La Flor dure 814 minutes. Vous avez bien lu. Je vous fais grâce de la division sexagésimale que vous étiez en train d’effectuer : 814 min = 13 h 34 min. Autant dire que La Flor est un OVNI cinématographique. Une œuvre qui défie le sage précepte d’Alfred Hitchcock : « La durée d’un film devrait être directement liée à la capacité de la vessie humaine. »
L’endurance humaine ayant ses limites, La Flor est diffusé en quatre parties – de plus de trois heures chacune quand même – sortie l’une après l’autre en salles à une semaine d’intervalle en mars dernier. L’ensemble est lui même divisé en six épisodes d’une inégale longueur (entre 5 h 20 pour le plus long et 22 minutes pour le dernier) : le premier est une «série B» fantastique, le second un mélodrame avec des chansons, le troisième un film d’espionnage, le quatrième «une mise en abîme du cinéma», le cinquième un remake muet de Partie de campagne de Jean Renoir et le sixième la libération de femmes captives d’Indiens au XIXe siècle en camera obscura. Le générique de fin est au diapason qui dure à lui seul plus d’une demie heure.
Dans un préambule, le réalisateur se met lui même en scène pour donner le mode d’emploi de son film résumé par le croquis qui illustre son affiche. Six flèches entrelacées y esquissent le dessin d’une fleur. Il nous explique que les quatre premiers épisodes partiront chacun dans une direction différente, que le cinquième fera retour sur lui même et que le dernier les réconciliera. Vaine promesse à laquelle il ne faut prêter trop de crédit : les interrogations soulevées dans les premiers épisodes ne trouveront pas la réponse dans les suivants.
Filmé pendant plus de dix ans dans des conditions budgétaires dont on imagine volontiers la précarité, La Flor est un geste cinématographique d’une folle audace. Quel producteur censé se lancerait dans une pareille entreprise ? Il s’agit de faire tenir en un seul film toutes les formes possibles de cinéma, d’en explorer toutes les potentialités. La quatrième et dernière partie (Le Monde évoque spirituellement un « bouquet final ») le montre qui filme tour à tour un asile psychiatrique, un réalisateur qui s’égosille sur son tournage, un Casanova en perruque poudrée, les arabesques dessinées par les pirouettes d’avions, des baigneuses dénudées…
Si La Flor se caractérise par son éclectisme, il n’est pas non plus sans unité. Il s’organise autour d’un quatuor de comédiennes, des actrices argentines qui formaient une troupe de théâtre et que le réalisateur Mariano Llinas a voulu filmer, qui endossent d’un épisode à l’autre toutes sortes de rôles. Il se caractérise aussi par une unité formelle : le jeu des focales, la voix off envoutante, la musique omniprésente.
Pour autant, il est des limites à ce que le spectateur est capable d’endurer. La liberté que s’arroge le réalisateur est au détriment de l’intelligibilité de son film. Chaque épisode ouvre des pistes, pose des questions, mais n’y répond pas. On se dit à la fin de la première partie qu’on les trouvera plus tard. On revient donc de semaine en semaine mu par cette vaine attente. Las… quatre semaines plus tard – et au bout de treize heures de film – on n’aura rien compris.
Est-ce un problème ? En philo, on demande aux élèves de terminale : « faut-il comprendre une œuvre d’art pour l’apprécier ? ». La réponse évidemment est négative. Pourtant….