C’est l’histoire d’un homme-poisson que des méchants ont emprisonné et que des gentils veulent libérer.
Je pourrais – comme je m’évertue à le faire chaque matin – faire un effort et vous présenter un résumé autrement plus élaboré de La Forme de l’eau. Je pourrais vous dire que son action se déroule au début des années soixante, en pleine Guerre froide, à Baltimore, que son héroïne est une jeune femme muette employée comme femme de ménage dans une base secrète de l’armée américaine, qu’une créature aquatique, mi-poisson, mi-homme, y a été capturée et y est soumise aux pires sévices par un gardien sadique, que notre héroïne se prend de compassion pour la mystérieuse créature et décide de la libérer avec l’aide d’une collègue noire, d’un voisin homosexuel et d’un espion russe. Mais ce serait bien long pour un scénario qui, tout bien considéré, se résume aisément en une phrase plus courte.
Je plaide coupable par avance car La Forme de l’eau est le grand favori des Oscars – et que je n’aurais rien à redire à sa victoire annoncée sur les autres films nommés, tels Get Out, Phantom Thread ou 3 Billboards qui ne m’ont guère plus convaincu. Mais ce plébiscite critique et public ne m’empêchera pas de faire entendre une voix dissonante. La créature filmée « dans une diaprure bleu-vert » (dixit Le Monde) ? Le copier-coller de la créature du lagon noir sorti en 1954 – qui fut le premier film visionnable en trois dimensions grâce à des lunettes bicolores. L’héroïne muette ? Un personnage dont on ne comprend pas le traumatisme originel et l’étonnante attirance pour l’eau – dans laquelle elle se livre chaque matin à des libations étonnamment lestes pour un film tout public. Les autres personnages ? une galerie politiquement correct de ce que tout ce que l’Amérique compte de minorités opprimées.
Vous avez aimé La petite sirène de Walt Disney ? Vous aimerez peut-être Le grand triton de Guillermo del Toro [je viens de passer deux heures à chercher l’équivalent masculin de la sirène et ne me cherchez pas des poux dans la tête si le triton ne correspond pas tout à fait]. La somptuosité gothique des décors ? la merveilleuse histoire d’amour ? l’hymne à la tolérance ? Je n’ai vu dans le conte de fées de Guillermo del Toro à la naïveté assumée qu’une historiette simpliste aux personnages manichéens et à l’intrigue cousue de fil blanc.
Nous n’avons pas vu le même film: c’est une histoire d’amour passionnée et réciproque entre une jeune femme muette et un amphibien .
Là où vous dénoncez un copier-coller j’y vois un hommage au cinéma américain et en même temps une bienveillante caricature en particulier des films fantastiques mais aussi des films d’ espionnage , des films romantiques, des peplums et des comédies musicales, un genre plein de gaîté où s’abreuvent quotidiennement l’imaginaire et la bonne humeur de deux des protagonistes: Eliza ( Sally Hawkins) et Giles ( Richard Jenkins). Car ce conte pour adultes est aussi une histoire d’amitié entre Eliza et Giles et Eliza et Zelda (Octavia Spencer) la femme noire qui travaille avec elle comme femme de ménage dans un laboratoire militaire secret.
Je ne crois pas qu’il soit important de connaître l’origine du handicap d’Eliza. Son aphasie lui a permis de développer une hypersensibilité qui lui permet de rentrer en contact avec la créature par le regard. Je n’ai pas compris qu’elle soit spécialement attirée par l’univers aquatique. Les scènes où elle prend son bain en se donnant un plaisir simplement suggéré et non filmé (ce qui ne pas pas semblé extrêmement leste en comparaison avec la scène où elle s’offre nue , dans la même salle de bains au regard et aux gestes de la créature!) pendant que cuisent les oeufs du petit déjeuner sont justes légères et amusantes. Car ce film n’est pas dénué d’humour.Il en va de même pour le fétichisme d’Eliza à collectionner les chaussures. Quant au titre qui mérite tout de même un éclaircissement, c’est Guillermo del Toro qui l’a lui même expliqué. Pas plus que l’eau n’a de forme précise puisqu’elle prend la forme de son contenant, l’amour ne connait de règles précises. Et tout comme l’eau, l’amour peut être dévastateur.
Vous l’aurez compris: j’ai été été séduite par les qualités esthétiques, poétiques et cinématographiques de ce film . Pire: j’ai été émue! Comment un amour impossible devient possible. Et combien il est plus exhaltant que la véritable monstruosité qu’est devenue la vie quotidienne des couples formés par Zelda et son époux paresseux et misogyne ou encore celle de Strickland ( Michael Shannon ) le directeur du laboratoire, cynique, tortionnaire et violent et son épouse .
Pardon d’être aussi naïve mais j’ai aussi aimé La petite sirène, 3 Billboards et Phantom Thread.