Corrado Rinaldi, un policier italien, est missionné en Libye pour négocier avec ce qu’il y reste d’autorités étatiques – un seigneur de la guerre responsable d’un centre de rétention, un militaire qui dirige les gardes-côtes libyens – la régulation des flux migratoires vers l’Europe. Ce fonctionnaire rigoureux et méthodique voit bientôt ses convictions se fissurer à la rencontre de Suada, une réfugiée somalienne, en route vers la Finlande, dont le frère vient de mourir dans de mystérieuses circonstances.
Schengen est décidément à la mode. J’ai consacré en 2014 une étude au traitement qui en est fait au cinéma. Elle est désormais dépassée et mériterait d’être réactualisée. Un mois après le documentaire de Ai Weiwei Human Flow sort cette fiction de l’Italien Andrea Segre, déjà remarqué pour son premier film La petite Venise. Le jeune réalisateur a également tourné deux documentaires, en 2008 et 2012, sur la crise migratoire en Italie.
Il connaît bien le dilemme auquel sont confrontées les autorités italiennes et avec elles l’Europe toute entière. Soit, en violation du droit international humanitaire, elles refoulent les immigrants africains qui traversent, au péril de leurs vies, la Méditerranée – ce que fit l’Italie de Berlusconi jusqu’en 2011. Soit elles leur portent secours au risque de créer un appel d’air – c’est l’effet secondaire de l’opération Mare Nostrum décidée à partir de 2013 par le gouvernement d’Enrico Letta.
Une solution à ce dilemme est envisageable. Il s’agit à la fois de convaincre les garde-côtes libyens d’arraisonner les embarcations illégales dans leurs eaux territoriales. Mais il s’agit aussi de convaincre les autorités libyennes de traiter dignement les immigrants ramenés à terre. La première étape n’est pas la plus compliquée : il y suffit d’un peu de renseignement, de quelques vedettes rapides d’interception et d’une surveillance satellitaire (le Sénégal y est parvenu après 2006 grâce à l’aide de l’Espagne). La seconde étape est une autre paire de manches : que faire des étrangers emprisonnés ? leur accorder l’asile ? les refouler vers leur pays d’origine ? les laisser croupir dans d’infâmes geôles ?
C’est précisément cette négociation que le principal protagoniste de L’Ordre des choses est chargé de mener en Libye – reconstituée pour les circonstances dans le sud de la Tunisie. L’affiche du film, ses premières images en font le portrait caricatural : un ancien professionnel d’escrime – un sport que l’on pratique masqué et où l’erreur n’est pas permise – qui ne s’embarrasse pas de sentiments. Caricaturalement, cette belle mécanique va s’enrayer au contact d’une réfugiée somalienne. Et c’est là aussi que le film s’enraye. Car on ne croit pas une seconde à ce duo entre lequel aucune étincelle ne jaillit : aucune étincelle amoureuse (Rinaldi est un bon époux et un bon père, Sauda va rejoindre son mari en Finlande), aucun élan d’humanité (pourquoi ce policier se laisserait-il attendrir au sort de cette immigrée, qui n’est ni plus ni moins affreux que celui de tous ses compagnons d’infortune ?). Pas plus qu’on ne croit au dilemme auquel Rinaldi est confronté et à la façon dont il le résout dans la scène finale.
À force d’hésiter entre le documentaire et la fiction, L’Ordre des choses reste au milieu du gué. Il échoue à nous informer sans réussir à nous émouvoir.