les unes que les autres.

J’ai déjà dit le plaisir addictif que j’avais pris à regarder les sept saisons et les cinquante-deux épisodes de l’une des séries les plus célèbres au monde.
Je découvre avec étonnement en la relisant ma critique bien sévère du premier film qui en avait été tiré, sorti fin 2019. Le problème est que le second (ou le deuxième ?), sorti le mois dernier lui ressemble énormément.
Deux options s’offrent à moi : répéter les mêmes reproches au risque du bégaiement ou me montrer plus élogieux au risque de l’incohérence.

Au risque de l’incohérence, c’est cette seconde voie que je choisirai.
Je crains hélas que l’opinion qu’on se fait d’un film soit très fluctuante : elle dépend de notre humeur quand on le voit et du moment dont on en parle ensuite. N’y a-t-il pas des comédies que vous n’avez pas trouvées drôles, bien qu’elles le fussent, parce que vous les avez vues de mauvaise humeur ? Des films dont vous dites le plus grand bien aujourd’hui alors que vous vous y étiez copieusement ennuyé, mais dont les qualités, passées au tamis du temps, ont fini par vous toucher ? Bref, l’opinion qu’on se fait d’un film est terriblement subjective et fluctuante.

De ce Dowton Abbey II – qui ressemble furieusement au Downton Abbey I – je pense le plus grand bien – alors que j’ai dit du mal du I. Pourquoi ?
C’est difficile à dire. Peut-être parce que cela faisait plus de deux ans que je n’avais plus été plongé dans la si délicieuse compagnie des Crawley. La série était trop proche du premier film, alors qu’elle est suffisamment éloignée du second.

J’ai retrouvé ces personnages qui, après tant d’heures à partager leurs vies, font un peu partie de ma famille : Lord Crawley, sa femme Cora, leurs filles Mary et Edith  (Sybil, la si jolie benjamine, me manque terriblement) ainsi que leurs gendres et, bien sûr, la nombreuse domesticité, Carson, Barrow, Bates et son épouse Anna si aimante, Molesley…

Dowton Abbey II m’a fait pensé au jeu Tetris auquel nous avons tous joué : il s’agit d’enchasser en les faisant pivoter des formes géométriques tombées du ciel. Dans Downton Abbey, plusieurs fils narratifs sont tirés qui finissent par s’imbriquer les uns aux autres dans une parfaite harmonie. Dans Downton Abbey aussi, chacun est à sa place, chaque place à son chacun. La société a beau connaître une scandaleuse division entre maîtres et serviteurs (à quelques rares exceptions près, tel Tom Branson, le chauffeur irlandais devenu l’époux de Sybil). Cet apartheid ferait frémir les marxistes les plus dogmatiques. J’avoue, toute honte bue, qu’il n’a pas terni le plaisir que j’ai pris à ces histoires.

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Sous l’aile des anges ★★☆☆

Le jeune Abraham Lincoln, avant de devenir un immense président, a connu une enfance misérable. Né en 1809 dans le Kentucky, cadet d’une sœur aînée (un troisième enfant décèdera en bas âge), il déménage en 1816 dans l’Indiana où ses parents cherchaient une vie meilleure en s’installant au fond des bois. Sous l’aile des anges le filme à ses dix ans, lorsque sa mère meurt d’un mal mystérieux et que son père, un homme frustre et dur, se remarie.

En 2012, l’immense Steven Spielberg consacrait à Abraham Lincoln un biopic sobrement intitulé Lincoln. Ce film, voué, avant même que sa première image soit tournée, à un succès universel, par la miraculeuse combinaison de son sujet, de l’identité de son réalisateur et du choix de ses acteurs, filmait les derniers mois de la vie du seizième président américain assassiné en 1865 après avoir fait adopter le Seizième amendement à la Constitution américaine qui abolit l’esclavage.

Deux ans plus tard, A.J. Edwards tournait un autre film sur Abraham Lincoln. Mais le prisme en était totalement différent. Le grand homme est un enfant, certes plus doué que la moyenne, mais que rien ne prédispose à un tel destin. C’est un enfant doux et sensible qui vit sous une double tutelle masculine et féminine : un père taiseux et rude à la tâche et une mère trop tôt décédée qui cède la place à une belle-mère aussi aimante qu’elle.

Montré en 2014 à Sundance, à Berlin et à Deauville, Sous l’aile des anges est diffusé aux Etats-Unis à l’automne 2014. Bizarrement, il aura fallu attendre près de huit ans sa sortie en salles en France.

A.J. Edwards est le monteur des films de Terrence Malick. L’influence du maestro est écrasante. Comme les films de Malick, Sous l’aile des anges est quasiment muet et fait un usage parfois bien encombrant de la voix off. Comme les films de Malick, Sous l’aile des anges est monté comme un long clip vidéo, comme une interminable bande-annonce. Comme les films de Malick, Sous l’aile des anges est un film panthéiste, qui filme la nature en de longs panoramiques à ras des herbes hautes, langoureusement caressées par des acteurs et des actrices qui y caracolent façon Laura Ingalls dans La Petite Maison dans la prairie.

On pourrait penser, après avoir lu ce paragraphe venimeux, que je n’ai rien aimé dans ce faux biopic. Ce serait excessif. Sous l’aile des anges est un film qui enchantera les fans de Terrence Malick et de son cinéma élégiaque. Je le déconseille radicalement aux autres. Quant à moi, qui ne puis rétrospectivement m’empêcher de considérer Une vie cachée ou The Tree of Life comme des chefs d’oeuvre, des chefs d’oeuvre boursouflés, mais des chefs d’oeuvre quand même, je ne sais pas trop si j’ai aimé ou pas Sous l’aile des anges.

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Limbo ★☆☆☆

Omar vient de Syrie. Il a demandé l’asile au Royaume-Uni. Dans l’attente de la réponse de l’administration, il a été assigné à résidence sur une île isolée des Hébrides écossaises, avec l’interdiction de travailler. Quelques immigrés partagent son infortune : Fahrad, un Afghan zoroastrien fan de Freddie Mercury, Wasef, un Nigérian qui rêve de jouer pour Arsenal…

Il y a quelques mois, Any Day Now racontait l’interminable attente d’une famille de réfugiés iraniens venus chercher asile en Finlande. Sous les cieux ventés de l’Ecosse (qu’on vient de voir dans L’Ombre d’un mensonge), Limbo traite du même sujet. Si Any Day Now avait choisi de raconter par les yeux d’un enfant cet état limbesque, intermédiaire, entre le monde ancien qu’on a quitté et le monde nouveau qu’on espère intégrer,  Limbo prend un parti différent : celui du cinéma absurde sinon loufoque dans la veine de Kaurismäki, Suleiman, Abel et Gordon.

C’est ainsi que Limbo débute par une longue saynète où deux formateurs (il faudra attendre le générique de fin pour identifier Sidse Babett Knudsen, l’héroïne de Borgen) essaient d’expliquer à des immigrés perplexes que le sourire d’une femme ne vaut pas consentement. Puis les longs plans fixes s’enchaînent où l’on voit Omar téléphoner à ses parents depuis une cabine téléphonique, au milieu de la lande déserte. On le voit aussi souvent marcher seul sur une route rectiligne battue par le vent. Il porte un instrument de musique traditionnel, un oud, dont il jouait avec virtuosité en Syrie. On comprend que l’enjeu du film sera de savoir s’il acceptera d’en jouer à nouveau. Enjeu bien mince d’une intrigue étique qui s’étire longuement, sans guère de rebondissements.

Interrogeant le fossé culturel que rencontrent les demandeurs d’asile, Limbo avait tout pour séduire ; mais, en se détournant du groupe pour se focaliser sur le seul Omar, il perd en intérêt et en décrivant sa longue attente, c’est le spectateur qu’il finit par écraser d’ennui.

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Tom ★★☆☆

Jocelyne (Nadia Tereszkiewicz aussi incandescente ici que dans Babysitter) vit dans un mobil home au milieu des bois avec son fils Tom. Elle travaille dans une exploitation agricole en attendant de passer le concours qui lui permettra peut-être de trouver un emploi plus stable. Elle passe ses soirées dans le rade minable de sa copine Lola (Florence Thomassin).
Son quotidien est basculé par le retour de Samuel (Félix Maritaud) dont Tom va bien vite percer le mystère.

Tom est le cinquième film de Fabienne Berthaud, une réalisatrice française trop rare. J’avais beaucoup aimé Pieds nus sur les limaces en 2010 et j’ai retrouvé dans Tom ce qui m’y avait plu : le respect qu’elle porte à ses personnages, le soin qu’elle met à en décrire les contradictions, l’omniprésence de la nature autour d’eux…. Diane Kruger jouait dans les trois premiers. Nadia Tereszkiewicz lui ressemble. Elle est l’héroïne de son cinquième.

Tom est l’adaptation d’un livre de Barbara Constantine. Comme le livre, le film raconte l’histoire à hauteur d’enfant, du point de vue de ce jeune garçon, éveillé et sensible. Le procédé n’est pas inédit qui était utilisé par exemple dans Le Milieu de l’horizon (qui était lui aussi l’adaptation à l’écran d’un roman).

Tom aurait pu se concentrer sur la relation mère-fils. Mais ce tête-à-tête est perturbé par l’apparition de deux autres personnages : un mystérieux inconnu – qui ne restera pas mystérieux longtemps – et la vielle propriétaire solitaire d’un château environnant. On pourrait reprocher au scénario ces béquilles inutiles et ces personnages secondaires qui nous détournent de l’essentiel. On pourrait aussi lui reprocher un certain irénisme qui fait verser le drame social façon Rosetta dans un mélo plus mièvre.
Mais ne soyons pas bégueule et ne boudons pas le plaisir qu’on a pris en compagnie de Tom et de sa mère.

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Contes du hasard et autres fantaisies ★☆☆☆

Une jeune femme confie à une autre qu’elle est en train d’entamer une romance avec un homme qui se console d’un chagrin d’amour.
Une femme mariée tend un guet-apens sexuel à un écrivain à succès.
Deux anciennes camardes de classe se retrouvent.

Oscar du meilleur film étranger, Drive My Car avait reçu l’an passé un succès public et critique élogieux. Je dois avouer, le rouge au front, n’avoir pas communié dans cet enthousiasme général. Profitant de cette popularité, son producteur a choisi de distribuer en France le précédent film de Ryusuke Hamaguchi qui n’en méritait pas tant.
Il est composé de trois nouvelles indépendantes les unes des autres. Elles sont interprétées par des actrices différentes et n’ont aucun lien entre elles sinon une même construction : une longue discussion entre ses deux personnages principaux qui lentement révèle une vérité étonnante.

Force m’est de reconnaître, comme devant Drive My Car, la maîtrise de Hamaguchi, sa délicatesse, sa cruauté aussi parfois dans la narration de ces trois contes qui louchent du côté de Rohmer et de Hong Sang Soo.
Mais force m’est aussi d’avouer que je me suis considérablement ennuyé devant ces dialogues interminables, à commencer par le premier dans ce taxi tokyoïte dont on ne peut s’empêcher au bout de vingt minutes de se demander la somme astronomique de la course qu’il aura facturée, ou de cet autre dialogue soi-disant érotique qui m’a laissé de marbre. Quitte à aggraver mon cas, je ferais à ce mode narratif, qui consiste à poser la caméra face à deux acteurs et à les laisser dialoguer dans un interminable plan séquence, le reproche de constituer une forme de paresse, de nonchalance à l’égard du spectateur, voire même d’arrogance ou de négation de ce qu’est le cinéma : « ce qui va être dit est tellement passionnant que nul n’est besoin de le mettre en scène ».

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Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis ★☆☆☆

Tsuji est, comme beaucoup de jeunes cadres japonais, au début de sa vie professionnelle. Il loge dans un appartement minuscule dont la seule originalité est son bruyant aquarium. Il travaille dans une PME qui vend des jouets et des feux d’artifice. Il y entretient, en violation du règlement intérieur qui les interdit, deux relations amoureuses parallèles avec deux collègues : Minako, une jeune employée frivole, et Hosokawa, la contremaitre, plus âgée et plus mature. Mais c’est de Ukiyo qu’il tombera amoureux après l’avoir rencontrée un soir dans des circonstances exceptionnelles : il lui sauve la vie en dépannant sa voiture bloquée sur un passage à niveau.
Ukiyo se révèle vite une femme profondément instable, vivant dans la précarité, couverte de dettes et cachant un lourd passé. Pour la conquérir, Tsuji doit avaler bien des couleuvres jusqu’à la racheter à des yakuzas qui allaient la mettre sur le trottoir.

Suis-moi je te fuis et Fuis-moi je te suis est l’adaptation d’une série télévisée en dix épisodes. Elle est diffusée en salles sous la forme de deux films de près de deux heures chacun (sortis à une semaine d’intervalle alors que leur visionnage d’une seule traite est conseillé). Leur titre chiasmatique [le mot pédant du jour !] laisse augurer une structure en miroir : on imagine volontiers qu’après avoir vu Tsuji courir après Ukiyo, les rôles se renverseront dans la seconde partie. Ce n’est qu’en partie vrai. Une autre fausse piste : on avait imaginé que les mêmes événements, vus par les yeux de Tsuji prennent, à travers les yeux de Ukiyo, une toute autre signification dans la seconde partie. Cette piste là n’est pas utilisée : la structure du récit est globalement linéaire, qui révèle peu à peu les pans du mystérieux passé de son héroïne.

Après quatre heures de films, on sort frustré et déçu. On n’a pas vu l’ombre de la « fresque romanesque » promise par la publicité. Au contraire, on a dû ingurgiter une longue romance sirupeuse qui, lorsque la panne sèche menace, introduit un nouveau personnage : un yakuza philosophe, un mari trompé, un ancien amant désespéré….

Le cinéma japonais est peut-être l’un des plus riches au monde. L’an dernier encore, Drive my car recevait un accueil critique et public enthousiaste, ratait de peu la Palme d’Or et emportait l’Oscar du meilleur film international. Pour autant, ce qu’on en voit aujourd’hui en France (The Housewife, Contes du hasard et autres fantaisies, Aristocrats….) est au mieux très répétitif, au pire de plus en plus décevant.

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Nitram ★★☆☆

Martin (Caleb Landry Jones) est toqué. Une scolarité chaotique, vite interrompue, lui a valu un surnom en forme de palindrome : Nitram. À vingt ans passés, il vit encore chez ses parents qui semblent être les seuls capables de supporter ses sautes d’humeur. Contre toute attente, Nitram fera une étonnante rencontre qui lui permettra de quitter le cocon familial. Helen, une excentrique sexagénaire, riche à millions, l’accueille dans sa vaste demeure à l’abandon. Sa disparition brutale laissera Nitram orphelin.

Nitram repose sur un malentendu. Même si sa bande-annonce n’en dit rien, son affiche annonce la couleur : une date, le 28 avril 1996, un événement, dont on imagine qu’il ne fut pas joyeux. Toutes les critiques dévoilent le pot aux roses : Martin Bryant, un homme de vingt-huit ans, mentalement attardé, a assassiné le 28 avril 1996 à Port-Arthur en Tasmanie, trente-cinq personnes de sang froid.

Il y a deux façons de voir le film.
La première aurait été de ne rien savoir de son dénouement. Aurait-on deviné son terme ? Aurait-on senti l’imminence de son issue fatale ? Comment aurait-on perçu la trajectoire de ce grand gamin un peu foutraque mais au fond si attachant ? Sa passion pour les armes à feu nous aurait-elle semblé une lubie anecdotique ou inquiétante ?
Hélas, nous sommes condamnés à voir ce film de la seconde façon : en en connaissant l’issue. Tout devient plus lourd, plus inéluctable. On sait qu’Helen va mourir. On sait que Martin/Nitram va exploser comme son surnom le laissait hélas augurer.

Certains de mes amis me disent qu’ils refusent de lire quoi que ce soit afin de découvrir un film libre de tout préjugé. Je ne suis en général pas d’accord avec eux : je lis tout ce que je trouve d’un film pour me préparer à sa rencontre, pour savoir ce à quoi je dois m’attendre, ce sur quoi je devrai réagir… Mais pour une fois, je leur donnerai raison : Nitram est un film qu’il faut aller découvrir vierge. Désolé de ne plus l’être après m’avoir lu 😉

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Frère et Sœur ★☆☆☆

Louis (Melvil Poupaud) et Alice (Marion Cotillard) sont frère et sœur et se haïssent. Ils ont grandi à Roubaix auprès d’un père autodidacte et d’une mère autoritaire. Ils ont chacun fait leur vie : Louis est devenu un écrivain à succès, Alice une grande actrice de théâtre. Mais tous deux cachent une immense fêlure intérieure qu’ils soignent à coup d’alcool, de drogue et de médicaments. Si Louis a rencontré l’amour avec Faunia (Golshifteh Farahani), la mort de son fils Jacob à six ans à peine l’a détruit. Quant à Alice, quoique mariée au grand dramaturge Borkman, et mère d’un ravissant Joseph, elle n’est guère plus vaillante.
Louis et Alice se haïssent à tel point qu’ils ne se voient plus depuis des années. Mais le grave accident dont sont victimes leurs parents les oblige à se croiser à leurs chevets.

Arnaud Desplechin est de retour sur la Croisette. La quasi-totalité de ses films y a été présentée – sans jamais y décrocher la moindre récompense. Arnaud Desplechin incarne jusqu’à la caricature un certain cinéma d’auteur français : sombre et grave dans les thèmes qu’il traite (la famille et ses déchirures), théâtral dans sa mise en scène, alignant toujours une palette de stars suffisamment bankables pour faire la une des gazettes (Marion Cotillard, candidate à la Palme de la meilleure actrice, et Melvil Poupaud ici, Léa Seydoux, Denis Podalydès, Emmanuelle Devos, Roschdy Zem, Mathieu Amalric, Sara Forestier, Charlotte Gainsbourg, Catherine Deneuve avant eux).

La haine qui déchire un frère et une sœur ferait sans nulle doute un excellent thème de tragédie. Le problème de Frère et Sœur est de le traiter avec un sérieux plombant et un manque criant de crédibilité.
D’où vient la haine qui sépare Louis et Alice ? Parce qu’on a l’esprit mal placé et parce qu’une lecture entendue à la synagogue (où Louis accompagne son ami Zvi, interprété par un Patrick Timsit à contre-emploi étonnamment touchant dans un rôle grave) le laisse augurer, on imagine le pire. Mais on n’en saura rien. Ellipse du scénario ? ou paresse des scénaristes ?
Pourquoi ne se réconcilient-ils pas ? Leur haine serait d’autant plus crédible que leurs personnages seraient haïssables. Or, ni Louis ni Alice n’inspire un tel sentiment. Au contraire, leurs souffrances font peine à voir et on n’aspire qu’à une chose : leur inéluctable réconciliation.

Sauf à prendre un plaisir malsain à regarder des suicidaires qui menacent de se jeter du toit, des comateux qu’on ampute d’une jambe gangrenée, des héros alcooliques déchirés de chagrin et des enterrements à la pelle, on préfèrera à ce morbide Frère et Sœur, l’autrement plus réjouissant Coupez ! et ses joyeuses giclées de faux sang.

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