L’Intelligence des arbres ☆☆☆☆

Il nous vient d’Allemagne des drôles de best-seller. Grâce à Le Charme discret de l’intestin de Giulia Enders, nos défécations ont pris une nouvelle saveur. Grâce à La Vie secrète des arbres, nous ne nous promenons plus en forêt de la même façon.
Son auteur, le forestier Peter Wohleben, y soutient une thèse aussi simple que séduisante : les arbres communiquent les uns avec les autres pour vivre en bonne intelligence.

Le court documentaire (quarante-cinq minutes seulement) de Julia Dordel et Guido Tölke met sagement en image cette thèse iconoclaste.
Difficile de porter sur lui un regard cinématographique tant sa réalisation ne s’écarte guère des standards platement télévisuels – y inclus une insupportable musique de fond pompée sur Spotify. Difficile d’en parler sans s’interroger sur la scientificité des arguments développés par Peter Wohleben qui convoque, pour étayer sa thèse, des universitaires en blouse blanche du département de foresterie de l’université de Colombie-britannique.

Peter Wohleben et Suzanne Simard soutiennent que les arbres communiquent entre eux grâce aux champignons mycorhizomien (chouette ! j’ai appris un mot !) dont les mycéliums forment des réseaux interconnectés : le www (wood wide web). L’échange de carbone permet, selon des logiques de coopération, aux arbres de s’entraider. Il permet aussi aux arbres d’échanger des messages d’alerte et de détresse pour se prévenir d’un danger.

Sans être docteur en biologie, on peut être sceptique. On l’est de l’usage permanent d’un registre anthropocentrique : y a-t-il un sens à parler de « l’intelligence » des arbres » de « l’amitié » qui les soude, de la « coopération » qu’ils entretiennent, de la « famille » qu’ils forment ? On l’est des recommandations politiques qui sont faites à la fin du documentaire qui, au nom d’une meilleure cohabitation entre l’homme et la nature, appellent à un malthusianisme qui rappelle des souvenirs désagréables.

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Fuocoammare, par-delà Lampedusa ★☆☆☆

C’est l’hiver à Lampedusa, une île rocailleuse, à mi-chemin de la Sicile et de l’Afrique, point d’arrivée en Europe des migrants qui tentent leur chance dans des embarcations de fortune. Les bateaux se succèdent, avec leurs lots de passagers hagards. Les équipes médicales et la police de l’immigration les prennent en charge selon une froide mécanique.
Pendant ce temps, Samuele mène la vie banale d’un enfant de douze ans. Il fabrique une fronde, révise ses leçons d’anglais avec sa grand-mère, va en mer avec son père. Un docteur prodigue les premiers soins aux migrants malades et fait aussi office de médecin de famille pour Samuel. L’animateur de la radio locale diffuse des vieux airs de musique sicilienne à la demande de ses auditeurs.

Par-delà Lampedusa – L’objectif de Gianfranco Rosi était « de trouver un autre point de vue sur Lampedusa », cette petite île italienne qui concentre l’attention médiatique le temps d’une catastrophe humanitaire, puis retombe dans l’oubli jusqu’à la suivante. Il a décidé de prendre le temps d’aller à la rencontre de l’île et de ses habitants, à l’époque de l’année où on la connaît le moins bien. Son film est hivernal, sous un ciel menaçant, face à la mer immense et glacée dont surgissent régulièrement des esquifs surchargés.

Il s’attarde surtout sur l’attachant Samuele, un gamin débordant d’énergie, ficelle à l’heure de faire ses devoirs scolaires mais diablement dynamique quand il s’agit de courir la garrigue. Le problème est que sa vie n’a aucun lien avec celle des migrants qu’à aucun moment il ne croise : ni sur la mer à bord du petit bateau de pêche de son père, ni sur la terre où jamais il ne s’approche de leur centre de rétention.

On comprend que le sujet du documentaire de Gianfranco Rosi est l’étanchéité qui sépare ces deux mondes. D’un côté celui des migrants pris en charge par une organisation administrative à la fois efficace et inhumaine. De l’autre celui des habitants de Lampedusa qui n’ont aucun contact avec les migrants. Sans doute le documentariste veut-il par là nous suggérer que cette étanchéité prévaut également dans nos vies confortables où, mises à part quelques informations sporadiques et dramatiques, nous n’avons aucun contact avec la détresse de ces populations.

Le problème est que l’étanchéité n’est pas facile à filmer ! Pendant près de deux heures, on suit un gamin qui tire sur des étourneaux avec sa fronde. C’est charmant. Et puis on embarque à bord d’une frégate italienne qui transborde des migrants. C’est poignant. Et puis c’est tout.

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Aquarius ★☆☆☆

La soixantaine, Clara habite un bel appartement en bord de mer. Mais des promoteurs sans vergogne souhaitent l’en déloger pour construire un condominium de luxe.

Dans « Les Bruits de Récife » (2012), Kleber Mendonça Filho interrogeait, à partir de la rénovation urbaine d’un quartier de la capitale du Pernanbouc, le vivre-ensemble brésilien, la dureté de ses rapports de classe et de race. Son propos est aujourd’hui moins sociologique et plus psychologique. « Aquarius » est moins un film sur un lieu – la résidence ainsi nommée que Clara ne veut pas quitter – qu’un film sur une femme.

Sonia Braga est au cinéma brésilien ce que Catherine Deneuve est au cinéma français : une égérie, une figure de drapeau, un navire amiral. À soixante ans passés, l’héroïne de « Dona Flor et ses deux maris » et du « Baiser de la femme araignée » n’a rien perdu de sa beauté et de son élégance. Elle est de tous les plans dans « Aquarius » – et même dans le prologue du film qui éclaire, en 1980, son passé familial. Comme Catherine Deneuve, Sonia Braga intimide par sa beauté altière et émeut par la fragilité qu’on y sent parfois percer.

« Aquarius » est un film sur le temps qui passe, sur la nostalgie, sur la perte (Clara qui a déjà perdu son mari et qui voit s’éloigner ses enfants, ne veut pas renoncer à la dernière chose qui la rattache à son passé). Mais le temps qui passe passe bien lentement dans ce film qui s’étire inutilement pendant plus de deux heures vingt. Ramassé en une heure trente, il aurait mérité une ou deux étoiles de plus.

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Les sept mercenaires ★☆☆☆

Mais quelle mouche a piqué Hollywood de faire un remake du western indépassable de John Sturges (1960) avec Yul Brynner et Steve McQueen ? A-t-on voulu attirer un public nostalgique comme moi de ce chef d’œuvre ? Ou un autre qui ne l’aurait pas vu et qui s’imaginerait s’en approcher à travers son remake ? Qu’un pareil film puisse se monter est tristement révélateur de la paresse et de la frilosité des majors

Car il n’y a pas grand chose à tirer du travail laborieux de Antoine Fuqua. Respectueux de l’original, il en garde la trame archiconnue : des villageois martyrisés recourent à une bande de mercenaires pour se libérer du tyran qui les oppriment. Les chapitres convenus du western de John Sturges sont respectés. D’abord le patient recrutement des sept mercenaires – qui en 2016 incarnent un échantillon plus bigarré qu’en 1960. Ensuite la formation des villageois à l’art de la guerre. Enfin, après une attente fébrile, l’assaut final, la résistance héroïque, les pertes nombreuses (qui parmi les sept succombera ? qui survivra ?) et la victoire.

Sauf que rien de ce qui faisait le charme épique du western de 1960 ne fonctionne. Aucun des mercenaires, lesté désormais d’un lourd passé psychologisant, n’est attachant. Ni Denzel Washington qui reprend le rôle de Yul Brynner (pourquoi pas), ni Chris Pratt dans celui de Steve McQueen.

Le plus paradoxal survient avec le générique final qui reprend l’espace de quelques mesures, la célébrissime musique de Elmer Bernstein (mais si ! vous la connaissez !). On est pris pendant quelques secondes d’une excitation qui s’éteint aussitôt que se dissipe l’illusion qu’on n’est malheureusement pas en train de revoir l’original mais hélas de découvrir une pâle copie.

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Anna Halprin et Rodin ★★☆☆

Née en 1920, Anna Halprin danse depuis près d’un siècle. Elle a fréquenté les plus grands : Martha Graham dont elle fut l’élève, Merce Cunningham dont elle fut la partenaire, Trisha Brown dont elle fut le professeur. Elle a traversé tous les styles et les a souvent devancés comme dans « Profiles and Changes » où les danseurs se dénudaient sur scène : ce spectacle fut, pour ce motif, censuré en 1965 alors qu’une telle scène est aujourd’hui d’une banalité convenue.

Ruedi Gerber avait déjà consacré à la chorégraphe américaine en 2010 un premier documentaire où elle faisait retour sur sa carrière. Celui-ci est moins nostalgique. Il suit un atelier qu’elle anime sur une plage de Californie du nord battue par les vents, avec quelques danseurs non professionnels en quête d’un nouveau dialogue corporel inspiré des sculptures d’Auguste Rodin.

La démarche de l’artiste n’est pas éloignée de celle d’un gourou entouré des adeptes de sa secte. Ses références répétées au pelvis et à la kinesthésie, ces corps nus qui se contorsionnent dans la boue peuvent parfois prêter à sourire.

Mais, tout sens du ridicule bu, l’art d’Anna Halprin, son audace, sa quête du Vrai et du Beau produisent une émotion rare.

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Soy Nero ☆☆☆☆

Nero a grandi à Los Angeles. Il en a été expulsé vers le Mexique. Après plusieurs tentatives infructueuses, il parvient à revenir en Californie avec une idée en tête : servir dans les rangs de l’armée pour obtenir, à l’issue de son engagement, la citoyenneté américaine.

Comme l’annonce la phrase qui surplombe l’affiche du film, « Soy Nero » se veut « une fable qui synthétise toute la géopolitique du monde ». Ce film voudrait évoquer en un seul geste à la fois le drame de l’immigration chicano aux États-Unis et l’hybris de l’interventionnisme militaire américain. Projet ambitieux ! Projet stimulant sur le papier d’un réalisateur anglo-iranien résidant en France dont l’œuvre interroge la notion d’identité et de frontière.

La déception est d’autant plus grande que les espérances étaient élevées. Faute de moyens, « Soy Nero » colle à son héros qu’on accompagne en de longs plans séquence. On le suit d’abord dans ses tentatives de franchissement du mur qui sépare les Etats-Unis du Mexique. Le deuxième tiers du film le retrouve sans transition à Beverley Hills, dans une luxueuse villa dont son frère fait mine d’être le propriétaire alors qu’il n’en est que l’homme à tout faire. La rupture est plus radicale encore avec la dernière partie du film. Nero – qui a dû changer d’identité entretemps – patrouille un check point sous l’uniforme américain. Les choses, comme on l’escomptait, tournent mal.

Sans doute Rafi Pitts a-t-il trop voulu brasser. Son film en contient deux voire trois. Mais, défaut plus rédhibitoire encore, il le fait sous une forme languissante, éthérée, qui distille l’ennui plus qu’il ne suscite l’intérêt.

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La Danseuse ★★★☆

Dans la danse classique, tout part des pieds. Loïe Fuller décida de danser avec ses bras et inventa la danse moderne en 1892. Tournoyant sur un piédestal dans des jeux de lumière, noyée dans des mètres de soie, cette Américaine connut la gloire à Paris avant d’être éclipsée par sa compatriote Isadora Duncan.

C’est cette histoire haute en couleurs que raconte Stéphanie Di Giusto dans un premier film audacieux. À cheval sur les deux rives de l’Atlantique, « La Danseuse » est une reconstitution soignée de la Belle époque, un splendide portrait de femme(s) et surtout un choc esthétique.

Du Far West à l’Opéra de Paris, pas un bouton de manchettes ne manque aux acteurs tous remarquables qu’on retrouve avec plaisir : Gaspard Ulliel en dandy proustien autrement plus convaincant que chez Dolan, Mélanie Thierry qui gagne en profondeur avec les années sans rien perdre de sa grâce, François Damiens et Louis-Do de Lencquesaing en directeurs de salle…

Deux femmes se distinguent que, hors l’amour fou de leur art, tout oppose. Deux danseuses qui se disputent, dans un combat perdu d’avance par Loïe Fuller, le rôle titre : Soko au visage dur, presque masculin, au corps athlétique et souffrant, à la détermination inébranlable et, dans le rôle de Isadora Duncan, Lily-Rose Depp, si frêle, si gracieuse, si enfantine, qu’on peine encore à regarder sans chercher en elle les traits de ses deux parents.

Les chorégraphies de Loïe Fuller, éclairées par Benoît Debie, sont envoûtantes. Elles sont d’une telle beauté qu’elles en éclipsent le reste du film. On aurait aimé que les scènes dialoguées soient plus courtes et les scènes dansées plus longues.

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Brooklyn Village ★☆☆☆

Une famille new-yorkaise emménage dans une maison à Brooklyn héritée d’un père défunt. Son rez-de-chaussée est occupé par une couturière à laquelle le propriétaire avait accordé un loyer modéré. Les nouveaux propriétaires ne l’entendent pas de cette oreille.

« Brooklyn Village » est le titre français (sic) de « Little Men ». Les distributeurs français ont parié sur le cachet local du film. Alors qu’il n’en a aucun. Et ajouté un commentaire stupide : « Un cousin éloigné de Woody Allen ». Alors que ce film ne se situe jamais sur le registre comique.

Tout au plus « Brooklyn Village » peut-il se voir comme un documentaire sur la gentryfication d’un quartier de New York jadis populaire. L’arrivée des classes moyennes fait monter les prix et entraîne l’éviction des classes laborieuses.

Mais le sujet du film est ailleurs. C’est dans son titre original qu’il faut le chercher. « Little Men » : des gens de peu, des petites gens qui, comme l’aurait dit Jean Renoir, ont tous leur raison. Leur raison d’élever le loyer pour ces bobos moins aisés qu’il n’y paraît (elle fait bouillir la marmite tandis qu’il rêve de percer sur les planches) et leur raison de s’y opposer pour cette immigrée chilienne unie au précédent propriétaire par des liens dont la nature restera mystérieuse.

Mais surtout « Little Men » fait référence aux deux ados : le fils du couple, artiste et rêveur, le fils de la couturière, plus extraverti. Entre eux naîtra dès la première rencontre une amitié comme seule l’adolescence en connaît. Viendra-t-elle à bout du conflit qui oppose les adultes ? C’est tout l’enjeu du scénario.

Et telle est la limite de « Brooklyn Village ». Tout le film est basé sur un suspense assez pauvre : les adultes trouveront-ils une solution à leur conflit immobilier ? La réponse brutale manque de subtilité.

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Victoria ★★★☆

Ténor du barreau, sexy et intelligente, Victoria est pourtant en pleine crise de la quarantaine : sa vie sexuelle est un néant, son ex la diffame sur son blog, son meilleur ami, accusé d’agression à main armée, insiste pour qu’elle assure sa défense au mépris des règles déontologiques de sa profession.

La bande-annonce semblait tout dire d’une RomCom au déroulé prévisible : cette cousine de Bridget Jones allait se tirer d’une mauvaise passe en retrouvant l’amour avec son baby sitter. Bizarrement, « Victoria » raconte cela. Mais il le fait avec une telle subtilité, un tel charme, une telle intelligence que ce film moins léger qu’il n’y paraît est une réussite absolue.

Grâce à qui ? À Justine Triet, espoir de la nouvelle vague française, révélée par son premier film « La Bataille de Solférino ». Son scénario est un splendide portrait de femme. Sur la corde raide de la comédie et du drame. Infiniment crédible. Victoria, on l’a tous déjà rencontrée – surtout si on est parisien, juriste et quarantenaire. C’est la fille sympa, brillante et drôle qui a toujours su traverser la vie et ses cahots à force de volonté. On sent qu’elle a des fêlures, mais elle les cache bien. Le film de Justine Triet montre à la perfection comment ces fêlures menacent de s’élargir. La séquence sans paroles qui voit Victoria sombrer dans la dépression est un modèle du genre.

Mais c’est surtout à Virginie Efira que « Victoria » doit sa réussite. De tous les plans, l’actrice belge a peut-être trouvé le rôle de sa vie. Un rôle qui la tire loin des comédies un peu pataudes dans lesquelles sa fraîcheur menaçait de se faner. Un rôle loin des caricatures que ce cinéma-là nous sert trop souvent : Victoria n’est ni une célibataire en mal de mec, ni une bourgeoise mal mariée. Victoria est une femme de son temps. Une mère célibataire. Qui aime son travail, mais n’y réussit pas toujours. Qui aime ses enfants mais ne leur consacre pas assez de temps. Qui aime l’amour, mais est saturée de sexe ; qui aime le sexe, et qui cherche l’amour. Victoria, c’est vous ; Victoria, c’est moi. Enfin presque.

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War Dogs ★★☆☆

Deux potes deviennent trafiquants d’armes… pour le gouvernement américain.

Que tourner après « Very Bad Trip » ? Pour répondre à ce défi, Todd Phillips a commencé par tourner « Very Bad Trip 2 » en 2011 puis « Very Bad Trip 3 » en 2013. Puis, parce qu’il fallait bien passer à autre chose, il s’est emparé de cette histoire vraie.

Des war dogs, des chiens de guerre qui s’enrichissent du commerce des armes, le cinéma en a déjà montrés. « Lord of War » d’Andrew Niccol avec Nicholas Cage peignait la vie du trafiquant d’armes ukrainien Viktor Bout.

Mais « War Dogs » n’est pas un film sur la guerre et ses trafics. « Arms and the Dudes » aurait fait un titre plus fidèle. Car s’il y est question d’armes, son sujet est les deux lascars qui s’enrichissent de leur commerce. Jonah Hill est un escroc à la petite semaine dont le bagout se rit de tous les obstacles. Miles Teller joue son ami d’enfance, entrainé malgré lui dans des mensonges de plus en plus dangereux. 

« War Dogs » a un double défaut. Il n’est pas assez drôle pour être drôle : malgré la présence de Jonah Hill au générique, Todd Phillips a égaré l’humour transgressif qui avait fait le succès du premier « Very Bad Trip » (jetons un voile pudique sur les deux suivants oubliables et oubliés). Il n’est pas non plus assez sérieux pour être sérieux. « Lord of War » et son inoubliable première scène étaient indépassables. Ils ne seront pas dépassés.

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