Moi, Daniel Blake ★★★☆

La cinquantaine bien entamée, Daniel Blake est un charpentier en arrêt de travail suite à l’infarctus dont il a été la victime. Il se bat pour obtenir une pension d’invalidité ou, à défaut, une indemnité de chômage. Il rencontre au « job center » Katie, une mère célibataire dans la même situation de précarité que lui.

Que celui qui n’aura pas été ému aux larmes par « Moi, Daniel Blake » se dénonce sur le champ. Ce film bouleversant ‎ferait pleurer les pierres. Ken Loach y décrit, non sans ironie, un système anonyme et humiliant, prisonnier d’une logique de rentabilité, qui écrase ceux qu’il est censé secourir. Ce système ubuesque et déshumanisé, organisé avec des Call centers et des Printemps de Vivaldi, nous l’avons tous connu, qu’il s’agisse de s’inscrire à Pôle Emploi ou de changer le forfait de son abonnement Internet. Sa critique nous est immédiatement sympathique. Face à lui, des Daniel et des Katie tentent tant bien que mal de survivre et de conserver leur dignité. Leurs efforts et leurs échecs nous brisent le cœur.

Ken Loach n’a pas usurpé la Palme d’or qui lui a été décernée à Cannes. Elle a couronné un film autant qu’une œuvre toute entière dédiée à la dénonciation des injustices faites aux plus vulnérables. Pour autant, si l’on refuse, à rebours de toute correction politique, de se laisser kidnapper par la charge lourdement lacrymale que charrie « Moi, Daniel Blake », ‎on osera deux critiques. Elles visent tant le dernier film de Ken Loach, que ses réalisations précédentes voire qu’un nombre significatif de films britanniques, tous d’ailleurs excellents, qui s’inscrivent dans la même veine (on pense par exemple à « Hector » sorti en décembre 2015 dont j’ai dit ici tout le bien que je pensais).

Ces films se répètent. Ils dénoncent l’inhumanité d’un système capitaliste qui broie les individus et insulte leur dignité. Déjà en 1993, Ken Loach m’avait ému aux larmes avec « Raining Stones ». C’était il y a près d’un quart de siècle. On pourrait lui reprocher de faire du surplace. Il répondrait peut-être que son indignation est toujours légitime car la situation des plus pauvres ne s’est pas améliorée, voire s’est aggravée.

Mais un autre malaise peut être pointé. Il vise une gauche bobo – à laquelle je m’identifie volontiers – qui se délecte des films de Ken Loach – ou de ceux des frères Dardenne ou de Philippe Lioret. Cette gauche bobo‎ adore ces films marqués au fer du réalisme social qui prennent fait et cause pour les plus marginaux. En témoigne l’an passé le succès, mérité, de « Fatima » de Philippe Faucon ou de « La Loi du marché » de Stéphane Brizé. Elle les applaudit le samedi soir à l’UGC Danton ou au MK2 Beaubourg. Et puis, elle va dîner dans un restaurant japonais du 5ème et rentre dormir dans l’appartement parisien confortable dont les salaires d’une vie de smicard ne suffiraient pas à acheter la place de parking en sous-sol.

La bande-annonce

La Fille inconnue ★★★☆

Je place les frères Dardenne au sommet. Au sommet de mon palmarès personnel : « Rosetta », « Le Silence de Lorna », « Le Gamin au vélo » figurent parmi mes films préférés. Au sommet, je crois aussi, de la cinématographie de ce début de siècle. Je prends le pari que, dans un siècle, leurs noms seront cités parmi la dizaine de réalisateurs marquants de notre temps.

Aussi chacun de leur film est-il un événement que j’attends avec une impatience joyeuse.

Celui-ci ne m’a pas étonné tant il ressemble aux précédents.

Par son cadre d’abord : les bords de la Meuse à Liège, une fois encore, gris et laids, mais filmés sans misérabilisme.

Par son héroïne ensuite : une femme, seule, de chaque plan, constamment en mouvement, souvent filmée de dos, mue par une idée fixe. Emilie Duquenne dans « Rosetta », Cécile de France dans « Le Gamin au vélo », Marion Cotillard dans « Deux jours, une nuit ».

Par son titre également : un titre court, qui claque et qui prétend, par sa brièveté même, à l’universel.

Par le dilemme moral qu’il pose : Olivier Gourmet acceptera-t-il l’apprenti qui a provoqué la mort de son fils (« Le Fils ») ? Lorna abusera-t-elle l’homme qu’elle doit épouser pour régulariser sa situation administrative (« Le Silence de Lorna ») ? Marion Cotillard convaincra-t-elle ses collègues de renoncer à leur prime pour qu’elle garde leur emploi (« Deux jours, une nuit ») ?

Dans « La Fille inconnue », les frères Dardenne posent une question pour y répondre immédiatement. Pouvons-nous rester indifférents à la misère du monde ? La réponse est évidemment négative. La mystérieuse inconnue, qui vient frapper à vingt heures passé à la porte du cabinet du docteur Davin et qui trouve porte close, va obséder la jeune praticienne qui s’estime coupable de sa mort.

Mais « La Fille inconnue » est moins un film sur les réfugiés qui meurent anonymes dans nos rues, que sur la médecine et sa pratique. « Le Docteur » ou « La Consultation » – le titre d’un livre de Martin Winckler auquel le film des Dardenne emprunte énormément – aurait été plus approprié. Car c’est l’éthique du médecin que le film questionne : sa porte ouverte à la détresse physique et morale, ses gestes patients et compatissants, les connaissances qu’il doit mobiliser pour établir un diagnostic exact, la disponibilité de chaque instant.

« La Fille inconnue » est un film à montrer à tous ceux et celles qui se destinent au beau métier de médecin.

La bande-annonce

Deepwater ★☆☆☆

C’est l’histoire du plus grave accident jamais intervenu sur un plate-forme pétrolière américaine offshore et de la plus grave catastrophe écologique qui s’ensuivit : l’incendie de Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique en 2010.

L’affiche ne laisse guère de place au suspens. L’immense monstre d’acier s’écroulera dans l’océan (sauf que la scène se déroulera en pleine nuit, rendant l’incendie plus photogénique, alors que l’affiche bizarrement le saisit en plein jour). On se doute que survivra à la catastrophe le sympathique héros, Mark Wahlberg, dans le rôle d’un chef électricien courageux près à risquer sa vie pour sauver une jeune collègue à forte poitrine en T-shirt mouillé (comment son image de bon mari et bon père n’en prend-elle pas un coup ?). Le seul suspens est de savoir qui parmi les survivants perdra la vie. Le vieux contremaître revenu de tout joué par Kurt Russell ? L’horrible ingénieur dont la mesquinerie et l’avidité l’ont conduit à des risques fatals joué par John Malkovitch ? Le noir de service joué par… ah désolé il n’est pas crédité au générique ?

Autant dire qu’il n’y a guère de suspens. Alors qu’y a-t-il à sauver de ce « Deepwater » ? Pas grand’chose.

Qu’il soit adapté d’une histoire vraie ne le rend pas plus émouvant. J’ai déjà ecrit cent fois la rage dans laquelle me plongeait cette béquille d’un marketing qui s’imagine rendre le cinéma plus émouvant en rattachant le scénario d’un film à une histoire vécue.

Quid alors de la critique du capitalisme que « Deepwater » véhiculerait ? Je l’ai trouvé bien manichéenne (l’explosion est causée par l’inconscience d’un ingénieur qui viole des mesures de sécurité élémentaires) et bien peu convaincante.

Alors « Deepwater » ? Une oubliable série B.

La bande-annonce

L’Odyssée ★★★☆

Coup de cœur pour « L’Odyssée » bien mal servi par une critique assassine (celle du Monde gagne la Palme de la méchanceté vipérine) mais qui rencontre depuis mercredi un succès public mérité.

On connaît tous le commandant Cousteau, son bonnet rouge, ses fines lunettes et ses drôles de costumes futuristes. On connaît moins la vie de ce capitaine de corvette qui démissionna de la Marine nationale pour filmer le « monde du silence ». L’époque n’était ni aux documentaires animaliers façon National Geographic ni aux plaidoyers écologiques. Financé par l’industrie du pétrole, Jacques-Yves Cousteau filmait les océans pour mieux les conquérir. C’est sous l’influence de son fils Philippe qu’il posa à la fin de sa vie à l’ambassadeur de la planète en danger.

Pour raconter la vie du plus américain de nos héros nationaux, c’est le plus américain des réalisateurs français qui a été choisi. Jérôme Salle, le réalisateur des « Largo Winch » et de « Zulu », sait y faire. La production ne lui a pas mégoté son budget. Son scénario qui rebondit d’un continent à l’autre (la côte varoise, le détroit d’Ormuz, New York, Ushuaia) a un petit air de James Bond.

Mais c’est surtout par ses interprètes que vaut « L’Odyssée ». Pierre Niney a un rôle qui manque de l’ambiguïté qui lui aurait donné de la profondeur. Audrey Tautou fait un tabac, la clope au bec, dans celui de Mme Cousteau, menant à la baguette ses hommes. Enfin, Lambert Wilson force l’admiration. Aussi crédible à quarante ans qu’à soixante-dix, il adopte tous les tics du personnage (le bonnet rouge, les lunettes et même l’horrible accent Frenchie) sans donner l’air de le singer ou de se déguiser. Chef égocentrique vénéré par ses hommes, amoureux fou de sa femme et mari infidèle, brisé par la mort d’un fils qu’il n’a pas su aimer, il est convainquant jusque dans ses paradoxes.

La bande-annonce

Mercenaire ★★☆☆

La bande-annonce de « Mercenaire » est de celles qui mettent l’eau à la bouche. Car ce premier film d’un réalisateur fraîchement émoulu de la Femis traite de deux sujets rarement vus sur grand écran. Le premier : les Wallisiens, ces Français d’outre-Pacifique, leurs tatouages, leur langue doucement chantante, leurs rites mâtinés de christianisme. Le second : le rugby – un sport rarement sinon jamais filmé au cinéma – ses ambiances viriles et ses petites magouilles.

« Mercenaire » raconte l’histoire d’un jeune joueur de rugby wallisien recruté par un club de rugby du Lot-et-Garonne. « Comme un lion », qui suivait un jeune joueur de football sénégalais recruté en France, entretient une fausse ressemblance avec « Mercenaire ». Le film de Samuel Collardey dénonçait un nouvel esclavagisme. Tel n’est pas le propos de celui de Sacha Wolff, même si son titre, réducteur, souligne cet aspect des choses.

« Mercenaire » a de plus grandes ambitions. C’est un documentaire quasi anthropologique sur une communauté en situation postcoloniale. C’est une chronique du racisme ordinaire qui frappe un étranger dans une petite ville de province. C’est une tragédie grecque sur l’amour monstrueux d’un père pour un fils qu’il refuse de perdre.

C’est beaucoup pour un seul film. Et c’est trop pour les épaules – pourtant tout sauf frêles – de l’acteur principal, le jeune Toki Pilokio, qui peine à endosser un rôle trop grand pour lui.

Le Ciel attendra ★☆☆☆

Les Dossiers de l’Écran présentent : « Radicalisation : Des clés pour comprendre » avec un film de Marie-Castille Mention-Schaar qui raconte en parallèle l’histoire – vraie sinon vraisemblable – de Mélanie qui se radicalise et de Sonia qui se deradicalise.

La réalisatrice récidive. Avec Les Héritiers, elle avait déjà fourni le film du mardi soir avant le débat « Intégration à l’école : mission impossible ? ». Ariane Ascaride – qu’on aperçoit en juge d’instruction compréhensive – y était plus-que-parfaite en professeure d’histoire de seconde qui, à force de patience et d’humanité, réussissait à transmettre à une classe black-blanc-beur de ZEP les valeurs de la République.

Comment reprocher à Marie-Castille Mention-Schaar de prendre à bras le corps les sujets d’actualité les plus brûlants ? Comment ne pas être bouleversé par ces deux jeunes filles, par leur vulnérabilité, par leurs erreurs, par l’impuissance de leurs parents ?

Mais comment dans le même temps ne pas être gêné par le didactisme pesant de Le Ciel attendra, par le manichéisme de ses personnages, jeunes filles révoltées, parents dépassés, recruteurs invisibles et manipulateurs ? Comment se laisser emporter par un suspense tué dans l’œuf puisqu’on sait dès le départ que Sonia se déradicalisera tandis que Mélanie suivra le chemin inverse ? Et comment ne pas préférer Les Cowboys qui, avec une toute autre finesse, décrivait sans chercher à la catégoriser, la rage impuissante d’un père à la recherche de sa fille disparue ?

La bande-annonce