Pablo (Théo Cholbi qui avait déjà promené sa tête de mauvais garçon dans La Nuit du 12, Les Harkis, Marguerite ou Coup de Chaud) et Apolline (Lila Gueneau) sont frère et sœur. Ils vivent seuls dans un pavillon de la banlieue du Havre. Leur père travaille au loin et n’y fait que de brèves apparitions ; leur mère est morte ou partie sans donner de nouvelles. Leur complicité s’incarne dans un jeu en ligne, Darknoon, auquel leurs avatars participent depuis des années mais dont la mise hors ligne vient d’être annoncée. Cette nouvelle bouleverse Apolline qui consacre tous ses loisirs à ce jeu. Elle semble moins toucher son frère aîné qui fabrique de l’ecstasy et la commercialise, et qui vient de faire la rencontre de Night (Erwan Kepoa Falé).
Caroline Poggi et Jonathan Vinel forment en couple à la ville et à la scène. Ils se sont rencontrés à Paris durant leurs études de cinéma. Ils avaient signé en 2018 un premier long, Jessica Forever qui jouait avec les codes du jeu vidéo, de l’heroic fantasy et de la science-fiction et qui ne m’avait guère convaincu. Je craignais d’avoir passé l’âge de goûter ce cinéma trop adolescent pour moi et avais hésité à aller voir leur second.
C’eût été dommage. Certes, j’étais probablement le spectateur le plus âgé de la salle – ce qui m’arrive hélas (et logiquement) de plus en plus souvent. La réaction d’un jeune couple à côté de moi, qui a quitté bruyamment la salle après une scène de sexe très explicite entre Pablo et Night, m’a d’ailleurs fait sourire : l’âge n’a rien à voir avec l’homophobie.
Eat the Night est une histoire à deux niveaux. Le premier, c’est le jeu vidéo Darknoon, spécialement créé pour les besoins du film par le DFJ Lucien Krampf et l’artiste 3D Saradibiza. Cet univers virtuel constitue pour Apo à la fois un exutoire et une raison de vivre. C’est là qu’elle retrouve son frère, qui dans la vraie vie est de plus en plus absent ; c’est là aussi qu’elle noue avec Night une impossible relation.
Le second niveau c’est la vie, elle bien réelle, de Pablo, la vie d’un petit trafiquant en butte à l’hostilité d’une bande rivale et dont les horizons s’ouvrent lorsqu’il fait la rencontre de Night.
Eat the Night relève le pari pas évident de mélanger les formes, d’être à la fois un film naturaliste, sur l’entrée dans l’âge adulte de deux adolescents abandonnés à eux-mêmes, sans phare ni balise, et de comporter de longues séquences de jeux videos qu’un vieux boomer comme moi a réussi à trouver convaincantes. C’est aussi une histoire déchirante, aux faux airs de tragédie antique, très bien écrite, aux rebondissements dramatiques qui m’a ému et m’a tenu en haleine tout du long.