Cézanne et moi ★☆☆☆

L’amitié qui lia les deux Aixois Cézanne et Zola était un beau sujet de film. Las ! c’est Danièle Thompson, la fille de Gérard Oury, plus connue pour ses comédies franchouillardes (« La Bûche », « Décalage horaire », « Fauteuils d’orchestre ») que pour sa profondeur historique, qui l’a eue.

Elle abat la tâche besogneusement. Avec un découpage faussement compliqué. En 1888, le peintre toujours maudit rend visite au romancier déjà célèbre et lui reproche d’avoir utilisé leur amitié pour nourrir son œuvre « L’Oeuvre » (non ! je ne bégaie pas). Cette rencontre est l’occasion de revisiter par flash-backs l’histoire de leur vie depuis leur rencontre à l’école communale d’Aix : les premières amours, la réussite littéraire pour Zola, l’insuccès pour Cézanne. Le procédé devient vite répétitif.

« Cézanne et moi  » – qui aurait aussi bien pu s’appeler « Zola et toi » ou « Cézanne, Zola et nous » – est-il sauvé par l’interprétation des deux Guillaume ? Même pas. Gallienne en fait trop qui surjoue le génie incompris avé l’accent. Canet, n’en fait pas assez, exagérant l’austérité de l’auteur des Rougon-Macquart.

Si « Cézanne et moi » décroche un César, ce sera pour les costumes, impeccables, et pour les maquillages (le postiche de Zola est criant de vérité). Sauf que, vérification faite, il n’y a pas de César du meilleur maquillage.

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Where To Invade Next ★★☆☆

Qui ne connaît Michael Moore, sa casquette de baseball, son humour décapant, ses documentaires hilarants qui sont autant de pièces à charge sur les maux de l’Amérique : « Bowling for Columbine », « Fahrenheit 9/11 » (Palme d’or 2004), « Sicko »… Quelques années plus tard – et quelques kilos en plus – le comique américain est toujours aussi mordant.

Le titre du dernier opus de son œuvre pourrait induire en erreur. Il n’y est pas question, après l’Irak et l’Afghanistan, de campagnes militaires. Fions nous plutôt au sous-titre : « Et si le meilleur venait d’ailleurs ? ».

L’ailleurs dont il est ici question c’est l’Europe que Michael Moore sillonne à sauts et à gambades. À chaque étape de cette collection de cartes postales, le procédé est le même : Michael Moore recueille, stupéfait, le témoignage d’un autochtone sur ses « bonnes pratiques » : les congés payés en Italie, le système éducatif en Finlande, la dépénalisation de l’usage de la drogue au Portugal, les droits des femmes en Islande. Et en France la qualité de nos cantines scolaires. L’Europe serait-elle un paradis comme l’affirme une employée allemande rencontrée par Michael Moore ? Le documentariste n’a pas la naïveté de le croire. Il recueille « les fleurs, pas les mauvaises herbes » comme il le dit joliment. Mais en ces temps d’euroscepticisme à tout crin, il n’est pas désagréable de se voir rappeler d’un Persan de passage les avantages de notre système.

Le meilleur, c’est le meilleur pour l’Amérique et ses habitants. On ferait fausse route en pensant que « Where to Invade Next » est un hymne à l’Europe et à son modèle social. C’est, comme tous ces précédents documentaires, un procès à charge de l’Amérique – peinte en creux comme le royaume de la malbouffe, des violences policières, des discriminations faites aux femmes – et un appel aux armes lancé à ses ressortissants. Et s’il donne une image bien irénique de notre continent, ne mégotons pas !

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Juste la fin du monde ☆☆☆☆

Xavier Dolan me gonfle. Voilà bientôt une dizaine d’années que le petit génie canadien fait monter le buzz. Cannes lui a fait la courte échelle, sélectionnant la quasi-totalité de ses films et les couvrant de prix – seule la Palme d’Or lui a échappé – qui sont autant d’occasions de discours de remerciements hauts en couleurs. Sans doute faut-il reconnaître à Laurence Anyways (2012) un certain coffre ; mais j’ai déjà dit ici tout le mal que je pensais de l’insipide Tom à la ferme (2013) et du surcoté Mommy (2014).

Ce n’est pas Juste la fin du monde qui me réconciliera avec Xavier Dolan. Pourtant, j’avais aimé sa bande-annonce, diffusée en boucle durant tout le mois de septembre et son beau crescendo. Las ! le film en est l’homothétie inutilement étirée sur quatre-vingt-quinze minutes. Soit un fils prodigue (Gaspard Ulliel) – dont on connaît le lourd secret dès la première scène du film – qui revient dans sa famille et y retrouve sa mère (Nathalie Baye), sa sœur cadette (Léa Seydoux), son frère aîné (Vincent Cassel) et l’épouse de celui-ci (Marion Cotillard).

Pendant une heure trente cette petite famille va hystériquement se couper la parole. Ça parle beaucoup. mais on comprend vite que le sujet est précisément celui de l’incommunicabilité. Chaque personnage est enfermé dans son stéréotype.
Gaspard Ulliel = la bonté sulpicienne
Nathalie Baye = la mère ripolinée
Vincent Cassel = le prolo brutal
Léa Seydoux = la jeunesse révoltée
Marion Cotillard = la soumission compatissante

Comme dans La Chanson de l’éléphant dont il interprétait le rôle principal, Xavier Dolan filme une pièce de théâtre. Pour « faire cinéma », il filme ses personnages en très gros plans – qui laissent parfois planer le doute d’un plan de tournage découpé de façon à accommoder l’agenda sans doute très chargé de chacune de ces cinq stars. Comme à son habitude, il égaie cette mise en scène oppressante de quelques envolées lyriques (un flash back au flou hamiltonien) et d’une musique racoleuse (Camille, Moby et – il fallait oser – O-zone). Au bout de trente minutes, on a compris et on étouffe.

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Comancheria ★★☆☆

Pour rembourser le crédit immobilier qui les étouffe, deux frères s’improvisent braqueurs de banque. Deux Rangers opiniâtres les traquent.

Terre traditionnelle des Comanches, la Comancheria est située à l’ouest du Texas. C’est une région aride et inhospitalière. C’est le cadre de ce film hybride, à l’intrigue volontairement minimaliste, à la confluence du drame social, du polar et du western.

Drame social. L’Écossais David MacKenzie filme l’Amérique profonde. L’Amérique des petits bleds paumés, des motels poisseux, des casinos glauques. L’Amérique écrasée par la crise de subprimes. L’Amérique obsédée par les armes à feu et la liberté d’en faire (mauvais) usage. La terre regorge de pétrole comme dans Giant ; mais la misère partout menace comme dans Promised Land.

Polar. Toby (Chris Pine beau comme un Dieu) et son frère  (Ben Foster chien fou) braquent des banques avec l’amateurisme des néophytes et l’audace de ceux qui n’ont plus rien à perdre. Un peu Bonnie and Clyde. Un peu Thelma et Louise. Deux Rangers, un pré-retraité (Jeff Bridges au sommet de son art) et un sang-mêlé, mènent l’enquête à leur façon. Violence en moins, on pense à No Country for Old Men.

Western. Dans sa dernière partie, Comancheria subvertit les codes du western. Difficile d’en dire plus sans dévoiler le dénouement de l’intrigue. Moins prévisible que la sanglante confrontation finale, le face à face qui la suit donne au film une profondeur inattendue.

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Infiltrator ★☆☆☆

En 1985, les Douanes américaines ont infiltré le cartel de Medellin pour faire tomber plusieurs barons de la drogue et les banques qui blanchissaient leur argent.

Walter White chez Pablo Escobar. Si vous n’avez pas vu Breaking Bad, c’est que vous avez passé ces dix dernières années sur une autre planète. Bryan Cranston y incarnait un professeur de chimie reconverti en parrain de la drogue. C’est bon an mal an le même rôle qu’il endosse dans Infiltrator : celui d’un honnête père de famille condamné à singer les manières d’être d’un caïd.

Il le fait avec la même aisance que celle dont il faisait preuve dans la désormais cultissime série américaine. La scène du restaurant où il doit, devant son épouse médusée, humilier un serveur pour tenir son rôle face à un mafieux croisé par mégarde est de ce point de vue exceptionnelle.

Infiltrator a le défaut de s’ajouter à une liste bien longues de films similaires qui compte quelques monuments indépassables : Serpico (1973), Donnie Brasco (1997), Infernal Affairs (2002), Les Infiltrés (2006). Il a au surplus le défaut d’hésiter entre deux partis entre lesquels il ne tranche jamais. Trop léger pour glacer les sangs et faire craindre pour la vie des agents sous couverture. Pas assez drôle pour faire rire des quiproquos que suscitent la double vie qu’ils mènent.

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Clash ★☆☆☆

À l’été 2013, Le Caire est à feu et à sang. Deux ans plus tôt, la révolution arabe a renversé le président Moubarak. Les Frères musulmans ont gagné les élections ; mais, après l’occupation de la place Tahrir, l’armée reprend le pouvoir. Un fourgon pénitentiaire accueille une dizaine de manifestants aux convictions politiques et religieuses divergentes.

Le cinéma offre des témoignages fascinants sur la révolution égyptienne. Qu’il s’agisse de documentaire (« je suis le peuple », 2014) ou de film (« Après la bataille », 2012), ils en disent plus que de longs discours sur le ras-le-bol du peuple contre le régime corrompu de Moubarak et la tentation ambigüe d’un pouvoir religieux. « Clash » s’inscrit dans cette veine, qui ambitionne de filmer une révolte urbaine sans jamais quitter l’intérieur d’un fourgon.

Claustrophobes s’abstenir ! Mohamed Diab aime les espaces clos. Après « Les Femmes du bus 678 », dénonciation rageuse des violences faites aux femmes, il plante sa caméra dans un panier à salades. Toute l’action s’y déroule, quasiment en temps réel.

Au fur et à mesure que la journée avance, ce fourgon se remplit. Deux journalistes. Des manifestants anti-Morsi. Des Frères. Avec la température qui monte, le fourgon se transforme en cocotte-minute. L’explosion menace à chaque instant.

Sur le papier, cette idée de mise en scène est bigrement alléchante. Mais sa réalisation peine à convaincre. Chaque personnage devient sa propre caricature : la femme voilée, le vieux religieux, le jeune hédoniste, l’intellectuel laïcard, le militaire borné … L’intrigue peine à avancer, rythmée par les chaos de la manifestation dont on entend les grondements indistincts. L’action se réduit à une série de disputes, plus ou moins répétitives. Au bout d’une heure trente sept, on est soulagé d’ouvrir les portes et de sortir au grand air.

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La Taularde ★☆☆☆

La première scène de « La taularde » prend aux tripes. Sophie Marceau, notre idole nationale, dont le sourire charmant, les yeux qui plissent et la bretelle qui glisse font chavirer le cœur des Français depuis plus de trente ans, est humiliée sous nos yeux choqués. Nue comme un ver – mais un meuble occulte son entrejambe – elle doit se soumettre à la palpation de sécurité qui accompagne sa mise sous écrou.

Mathilde Leroy, son personnage, est en prison pour l’homme qu’elle aime, un Robin des bois qui vole les riches pour donner aux pauvres. Elle l’a aidé à s’évader et espère écoper d’une peine légère pour complicité. Mais l’évasion a mal tourné. Un otage a été tué. La peine légère risque de s’alourdir. Placée au silence, sans nouvelles de l’extérieur, Mathilde doute de la sincérité de son compagnon tandis qu’à l’intérieur, ses codétenues lui mènent la vie dure.

Des films de prison, on en a vu treize à la douzaine. Le meilleur est sans conteste « Un prophète » de Jacques Audiard. Mais certains, passés inaperçus, sont de vraies réussites : « Dog Pound » (2010), « Ombline » (2012), « Les Poings contre les murs » (2013), « Eperdument » (2015) . Difficile de faire mieux ou même aussi bien. « La Taularde » n’y parvient pas même si l’idée de plonger une intello dans la jungle de la maison d’arrêt était bonne.

Sophie Marceau est le principal atout et le principal handicap du film. Elle est remarquable dans ce rôle ingrat. Sale, sans maquillage, elle bout d’une rage impuissante. Mais Sophie Marceau ne réussit jamais à faire oublier qu’elle est Sophie Marceau. Idole nationale, elle est condamnée aux rôles que son statut appelle.

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Ben-Hur ★☆☆☆

Au début de l’ère chrétienne, en Judée, Judah Ben-Hur, un notable juif, et Messala Severus, un orphelin romain, vivent sous le même toit avant d’être séparés par les aléas de l’Histoire.

Je me souviens mon émerveillement à  la découverte du péplum de Bill Wyler. J’avais peut-être dix ou douze ans et je n’avais jamais veillé aussi tard. Élève studieux des Pères maristes, je lisais à l’époque Quo Vadis ou Les Derniers jours de Pompei et étais baigné d’histoire latine, passée au tamis d’un catéchisme bon enfant. Jamais je n’avais vu un film à  grand spectacle si long, si épique, si poignant. J’avais si peu de second degré que les jupettes de Charlton Heston ne m’avaient même pas fait sourire.

Pourquoi diable faire un remake de ce chef d’œuvre indépassable ?  Pour toucher un public allergique aux films anciens ? Pour tirer partie des possibilités offertes par les techniques de l’image ? Pour faire de l’argent auprès d’un public rétif à la nouveauté ? Si le film s’est monté, c’est qu’une de ces raisons hélas est la bonne.

Le film de Timur Bekmambetov (encore un réalisateur étranger happé par Hollywood) n’est pas un navet. Il réplique les grandes scènes du Ben-Hur : la bataille navale, la course de chars, la crucifixion. Mais il le fait avec une application trop sérieuse pour emporter l’adhésion.

Entre l’original et la copie, préférez toujours l’original !

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Jeunesse ★☆☆☆

Un peu filou, un peu rêveur, Zico (Kévin Azaïs découvert aux côtés de Adèle Haenel dans Les Combattants) veut prendre la mer. Il s’embarque sur un vieux rafiot battant pavillon panaméen. À bord un vieux capitaine (Jean-François Stévenin) et un second silencieux (Samir Guesmi aussi à l’aise dans la comédie – L’Effet aquatique – que dans le drame).

« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » – Julien Samani transpose à l’époque contemporaine une nouvelle de Joseph Conrad. Sa fidélité à la trame narrative est plus un défaut qu’une qualité : avec ses tatouages, Zico ressemble trop à son époque pour rendre crédible le personnage de jeune lieutenant du livre de Conrad.

Les personnages de ce huis clos marin sont pourtant attachants. Mais le scénariste peine à leur donner de la chair. Pour le faire, il invente deux événements théâtraux : une tempête, un incendie. Filmés à la petite semaine, ils ne suffisent pas à donner à « Jeunesse » une épaisseur qui lui fait cruellement défaut.

Si la plainte indomptable et sauvage des flots impétueux et les marins aux torses huileux vous émeuvent, je vous conseille plutôt l’excellent Fidelio (2014) ou Noir océan (2010)

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Relève : histoire d’une création ★★★☆

En 2014, Benjamin Millepied a pris la tête du ballet de l’Opéra de Paris. Un an plus tard, son spectacle « Clear, Light, Bright, Forward » ouvre la saison 2014/2015 en présence du Président de la République. « Relève » est, comme son sous-titre l’annonce, l’histoire de cette création. Mais c’est aussi l’histoire d’une relève, d’un changement de direction à la tête du plus célèbre ballet au monde.

« Relève » vient s’ajouter à la liste déjà longue des documentaires consacrés à la danse. L’un, il y a quelques mois, était consacré à  Ohad Naharin ; l’autre, il y a quelques années, à  Pina Bausch. Ici les documentaristes ont suivi Benjamin Millepied dans la préparation d’une oeuvre très contemporaine, interprétée par les danseurs classiques du ballet. Pendant quarante jours, Millepied est au four et au moulin, avec les danseurs, les musiciens, les costumiers… Son assistante veille au grain et tente, tant bien que mal, de lui faire respecter un agenda dément. Le documentaire nous parle moins de l’art de la danse que de la difficulté à monter un projet complexe.

Mais « Relève » a une seconde dimension qui suscite un malaise. Le documentaire est un manifeste en faveur des réformes que le nouveau directeur appelle de ses voeux. Il veut rompre avec la hiérarchie étouffante du corps de ballet en confiant à des sujets ou même à des coryphées des premiers rôles. Il manifeste un souci inédit pour le bien-être, la santé, la nutrition des danseurs. Rien que de très louable dans ses promesses. Sinon que Millepied a claqué la porte de l’Opéra quatre mois après le succès de sa création. Vaincu par une bureaucratie aveugle ? Ou victime de ses caprices de diva ? Le documentaire n’en dit mot et nous laisse sur notre faim.

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