Costa Brava, Lebanon ★☆☆☆

Soraya et Walid ont décidé de quitter Beyrouth et sa pollution pour s’installer dans une maison de famille sur les pentes désolées du Mont-Liban. Là, avec la mère de Walid, dont les poumons ne supportaient pas l’air empuanti de la capitale, et leurs deux filles, Tala et Rim, ils ont construit un phalanstère auto-suffisant qui suffit à leur bonheur.
Mais la construction d’une décharge sous leurs fenêtres va venir briser le fragile équilibre de cet éden familial et rouvrir les fractures qu’il avait réussi à combler.

Le carton sur lequel s’ouvre le film nous dit que son action se déroule au Liban « dans un futur proche ». Pourtant, son action n’a rien de futuriste et pourrait tout aussi bien se dérouler de nos jours dans un pays dont on sait, même si on n’y est jamais allé, qu’il est gangrené par la maladministration. L’explosion qui ravagea le port de Beyrouth en août 2020 y est évoquée ainsi que la crise des poubelles : faute de décharges, les poubelles s’accumulent régulièrement dans les rues de Beyrouth, attirant les rats et provoquant des maladies.

Soraya et Walid forment en apparence un couple soudé. Ils se sont rencontrés quelques années plus tôt, à Beyrouth, dans les manifestations. On les imagine volontiers insoumis, anticapitalistes, écologistes sans compromis. C’est le cas de Walid dont l’intransigeance l’a peu à peu enfermé dans des choix de vie radicaux. Soraya (interprétée par la lumineuse Nadia Labaki, la réalisatrice de Caramel et de Capharnaüm) est plus ambiguë. C’est une ancienne star de la chanson qui, malgré l’amour qu’elle porte à Walid et les valeurs qu’elle partage avec lui, regrette sa vie passée, la vie urbaine, les rencontres et les échanges qu’elle autorise.

Le couple formé par Soraya et Walid résistera-t-il aux nuisances visuelles et olfactives créées par la décharge en construction ? C’est l’enjeu de l’intrigue qui se déroule sous les yeux de leurs deux filles. À neuf ans, Rim est encore une enfant tout entière inféodée à son père et à son combat. Tala à dix-sept ans est moins entière, qui succombe à l’attraction que suscite en elle le bel ingénieur en charge du chantier. Et la grand-mère revendique avec une ironie contagieuse le droit de vivre librement ses derniers jours.

Malgré une interprétation sans faille, Costa Brava, Lebanon (quel titre déconcertant qui aurait mieux convenu à un film de plage que de montagne !) gâche un beau sujet par une mise en scène languissante et un scénario qui manque de rythme.

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Marcel ! ★☆☆☆

Une gamine d’une douzaine d’années est élevée par sa mère, une artiste de rue qui montre plus d’affection à son chien Marcel qu’à sa propre fille. L’enfant cherche auprès de ses grands-parents l’amour que sa mère lui refuse.

Jasmine Trinca est une star en Italie. Elle vient d’y remporter quasiment coup sur coup deux David de la meilleure actrice, l’équivalent de nos Césars, pour ses interprétations dans Fortunata et dans Pour toujours – qui ne m’avaient ni l’un ni l’autre enthousiasmé.
Elle passe pour la première fois derrière la caméra dans un film dédié à ses parents dont elle avoue elle-même la part d’autobiographie qu’il contient. Elle s’était fait la main avec ses deux actrices en 2020 dans un court-métrage, Being Mom.

Marcel ! hélas déroule l’histoire assez convenue d’une relation toxique mère-fille. Le manque criant d’amour de cette gamine veut à tout prix nous émouvoir. Le refus quasi-pathologique de cette mère de donner à sa fille l’attention qu’elle mendie voudrait se nimber d’un mystère bien vite éventé.

Ce fade brouet est sauvé de la faillite par le jeu de ses deux héroïnes : la toujours excellente Alba Rohrwacher et la jeune révélation Maayane Conti.

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Un été comme ça ★☆☆☆

Léonie, Gaëlle et Eugénie sont trois jeunes femmes « hypersexuelles ». Leurs sexologues les ont convaincues de suivre un programme. Pendant vingt-six jours, elles acceptent de s’isoler dans une luxueuse résidence avec une clinicienne et un travailleur social.

Un été comme ça est un film qui nous vient du Québec. On en retrouve avec bonheur l’accent savoureux de ses habitants, la splendeur de ses étés glorieux, la fraîcheur de ses lacs et cette façon unique qu’avait déjà Denys Arcand dans Le Déclin de l’empire américain de parler de sexualité. Une façon à la fois très crue et très pudique : on ne voit rien mais on dit tout. Sacré gageure pour la commission de classification qui a dû longuement hésiter entre une interdiction aux moins de douze ou aux moins de seize : Un été comme ça est par excellence le film pour lequel la création d’une interdiction aux moins de quatorze ans s’avèrerait pertinente.

Léonie, Gaëlle et Eugénie souffrent donc de troubles sexuels. Léonie ne trouve le plaisir que dans la souffrance et l’humiliation : Gaëlle se vend au plus offrant ; Eugénie ne s’est jamais remise de l’inceste qu’elle a subi. La « thérapie » qu’elles vont suivre avec Octavia et Sami est tout sauf intrusive. Il s’agit moins de les « soigner » que de leur offrir la possibilité de se reconstruire grâce à une vie saine.

Le cinéma aime filmer les thérapies de groupe. J’avais adoré Le Dernier pour la route avec François Cluzet et Mélanie Thierry en alcooliques repentants. On se souvient de La Tête haute autour d’un jeune adolescent placé par la PJJ ou du très réussi Hors normes avec Vincent Cassel et Réda Kateb. Il y a quelques mois à peine est passé inaperçu le pourtant excellent La Mif, aux frontières du documentaire et de la fiction, qui racontait le quotidien d’un foyer suisse pour mineurs isolés. Et je ne peux pas achever cette trop longue énumération sans mentionner les deux héroïnes de La fête est finie ou celui de La Prière qui trouvait la voie de la rédemption dans une communauté religieuse.

Un été comme ça interroge intelligemment la notion de « troubles sexuels » : qu’est-ce qu’une sexualité « normale » ? qu’est-ce que par conséquent une sexualité anormale ? Si aucune normalité ne peut être définie, cela implique-t-il que rien ne soit anormal ?
Son défaut est d’y apporter une réponse un peu simpliste : les troubles de la sexualité seraient le reflet d’un manque d’estime, d’un manque de respect de soi. Il lui faut plus de deux heures à arriver à cette conclusion, qui est d’ailleurs déjà posée dès le début du séjour des trois patientes.

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Mi iubita mon amour ★★☆☆

Avant son mariage, Jeanne (Noémie Merlant) part avec trois amies en Roumanie enterrer sa vie de jeune fille. À une station-service, leur voiture leur est volée. Les jeunes filles sont recueillies par Nino, un jeune Gitan, et par sa famille qui accepte de les héberger. Entre Jeanne et Nino naît une attirance trouble.

Noémie Merlant est une étoile montante du cinéma français. Elle a été nommée aux Césars en 2017 pour Le ciel attendra et en 2020 pour Portrait de la jeune fille en feu. On l’a vu dans Les Olympiades, un des tout meilleurs films de l’année dernière. Elle crevait l’écran dans A Good Man où elle interprétait une femme transgenre.

À l’instar de Luàna Bajrami, une autre actrice dans le vent, qui a tourné son premier film au Kosovo, Noémie Merlant a embarqué une bande de copines et une équipe technique minimaliste pour le village natal de son amoureux, Gimi Covaci, en Roumanie. On imagine la part d’autobiographie que ce récit comprend, cette histoire d’amour improbable entre une Française pur jus et un Gitan qui partage sa vie entre Paris et la Roumanie.

On est touchés de partager cette intimité-là. On en est aussi vaguement gênés, craignant de commettre une intrusion dans un cercle où nous n’avons pas été invités. Ce malaise culmine dans la (très belle) scène de sexe qui réunit les deux amoureux : quand on sait que les deux acteurs sont (ou ont été ?) en couple, on se demande où commence le cinéma, où s’arrête le voyeurisme.

On pourra trouver l’intrigue un peu courte, construite autour d’un principe simpliste et bien-pensant : « il faut aller au-delà de ses préjugés ». On sent aussi que le scénario ne sait pas comment se dépêtrer de l’intrigue qu’il a nouée : Jeanne renoncera-t-elle à son mariage pour le beau Nino ? Mais on se laisse emporter par l’élan de vie qu’insuffle Noémie Merlant à son film et à ses acteurs.

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Le Rapport Auschwitz ★☆☆☆

Deux Juifs slovaques évadés d’Auschwitz en avril 1944, Rudolf Vrba et Alfred Wetzler, ont rédigé un rapport dans lequel ils témoignaient pour la première fois des crimes de masse qui y étaient commis. Ce rapport, on le sait, n’a pas convaincu les Alliés qui ont refusé de bombarder les camps pour y arrêter le génocide qui y était perpétré.

Cette histoire vraie pouvait susciter un film qui aurait raconté les motifs de cette incrédulité. Pourquoi les Alliés n’ont-ils pas cru Vrba et Wetzler ? Parce que la crédibilité des témoins, dont les Alliés auraient peut-être questionné les motivations, aurait été mise en doute ? ou bien parce que les faits qu’ils rapportaient étaient tellement monstrueux qu’ils dépassaient l’entendement ? ou bien encore parce que, quand bien même leur témoignage aurait été cru, les Alliés, par cynisme auraient sciemment laissé mourir des millions de Juifs ? ou bien enfin parce que, après de longues délibérations, la décision aurait été prise en connaissance de cause de se concentrer sur la victoire militaire contre l’ennemi nazi, dont les Alliés auraient estimé qu’elle était le meilleur moyen de mettre un terme rapide à la déportation des Juifs et à leur extermination de masse ?
Il y avait là matière à un film qui, d’Auschwitz à Bratislava, de Londres et à Washington, aurait montré des antichambres, des salles de réunions, des discussions passionnées opposant les deux ex-prisonniers lançant des appels vibrants à l’aide pour leurs camarades de captivité dont ils savaient la mort imminente à des militaires ou des hommes politiques, empathiques ou cyniques, compréhensifs ou obtus.

Mais tel n’est pas le film que tourne le réalisateur slovaque Peter Bebjak. Il préfère se concentrer sur l’évasion des deux prisonniers comme le ferait n’importe quel thriller hollywoodien. Il les filme d’abord à l’intérieur du camp puis durant leur longue odyssée. C’est seulement dans le tout dernier quart d’heure  et avec le carton final qu’est expédié sans surprise le récit de leur cruelle déconvenue.

Par conséquent, Le Rapport Auschwitz se condamne à une énième description sans originalité de la monstrueuse inhumanité des camps de la mort avec ses figures convenues : le nazi sadique, les baraquements miteux, le prêtre sacrificiel… La Liste de Schindler ou Le Fils de Saül ont définitivement filmé l’infilmable. Il ne fallait pas attendre mieux du Rapport Auschwitz.

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After Yang ★★☆☆

Dans un futur dystopique, des « techno-sapiens » assistent les humains dans leur vie quotidienne. Jake (Colin Farrell) et Kyra (Jodie Turner-Smith) en ont acquis un pour les aider dans l’éducation de Mika, la petite fille d’origine chinoise qu’ils viennent d’adopter, et pour lui transmettre les références culturelles asiatiques qu’ils ne possèdent pas. Leur techno-sapiens se prénomme Yang. Lorsqu’il tombe en panne, Mika est dévastée. Son père va tout faire pour réparer Yang… au risque de biens étranges découvertes.

After Yang est un film de science fiction sans sabre laser ni petit bonhomme vert. Il imagine un futur proche et très réaliste où les progrès de la biomécanique auraient permis la généralisation des robots domestiques. C’est un thème très fréquent au cinéma, qu’on a vu tout récemment dans le film allemand I’m Your Man, maintes fois utilisé avant cela : 2001, Odyssée de l’EspaceBlade RunnerI.A.Her… Il est ici traité avec une immense douceur dans une Amérique futuriste influencée pour le meilleur par le Japon (j’ai pensé à la dystopie dickienne Le Maître du haut château) : vêtements, alimentation, aménagement intérieur, jusqu’au niveau sonore des échanges chuchotés loin des tonitruantes interpellations yankees.

La séduction exercée par cette ambiance feutrée agit puissamment. Elle nous plonge dans une délicieuse ataraxie. Mais l’histoire qui en découle est moins séduisante. Très classiquement, Jake découvre chez le robot des sentiments qu’il n’était pas supposé développer et un passé qu’il n’était pas censé avoir vécu. Cette découverte attendrissante nous ramollit encore un peu plus au risque de nous faire perdre tout esprit critique sur un film qui, tout bien considéré, n’apporte pas grand-chose.

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Dédales ★★★☆

Cristina, une jeune novice, quitte son monastère en taxi pour une consultation à l’hôpital.

Il est difficile d’en dire plus de Dédales, un film qui est entièrement construit sur l’accumulation de coups de théâtre qui donnent à l’action, à chaque fois, un tour nouveau et surprenant.

Son affiche est détestable qui campe certes ses deux principaux personnages mais qui les fige dans une posture réductrice. Cristina y a l’air d’être une islamiste sur le point de commettre un attentat suicide, tandis que Marius contemple son arme avec un regard vide.
Son affiche laisse également entendre que Dédales serait un polar. Or, il s’éloigne des canons du genre – et sa sélection au festival Reims Polar est d’ailleurs sujette à caution. Qui irait le voir en imaginant une énigme policière et sa patiente résolution serait vivement déçu.

Qui irait le voir sur la base de son pitch comme une dénonciation implacable des infâmes secrets qui gangrènent l’Eglise orthodoxe roumaine serait également déçu. Pour cela, mieux vaut voir ou revoir le film si âpre de Cristian Mugiu Au-delà des collines.

Ni polar, ni film à thèse, qu’est donc Dédales ? Un film difficile à présenter, difficile à résumer, difficile à critiquer.
Sa forme est peut-être aussi importante que son fond.
Et elle est exigeante sinon rébarbative : Dédales est construit en longs plans-séquence. Le premier, le seul dont on se sent autorisé à parler, se déroule dans le taxi qui conduit Cristina de son couvent à l’hôpital. Il dévoile très progressivement son histoire et les motifs, qu’on devine vite, de sa sortie. Ce plan là se reproduira trois fois, quasiment au même endroit, presque dans la même configuration. On n’en dira pas plus.

Dédales se conclut par un plan séquence magistral filmé à 360°, avec lequel le réalisateur joue avec nos nerfs et avec la chronologie. On en sort sidéré…. avant l’ultime image du film qui achève de nous figer.

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Sundown ★★☆☆

Une riche famille anglaise passe ses vacances dans un hôtel de luxe à Acapulco au Mexique qu’un appel téléphonique vient brutalement interrompre : la mère de Alice (Charlotte Gainsbourg) est en train de mourir. Toute la famille prend le chemin de l’aéroport pour sauter dans le premier avion. Mais Neil (Tim Roth), prétextant l’oubli de son passeport, n’embarque pas. Au lieu de retourner à son hôtel l’y chercher, il prend le premier taxi venu et se fait déposer dans une pension interlope. Il esquive les appels de plus en plus pressants d’Alice qui organise seule les obsèques de sa mère. Il embrasse une vie léthargique dont ne réussit même pas à le distraire la rencontre d’une accorte Mexicaine.

Michel Franco est un réalisateur mexicain dont le style emprunte, de film en film, les mêmes recettes. C’est quasiment le même procédé qu’il utilise dans Sundown et dans Después de Lucía et dans Les Filles d’Avril : une histoire en apparence anodine est brutalement percutée par un coup de théâtre qui en modifie radicalement le sens. On n’oubliera pas l’incroyable violence du dernier plan de Después de Lucía (qui lui avait valu une interdiction aux moins de douze ans). De la même façon on restera longtemps hanté par le personnage de Neil dans Sundown.

Tout le film est construit autour d’une seule interrogation : pourquoi Neil refuse-t-il de quitter Acapulco et soutenir sa sœur ? pourquoi se mure-t-il dans le silence ? pourquoi est-il devenu indifférent à tout ce qui l’entoure ? (les esprits chagrins me feront remarquer qu’il n’y a donc pas une seule interrogation mais trois ou quatre !).
Son principal défaut est que, la clé de cette énigme une fois révélée – dont il ne faut évidemment rien dire sauf à gâcher le plaisir de ceux qui n’ont pas encore vu Sundown – elle pourra sembler un peu mince. Une autre faille est de prétendre qu’on en avait pressenti l’issue…. mais une telle prescience excède de beaucoup mes capacités d’imagination.

Sundown est un film masochiste pour le spectateur qui exige d’accepter un rythme très lent pendant plus d’une heure, une énigme que rien n’éclaire et, brutalement, en deux plans muets, sa résolution et sa conclusion qui nous laisse, quand apparaît le générique de fin, incrédules et déconcertés.

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Magdala ★☆☆☆

La Légende dorée de Jacques de Voragine raconte que Marie Madeleine aurait vécu seule la fin de sa vie dans une forêt. Damien Manivel, le réalisateur du Parc ou des Enfants d’Isadora, reprend la légende à son compte.

À la place de la sulfureuse rousse que l’iconographie chrétienne a souvent peinte, il donne à la pécheresse les traits d’Elsa Wolliaston, la danseuse jamaïcaine aujourd’hui âgée de près de quatre-vingts ans. Son corps noir, massif, presqu’impotent ne saurait plus contraster avec l’image qu’on se fait de Marie Madeleine.

Magdala est radical. Aucune intrigue. Aucune histoire sinon celle minimaliste d’une vie qui s’achève. La caméra se borne à suivre son héroïne dans ses derniers jours. On la voit déambuler d’un pas lourd dans la forêt. Elle se nourrit de baies ; elle boit l’eau de la rosée qui perle à l’aube sur les feuilles de châtaignier. Sentant sa fin venir, elle se réfugie dans une grotte et meurt lentement, veillée par une angélique sylphide.

Au crépuscule de sa vie Marie Madeleine pense à Jésus, l’amour de sa vie. Elle lui parle, en araméen. Elle en rêve – occasion d’un flashback malaisant où on la revoit jeune et nue près de son amant. Elle lui offre son cœur sanglant au sommet d’une montagne battue par les vents, dans une scène empruntée à la plus gore des iconographies sulpiciennes.

Même si Magdala dure 1h18 à peine, il faut une sacrée patience pour le regarder. Les rares spectateurs – ou plutôt spectatrices car j’y étais le seul homme – de la petite salle parisienne climatisée qui le diffuse encore, y sont parvenus. Personne n’a capitulé en chemin. Quelle est la part de masochisme dans cette endurance ? Pour moi, elle était majoritaire. Pour d’autres, qui se récrieront à la lecture de ma critique acariâtre, il s’agissait d’une expérience certes exigeante mais ô combien originale de mysticisme contemplatif. À chacun sa came….

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As bestas ★★★☆

Antoine (Denis Ménochet) et Olga (Marine Foïs), ont tout quitté pour s’installer dans les montagnes de Galice. Sur leur propriété, ils font pousser des légumes bio qu’ils vendent au marché. Ils réhabilitent bénévolement les maisons du village, frappé par la désertification rurale, pour en encourager le repeuplement. Malgré leurs efforts pour s’intégrer, ils se sont déchirés avec leurs plus proches voisins autour du projet de construction d’un parc d’éoliennes. Entre le couple français de néo-ruraux et les deux frères butés, la rancœur le cède bientôt à la haine, distillant une ambiance délétère.

Avez-vous déjà eu un conflit de voisinage, avec un voisin qui laisse déborder sa haie sur votre jardin, qui met la musique trop fort ou qui joue de la perceuse chaque dimanche matin ? Avez-vous – gentiment – essayé de lui signaler que son comportement vous gênait ? Vous a-t-il – méchamment – rembarré – en vous expliquant qu’il avait le droit pour lui ? Comment avez-vous réagi à cette rebuffade ? Avez-vous haussé les épaules et oublié dans l’heure cette algarade ? ou avez-vous au contraire lentement développé une obsession paranoïaque vis-à-vis de chaque fait et geste de ce voisin inamical ?

Si vous faites, comme moi, qui ai failli déménager il y a une vingtaine d’années d’un appartement situé en dessous de celui d’un pianiste fou, partie de la seconde catégorie, As bestas vous dérangera au tréfond. Car il raconte précisément une querelle de voisinage qui rend l’air irrespirable et pose des questions sans issue : peut-on demander l’aide de la police ? sinon que faire ? se défendre ? partir ? On essaie de relativiser, de se dire que ce n’est pas si grave…. mais on n’y arrive pas et on finit par tourner comme un lion en cage, impuissant.

C’est précisément ce qui arrive à Antoine et Olga qui voient leur rêve, un peu naïf, de retour à la terre, se fracasser contre l’hostilité de leurs voisins. Un rêve d’ailleurs pas très glamour tant Rodrigo Sorogoyen s’emploie à peindre les montagnes de Galice non pas comme un paradis vierge, mais au contraire comme un amphithéâtre inhospitalier sinon étouffant.

Dès la première scène, qui, quand on la reconsidère, semble presque hors sujet, le ton est donné. Elle se déroule dans le café du village – mais s’agit-il à proprement parler d’un café ? – et Xan, le voisin d’Antoine, y débine méchamment un commerçant dont il critique la qualité du service. Des longues scènes dialoguées comme celle-ci, on en retrouvera à trois ou quatre reprises dans le film. Elles sont toutes aussi prenantes, aussi asphyxiantes les unes que les autres.

Le succès du film doit beaucoup à ses acteurs. Denis Ménochet est un buffle qui souffle et qui rue. L’acteur – dont le physique massif rappelle celui de Grégory Gadebois – vient d’être au sommet de l’affiche de Peter von Kant. C’est aussi le cas de Marina Foïs, qu’on voit partout cet été (En roue libre sorti le 29 juin, L’Année du requin sorti le 3 août). À noter la présence de Marie Colomb qui interprétait une lumineuse Laëtitia dans la mini-série adaptée du livre de Ivan Jablonka. Mais celui qui leur vole la vedette à tous, c’est Luis Zahera, l’interprète de Xan, l’inquiétant voisin, dont chaque apparition est lourde de menaces.

As bestas fait penser à Chiens de paille de Peckinpah ou, bien sûr, à Delivrance de Boorman. Mais il n’en reste pas moins profondément original, tant dans son sujet que dans son traitement. Un film comme celui-ci, filmé comme cela, on n’en avait jamais vu !

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