Dans la maison exiguë d’une vieille retraitée s’entasse une bruyante tribu joyeusement amorale qui vit d’expédients. Osamu travaille sur les chantiers ; Noboyu arrondit son salaire dans un pressing industriel en faisant les poches des vêtements qu’elle repasse ; Aki se déguise en Lolita dans un peep show ; Shota préfère faire les courses sans passer par la caisse qu’aller à l’école. S’y greffe bientôt Juri, une gamine de cinq ans, victime de violences familiales.
Depuis une vingtaine d’années, le réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda tisse une œuvre d’une étonnante cohérence. Comme Ozu auquel on l’a souvent comparé, ses films sont autant de variations autour du même thème : la famille. Il questionne la filiation/parenté pour montrer qu’elle n’est pas conditionnée par les liens du sang, que les familles d’élection sont souvent plus unies, plus heureuses que les familles dites « naturelles ».
Ce thème a rarement été aussi développé que dans son dernier film. Il l’est selon une chronologie paradoxale. La manière conventionelle de le traiter aurait été de montrer comment des individus isolés font le choix de s’unir pour vivre heureux. Une affaire de famille fait le choix inverse : celui de nous laisser imaginer, depuis son titre même, que nous sommes face à une famille « normale » alors qu’il n’en est rien.
[Attention spoiler] La première partie du film nous introduit à une « famille » – même si son mode de vie la classe en marge de la société. La seconde prend des airs d’enquête policière pour révéler les secrets qu’elle cache en fait : Osamu et Noboyu ne sont pas mariés, Aki n’est pas la petite fille de sa soi-disant grand-mère, Shota a été recueilli…
Kore-Eda est un abonné des festivals. L’acteur principal de Nobody Knows avait obtenu le prix d’interprétation à Cannes en 2004 ; Tel père, tel fils le Prix du jury en 2013. Si la Palme était décernée à un réalisateur pour l’ensemble de son œuvre, Kore-Eda l’aurait amplement méritée. Sans doute Une affaire de famille n’est-il pas un chef d’œuvre absolu, sans doute même n’est il pas le meilleur film de Kore-Eda (je lui ai de beaucoup préféré Nobody Knows qui m’avait durablement bouleversé) ; pour autant il n’est que justice que ce réalisateur-là ait eu la Palme, fût-ce pour ce film-ci.