Benedetta Carlini a été placée au couvent des Théatines à Pescia, dans le grand-duché de Toscane, à neuf ans à peine suite au vœu prononcé par ses parents alors qu’elle combattait une grave maladie infantile qui aurait pu lui être fatale. Cette enfant très pieuse prétendit parler à Jésus. Les stigmates qu’elle présentait conduisirent le nonce apostolique de Florence à diligenter une enquête. Témoigna au procès une jeune novice, Sœur Bartolomea, qui reconnut avoir eu des relations sexuelles avec son aînée.
C’est sur ce fond historique, soigneusement documenté dans les années quatre-vingts par une historienne de Stanford, Judith C. Brown, dans un ouvrage savant intitulé Immodest Acts – The life of a lesbian nun in Renaissance Italy publié en français dans la très sérieuse Bibliothèque des histoires de Gallimard sous le titre Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne, que Paul Verhoeven fait un retour fracassant dans les salles.
Benedetta est projeté en compétition officielle à Cannes. Le film est annoncé par une rumeur insistante que les confinements à répétition ont enflée. Sa bande-annonce tourne en boucle dans toutes les salles depuis leur réouverture. La présence de Virginie Efira à l’affiche, l’une des stars les plus bankables du moment, et son sujet sulfureux garantissent d’ores et déjà à Benedetta un succès au box office.
Pourtant sa première moitié, mal jouée (qu’est venue faire Clotilde Courau dans cette galère ?), mal éclairée, mal montée, est calamiteuse. L’action tarde à démarrer avec un préambule trop long consacré à l’enfance de la jeune moniale. On entre dans ce monastère dont on ne sortira guère et où se jouera dix-huit ans plus tard le sort de la religieuse. On comprend vite le double ressort de cette histoire. D’un côté une enquête théologique autour de prétendus miracles dont Benedetta est peut-être l’actrice sincère ou l’inventrice rouée. De l’autre la relation coupable que Benedetta entretient bientôt avec une jeune novice, aussi innocente que tentatrice, qu’elle a prise sous sa coupe.
Ce double ressort n’a rien de très passionnant. Il y a bien longtemps que les miracles de l’Église n’intéressent plus personne. En revanche, les ébats de Benedetta et de Bartolomea, surtout lorsqu’ils sont joués, dans leur crâne nudité, par Virginie Efira et Daphné Patakia (une jeune première que j’ai passé le film à confondre avec Marina Vacth) sont beaucoup plus stimulants, au point qu’on hésite à avouer, au temps de #MeToo, l’intérêt suspect qu’on prend à les regarder et qu’on finit, correction politique oblige, par reprocher à Paul Verhoeven de leur consacrer une place disproportionnée.
On en est donc là au milieu du film : se désintéresser superbement des enjeux théologiques de cette histoire et en être réduit à jouir d’un plaisir coupable du spectacle dénudé de ses deux actrices. Et on se dit que la seconde moitié risque d’être bien longue.
Et c’est là que le film est sauvé par là où on ne l’attendait pas. Après avoir fait du surplace pendant une heure, il met enfin en présence des personnages, crée une tension, bref, raconte une histoire. On se prend donc au jeu de ce suspens dont on ignore encore l’issue. C’est aux personnages secondaires qu’on le doit : Charlotte Rampling, Lambert Wilson, des vieux chevaux sur le retour auxquelles les critiques pourtant nombreuses, aimantées par la staritude de Virginie Efira et par la révélation de Daphné Patakia, n’ont pas consacré une ligne.