Dalton Trumbo ★★★☆

Scénariste à Hollywood, Donald Trumbo fut victime de la chasse aux sorcières pendant les années 50. Coupable d’être membre du Parti communiste, il fut emprisonné puis licencié. Il dut recourir à des pseudonymes et à des prête-noms pour continuer à travailler, rédigeant des scénarios de série B mais aussi des chefs-d’œuvre couronnés aux Oscars (Vacances romaines en 1954, Les Clameurs se sont tues en 1957).

Dalton Trumbo a les traits de Bryan Cranston, le héros de la cultissime série Breaking Bad. Autour de lui les silhouettes plus vraies que nature de Kirk Douglas, John Wayne, Otto Preminger et Edward G. Robinson. La jeune Elle Fanning (Somewhere, Super 8, Twixt…) confirme son talent de future star.

Sans doute la réalisation de Jay Roach est-elle trop académique pour susciter l’admiration. Mais il ne faut pas bouder son plaisir face à cette reconstitution soignée du Hollywood des années 50 et à ce destin poignant d’un homme qui ne renia jamais ses convictions ni ne perdit son sens de l’humour face à l’hystérie maccarthyste.

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Les Habitants ★☆☆☆

Raymond Depardon est le photographe qu’on connaît quand on n’en connaît pas d’autres. Le fondateur de la mythique agence Gamma en 1966. Le documentariste qui a filmé VGE en campagne (1974, une partie de campagne, 1974), le Tibesti (La Captive du désert, 1990), les comparutions immédiates à la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris (10e Chambre, instants d’audience, 2004) L’auteur de la photographie officielle du président de la République.

Chacune de ses expositions, chacune de ses publications, chacun de ses documentaires sont désormais un événement pour ses admirateurs éclairés et élitistes. « Les Habitants » ne déroge pas à la règle. Il y continue son tour de France en caravane entamé en 2012. Cette fois-ci, il y a installé un studio et a invité des passants à y continuer, deux par deux, le dialogue entamé dans la rue.

Le procédé n’est pas naturel. Même si le réalisateur n’a retenu qu’un dixième des rushes qu’il a tournés,  on peine à croire que les passants ne prennent pas un tant soit peu la pose – parce qu’on la prendrait sans doute soi-même dans la même situation.

Plus grave : le choix opéré par Depardon au montage. Le cinéaste-photographe nous montre des gens ordinaires. Soit. Mais ce qui frappe c’est leur médiocrité, leur étroitesse d’esprit voire leur veulerie. Les femmes sont des victimes résignées, les hommes des égoïstes immatures. Leur unique sujet de discussion, comme s’il n’y en avait pas mille autres en 2015 (les attentats terroristes, la politique, leur travail…) : leur couple. Des couples misérables, cabossés par l’alcool, la violence, les grossesses non désirées, sans amour, sans respect. Que de telles situations existent, on veut bien le croire. Mais qu’elles soient représentatives de la France dépasse la mesure.

Vous me rétorquerez que Depardon ne fait pas oeuvre de sociologue, que ces « habitants » ne sont pas représentatifs. Soit. Mais se pose dès lors la question de la raison d’être de ce documentaire. En enchaînant paresseusement des face à face déprimants de vulgarité, quel objectif Depardon poursuit-il ? Nous dessiller les yeux, nous autres spectateurs CSP++, sur une réalité qui nous est étrangère ? Ou donner à voir une France rance au risque de donner raison aux Zemmour et consorts ?

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Maggie a un plan ★☆☆☆

On lit ici ou là que le « Greta Gerwig movie » serait en train de devenir un genre cinématographique à part entière. Soit des films bobos new-yorkais racontant la vie d’une grande fille dégingandée, trop diplômée pour avoir les pieds sur terre, trop complexée pour être sereine et trop exigeante pour être épanouie. Bref une Woody Allen blonde et jeune.

La réussite de Frances Ha était totale. Mistress America transformait l’essai.  Maggie’s plan crée-t-il une franchise ?

On aurait aimé le croire alors que Greta Gerwig est rejointe en haut de l’affiche par des stars reconnues : Ethan Hawke (dont la carrière alterne films hollywoodiens pas idiots et films indépendants CSP++) et Julianne Moore (dont il faut à tout prix entendre en VO l’hilarant accent danois).

Le problème est que le scénario du film de Rebecca Miller ne tient pas la route. Dans une première partie, la plus réussie, pétaradante comme un Woody Allen, on y suit une Maggie célibataire en mal d’enfant s’essayer à l’insémination artificielle avec le sperme d’un mathématicien producteur de cornichons (sic) avant de céder aux avances d’un anthropologue mal marié.
La seconde partie se déroule quelques années plus tard. Maggie s’est mariée avec son anthropologue et en a eu une petite fille dont les moues ravissantes ne suffisent pas à lui faire ignorer la faillite de son couple. Aussi se met-elle en tête – tel est le « plan » de Maggie annoncé dans le titre – de rabibocher son mari avec son ex-femme.

Cette histoire manque terriblement de crédibilité.  Pire : elle manque d’intérêt surtout quand elle prend un chemin de traverse au Québec, se payant le luxe d’oublier son héroïne sur le bord de la route. Comment réussir un « Greta Gerwig movie » sans Greta Gerwig ?

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La Saison des femmes ★★★☆

Bollywood produit plus de films que Hollywood. Une minorité d’entre eux parvient en Occident. Tournés pour l’exportation, ils ne sont d’ailleurs pas les plus représentatifs. La Saison des femmes est de ceux-là qui, en raison de son sujet et de ses scènes dénudées, n’a pas obtenu son visa d’exploitation en Inde.

Son sujet est simple : les femmes indiennes et l’oppression qu’elles subissent. Trois héroïnes trentenaires d’un petit village du Gujarat vivent depuis leur plus jeune âge dans une société phallocratique. La plus âgée, mère à quinze ans, veuve à dix-sept, marie son fils et revit, à travers sa belle-fille, l’expérience traumatisante qui fut la sienne. La deuxième, gaie comme le jour, désespère d’avoir un enfant d’un mari ivrogne et violent. La troisième a échappé au mariage pour tomber dans la prostitution.

Bollywood filme à la truelle. Ce cinéma ne se distingue pas par sa subtilité mais par son manichéisme. Nos trois héroïnes sont des mères courage alors que les hommes qu’elles croisent sont des brutes, des lâches ou des idiots qui arborent des boucles d’oreilles ridicules. Lesté de bons sentiments, La Saison des femmes n’en est pas moins émouvant. On y passe du rire aux larmes en un clin d’œil jusqu’à un happy end prévisible mais réjouissant.

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Free to Run ★★★☆

Longtemps, l’homme n’a couru que lorsqu’il y était obligé. C’est d’ailleurs encore mon cas. Je tiens pour sages les opinions des docteurs du début du siècle dernier qui estimaient que la course à pied était dangereuse pour la santé. Hélas, dans les années 60, les baby boomers se sont piqués de jogging et de running. Plus grave : les femmes, qu’une sage tradition maintenait en lisière de ces pratiques dangereuses, y ont revendiqué leur place.

Pierre Morath, un documentariste suisse, nous raconte l’histoire passionnante du running. À partir d’étonnantes images d’archives et des témoignages de coureurs de légende – dont la bonne santé à soixante-dix ans passés tendrait à infirmer mes théories sur la nocivité du sport – il nous montre comment un loisir pratiqué par quelques hurluberlus est devenu une mode planétaire. Mes amis – et ils sont nombreux – qui s’enorgueillissent de courir le marathon, les 20 km de Paris ou de grimper la tour Eiffel à cloche-pied friseront l’orgasme devant ce film consacré à leur passion masochiste.

Quatre destins exceptionnels – dont j’ignorais tout – sont présentés.  Kathrine Switzer est la première femme à avoir couru le marathon de Boston alors qu’il était encore (en 1967 !) réservé aux hommes. Noël Tamini a créé la revue bimestrielle Spiridon qui a démocratisé la course à pied en la faisant sortir des stades. Steve Prefontaine, athlète américain surdoué, mort à 24 ans, a amorcé la professionnalisation de ce sport en s’associant à une petite PME de l’Oregon, Nike. Enfin Fred Lebow a inventé le marathon de New York.

La principale qualité de ce documentaire est aussi son principal défaut. Ces quatre destins sont passionnants et auraient mérité à eux seuls de plus longs développements. L’histoire du running reste à écrire.

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Fritz Bauer, un héros allemand ★★☆☆

Les faits sont méconnus mais établis : Adolf Eichmann a été retrouvé en Argentine par le Mossad en 1960 grâce aux renseignements recueillis par le procureur général du Land de Hesse, Fritz Bauer qui n’avait pas confiance dans les services secrets de la RFA.

Ce même Fritz Bauer, qui est le héros du film de Lars Kraume, était l’an passé un personnage secondaire de celui de Giulio Ricciarelli. Le Labyrinthe du silence évoquait les procès d’Auschwitz intentés à Francfort dans les années 60 contre d’anciens SS. Deux films très proches par leur sujet – la machine judiciaire allemande face à son passé – et par leur traitement soigné mais sans grande originalité.

La mise en scène de Lars Kraume est d’un grand classicisme. Le scénario aurait pu se focaliser sur la traque de Eichmann par Fritz Bauer mais il s’égare en voulant traiter un autre sujet : la découverte par l’un de ses jeunes substituts (Ronald Zehrfeld, le héros des films de Chrisrian Petzold) de son homosexualité. Cette histoire donne certes l’occasion d’une surprise de taille – c’est le cas de le dire – mais ajoute un sujet secondaire qui nuit à l’unité du film.

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L’Avenir ★☆☆☆

Professeure de philosophie dans un grand lycée parisien, directrice de publication chez un éditeur renommé, mariée et mère de famille, Nathalie donne l’image d’une vie réussie. Mais tout se délite. Son mari (André Marcon) la quitte pour une jeunesse. Sa mère (Édith Scob) qui perd la tête doit être placée en maison de retraite. Son éditeur veut donner un coup de jeune à ses livres trop austères. Un ancien élève converti à l’anarchisme lui reproche ses préjugés bourgeois.

Mia Hansen-Løve – dont j’avais adoré Tout est pardonné – narre avec une douce amertume l’engloutissement d’une vie. Isabelle Huppert est, comme elle en a l’habitude, parfaite dans le rôle – même si je suis las de sa voix flûtée et de sa maladive maigreur. Malheureusement, le reste de la distribution n’est pas au diapason qui ânonne sans toujours le comprendre un charabia pseudo-philosophique.

Plus grave encore : il manque à L’Avenir un fil, une tension. À force de refuser la facilité de la dramatisation (on aurait pu imaginer une idylle entre Nathalie et son ancien élève ou une altercation avec la maîtresse de son mari), Mia Hansen-Løve réduit son histoire à une banale succession d’événements sans intérêt qui aurait pu durer trente minutes de plus ou de moins.

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Marie et les naufragés ★☆☆☆

Un petit groupe de jeunes réalisateurs est en train de faire souffler un vent d’air frais dans le cinéma français. Sébastien Betbeder en fait partie avec Guillaume Brac (Tonnerre, Un monde sans femmes), Antonin Peretjatko (La Fille du 14 juillet), Justine Triet (La Bataille de Solférino) et Thomas Salvador (Vincent n’a pas d’écailles). Leurs acteurs fétiches : Vincent Macaigne et Vimala Pons. Leur marque de fabrique : une légèreté,  une fantaisie, une ironie douce qui rompt agréablement avec le naturalisme pesant de leurs aînés.

Marie et les naufragés appartient à cette tendance. Son auteur s’était fait connaître par un moyen métrage très réussi, sorti en salles l’an passé, « Inupiluk », qui suivait les pas de deux Groenlandais en vacances à Paris. Tout aussi improbable est l’histoire de son long métrage : un trentenaire trouve un portefeuille et tombe amoureux de sa propriétaire.

Ce petit film commence bien. L’amoureux transi (Pierre Rochefort) est un adulescent qui partage un appartement avec un colocataire somnambule. L’aimée (Vimala Pons) quant à elle peine à se séparer d’un écrivain maudit (Éric Cantona). Le film hélas perd son rythme en prenant le large vers l’île de Groix. Il manque même de faire naufrage en croisant un gourou post-raëlien. Dommage.

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Grimsby – agent trop spécial ★★★☆

Vous aimez l’humour gras ? les blagues scato ? Benny Hill (seuls les plus de quarante ans comprendront) ? Vous adorerez Grimsby !

Rien n’arrête Sacha Baron Cohen. Après Borat, Brüno et The Dictator, il dynamite le film d’espionnage. Il ne le fait pas avec l’élégance d’un Colin Firth (Kingsman) mais avec la vulgarité tordante d’un Mike Myers (les trois Austin Powers).

Deux orphelins trop tôt séparés se retrouvent à l’âge adulte. L’un (Sacha Baron Cohen) est devenu un prolo caricatural (match de foot, bière et allocations familiales), l’autre (Mark Strong) le meilleur agent du MI6. L’intrigue importe peu qui, comme tous les James Bond, fait le tour du monde de l’Afrique du Sud au Chili (pourquoi diable le Chili ?). Ce qui compte, c’est l’accumulation des gags, tous plus énooooormes les uns que les autres… jusqu’à un final en feu d’artifice !

Bien sûr il ne faut pas être trop « cul serré » – c’est le cas de le dire – ni trop intello pour apprécier cet humour de corps de garde – et de cour de récré. Je le suis sans doute un peu qui ai eu du mal à me dérider. Mais une fois les zygomatiques décontractés et les neurones définitivement déconnectés, j’ai ri aux éclats devant cette surenchère de mauvais goût assumé.

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Les Ardennes ★★★☆

Deux frères cambriolent des villas pour se payer leur came. L’aîné tombe, refuse de donner son cadet et prend quatre ans de prison. À sa sortie, il espère retrouver sa compagne… qui entre-temps a refait sa vie avec le cadet.

Voilà quelques années que nous viennent des Flandres des films diablement intéressants – alors que bizarrement la production néerlandaise reste désespérément plate. Michaël R. Roskam (Bullhead), Felix Van Groeningen (Alabama Monroe, Belgica), Erik Van Looy (La Mémoire du tueur) ont administré la preuve que le cinéma belge ne se réduisait pas aux frères Dardenne et à Benoît Poelvoorde – que j’adore.

Le premier film de Robin Pront a des airs de déjà-vu. Quelque part entre le film de voyous (deux frères entre pulsions violentes et désir d’insertion), la chronique sociale (des Flandres grises et paupérisées), le drame familial aux accents shakespeariens (Dave cache à Kenneth sa relation avec Sylvie pour ne pas le blesser). Mais à mi-parcours le film prend le chemin des Ardennes – d’où son titre – et bascule dans le polar testotéroné. Pour se conclure par un twist totalement imprévisible et parfaitement logique. On se retrouve dans le film noir pur et dur façon Frères Coen première période (Sang pour sang, Miller’s Crossing).

Les Ardennes a deux qualités rarement conjuguées : une mise en scène tendue signée par un réalisateur prometteur et un scénario remarquable écrit à l’origine pour la scène.

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