Avril 1917. La guerre fait rage. Dans le Pas de Calais, les forces britanniques se sont terrées dans les tranchées face aux forces allemandes.
Deux soldats britanniques sont mandatés à travers les lignes ennemies pour aller de toute urgence délivrer un message à un bataillon dont l’engagement pourrait lui être fatal.
Sam Mendes fait fort. Après American Beauty, Les Noces rebelles, Skyfall, le réalisateur britannique signe son film le plus personnel tiré, dit-il des souvenirs distillés par son grand-père paternel, caporal dans l’armée britannique pendant la Première Guerre mondiale.
Il le fait dans une forme intimidante, qui force le respect : l’unique plan séquence. C’est le Graal des réalisateurs qui répond tout à la fois à un défi technique et scénaristique. Le défi technique, on le conçoit aisément, rendu plus facile à surmonter avec la miniaturisation des caméras. Le défi scénaristique consiste à raconter en temps réel une histoire.
Les encyclopédies de cinéma listent les plans séquences les plus célèbres : la première scène de La Soif du mal de Orson Welles ou de Snake Eyes de Brian de Palma. Les revues de cinéma essaient d’en faire le hit parade, celui des Fils de l’Homme d’Alfonso Cuaron étant souvent cité parmi les plus époustouflants. Et puis, évidemment, il y a La Corde de Hitchcock, tourné en huis clos donnant l’impression d’un unique plan séquence (en fait, à l’époque, les bobines ne permettaient pas de tourner pendant plus de dix minutes et La Corde est constitué de dix séquences).
On voit récemment se multiplier, avec plus ou moins de bonheur, ce genre d’exercices. Victoria en 2015 suivait son héroïne dans les rues de Berlin. Utøya, 22 juillet l’an dernier racontait en temps réel la tuerie d’Utøya en Norvège du point de vue d’une jeune fille pourchassée par Anders Breivik.
La prouesse technique est en elle-même bluffante. Mais elle serait vaine si elle ne servait pas une cause. L’idée est de nous plonger dans la furie de la guerre, de nous faire sentir jusqu’à l’épuisement l’exténuation de deux soldats confrontés à une tâche titanesque : risquer leur vie, traverser l’enfer, vaincre la peur et la souffrance pour accomplir leur mission.
Le pari est réussi. On sort de la salle lessivé, après deux heures passées les ongles plantés dans l’accoudoir à retenir son souffle. Comme à la lecture des premières pages du roman de Pierre Lemaître Au revoir là-haut, on aura vécu organiquement le bruit et la fureur, le sang et la merde, la sueur et les larmes. Chapeau l’artiste.
À titre personnel, ne pratiquant pas la religion du plan-séquence mais celle du scénario, j’ai trouvé ce film tout juste digne d’un mauvais jeu vidéo. On a bien sûr droit à un grand spectacle. Certaines scènes sont assez extraordinaires (comme la traversée nocturne du village en proie aux flammes et devenu une préfiguration de l’Enfer). Mais le réalisme des décors et même leur qualité laissent à désirer. La ferme abandonnée ne ressemble à aucune maison possible : soubassement de moellons à chaînage de pierres de taille puis étage de briques… alors que les fermes de l’Artois sont toutes intégralement en briques. Idem pour le village qui est en fait une ville… Voilà pour le réalisme : il faut ne pas connaître le nord de la France pour ne pas voir que Sam Mendes lui n’y a jamais mis les pieds. Pire : dès le début, on voit que les pans de murs en briques dans la tranchée ne sont pas en brique mais en carton-pâte !
Grand spectacle donc mais émaillé comme il se doit d’horripilantes touches de politiquement correct. On a ainsi le droit à des soldats noirs et indiens dans des régiments anglais ! On peut facilement reconstituer le petit discours doublement insultant qui va avec cette absurdité. Insultant pour le spectateur à qui on ne peut pas s’empêcher de faire la morale : les Noirs et les Indiens font partie de la grande nation britannique et eux aussi ils ont défendu la mère patrie, vivre ensemble…, bla bla bla…, multiculturalisme, rebla bla bla, en présupposant donc à la fois son ignorance et son racisme. Insultant pour les minorités mises en scène puisqu’on les présente au mépris de la vérité historique comme normalement intégrées dans l’armée britannique alors que les Noirs et des Indiens qui ont participé aux combats de la Première Guerre mondiale, appartenaient à des régiments coloniaux – souvent particulièrement maltraités – dans lesquels tous les hommes de troupe étaient Indiens ou Africains et que jamais, à l’époque, ils n’auraient été admis dans des régiments de soldats blancs. Pour le coup, les Anglais de l’époque étaient vraiment massivement racistes.
Pour ne pas spoiler, et par charité, je ne passe pas en revue l’accumulation d’énormités dont Sam Mendes prétend faire un scénario… Juste : quand on vient de se taper trois ans de tranchée, qu’on a fait la Somme, on ne demande pas à un ennemi de se taire en lui mettant gentiment la main sur la bouche. On lui plante vingt centimètres d’acier entre deux côtes.
Ping À l’Ouest rien de nouveau ★★★☆ | Un film, un jour