Dans la France du roi Charles VI, à la fin du XIVème siècle, deux chevaliers portent devant Dieu leur querelle. Jean de Carrouges (Matt Damon) et Jacques Le Gris (Adam Driver) sont pourtant des compagnons de longue date qui ont livré bien des batailles côte à côte. Mais le contentieux entre les hommes que tout oppose n’a cessé de grandir. Carrouges, un chevalier sans peur et sans reproche, s’est attiré l’hostilité de son suzerain, la comte d’Alençon (Ben Affleck), à force de maladresse là où Le Gris, pourtant moins bien né, par son charme et son érudition, s’en est fait l’indispensable bras droit, au point d’obtenir de lui les charges héréditaires qui auraient dû échoir à Carrouges.
Le conflit entre les deux hommes éclate au sujet de Marguerite, la femme de Carrouges, qui accuse Le Gris de l’avoir violée durant une absence de son mari.
(Sir) Ridley Scott est peut-être l’un des plus grands réalisateurs de son temps. Il a tourné des films mythiques : Alien, Blade Runner, Thelma et Louise, Gladiator…. Son tout premier film ressemble à celui qui sera parmi ses derniers : Les Duellistes (1977) racontait déjà la rivalité à mort, une vie durant, de deux hussards napoléoniens. Le Dernier Duel reprend le même schéma et le transpose à l’époque médiévale qu’a déjà souvent explorée Ridley Scott, auteur d’un Robin des Bois oubliable mais d’un Kingdom of Heaven mémorable. Chaque détail, jusqu’au combat final si longtemps attendu, y est reconstitué avec une flamboyance hollywoodienne que l’austérité toute bergmanienne de l’affiche ne laissait pas augurer.
Ridley Scott s’attaque à un sujet diablement contemporain et, pour le traiter, utilise un procédé qui l’est presqu’autant.
Le sujet du Dernier Duel résonne puissamment avec notre époque. Il y est question d’un viol et du doute jeté sur le témoignage de la victime. Jodie Comer m’a fait penser aux trois héroïnes de Scandale, l’un des meilleurs films de l’année dernière, qui chacune à sa façon incarnaient les réactions possibles face aux abus du patriarcat.
Pour raconter ce viol et le procès qu’il suscite, Ridley Scott utilise un procédé éprouvé : raconter les mêmes faits par les yeux différents de chacun de leurs protagonistes. Kurosawa l’avait fait le premier au début des années 50 dans Rashōmon ; le procédé est depuis indissociablement lié à ce film. Il est le plus cinématographique qui soit.
Il faut un scénario sacrément bien charpenté pour que la répétition de la même scène ne devienne pas ennuyeuse. Ridley Scott y parvient à merveille en donnant tour à tour la parole à Jean de Carrouges, à Jacques Le Gris et à Marguerite. Des différences infimes apparaissent selon les points de vue. Tel fait, telle parole selon qu’ils soient rapportés par tel ou tel varient d’une mémoire à l’autre. Carrouges qui apparaît d’abord comme un preux chevalier, bafoué dans son honneur, prêt à tout pour défendre sa belle, se révèle en fait un homme fruste, illettré, primaire et violent. S’il prend fait et cause pour Marguerite dans le procès qui l’oppose à Le Gris, c’est moins par amour pour elle que par mâle orgueil. Le personnage de Le Gris est autrement plus subtil. C’est un être aussi adroit dans le maniement des armes que dans l’art de plaire. Il séduit les hommes comme les femmes. Sa culpabilité ne fait guère de doute même si de son point de vue Marguerite ne lui a opposé que la résistance que se doit d’afficher une femme vertueuse à son séducteur. Finalement, c’est Marguerite qui a le rôle le plus ingrat et le moins profond.
À quatre-vingt ans passés, Ridley Scott en remontre encore à plus jeune que lui avec cette ténébreuse fresque historique aux résonnances très contemporaines.
absolument d’accord avec vous; le type de cinéma que j’affectionne, qui est devenu assez rare : tout en étant du grand spectacle qui vous scotche au fauteuil, filmé avec une maîtrise incroyable, il n’y est pourtant pas question de perdre le propos sous une avalanche d’action tape à l’oeil : le fond est travaillé, les nuances sont là, apportées par petites touches intelligentes dans les différentes narrations successives. L’homme « droit dans ses bottes » , au premier abord simplement honnête, aimant et trahi, se révèle presque plus antipathique que le « méchant » qui lui, est tout sauf primaire. J’ai ressenti des moments de répulsion pour le personnage de Matt Damon davantage que pour son antagoniste violeur, ce qui est le comble et montre bien que le propos a subtilement été nuancé. Au milieu de ce combat de coqs -où la domination, l’argent, le paraître comptent bien plus que la défense de cette femme pour elle-même, Jodie Cormer incarne avec une justesse rare ce personnage jouet des orgueils mâles. Un film quasi parfait à mes yeux, qu’on a envie de revoir immédiatement, et qui effectivement fait écho aux Duellistes et arrive à son niveau, avec le souffle qui traversait aussi Gladiator. Chapeau à Ridley Scott.
Comme vous, Annick, j’ai trouvé le personnage de Jacques Le Gris – Adam Divers -plus intéressant à découvrir que celui de Jean de Carrouges – Matt Damon – fruste et peu attachant .
Concernant Jacques , un doute pour moi demeure : a t- il commis ce viol car dévoré par un Amour Passion pour Marguerite ??
Touchée par les sentiments féminins exprimés sur la maternité : ce qu’en dit la mère de Jean et puis Marguerite à la veille du duel .
Film de la même veine que Gladiator ; reconstitution historique d’une exceptionnelle qualité ; acteurs à leur meilleur ; un moment de cinéma … Parfait !
Merci beaucoup pour le conseil. Film magnifique !