Alain Cavalier, le réalisateur, et Emmanuèle Bernheim, l’écrivaine, sont amis depuis trente ans. Une profonde complicité les unit ; mais ils ont conservé entre eux un vouvoiement respectueux. Le réalisateur propose à l’écrivaine d’adapter à l’écran son dernier livre, Tout s’est bien passé, la chronique des dernières semaines de son père qui, après un AVC, a décidé d’aller en Suisse se faire euthanasier. Emmanuèle Bernheim y interpréterait son propre rôle et Alain Cavalier jouerait celui de son père.
Alors que les préparatifs du tournage vont bon train, Emmanuèle Bernheim apprend qu’elle est atteinte d’un cancer.
Alain Cavalier a quatre-vingt-sept ans. Il est l’auteur d’une œuvre cinématographique à nulle autre pareille. Assistant de Louis Malle dans les années cinquante (Ascenseur pour l’échafaud, Les Amants), il réalise dans les années soixante des films avec Romy Schneider (Le Combat dans l’île) Alain Delon (L’Insoumis) ou Catherine Deneuve (La Chamade) avant d’embrasser un parti pris minimaliste et de s’éloigner progressivement de la fiction. Thérèse en 1986 lui vaut la Palme d’or et le César du meilleur film. Mais Alain Cavalier ne renonce pas à sa radicalité, filmant des œuvres de plus en plus épurées. Il tourne seul avec une petite caméra numérique Le Filmeur, Irène, Pater, Le Paradis…
Être vivant et le savoir s’inscrit dans cette généalogie. Comme ses documentaires antérieurs, il s’agit d’une œuvre ultra-courte (quatre-vingt-deux minutes à peine) où le « filmeur » capte la réalité qui l’environne en essayant d’en saisir l’essence. Avec sa petite caméra – dont le fonctionnement lui cause bien du souci – il multiplie les gros plans sur des objets, des fruits, des légumes qui composent autant de métaphores de l’animé et de l’inanimé, du vivant et du mort.
Sans l’avoir fait exprès au départ, car il s’agissait de tourner avec elle un film sur le même modèle que Pater où Alain Cavalier s’était mis en scène avec Vincent Lindon, Être vivant et le savoir est devenu un mausolée à la mémoire d’Emmanuèle Bernheim. L’écrivaine apparaît dans un plan, un élégant turban turquoise mettant en valeur ses yeux bleus et cachant son crâne qu’on imagine dénudé par la chimiothérapie. Elle a le regard plein de vie, le sourire aux lèvres. Parallèlement, Alain Cavalier lit les pages de son livre déchirant où elle raconte le suicide assisté de son père.
On l’aura compris : Être vivant et le savoir n’est pas un feel good movie. Quand les lumières se rallument, les spectateurs, plus proches de la soixantaine que de la vingtaine, sont silencieux et tardent à quitter leur siège. Soit que leur arthrite ralentisse leur mobilité, soit que ce film d’une profonde sincérité et d’une noble élégance laisse une trace qui ne s’oublie pas de sitôt.