Au début des années trente, un jeune Gallois, Gareth Jones (James Norton dont il se dit qu’il pourrait succéder à Daniel Craig dans le rôle de l’agent 007) se rend en Union soviétique. Il y découvre l’effroyable famine organisée par le Kremlin en Ukraine et veut la révéler au monde entier.
Le jeudi 12 mars 2020, je devais aller voir L’Ombre de Staline en avant-première à 20h. Mais, pris par le travail, je ratai la séance. Je m’en suis vite consolé en me disant que je verrais le film à sa sortie le mercredi suivant. On sait tous que le film ne sortit pas le mercredi suivant… J’avais décidé que L’Ombre de Staline serait le premier film que j’irais voir à la réouverture des salles avec le désir – comme le disaient les partisans de Louis XVIII à la Restauration – de « renouer la chaîne des temps ».
L’Ombre de Staline (dont le titre, partout sauf en France, est Mr. Jones) est inspiré de faits réels. Gareth Jones a bien existé qui travailla un temps au cabinet du Premier ministre britannique Lloyd George, qui interviewa Hitler et qui enquêta en URSS sur les modes de financement des plans quinquennaux. Comme Hergé avec Tintin au pays des Soviets écrit en 1929, comme Gide avec Retour de l’URSS publié en 1936, Gareth Jones découvre avec violence la réalité du « miracle soviétique » : Staline affame son peuple pour obtenir les devises pour financer les objectifs des plans quinquennaux.
On sait aujourd’hui que l’Holodomor, un mot ukrainien signifiant littéralement « extermination par la faim », fit entre 1931 et 1933 quelque quatre millions de victimes en Ukraine. Au mitan du film, dans une parenthèse sinistre, presque muette, la caméra suit Gareth Jones qui découvre horrifié l’ampleur du sinistre : les paysans émaciés par la faim, les cadavres abandonnés au bord des routes, les enfants mangeant de la chair humaine…
Le film d’Agnieszka Holland, une vieille routière du cinéma, est d’un classicisme revendiqué. Les scènes qui se déroulent en URSS sont plongées dans une lumière désespérément grise censée en souligner la tristesse. Aux côtés de James Norton, on reconnaît Vanessa Kirby (qui jouait la princesse Margaret dans les deux premières saisons de The Crown) et Peter Sarsgaard abonné aux rôles de salaud.
L’Ombre de Staline n’en est pas moins d’une actualité brûlante à une époque où les relectures partisanes de l’histoire, en Occident et en Russie, donnent lieu à des guerres de mémoire. En témoigne la récente polémique provoquée par Vladimir Poutine sur les causes de la Seconde Guerre mondiale.