Tout s’accélère ★☆☆☆

Un ancien trader, devenu instituteur, interroge ses élèves de CM2 sur l’accélération du monde.

Demain vient de toucher une audience exceptionnelle en jouant sur la corde sensible de l’inquiétude de nos sociétés pour leur environnement et pour leur futur. Tout s’accélère creuse la même veine du docu écolo, citoyen et responsable.

Il le fait avec de jeunes enfants, créant un double malaise.
Le premier est d’entendre des enfants évoquer « le bon vieux temps » et dire « c’était mieux avant ». Ce genre de propos amers se comprend dans la bouche de vieillards nostalgiques de mon âge. Il n’a aucune authenticité dans celle d’enfants de dix ans, décrédibilisant du coup son propos. Que le monde aille trop vite est une chose ; qu’il accélère en est une autre.
Le second est leur instrumentalisation : sous couvert de recueillir de leurs bouches un témoignage (forcément) authentique, cet enseignant n’est-il pas en train de leur inculquer sa propre idéologie ? Une idéologie qui interroge à bon droit la vitesse, la croissance, la cupidité. Mais aussi une idéologie malthusienne du moins, du petit, du contentement, du renoncement qui n’est pas celle sur laquelle l’humanité s’est bâtie et dont je doute qu’elle lui permette de relever les défis auxquels elle est aujourd’hui confrontée.

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Desierto ★★☆☆

Unité de lieu, de temps, d’action : à la frontière mexicaine, un groupe d’immigrés illégaux est pris en chasse par un psychopathe xénophobe. Le scénario de Desierto a la subtilité d’un jeu vidéo. L’affiche frise la publicité mensongère qui évoque « les créateurs de Gravity » au seul motif que le fils Cuarón, réalisateur de Desierto, devait servir le café sur le plateau du film de son papa.

Mais reconnaissons à ce film, malgré son manichéisme caricatural, une certaine efficacité. Le chasseur et son redoutable berger allemand suscitent une antipathie radicale ; les malheureux immigrants, dont le nombre se réduit inexorablement, une sympathie entière. Et le scénario réussit, sur la base d’un pitch étique, à s’inventer suffisamment de rebondissements pour passer une séance sans regarder sa montre.

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Mékong Stories ★☆☆☆

Il y a une vingtaine d’années, j’ai vu L’Odeur de la papaye verte. C’était mon premier film vietnamien. En ce temps-là, les cinémas du monde peinaient à trouver un chemin jusqu’à nos écrans. Je me souviens de mon émerveillement devant des films aussi exotiques que le malien Yeelen ou le finlandais Ariel. Je me souviens aussi que j’avais somnolé la moitié du temps devant un film esthétiquement envoûtant… mais mortellement ennuyeux.

C’est un peu le même sentiment – et la même somnolence – qui s’est emparé de moi devant Mékong stories. Sauf que, hélas, vingt années de cinéphilie et la considérable ouverture du paysage audiovisuel aux filmographies les plus exotiques ont annihilé la curiosité que m’avait inspirée à l’époque L’Odeur de la papaye verte.

L’intrigue de Mékong stories – traduction en français (sic) de Cha và con và qui signifie littéralement Père et fils et – est passablement complexe. On suit mollement une bande de jeunes Vietnamiens dans la moiteur de Saïgon et de la campagne environnante. Vu photographie ; Thang deale ; Van danse. Vu est amoureux de Thang ; Thang couche avec Van ; Van n’aime personne sinon elle-même. Vous n’avez rien compris ? Moi non plus ! Rendormez-vous !

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This is my Land ★★☆☆

La documentariste Tamara Erde pose une question simple : comment les systèmes éducatifs israélien et palestinien enseignent-ils à leurs élèves l’histoire de l’autre ? Son enquête y donne une réponse tout aussi simple qui donne froid dans le dos : des générations de jeunes Israéliens et de jeunes Palestiniens sont éduqués au mieux dans l’ignorance de leurs voisins au pire dans leur haine.

La jeune Franco-Israélienne a mené,non sans mal, son enquête dans une série d’établissements scolaires des plus libéraux (un collège mixte où juifs et non-juifs suivent le cours d’histoire donné à deux voix par deux professeurs, un Juif et une Palestinienne) aux plus intransigeants (l’école rabbinique d’une colonie juive, un collège palestinien où un enseignant pourtant débonnaire laisse sans réaction le témoignage d’un élève qui raconte avoir « craché sur une Juive » la veille). Partout, à quelques détails près, elle dresse le même constat désespérant : les enfants des deux communautés sont élevés dans l’ignorance et la méfiance de l’Autre, présenté côté israélien comme une menace et côté palestinien comme un spoliateur. Un voyage scolaire à Belzec et Treblinka loin d’encourager la réconciliation semble accréditer chez les jeunes Israéliens l’esprit de persécution et le désir subséquent de vengeance.

Conséquence dramatique : ces enfants n’aspirent qu’à quitter une terre où la réconciliation semble impossible. This is MY land et non this is OUR land.

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Théo & Hugo dans le même bateau ★☆☆☆

Théo et Hugo ont le coup de foudre. Ils couchent sans préservatif. C’est ballot. D’autant que Hugo est séropo. Leur coup de foudre y survivra-t-il ?

Olivier Ducastel et son compagnon Jacques Martineau réalisent ensemble depuis bientôt vingt ans des films queer. Aucun n’a retrouvé le charme de leur tout premier, Jeanne et le Garçon formidable. Pas même Théo & Hugo… malgré le Teddy Award décroché à la dernière Berlinale.

Pourtant leur dernier film commence fort dans une backroom parisienne filmée sur un mode quasi documentaire avec musique techno à fond, corps en fusion, sexes en érection, fellations et sodomies. Vingt minutes plus tard, nos tourtereaux rhabillés reviennent à des pratiques plus bourgeoises (quoique) entre Strasbourg – Saint-Denis et Stalingrad via l’hôpital Saint-Louis où Théo se fait prescrire une trithérapie d’urgence.

Filmé en temps réel entre 4h30 et 6h dans la nuit parisienne, Théo & Hugo… pourrait passer pour un Victoria homo (pour l’ambiance after) ou pour un Cléo de 5 à 7 noctambule (pour l’attente anxieuse de résultats médicaux). Il affiche une radicalité qui ne dépasse pas ses vingt premières minutes. Il devient ensuite une romance un peu mièvre entre deux amoureux, doublée d’une mauvaise publicité qu’on croirait tout droit sortie des cartons du ministère de la Santé.

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Dégradé ★☆☆☆

Alors que les milices du Fatah et du Hamas se déchirent dans les rues de Gaza, une douzaine de femmes, de tous âges et conditions, patientent dans le salon de coiffure de Christine.

Le film des frères Tarzan & Arab Nasser (ça ne s’invente pas !) a deux défauts et une qualité – à condition de ne pas dire tout le mal qu’on pense d’un titre aussi paresseux.

D’abord, il nous rappelle des films quasi identiques, autrement réussis et par conséquent difficilement dépassables : Vénus beauté (institut) qui ne méritait peut-être pas quatre Césars mais qui n’en était pas moins très attachant et son remake libanais Caramel (le caramel utilisé pour l’épilation et non pour la pâtisserie… quoique).

Ceci étant, le sujet de Dégradé est pain béni pour les réalisateurs qui, en plantant leur caméra dans un microcosme, peuvent, depuis cette tour d’observation, évoquer des sujets aussi stimulants que les conditions de vie à Gaza sous embargo israélien, le statut de la femme dans le monde arabe ou les feux de l’amour qui embrasent et détruisent sous toutes les latitudes.

Mais la mécanique, par laquelle ces sujets sont successivement incarnés par chaque protagoniste dont se dévoilent à tour de rôle les secrets, est trop systématique, trop bien huilée pour emporter l’enthousiasme. Entendant donner la parole à chacune, sans en léser aucune, les frères Nasser nous empêchent de nous attacher. Pourtant, on aurait aimé mieux connaître Christine, la gérante russe, Eftikhar, la divorcée cynique, Wedad, la coiffeuse amoureuse, Salma, la future mariée…

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Le Fils de Joseph ★☆☆☆

Eugène Green construit une œuvre à nulle autre pareille. Après La Sapienza qu’une moitié de mes amis porte aux nues, que l’autre n’a pas vu et dont la troisième n’a jamais entendu parler, voici Le Fils de Joseph. Il ne s’appelle pas Jésus, mais sa mère s’appelle bien Marie et il se cherche un père. Il finit par arracher à sa mère le nom de son père biologique ; mais celui-ci s’avère être un éditeur cynique, misogyne et prétentieux. À défaut d’être reconnu par son père, le fils s’en choisira un autre en la personne de son oncle, le bien nommé Joseph.

Mais le scénario n’a au fond guère d’importance. Ce qui compte chez Eugène Green, c’est la forme. Une forme incroyablement artificielle, à la préciosité revendiquée, dont la diction ampoulée et le respect scrupuleux des accords, jusqu’aux plus improbables, constituent la marque de fabrique. Une préciosité au regard de laquelle la dentelle rohmérienne fait figure de boulevard putassier. Un cinéma qui, face aux blockbusters américains abrutissants, aux comédies françaises à l’humour graisseux, affiche son élitisme comme un acte de résistance.

Ainsi posé, le postulat idéologique est séduisant. Sauf qu’un film reste un film : une salle obscure, un écran, des spectateurs qu’un postulat idéologique ne suffit pas à séduire s’il dure cent quinze minutes.

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Le Bois dont les rêves sont faits ★★☆☆

La documentaliste Claire Simon a planté sa caméra dans le bois de Vincennes. Pas dans le bois de Boulogne dont il y aurait eu peut-être plus de choses à dire : Roland-Garros et les travelos, le Pré Catelan et les minets de la place Dauphine, la Fondation Louis Vuitton et l’hippodrome d’Auteuil.

Pas non plus pour raconter l’histoire du parc de Vincennes, des monuments ou des institutions qui l’entourent. Pas un mot sur le zoo ou son jardin des plantes. Rien sur le château ou sur la Cartoucherie. Seulement une allusion à la faculté de Vincennes, temple de la contre-culture soixante-huitarde, qui s’est installée à Saint-Denis et dont il ne reste rien.

Sous les auspices de Gilles Deleuze et de Gilles Lipovetsky, Claire Simon filme un lieu anomique. Ni tout à fait en ville, ni tout à fait ailleurs. Le bois de Vincennes, c’est encore Paris mais ce n’est plus tout à fait Paris.

Elle y croise des marginaux qu’elle prend le temps d’apprivoiser (le film dure près de deux heures trente) et qu’elle filme avec un respect affectueux : un ermite misanthrope, une prostituée sympathique, un militaire retraité, une maman au bord de la dépression…

Ces rencontres ne nous disent rien sur Paris. Il n’y a aucune ambition sociologique, ni aucun message politique dans ce documentaire. Le Bois… est un kaléidoscope dont certaines séquences sont en état de grâce alors que d’autres ne riment pas à grand-chose. C’est la principale force de ce long documentaire. C’est aussi sa principale faiblesse.

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Nos souvenirs ☆☆☆☆

Nos souvenirs avait été hué à Cannes l’an passé. N’imaginant pas qu’un film de Gus Van Sant, le réalisateur multi-palmé de Elephant et Paranoid Park, puisse être tout à fait dépourvu d’intérêt, j’ai voulu me faire mon opinion. Bien mal m’en prit ! Car le dernier film de Gus Van Sant est un ratage complet.

Arthur Brennan (Matthew McConaughey) s’envole vers le Japon. Il se rend au pied du mont Fuji dans la forêt d’Aokigahara. Brisé par la mort de sa femme (Naomi Watts), il a décidé de se suicider.

Tandis qu’il erre dans cette forêt, à la fois apaisante et terrifiante, il se remémore sa vie passée. Le couple qu’il formait avec Joan battait de l’aile, le divorce avait même été envisagé, jusqu’à ce que Joan soit opérée d’une tumeur au cerveau.

Lesté d’une musique envahissante, Nos souvenirs se voudrait un hymne à la vie, à la réconciliation avec soi-même. C’est hélas, malgré le talent de ses deux protagonistes, un film qui pèse des tonnes, dure des plombes et sombre dans le ridicule.

On n’avait pas vu pire depuis Au-delà, l’épouvantable nanar de Clint Eastwood avec Cécile de France. C’est tout dire…

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Green Room ★★☆☆

Green Room est un survival. En français, on dit « film de survie » ; mais en anglais, ça sonne nettement mieux, n’est-ce pas ?
Qu’est-ce qu’un survival ? Un film dont les héros survivent. Quels héros ? Parfois seul (le héros de Into the Wild ou de 127 heures), souvent en groupe (Délivrance, Massacre à la tronçonneuse). À quoi survivent-ils ? Aux éléments déchaînés (Le Jour d’après), à la fin du monde (La Route), à des zombies (World War Z), à des extraterrestres (Alien)…

Le survival est un genre hobbesien, qui dépeint une situation anarchique où la violence se déchaîne contre des victimes innocentes abandonnées à elles-mêmes, mais qui illustre aussi la nécessité de reconstruire un ordre sur des valeurs : le héros survivra à force de volonté et d’inventivité, le groupe se défendra en apprenant à coopérer. Le survival est aussi un genre « genré » : a priori plus fragiles, les filles y survivent pourtant mieux, soit que leur intelligence les préserve… soit que leur T-shirt mouillé constitue un argument impossible à sacrifier en cours de route.

Green Room est donc un film de genre qui suit des règles bien connues : unité d’action (un groupe de punk rock lutte contre des skinheads), unité de lieu (l’action se déroule dans un rade miteux, au cœur d’une forêt menaçante), unité de temps (le film dure jusqu’à épuisement de ses personnages).

Rien de nouveau sous le soleil – ou plutôt sous la pluie triste de l’Oregon. Entre les quatre sympathiques membres du groupe punk et les skinheads aux lacets rouges s’engage une lutte à mort. Un huis clos oppressant et gore où tous les coups sont permis : poignard, gros calibre, pitbull…

Trop convenu pour ne pas rapidement sombrer dans l’oubli ? Mais suffisamment original pour retenir l’attention ? Un peu les deux…

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