We Are Zombies ★☆☆☆

Dans un monde où les zombies se multiplient mais ne constituent aucune menace pour les humains, une geek, ex-employée de Coleman, la multinationale chargée du contrôle des zombies, son frère et leur meilleur ami, vivotent grâce au trafic de corps. Mais quand leur grand-mère est kidnappée par deux employés de Coleman, dont le nouveau responsable fourbit un plan diabolique, ces trois sympathiques bras-cassés doivent faire preuve d’imagination pour rassembler la rançon exigée.

Les zombies sont gentils. Le film de zombies – dont La Nuit des morts-vivants de Romero, avec ses cadavres en haillons, cannibales et contaminants, a défini en 1968 les règles du genre – a rapidement connu son sous-genre parodique : Le Retour des morts-vivants (1985), Shaun of the Dead (2004), qui m’a fait mourir de rire, Bienvenue à Zombieland (2009)…

Oeuvre du collectif canadien RKSS, We Are Zombies se revendique de cette veine. Son scénario est particulièrement rocambolesque. Il l’est à tel point qu’il s’approcherait dangereusement du foutage de gueule s’il n’était pas l’adaptation d’une bande dessinée. On comprend vite qu’il n’est qu’un prétexte à un enchaînement de blagues potaches de plus ou moins bon goût. On s’en amuse pendant la première demi-heure avant de réaliser qu’on n’en a plus l’âge. Même si le film a la délicatesse de ne durer qu’une heure et vingt minutes à peine, on se dit en en sortant que, passés quinze ans, on y a perdu son temps.

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Tigresse ★★☆☆

Vera est vétérinaire dans une petite ville des Carpates. Elle vient de perdre son fils à la naissance et ferraille avec le clergé orthodoxe pour lui donner une sépulture chrétienne. Elle découvre que son mari la trompe avec une jeune lycéenne. Enfin, son zoo a récupéré une tigresse dont Vera, troublée par les drames qui viennent de s’abattre sur elle, laisse par inadvertance ouverte la porte de sa cage.

Le titre et l’affiche de Tigresse sont trompeurs. On imagine volontiers un film animalier de Pixar ou de Jean-Jacques Annaud façon Deux Frères, prêtant à sa féline héroïne un comportement anthropomorphe, qui attirerait les ados amateurs de peluches. Tout au contraire, Tigresse nous vient de Roumanie, un pays dont le cinéma âpre se situe aux antipodes des afféteries sucrées hollywoodiennes. Ce cinéma raconte souvent, avec un grand talent, des histoires sordides d’avortement dans des résidences étudiantes, de viol dans des couvents retirés ou de corruption.

Tigresse n’est pas un film sordide ; mais c’est assurément un film grave. Son héroïne est une femme en pleine crise. On aura compris que cette cage laissée ouverte est un acte manqué, un désir inconscient de Vera de libérer le fauve qui dort en elle. Heureusement la métaphore, qui serait vite devenue pesante, n’est pas poussée trop loin. Tigresse, une fois les caractères dessinés, raconte la traque de cette bête, d’abord dans la forêt qui entoure le zoo, puis dans la ville médiévale de Târgu Mureș où elle s’est glissée.

Pareil sujet aurait pu donner lieu à bien des traitements possibles. Le thriller, la comédie voire l’errance poétique ou métaphysique. Le réalisateur Andrei Tănase, dont c’est le premier film, choisit un juste milieu bien sage. Son film, inspiré d’un fait divers, dure une heure et vingt minutes à peine et ne contient guère de rebondissements. Cette modestie en fait le prix mais en limite aussi l’ambition.

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Trap ★☆☆☆

Pour la féliciter de ses bons résultats scolaires, Cooper (Josh Hartnett), un honnête père de famille de la banlieue de Philadelphie, offre à sa fille deux billets pour le méga-concert de sa star préférée Lady Raven et, le jour venu, l’y accompagne. Il y comprend bientôt que la police, informée de la présence parmi les spectateurs d’un dangereux tueur en série, a déployé un impressionnant dispositif de sécurité pour l’y piéger.

M. Night Shyamalan fut, à ses débuts, le wonder kid du cinéma américain avec Sixième Sens, Incassable, Signes et Le Village. Ce nouveau maître du thriller a popularisé une recette éprouvée : un twist final renversant qui donne à toute l’histoire que le spectateur vient de voir un parfum différent et surprenant. Mais, depuis cet âge d’or, M. Night Shyamalan n’a jamais tout à fait retrouvé la même vista. Il a accumulé les échecs commerciaux et critiques (PhénomènesLe Dernier Maître de l’air, After Earth). Ses trois derniers films (Split, Glass, Old) restaurent son aura sans le réhabiliter tout à fait. Aussi, allait-on avoir avec une particulière impatience ce Trap, audacieusement vendu comme le croisement entre « un concert de Taylor Swift et Le Silence des Agneaux » et programmé au cœur d’un été bien avare en bonnes surprises.

Trap met face à face deux figures légendaires de notre temps : la rock star et le serial killer [on dirait que j’essaie de caser dans cette critique le plus d’anglicismes possibles]. On découvre bien vite – et on l’aura déjà découvert en regardant la bande-annonce – que l’affable Cooper, le si parfait père de famille, le si sympathique pompier toujours prêt à rendre service à son prochain, est en fait le tueur en série que la police recherche. L’action se déroule quasiment en temps réel. Elle a pour cadre le stade de Philadelphie où se déroule le concert de Lady Craven, un rôle interprété par la propre fille de M. Night Shyamalan qui poursuit une carrière de chanteuse solo.

Josh Hartnett, qu’on avait connu au tournant des années 2000, à peine sorti de l’adolescence, dans des personnages de jeunes bellâtres  (Virgin Suicides, Pearl Harbor, la Chute du Faucon noir), endosse avec un plaisir communicatif un rôle schizophrène. Il est en même temps un meurtrier machiavélique qui mobilise toute son intelligence pour se sortir du piège que lui a tendu la police et un père de famille enamouré, ravi de faire plaisir à sa fille et inquiet qu’elle découvre sa face cachée.

Cette ambiguïté est intéressante. Le film est construit sur elle, quelque part entre thriller asphyxiant et comédie familiale gentillette. Mais hélas, le pari n’est pas tenu. La recette ne marche pas. La faute peut-être à une erreur de scénario qui, dans son dernier tiers, quitte le stade où il aurait dû rester pour respecter l’unité de lieu. La faute surtout à un dénouement qui ne nous donne pas la scène qu’on attendait : la confrontation du père et de sa fille, négatif chimiquement pur d’Incassable qui, on s’en souvient, mettait en scène un agent de sécurité de Philadelphie découvrant, sous les yeux admiratifs de son fils, ses dons de super-héros.

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Highway 65 ★★☆☆

Daphna est inspectrice de police. Elle vient d’être mutée à Afoula, une petite ville de province, loin de Tel Aviv et s’y morfond. Elle s’émeut de la disparition d’Orly, une ancienne reine de beauté, veuve d’un soldat tombé au front, et suspecte un crime sur fond d’adultère.

Grand Prix du dernier festival Reims Polar, Highway 65 nous vient d’Israël. Mais son sujet est universel. Son ambiance moite m’a rappelé le bayou de Louisiane de True Detective. La loi du silence à laquelle Daphna se heurte m’a quant à elle rappelé l’Andalousie de La Isla Minima.

Comme tous les bons polars, Highway 65 vaut d’abord par son héroïne. La quarantaine, bougonne et solitaire, le visage mangé par ses lunettes, incapable de manger un falafel sans en étaler la sauce sur son corsage, Daphna n’a rien d’aimable. Pourtant, on s’attache à elle et on partage vite son entêtement à résoudre l’énigme à laquelle elle est confrontée.

Cette énigme trouve peut-être sa solution dans une vidéo que Daphna découvre sur le portable d’Orly. Des indices se révèlent progressivement, mettant Daphna sur la piste de la belle-famille d’Orly, les Golan, qui ont pris sous leur protection la jeune femme après la mort de son mari. Les soupçons de Daphna se resserrent : le père, qui peut-être a entretenu une liaison avec Orly ? la mère qui se tait pour protéger les siens ? le fils cadet qui exerce sur Daphna une attirance vénéneuse ? Mais les Golan, riches entrepreneurs, jouissent à Afoula d’une réputation sans tache et Daphna ne peut pas compter sur sa hiérarchie pour mener à bien ses investigations.

Highway 65 est un polar canonique, respectueux des règles du genre qui ne révèle guère de surprises, jusque dans les surprises qu’il révèle.

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Gondola ★☆☆☆

Dans des montagnes reculées de Géorgie, un téléphérique hors d’âge traverse la vallée pour relier deux villages isolés. Lorsque son conducteur trépasse, une jeune femme est embauchée pour le remplacer par le superviseur autoritaire et libidineux. Elle fait la rencontre de l’autre cabinière qu’elle croisera désormais en plein ciel à chaque rotation. Entre les deux femmes qui partagent la même créativité et le même humour, l’attirance est immédiate.

Veit Helmer est un réalisateur allemand qui tourne partout dans le monde des comédies burlesques quasiment sans paroles. Absurdistan (2008) se déroulait en Azerbaïdjan, Baikonur (2011) au Kazakhstan. Il a décidé cette fois ci de poser sa caméra en Géorgie et d’y faire tourner des inconnus.

Le cinéma burlesque peut se revendiquer d’une longue histoire. Sans remonter aux glorieux ancêtres (Charlie Chaplin, Buster Keaton…), Jacques Tati, ou plus près de nous Wes Anderson, son presque homonyme suédois Roy Andersson ou Aki Kaurismäki s’en revendiquent avec un immense talent.

Dans Gondola, le pari culotté est tenu. Pas une seule parole n’y est prononcée. À défaut de dialogues, le sens doit passer par d’autres canaux moins utilisés : l’expression des visages, le cadrage, le montage…. Cette audace stylistique est séduisante. Surtout quand elle se met au service d’une ode à la vie et à l’amour.

Mais hélas, Gondola se réduit très vite à une succession de saynètes. Chaque rencontre des deux cabines, au-dessus du vide, est l’occasion pour les deux conductrices de faire assaut d’inventivité, par exemple de se lancer dans un numéro de claquettes, de transformer leur cabine en vaisseau pirate ou d’improviser quelques accords de musique. Prise séparément, chacune de ces saynètes est un petit bonbon ; mais montées à la file, elles deviennent vite répétitives et ennuyeuses. Le film na beau ne durer qu’une heure vingt-deux à peine, on a l’impression qu’il se traîne interminablement.

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Comme le feu ★★☆☆

Blake (Arieh Worthalter), un riche réalisateur, invite son vieil ami Albert (Paul Ahmarani) à passer quelques jours dans un chalet qu’il possède au cœur de la forêt québécoise. Albert fut longtemps le scénariste des films de Blake avant que les deux hommes prennent des chemins différents. Albert est accompagné de sa fille, Aliocha et de son fils, Max, et du meilleur ami de celui-ci, Jeff, qui se consume d’amour pour Aliocha.

Un dîner entre amis qui dégénère, les contentieux passés pas encore tout à fait soldés et les secrets enfouis remontant sournoisement à la surface, les convives qui par convenance feignaient de s’apprécier s’affrontant de moins en moins courtoisement. La formule a été utilisée jusqu’à la corde au théâtre comme au cinéma. Elle l’a été pas plus tard que le mois dernier avec Dîner à l’anglaise ou le mois d’avant avec Et plus si affinités.

Philippe Lesage, le réalisateur québécois de Genèse, la recycle dans son deuxième film. À la structure-type du dîner entre amis, il apporte trois variations. La première est que l’action se déroule non pas en un seul repas, mais l’espace de trois journées ponctuées par plusieurs repas, filmés en longs plans-séquences, et entrecoupés par plusieurs activités de plein air : une journée à la pêche, une autre à la chasse, une descente en canoë… La deuxième est que ce huis-clos étouffant entre « amis » se déroule dans un environnement aussi majestueux qu’angoissant : l’immense forêt canadienne, coupée du monde, ses lacs et ses rivières, qu’on imagine volontiers couverte de neige l’hiver venu. La troisième est que ce film dure deux heures quarante.

Rien ne justifie cette durée hors normes. Le tout premier plan le montre. On y voit, sur une route déserte , la Mercedes que conduit Albert et les trois ados vers le point de rendez-vous où les attend l’hydravion de Blake, seul moyen d’accès à sa cabane. Le plan aurait pu durer dix secondes à peine. Il s’étire inutilement sur plus d’une minute sans que l’utilité d’une telle longueur saute aux yeux.

Mais cette durée hors normes a néanmoins un avantage. Elle permet de creuser jusqu’au malaise les relations entre les convives. D’un côté, les adultes, Albert et Blake, bientôt rejoints par un couple d’amis parisiens (Irène Jacob & Laurent Lucas en guest stars françaises) s’abîment dans des querelles rances. De l’autre, les adolescents, brûlants de désir, s’attirent et se repoussent. Jeff se révèle être le personnage clé du film, à l’intersection des deux mondes : sa passion pour le cinéma le rapproche de Blake dont il admire  les films ; ses sens en émoi en font la proie idéale du charme incandescent exercé par la séduisante Aliocha.

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Dos Madres ★☆☆☆

Vera (Lola Duenas) est sténotypiste à Madrid. Vingt ans plus tôt, son fils lui a été arraché à la naissance. Elle a décidé de le retrouver par tous les moyens.
À Saint-Sébastien vivent Cora (Ana Torrent) et son fils adoptif Egoz. À l’enfant, la mère a raconté l’histoire qu’on lui avait servie : sa mère biologique serait morte à sa naissance.

Dos Madres documente un scandale politique : la disparition sous le régime franquiste et jusque dans les années 90 de 300.000 enfants déclarés mort-nés et adoptés selon des procédures opaques. Le sujet est suffisamment tragique pour se prêter à un film-dossier édifiant. Mais telle n’est pas la voie que choisit Victor Iriarte, un réalisateur basque qui signe son premier film.

Dos Madres mélange bizarrement les genres. Les scènes de Vera, à Madrid, louchent du côté du film noir, du faux polar, façon Trenque Lauquen ou La Flor, ces films argentins au climat si particulier. Les scènes de Cora au Pays basque sont plus naturalistes. Je ne suis pas sûr d’avoir tout compris de l’intrigue, filandreuse à souhait. Au risque de la divulgâcher, il m’a semblé que Vera retrouvait Cora et Egoz, que le trio partait ensemble au Portugal et planifiait le hold-up du musée d’art et d’histoire de Porto dont les coffres conserveraient le produit du trafic des enfants disparus. Mais je n’ai pas compris si ce hold-up était finalement mené à bien. Pas plus n’ai je compris le trafic auquel se livre Vera au début du film.

La nonchalance avec lequel le réalisateur maltraite son scénario a peut-être ses raisons. L’essentiel serait ailleurs, dans les retrouvailles de ces « deux mères » – pour reprendre le titre français qui a été substitué au titre original espagnol fort obscur, Sobre todo de noche, qu’on pourrait traduire part « surtout la nuit ». Tout est dit dans l’affiche du film : la réconciliation apaisée de deux femmes qui, chacune à leur façon ont follement aimé le même enfant et possèdent un droit légitime à sa filiation.

Le sujet est grave ; la morale est belle ; mais le traitement est trop alambiqué pour convaincre.

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Rétrospective Marcel Pagnol ★★★☆

À l’occasion des cinquante ans de la mort de Marcel Pagnol (1895-1974) est donnée une rétrospective de ses films en version restaurée. C’est l’occasion de les voir ou de les revoir en salles et de ranimer le souvenir lointain que leur diffusion à la télévision avait fait naître.

Tout gamin, parce que mes parents m’avaient offert La Gloire de mon père et que j’en avais aimé la lecture, je me suis mis à acheter compulsivement et à lire toute l’oeuvre de Pagnol, jusqu’à ses titres les moins connus et les plus dispensables : Les Marchands de gloire, Jazz, Judas, Fabien…. Je l’ai encore, sur une étagère de ma bibliothèque, dans de vieilles éditions de poche jaunies d’une collection Presses Pocket aujourd’hui disparue.

Je crois avoir vu certains de ses films enfant à la télévision. Je me souviens nettement de la trilogie marseillaise (Marius, Fanny, César) et de sa célèbre partie de cartes, de La Femme du boulanger et de la non moins célèbre tirade de Raimu (« Ah ! la revoilà la Pomponette ! »). N’étant plus très sûr d’avoir vu les six autres films de cette rétrospective (Jofroi, Angèle, Regain, Le Schpountz, La Fille du puisatier, Topaze), j’ai profité de la pause estivale, et de la climatisation en surrégime de la salle 1 du Champo, pour les enquiller – et m’y enrhumer ce qui est un comble en cette saison. Sacré gageure, chaque film durant plus de deux heures, à l’exception de Jofroi, un moyen métrage de cinquante-deux minutes à peine, aux airs de nouvelle.

J’y ai retrouvé, telle une madeleine de Proust, une langue. L’accent méridional auquel Pagnol a donné ses lettres de noblesse. Mais aussi un français incroyablement châtié qui, loin d’être dialectal ou vulgaire, frise la préciosité. Et des punchlines, comme on dit aujourd’hui, qui font mouche (« Tu n’es pas un bon à rien ; tu es un mauvais en tout ! »). Car la langue est le moteur de ce théâtre filmé. C’est par elle que l’action progresse.

Le cinéma de Pagnol, c’est aussi une troupe d’acteurs inoubliables. Raimu et Fernandel viennent en tête. Ils font tellement partie de notre imaginaire collectif qu’on a oublié de les regarder pour ce qu’ils sont : des acteurs à la présence magnétique. La scène où Fernandel récite sur tous les tons « Tout condamné à mort aura la tête tranchée » dans Le Schpountz est mythique. Il suffit qu’ils entrent en scène pour aimanter le regard. Mais ils ne sont pas seuls. Les entourent une bande de comédiens que Pagnol a su fidéliser et avec lesquels on se plaît à imaginer de film en film les joyeuses retrouvailles : Charpin (le Panisse de la Trilogie), Blavette, Poupon, Maupi, Delmont… sans oublier les actrices qu’il a fait jouer – après les avoir mises dans son lit ou avant de les y mettre – Orane Demazis, Josette Day, Jacqueline Pagnol…

L’oeuvre de Pagnol, d’une grande cohérence, a-t-elle pour autant bien vieilli ? Elle prête doublement le flanc à la critique.
D’une part, volontiers maurrassienne sinon pétainiste, elle fait l’éloge de la terre – qui, on le sait, ne ment pas, elle. La ruralité, ses vraies valeurs, le dur labeur nécessaire à son travail nourricier sont constamment opposés à la ville et à ses artifices.
D’autre part, le cinéma de Pagnol est patriarcal. L’homme y est le chef de famille derrière lequel la femme doit se taire et s’effacer – même si ce machisme est parfois tourné en dérision. La « fille perdue », prompte à céder aux manoeuvres séductrices du premier bellâtre venu qui l’engrossera avant de la mettre sur le trottoir, ternissant à jamais son honneur, est une figure récurrente dans l’oeuvre de Pagnol. On la trouve sous différentes variantes dans Fanny, dans Angèle et dans La Femme du puisatier.
Il est étonnant que les wokes ne se soient pas encore emparés de ces arguments et n’aient pas décoché à Marcel Pagnol quelques flèches anachroniques.

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Mon parfait inconnu ★★☆☆

Ebba a dix-huit ans à peine. La jeune femme solitaire et mythomane vient de quitter sa mère et sa sœur pour prendre son autonomie. Premier boulot pour une société d’entretien sur le port d’Oslo, première voiture, premier appartement dans le sous-sol d’une grande demeure d’un quartier huppé, dont les propriétaires lui confient les clés pendant leurs vacances. Quand, une nuit, son chemin croise celui d’un Bulgare, blessé et amnésique, elle le ramène chez elle en lui faisant croire qu’elle est sa petite amie.

Mon parfait inconnu est le premier film d’une réalisatrice finno-suédoise, dont il n’est pas facile de faire la critique. Son intérêt réside en effet dans de ce qu’y passe, dans ce qu’on imagine qu’il va s’y passer… et dans ce qui ne s’y passe finalement pas.

Cher lecteur, si vous avez l’intention d’aller voir ce film, ne lisez pas ce qui suit. Cette lecture risquerait de gâcher votre plaisir.

Parce qu’on a déjà vu des films aux scénarios très tordus, on en imagine un plus tordu encore. On imagine que le bel inconnu que Ebba recueille feint l’amnésie pour tromper la jeune fille et abuser de son besoin incompressible d’être aimée. Mais le scénario est moins retors qu’on l’avait cru. Le « parfait inconnu » était bien amnésique ; mais il exerçait dans sa vie passée un commerce sordide et la page blanche qu’Ebba lui propose d’écrire avec elle donne au bel inconnu l’occasion d’un nouveau départ riche d’espoirs.
Mais – et c’est là que le scénario comporte un troisième niveau de lecture déroutant – un doute naît chez le spectateur grâce à un habile effet de mise en scène : cette rencontre, cet été passé à deux ont-ils réellement eu lieu ? ou sont-ils le produit de l’imagination fertile d’Ebba ?

Ce troisième niveau de lecture est certes très malin. Mais il n’en reste pas moins un peu « facile ». Il ressemble à ces scènes incroyables qui se terminent par le réveil en sursaut du protagoniste, dont on comprend qu’il vient de faire un rêve. J’aurais aimé un scénario plus retors, similaire à celui que j’avais pressenti, dans lequel Ebba se serait retrouvée victime d’un homme encore plus manipulateur qu’elle. Mais, j’ai du mal à objectiver ce reproche : ne trouve-t-il pas uniquement son origine pour le motif que j’ai vu la première moitié de ce film avec ce soupçon en tête ?

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Pearl ★★★☆

En 1918, au Texas, Pearl est une jeune fille en fleurs dont le mari parti à la guerre ne donne plus de nouvelles. Pearl étouffe à la ferme entre une mère tyrannique et un père paralysé par une attaque cérébrale. Une audition se tient dans quelques jours où elle compte concourir qui lui permettrait de réaliser son rêve : monter sur scène, quitter cette bourgade et devenir enfin une star.

Pearl est le deuxième volet de la trilogie réalisée par Ti West. Le premier, X, se déroulait en 1979 au Texas dans la ferme de Pearl et d’Howard, un couple de septuagénaires qui se révélaient être de dangereux criminels érotomanes. Pearl est le prequel de X qui raconte comment Pearl, l’hideuse nymphomane du premier volet fut jadis une ravissante jeune fille avant de sombrer dans la folie.

Pour des raisons que je ne comprends pas, Pearl, qui fut directement tourné, en Nouvelle-Zélande, dans la foulée de X, est sorti directement en vidéo en France. C’est à l’occasion de la sortie en salles avant-hier de MaXXXine, le troisième volet de la trilogie, que quelques cinémas à Paris et en province (Marseille, Saint-Etienne, Bayonne…) font le choix pertinent de le programmer.

Autant j’ai été peu convaincu par X et par MaXXXine, autant j’ai été enthousiasmé par Pearl. Le premier film de la trilogie, particulièrement sanglant – il est interdit en France aux moins de seize ans – est un remake paresseux de massacre à la tronçonneuse, qui met en scène une demi-douzaine de jeunes gens partis tourner un film porno en Super-8 dans une ferme isolée du Texas avant d’être sauvagement assassinés les uns après les autres. Le troisième film de la trilogie, moins traumatisant – il n’est qu’interdit aux moins de douze ans – se perd dans une improbable enquête policière à la recherche d’un tueur en série dans les rues poisseuses du Los Angeles des années 80.

Le deuxième est tout entier resserré autour de son héroïne et ne raconte qu’une chose : comment Pearl sombre lentement dans la folie. Son parcours est à la fois logique et monstrueux. Pearl est le produit de son milieu et de son hérédité : c’est une jeune fille charmante, douée, qui nourrit l’espoir légitime de « vivre la vie qu’elle mérite » – la formule reviendra dans MaXXXine – et de quitter la ferme qui l’a vue naître. Le cinématographe, un art nouveau à l’époque, cristallise ses fantasmes et ses rêves de célébrité.

Mais cette peinture banale d’une entrée dans l’âge adulte conventionnelle dérape. Il y a chez Pearl quelque chose qui ne tourne pas rond, une déviance criminelle qui l’a conduite à s’en prendre d’abord à des animaux inoffensifs avant de tourner sa rage vers des proies plus grosses.

Mia Goth, qui a participé à l’écriture du scénario avec Ti West, est de tous les plans de cette histoire, ramassée sur quelques jours à peine. On lui donnerait le Bon Dieu sans confession. Elle incarne à merveille une saine jeune fille américaine au sourire Ultra-Brite. Mais sous le vernis des apparences, la folie sourd. On la remarque à quelques détails annonciateurs. Son explosion est impressionnante.

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