EO est un âne paisible qui vit, à son corps défendant, bien des aventures. Il est employé dans un cirque sous la protection aimante d’une acrobate ; mais la faillite du cirque lui fait perdre sa protectrice. Il travaille ensuite comme bête de somme dans un haras où il jalouse les soins donnés aux plus beaux étalons. Il s’enfuit dans la forêt et est capturé au petit matin par des pompiers. Il devient la mascotte d’une équipe de foot mais tombe sous les coups des supporters de l’équipe rivale. Transporté de Pologne en Italie par un routier louche, il est recueilli par un prêtre défroqué, le fils d’une riche comtesse (Isabelle Huppert).
Jerzy Skolimowski, 84 ans, est une figure tutélaire du cinéma polonais. Ses réalisations, interrompues pendant dix-sept ans pour lui permettre de se consacrer à la peinture, traversent depuis plus de cinquante ans l’histoire du cinéma de son pays, à cheval, comme Roman Polanski son illustre compatriote, entre l’Est et l’Ouest. Sa filmographie frappe par sa richesse et sa variété : quoi de commun entre Deep End, qui suit un jeune garçon de bains employé dans une piscine du Swinging London, Essential Killing, où l’incandescent Vincent Gallo interprète un taliban en fuite, et 11 minutes un récit polyphonique ultra-moderne où la vie de plusieurs personnes se percute violemment l’espace d’un bref instant ?
EO s’inspire sans s’en cacher de Au hasard Balthazar. Mais la focale en est différente. Si dans le film de 1966 de Robert Bresson l’âne Balthazar tendait un miroir aux humains, l’âne EO de Skolimowski est le véritable héros de son film. Ou pour le dire autrement et employer de grands mots, EO est le premier film (je n’en connais pas d’autres mais me trompe peut-être) authentiquement animaliste et antispéciste [P.S. : je me trompais évidemment : il y eut Okja de Bong-Joon Ho en 2017]
Ce courant de pensée entend détrôner l’Homme de la position surplombante qu’il s’est arrogée depuis Descartes et reconnaître à tous les êtres vivants, quels qu’ils soient, un égal respect. Selon qu’on y soit favorable ou pas, sans doute l’opinion qu’on se fera du film variera. Essayons, même si ce n’est pas aisé et même si peut-être ce n’est pas pertinent, d’en faire abstraction et de juger EO sur ses seules qualités cinématographiques.
EO se veut un film sensoriel. On pense à la caméra caressante de Terrence Malick. On découvre la réalité à travers les yeux de EO – on imagine que si les contours de l’image sont flous c’est parce qu’un âne a une vision périphérique dégradée. On aurait aimé que EO pousse le parti pris jusqu’au bout et soit entièrement filmé en caméra subjective ; mais tel n’est pas le cas. On a aussi droit à quelques photos saisissantes de EO au milieu de la nature.
Mon sentiment mitigé sur le film vient de son scénario. Il est constitué d’une succession de vignettes où l’on suit EO à travers ses multiples aventures. Le problème est leur enchaînement et leur accumulation. Il y aurait pu en avoir trois de plus ou trois de moins sans que l’histoire s’en trouve significativement modifiée. Et la toute dernière, en Italie, où l’on retrouve (hélas) la surprenante Isabelle Huppert dans le rôle d’une richissime (et incestueuse ?) comtesse a achevé de me perdre.