Nos plus belles années ★★☆☆

Giulio, Paolo et Ricardo sont trois amis d’enfance nés à Rome à la fin des années soixante. Nos plus belles années raconte leur amitié, leurs brouilles, leurs retrouvailles du début des 80ies à nos jours.

Raconter à l’échelle d’une vie l’amitié d’une bande de personnages constitue presque en soi un genre cinématographique. Le cinéma italien semble s’en être fait une spécialité depuis Ettore Scola (Nous nous sommes tant aimés) jusqu’à Marco Tullio Giordana (Nos meilleures années). Mais l’Italie n’en a pas le monopole du genre. Des films similaires ont été tournés en France : on pense bien sûr aux joyeuses bandes de copains filmées par Claude Sautet ou par Yves Robert. Plus près de nous, j’avais énormément aimé Play, hélas passé sous tous les radars. Dans le cinéma américain on citera Les Copains d’abord de Lawrence Kasdan.

Conformément donc à un cahier des charges désormais bien calibré, Nos plus belles années nous décrit le parcours de trois hommes très différents les uns des autres, mais liés par une amitié indestructible. Giulio (interprété par Pierfrancesco Favino qui, à cinquante ans passé, aurait dû depuis longtemps accéder au statut de star que son talent lui réserve) a des origines modestes mais connaîtra l’ascension sociale la plus rapide. Paolo, le fils-à-maman, passionné par les oiseaux, ne se remettra jamais de sa passion pour la jolie Gemma. Acteur raté, Ricardo aura la vie la plus chaotique, échouant dans sa vie amoureuse comme dans sa vie professionnelle.

Comment faire du neuf avec du vieux ? Le problème de Gabriele Mucino est son manque d’originalité. Nos plus belles années n’est pas un film indigent. Au contraire, il se regarde sans déplaisir. Mais il ne renouvelle pas suffisamment un genre décidément trop marqué pour laisser une trace durable.

La bande-annonce

Twist à Bamako ★☆☆☆

Bamako. 1962. Le Mali vient d’accéder à l’indépendance et d’instaurer le socialisme pour tourner la page de la colonisation. Mais le nouveau régime se heurte à bien des obstacles.
Samba (Stéphane Bak) est le fils d’un riche commerçant de textile qui renâcle contre le contrôle des prix et l’instauration d’un Code du travail garantissant aux employés qu’il exploite des conditions décentes d’emploi. Ardent militant socialiste, protégé par le ministre de la Jeunesse en personne, Samba mène avec deux de ses camarades des actions de propagande dans les provinces. C’est là qu’il rencontre Lara (Alicia Da Luz) qui a été mariée de force au petit-fils alcoolique d’un chef de village hostile aux idées du nouveau régime. Avec la complicité de Samba, Lara s’enfuie à Bamako. Entre les deux jeunes gens, qui fréquentent les clubs de la capitale, une idylle se noue.

Robert Guédiguian nous a habitués à filmer à Marseille, sa ville, depuis bientôt quarante ans, avec une réussite jamais démentie, la même troupe d’acteurs : Ariane Ascaride Jean-Pierre Darroussin, Jean-Pierre Meylan, Jacques Boudet… De temps en temps, il s’autorise quelques échappées loin de la cité phocéenne : dans l’Arménie de ses racines (Le Voyage en Arménie), à Paris pendant la Résistance (L’Armée du crime). Juste avant l’épidémie du Covid, qui interrompit le tournage en plein milieu,, il était parti au Sénégal y reconstituer à grands frais le Mali des 60ies, juste après l’indépendance. Qui y a voyagé ou vécu reconnaîtra peut-être le centre de Thiès (où mon père servit en 1951-1952), les berges du fleuve Sénégal à Podor (où ma sœur aînée naquit en septembre 1951) et le pont Faidherbe de Saint-Louis…. Mais arrêtons d’égrener les souvenirs familiaux pour saluer la qualité de cette reconstitution (inspirée des photographies de Malick Sidibé que Guédiguian découvrit – comme moi – à la Fondation Cartier en 2017), les décors, les costumes et la musique.

Twist à Bamako souffre à mes yeux de deux défauts majeurs.

Le premier, comme souvent dans les films de Guédiguian, est son didactisme un peu guindé. Ce reproche mérite des explications. Le cinéma de Guédiguian a d’immenses qualités : son naturalisme, sa sensibilité, son humanisme, l’émotion qu’il sait faire naître (Les Neiges du Kilimandjaro compte parmi les films les plus émouvants que j’aie vus) ; mais il manque à mes yeux de second degré, de légèreté, d’ironie sur lui-même. Pour le dire méchamment, Guédiguian, bien qu’il sache être drôle, se prend au sérieux. Et cela se voit parfois. Cela éclate dans les « grandes » scènes du film, celles où Samba débarque dans une réunion de commissaires politiques, où il va chercher son père en prison, où il échange avec le ministre de la Jeunesse. Jusqu’à la scène finale censée nous arracher des sanglots, mais trop prévisible, trop artificielle pour nous surprendre et nous toucher.

Second défaut plus substantiel : le choix de ce sujet. Militant toujours aussi engagé, Robert Guédiguian dit avoir voulu filmer un « moment communiste » : « Nous voulions raconter une belle et tragique histoire d’amour pour incarner ce que j’appelle ce « moment communiste », de construction, de fête révolutionnaire où les possibles se heurtent à la contre révolution mais aussi à la tradition et aux coutumes ancestrales ». Or, Guédiguian choisit de montrer non pas le printemps de ce socialisme en construction mais au contraire son automne, le moment où il se fracasse contre ses contradictions (l’interdiction du twist et des clubs) et ses résistances (les intérêts mercantiles des grands commerçants, le conservatisme des religieux). Son film prend une teinte crépusculaire et est cohérent avec sa conclusion dramatique. C’est un choix. Mais c’est un choix en contradiction avec la tonalité optimiste promise par le titre du film et par son affiche, le choix de filmer non pas la révolution en marche, mais ses lendemains qui déchantent.

La bande-annonce

En attendant Bojangles ★☆☆☆

Juan-les-Pins 1958. Georges (Romain Duris) est un fêtard invétéré, un homme à femmes et un bonimenteur. Il rencontre à une réception huppée où il s’était invité Camille (Virginie Efira) et tombe éperdument amoureux d’elle. Neuf mois plus tard leur naît un fils prénommé Gary
Huit ans passent. Profitant de la générosité de leur fidèle ami Charles (Grégory Gadebois), Camille et Georges accueillent dans leur superbe appartement parisien une succession tourbillonnante de fêtes et de soirées sous les yeux émerveillés de Gary.
Mais la réalité bientôt les rattrape…

En attendant de devenir un film, En attendant Bojangles fut d’abord un immense succès de librairie. Le premier roman d’un auteur inconnu publié début 2016 chez un minuscule éditeur, bientôt couvert de prix et vendu à plusieurs centaines milliers d’exemplaires. Le livre fut d’abord adapté pour la radio, puis pour le théâtre, avant, comme de bien entendu, d’être porté à l’écran.

Régis Roinsard fut choisi pour réaliser cette adaptation. Le choix avait sa logique. On doit en effet à Roinsard Populaire, une délicieuse comédie où Déborah François interprète une championne de dactylographie. L’action s’en déroulait à la fin des 50ies, comme celle de En attendant… et le rôle principal masculin était joué par Romain Duris qui livre ici une interprétation qu’on croirait copiée de celles de Jean-Paul Belmondo : même sourire charmeur, même bagout irrésistible.

Virginie Efira rappelle Catherine Deneuve jeune dont elle affiche la même naïveté primesautière. On la voit énormément ces temps-ci, au risque de friser l’indigestion. Je l’ai déjà dit le mois dernier dans ma critique de Madeleine Collins. Malgré l’admiration inconditionnelle que je lui voue depuis toujours, elle m’a laissé ici de marbre.

La faute en revient peut-être au roman que j’avais lu à sa sortie sans en comprendre l’improbable succès. Il m’avait fait penser, par son mélange de fantaisie et de tragédie, à L’Écume des jours de Boris Vian dont je confesserai, au risque d’aggraver irrémédiablement mon cas, que je ne l’ai jamais aimé.

J’ai goûté la première partie de En attendant… Et notamment sa première scène, ses costumes splendides, l’apparition de Camille, le coup de foudre entre les deux personnages… J’ai moins aimé la suite, d’autant plus prévisible qu’on a lu le livre : la folle énergie et le refus des convenances de ce couple fusionnel vus à travers les yeux de leur fils, la descente aux enfers de cette mère que son époux vénère et enfin la longue espagnolade qui vient funestement la conclure.

La bande-annonce

Mes frères et moi ★★☆☆

Nour a quatorze ans. Ses trois frères veillent sur lui : Abel, l’aîné, fait figure de père de substitution, Mo, le plus fêtard, fait de la musculation et drague les filles, Hédi, le cadet, est un chien fou mouillé dans des trafics louches. Ces quatre frères hauts en couleurs vivent d’expédients et ont décidé, contre l’avis de leur oncle, de garder chez eux leur mère plongée dans un coma irréversible. Le jeune Nour est convaincu des vertus thérapeutiques des airs d’opéra que son père chantait à sa mère quand ils se sont rencontrés et que Nour lui fait réécouter. Au collège où il doit effectuer des travaux d’intérêt général, il rencontre une cantatrice, qui anime un atelier d’art lyrique et qui l’initiera au chant.

On se souvient au début des années 2000 de Billy Elliot, de son sujet (un fils de prolétaire devient danseur étoile en dépit de tous les préjugés) et de son succès mondial. Mes frères et moi repose sur un ressort similaire et médiocrement convaincant : un enfant, même issu des classes les plus modestes, pourra s’élever hors de sa condition grâce à la pratique d’un art, même le plus élitiste qui soit. Sorti en juillet 2019, Yuli, la biographie romancée du danseur étoile cubain Carlos Acosta, creusait un sillon similaire.

On pouvait donc légitimement craindre le pire devant ce drame social cousu de fil blanc et lesté de tant de bonnes intentions. On pouvait craindre en particulier la partition de Judith Chemla, convoquée grâce à son joli filet de voix pour jouer le rôle de la professeure de chant, passeuse entre deux mondes : celui de la noire misère du lumpenprolétariat et celui des amateurs d’opéra.

Mes frères et moi réussit de justesse à éviter cet écueil grâce à la peinture jamais misérabiliste qu’il fait de Nour et de ses frères. Chacun incarne à sa façon, et sans verser dans la caricature, une façon d’être dans la France d’aujourd’hui un Rebeu en mal d’intégration : l’autorité virile pour Abel, le commerce de ses charmes pour Mo (interprété par le toujours excellent Sofian Khammès qui construit de film en film une carrière prometteuse), la rebellion violente pour Hédi et la curiosité d’être au monde pour Nour dont j’aurais volontiers dit qu’il rappelle le héros de La Vie devant soi de Ajar/Gary si Télérama ne l’avait pas déjà écrit.

Mes frères et moi a aussi une autre qualité : c’est un film joyeusement estival, tourné à Sète, qui devient décidément une ville de cinéma (outre la série de TF1 Demain nous appartient et les films d’Abdellatif Kechiche, Sète avait accueilli le tournage de Fragile, une petite pépite sortie  l’été dernier et injustement passé inaperçu). Ce soleil insolent, ces plages, ces flots méditerranéens sont un baume dans l’hiver parisien pluvieux, dont on aurait tort de se priver.

La bande-annonce

Next Door ★☆☆☆

Daniel (Daniel Brühl) est un célèbre acteur allemand. Il vit à Berlin-Est dans un splendide duplex avec sa femme, ses deux enfants et une bonne cubaine. Ce matin, il prend l’avion pour aller passer une audition à Londres pour un rôle dans un blockbuster hollywoodien. Sur le chemin de l’aéroport, il s’arrête dans un vieux troquet. Un client, Bruno, qui se révèle être le voisin de Daniel et dont le père occupait l’appartement de Daniel avant sa coûteuse réhabilitation, engage la conversation avec lui. Elle prend vite un ton désagréable.

Daniel Brühl est sans doute l’un des acteurs les plus célèbres et les plus sympathiques du cinéma allemand contemporain. Cette notoriété déjà ancienne, Daniel Brühl la doit à son premier rôle dans Good Bye, Lenin! en 2003. Depuis lors, il a cultivé son image de gendre idéal en Allemagne et jusqu’à Hollywood (il tourne pour Tarantino et pour l’univers cinématographique Marvel où il incarne le personnage d’Helmut Zemo). C’est cette image trop lisse qu’il prend un plaisir masochiste à ébrécher dans sa première réalisation.

La construction en est très théâtrale. Tout – ou presque – s’y passe entre les quatre murs d’un café défraîchi où traînent deux piliers de bar et une patronne au profil de mère maquerelle. On pense à quelques huis clos d’anthologie : Le Limier de Mankiewicz, Garde à vue de Claude Miller,  La Jeune Fille et la Mort de Polansky, Funny Games de Haneke….
Ces chefs d’œuvre partagent quelques traits communs : une unité de temps, de lieu, d’action, une atmosphère oppressante, une interprétation hors pair, un scénario suffisamment surprenant pour ménager quelques rebondissements (et suffisamment rebondissant pour ménager quelques surprises).

Au regard de tous ces critères, Next Door est défaillant. Il pèche d’abord par son manque de crédibilité : pourquoi le métrosexuel Daniel, tiré à quatre épingles, a-t-il ses habitudes dans ce rade repoussant ? pourquoi y retrouve-t-il ce matin-là son voisin ? pourquoi accepte-t-il d’écouter devant témoins ses révélations ?
Il pèche surtout par sa construction prévisible. Chaque fois que Daniel menace de quitter la scène, chaque fois même qu’il réussit à la quitter, on sait par avance qu’il y reviendra puisque le film nous a fait la promesse d’un huis clos de quatre-vingt-dix minutes. Trop blasé par trop de films similaires reposant sur les mêmes ressorts, notre œil de spectateur note chaque détail en sachant par avance qu’il jouera un rôle déterminant : une enveloppe jaune est-elle glissée à un enfant de passage, on sait qu’elle ressurgira trente minutes plus tard,  Bruno se déplace-t-il avec un tote bag, on sait qu’il en sortira quelques documents compromettants, etc.

Le film de huis clos est un exercice périlleux ; l’autobiographie sans complaisance en est un plus périlleux encore. Daniel Brühl ne réussit ni l’un ni l’autre. Son capital de sympathie est tellement grand qu’on ne boudera pas pour autant son prochain film.

La bande-annonce

Licorice Pizza ★★★☆

À Encino, près de Los Angeles, au début des 70ies, Gary (Cooper Hoffman) tombe amoureux au premier regard de Alana (Alana Haim). Il a quinze ans mais il est déjà presque autonome, assume seul la garde de son frère cadet, tourne dans une série télévisée, a un sacré esprit d’entreprise. Elle a vingt-cinq ans, est couvée par une famille juive étouffante, n’est pas sûre d’elle. S’aimeront-ils malgré leurs différences ?

Le pitch que je viens d’écrire pourrait laisser redouter le pire : une RomCom sirupeuse dont les deux héros, sans surprise, dépassant les obstacles qui s’opposent à leur amour impossible, finiront, au dernier plan du film, par courir dans les bras l’un de l’autre pour s’unir dans un baiser qui durera toujours. Sans vouloir en divulguer la fin, Licorice Pizza présente ces ingrédients-là…. mais les accommode selon une recette délicieusement originale.

Commençons par jeter un oeil à l’affiche. Il est d’usage, dans les films qui racontent une histoire d’amour, d’y voir les deux héros s’enlacer tendrement en se lançant des regards espiègles et/ou énamourés. Rien de tel ici : l’héroïne est au premier plan, les mains sur les hanches, un brin effrontée et semble nous lancer un regard de défi. Le héros est au second plan, adossé à une voiture, les mains… comment dire…. Vers où dirige-t-il un regard dont on devine qu’il s’accompagne d’un sourire ? Vers Alana. Ce sera donc l’histoire d’un garçon qui aime une fille qui lui tourne le dos.

Arrêtons nous à présent sur le choix de ces deux acteurs. On est loin des stéréotypes hollywoodiens. Le personnage de Gary est interprété par le fils du regretté Philip Seymour Hoffman (que PT Anderson avait souvent fait tourner). Il a quelques kilos en trop, le visage couvert d’acné et une coiffure impossible. Alana Haim est la révélation du film : une jeune Barbara Streisand avec un nez « tellement juif » (c’est pas moi qui le dis mais une directrice de casting), un corps athlétique, toujours en mouvement. Exit Ken et Barbie.

Un mot enfin sur le titre. Sa police rappelle celle d’American Graffiti, le film iconique de Georges Lucas sur cette période. Le surlignage qui l’entoure est le même que celui utilisé pour l’affiche de Grease. On attendra en vain pendant les deux heures du film que s’éclaire sa signification. Le réalisateur confesse dans le dossier de presse qu’il s’agissait d’un diner d’Encino où sa famille se rendait parfois, dont le nom et les sonorités lui rappellent son enfance.

S’agit-il donc d’un film autobiographique ? pas tout à fait. Paul Thomas Anderson est né en 1970. Il a donc une douzaine d’années de plus que Gary. Mais il est né et a grandi à Encino et Licorice Pizza a le parfum de madeleine de ses amours enfantines.

Paul Thomas Anderson est un des plus grands réalisateurs américains contemporains. Il a acquis cette réputation en un quart de siècle et avec moins de dix films qui, tous ou presque, ont enthousiasmé la critique : Boogie Nights, Magnolia, There Will Be Blood (son plus grand succès), Phantom Thread… Son cinéma n’est pas reconnaissable au premier coup d’oeil comme le serait celui de son homonyme, Wes Anderson, ou de Quentin Tarantino. Mais il y revisite souvent les mêmes thèmes (la famille unie, déchirée, recomposée) tire toujours le meilleur parti d’une bande musicale très riche (comme le montre évidemment Licorice Pizza qui puise abondamment dans les standards des 70ies) et attache un prix particulier à la qualité de l’image (il est un des rares réalisateurs à être resté fidèle au 35mm).

Il réussit avec Licorice Pizza une sacrée gageure : réaliser un film surprenant à partir d’une trame éculée. On devine dès sa première image comment il se terminera. Et pourtant on reste en alerte pendant tout le film – les esprits chagrins pourraient estimer que son dernier quart est de trop. Pourquoi ? Parce que cette histoire est faussement commune. Gary et Alana sont des adolescents comme tant d’autres ; mais ils sont uniques. Leur différence d’âge – censée constituer le principal obstacle à leur amour – s’efface très vite. Gary s’avère beaucoup plus mature que ses quinze ans – au point parfois de laisser douter de la crédibilité de certains épisodes de sa vie ; Alana au contraire a la vie cadenassée d’une ado couvée par des parents hyper-protecteurs.

Licorice Pizza est traversé par une immense vitalité, une réjouissante fraîcheur. C’est un film plaisant, sans que se cache derrière cet adjectif dévalorisé la moindre ironie condescendante. C’est un film qui m’a plu. C’est un film qui, je l’espère, vous plaira.

La bande-annonce

Rosy ★★☆☆

En 2015, âgée de vingt-et-un ans à peine, Marine Barniéras apprend qu’elle est atteinte d’une sclérose en plaques (SEP). Elle décide alors d’entreprendre pendant six mois un extraordinaire voyage au bout du monde pour se réconcilier avec son corps. De ce voyage, elle tirera un livre, publié en 2017, Seper hero, puis un film baptisé Rosy, du nom qu’elle donne à la maladie tapie en elle et avec laquelle elle doit désormais cohabiter à jamais.

J’ai lu un jour, je ne sais où, un aphorisme un peu péremptoire, dont la pertinence pourtant ne s’est jamais démentie : une personne dépressive, qui gagne au Loto, redevient malheureuse après six mois d’euphorie ; une personne équilibrée, tétraplégique après un accident de la route, retrouve son équilibre après six mois de déprime noire.

C’est cet aphorisme (mais s’agit-il à proprement parler d’un aphorisme ou d’un adage ou d’un axiome ?) qui m’est revenu en regardant Rosy.

Est-ce un film sur la maladie, sur la sclérose en plaques ? Pas vraiment. Un film de voyages alors sur les splendides paysages de Nouvelle-Zélande, de Birmanie et de Mongolie que l’héroïne visite ? Pas vraiment non plus.
Ce film de Marine Barniéras par Marine Barniéras avec Marine Barniéras est un film sur Marine Barniéras.

La connaître c’est l’aimer. Son charme est irrésistible. Derrière ses longs cheveux blonds, elle a un visage d’ange. Mais surtout c’est son bagout qui nous fait chavirer, son enthousiasme communicatif, sa force de caractère face à l’adversité et bien sûr la compassion que suscite la maladie terrible qui lui est tombée dessus.

Rosy est un hold-up sentimental. Comment ne pas être séduit par son héroïne – dont je viens de dire qu’elle était irrésistible ? Comment ne pas être ému par l’injustice qui la frappe et la force de caractère avec laquelle elle y fait face ?

La bande-annonce

Tromperie ★☆☆☆

Londres. 1987. Un célèbre écrivain américain (Denis Podalydès), exilé à Londres, un pays dont il réprouve l’antisémitisme, travaille sans relâche à l’écriture de son prochain roman. Il reçoit dans son atelier son amante (Léa Seydoux) avec qui il entretient une liaison au long cours. D’autres femmes occupent sa vie : une ancienne maîtresse (Emmanuelle Devos) qui se bat de l’autre côté de l’Atlantique contre le cancer qui la ronge, une brillante étudiante souffrant de troubles neurologiques, une interprète tchèque qu’il a aidée à franchir le Rideau de fer. Sans oublier son épouse (Anouk Grinberg) qui jalouse ses fantômes de papier.

Arnaud Desplechin incarne jusqu’à la caricature un certain cinéma français mitonné à l’IDHEC (l’ancêtre de la Fémis). Intelligent. Élitiste. Très écrit. Réunissant le ban et l’arrière-ban des plus grands acteurs français. Parisien en diable, même s’il autorise quelques incursions dans la province française la plus lumpenprolétarisée (Roubaix, une lumière). On adore – avec une pointe de snobisme – ou pas. On aura compris de la présentation, très orientée, que je viens d’en faire que je me classe dans la seconde catégorie.

Tromperie coche toutes les cases de ce cinéma très cérébral. Il les coche d’autant plus qu’il est l’adaptation d’un roman du très cérébral écrivain américain Philip Roth, qui aura raté le prix Nobel d’un cheveu par la faute de vaines polémiques que le jury suédois craignait de se voir reprocher. Tromperie, écrit en 1990, n’est pas son oeuvre la plus récente. Desplechin caressait depuis longtemps le projet de l’adapter. Le Covid et l’impossibilité dans laquelle le réalisateur s’est trouvé de lancer un projet plus vaste lui en ont fourni l’occasion.

Le montage, les décors, les lumières : tout concourt à plonger le spectateur dans un état nébuleux, où les questions l’emportent sur les réponses. Quelle est la temporalité du récit ? Quelle en est la réalité ? Ces femmes existent-elles vraiment ? Ou sont-elles le produit de la – riche – imagination de l’écrivain en plein travail ? Desplechin, dans toute son oeuvre, aime nous laisser dans le flou. Et Tromperie y parvient mieux qu’à son tour.

Le film souffre toutefois de deux handicaps rédhibitoires.
Le premier est d’avoir été tourné en français avec des acteurs français alors qu’il s’agit d’une oeuvre éminemment anglo-saxonne. Quand Desplechin était allé tourner au Kansas la vie de l’ethnopsychanalyste Georges Devereux, il avait réalisé son film en anglais avec des acteurs américains. Que n’a-t-il pas fait de même avec une oeuvre qui joue sur les différences entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis, leur rapport à la judéité et à la création artistique ? Par exemple, son film aurait été autrement plus riche avec des acteurs aux accents anglais et américains.
Le second est son couple vedette. Pris isolément, on ne dira aucun mal de Denis Podalydès et on s’interdira des critiques trop blessantes à l’égard de Léa Seydoux qui n’est pas une aussi mauvaise actrice qu’on le dit parfois. N’en reste pas moins que leur réunion à l’écran ne marche pas. Il n’y a entre eux aucune alchimie, aucun désir qui circule, aucune tension amoureuse ou érotique qui se crée. Leur couple est aussi insipide qu’une jelly anglaise. C’est dire…

La bande-annonce

Loin de vous j’ai grandi ★☆☆☆

Nicolas est un adolescent qui fête son quatorzième anniversaire. Il a été élevé en foyer. Cet adolescent grand et mince aime lire les aventures d’Ulysse et les romans de Jack London. Son meilleur ami, Saïf, est arrivé de Tunisie par la mer.
Nicolas a derrière lui un lourd passé familial que le film révèle progressivement. Sa mère Belinda, qui elle aussi fut ballotée de parents d’accueil en foyer, est tombée enceinte en classe de quatrième. Elle a fait de la prison. Elle est au chômage. Au début du film, elle attend un quatrième enfant.

Il faut un sacré sous-texte pour comprendre et goûter ce documentaire.
Il faut en effet savoir que Marie Dumora suit depuis une vingtaine d’années deux sœurs yéniches, Sabrina et Belinda, natives du Bas-Rhin. En 2001, elle les découvrait en foyer dans Avec ou sans toi. En 2010, elle retrouvait Sabrina alors âgée de seize ans et son fils de dix mois Nicolas dans Je voudrais aimer personne. En 2018, elle consacre un film à Belinda.

Une telle persévérance force l’admiration et donne à voir une oeuvre qui se regarde d’épisode en épisode. Si l’objet du cinéma documentaire est de filmer la vie, sans doute le cinéma de Marie Dumora atteint-il cet objectif. Le problème est la réception d’un épisode de cette oeuvre, si on le découvre indépendamment des précédents ou, pire, si on en ignore le contexte.

Sans doute le jeune Nicolas est-il un adolescent attachant. On le voit durant de longues ballades en forêt avec Saïf, avec ses éducateurs ou en week-end, de retour chez sa mère et son beau-père. Ces quelques images parfois insignifiantes, parfois trop signifiantes (ainsi lorsque Sabrina exhorte son fils à ne pas commettre les mêmes erreurs qu’elle) ont sans doute exigé de la réalisatrice beaucoup de temps et de patience pour gagner la confiance de cette famille et y être acceptée. Mais cette qualité ne suffit pas à elle seule.

La bande-annonce

La Main de Dieu ★★★☆

Naples. Années 80. Fabietto est un adolescent, le Walkman vissé aux oreilles, qui grandit au cœur d’une famille aimante avec trois choses en tête : les filles, le football et le cinéma. Nourrissant une attirance trouble pour sa tante, la gironde Patrizia, il a hâte de perdre son pucelage comme son frère aîné avant lui. Fan du SSC Napoli, il atttend avec impatience l’arrivée de Maradona au club napolitain et applaudit au but que la star argentine marque en demi-finale du Mondial grâce à la « main de Dieu ». Fasciné par le cinéma et le théâtre, il sent sourdre en lui une vocation qui ne demande qu’à s’exprimer.

Tous les amoureux de Rome – et ils sont légion – s’accordent sur un point : nul mieux que Sorrentino n’a jamais filmé la capitale italienne dans La Grande Bellezza. Les amoureux de Naples s’accorderont presque sur le même. La Main de Dieu annonce dès son premier plan son intention : rendre un hommage à Naples, la ville natale du réalisateur. On s’étonne d’ailleurs que son nom n’ait pas été choisi comme titre du film.

Choisir comme titre La Main de Dieu, c’est risquer d’induire le spectateur en erreur. C’est risquer de lui faire croire qu’il s’agit d’un film sur Maradona ou, à tout le moins, sur son passage à Naples. Tel n’est pas le cas. La star argentine n’est tout au plus qu’une silhouette, un élément de contexte. Qui s’intéresse à son parcours serait mieux inspiré de voir – ou de revoir – le superbe documentaire d’Asif Kapadia sorti en juillet 2019.

La Main de Dieu est une autobiographie à peine déguisée du réalisateur, né à Naples en 1970. On pourrait renâcler à cet exercice nombriliste et complaisant dont on attend, sans guère de surprise que son jeune héros découvre l’amour, applaudisse Maradona et achète sa première caméra. Le scénario prend toutefois quelques libertés par rapport à cette trame convenue, l’une notamment dont on ne dira rien de plus sous peine de divulgâchage.

Mais moins que la richesse du scénario – qui réussit à nous embarquer pendant plus de deux heures sans qu’on voit le temps passer – c’est la truculence du jeu des acteurs qui donne tout son sel à La Main de Dieu. Les premières scènes de famille donnent un peu le tournis. Oncle paternel ? Grand-père ? Simple voisin ? On ne comprend pas qui est qui. Mais peu importe. Le cinéma italien est ici à son meilleur, dans ces bruyantes scènes de groupes où les altercations fusent. On pense à Fellini bien sûr, à ses monstres, à ses sabbats joyeux. On rêve aussi à ses prochaines vacances d’été en espérant peut-être retourner à Capri ou à Sorrente pour regarder le soleil se coucher sur Naples.

La bande-annonce