Mes frères et moi ★★☆☆

Nour a quatorze ans. Ses trois frères veillent sur lui : Abel, l’aîné, fait figure de père de substitution, Mo, le plus fêtard, fait de la musculation et drague les filles, Hédi, le cadet, est un chien fou mouillé dans des trafics louches. Ces quatre frères hauts en couleurs vivent d’expédients et ont décidé, contre l’avis de leur oncle, de garder chez eux leur mère plongée dans un coma irréversible. Le jeune Nour est convaincu des vertus thérapeutiques des airs d’opéra que son père chantait à sa mère quand ils se sont rencontrés et que Nour lui fait réécouter. Au collège où il doit effectuer des travaux d’intérêt général, il rencontre une cantatrice, qui anime un atelier d’art lyrique et qui l’initiera au chant.

On se souvient au début des années 2000 de Billy Elliot, de son sujet (un fils de prolétaire devient danseur étoile en dépit de tous les préjugés) et de son succès mondial. Mes frères et moi repose sur un ressort similaire et médiocrement convaincant : un enfant, même issu des classes les plus modestes, pourra s’élever hors de sa condition grâce à la pratique d’un art, même le plus élitiste qui soit. Sorti en juillet 2019, Yuli, la biographie romancée du danseur étoile cubain Carlos Acosta, creusait un sillon similaire.

On pouvait donc légitimement craindre le pire devant ce drame social cousu de fil blanc et lesté de tant de bonnes intentions. On pouvait craindre en particulier la partition de Judith Chemla, convoquée grâce à son joli filet de voix pour jouer le rôle de la professeure de chant, passeuse entre deux mondes : celui de la noire misère du lumpenprolétariat et celui des amateurs d’opéra.

Mes frères et moi réussit de justesse à éviter cet écueil grâce à la peinture jamais misérabiliste qu’il fait de Nour et de ses frères. Chacun incarne à sa façon, et sans verser dans la caricature, une façon d’être dans la France d’aujourd’hui un Rebeu en mal d’intégration : l’autorité virile pour Abel, le commerce de ses charmes pour Mo (interprété par le toujours excellent Sofian Khammès qui construit de film en film une carrière prometteuse), la rebellion violente pour Hédi et la curiosité d’être au monde pour Nour dont j’aurais volontiers dit qu’il rappelle le héros de La Vie devant soi de Ajar/Gary si Télérama ne l’avait pas déjà écrit.

Mes frères et moi a aussi une autre qualité : c’est un film joyeusement estival, tourné à Sète, qui devient décidément une ville de cinéma (outre la série de TF1 Demain nous appartient et les films d’Abdellatif Kechiche, Sète avait accueilli le tournage de Fragile, une petite pépite sortie  l’été dernier et injustement passé inaperçu). Ce soleil insolent, ces plages, ces flots méditerranéens sont un baume dans l’hiver parisien pluvieux, dont on aurait tort de se priver.

La bande-annonce

Licorice Pizza ★★★☆

À Encino, près de Los Angeles, au début des 70ies, Gary (Cooper Hoffman) tombe amoureux au premier regard de Alana (Alana Haim). Il a quinze ans mais il est déjà presque autonome, assume seul la garde de son frère cadet, tourne dans une série télévisée, a un sacré esprit d’entreprise. Elle a vingt-cinq ans, est couvée par une famille juive étouffante, n’est pas sûre d’elle. S’aimeront-ils malgré leurs différences ?

Le pitch que je viens d’écrire pourrait laisser redouter le pire : une RomCom sirupeuse dont les deux héros, sans surprise, dépassant les obstacles qui s’opposent à leur amour impossible, finiront, au dernier plan du film, par courir dans les bras l’un de l’autre pour s’unir dans un baiser qui durera toujours. Sans vouloir en divulguer la fin, Licorice Pizza présente ces ingrédients-là…. mais les accommode selon une recette délicieusement originale.

Commençons par jeter un oeil à l’affiche. Il est d’usage, dans les films qui racontent une histoire d’amour, d’y voir les deux héros s’enlacer tendrement en se lançant des regards espiègles et/ou énamourés. Rien de tel ici : l’héroïne est au premier plan, les mains sur les hanches, un brin effrontée et semble nous lancer un regard de défi. Le héros est au second plan, adossé à une voiture, les mains… comment dire…. Vers où dirige-t-il un regard dont on devine qu’il s’accompagne d’un sourire ? Vers Alana. Ce sera donc l’histoire d’un garçon qui aime une fille qui lui tourne le dos.

Arrêtons nous à présent sur le choix de ces deux acteurs. On est loin des stéréotypes hollywoodiens. Le personnage de Gary est interprété par le fils du regretté Philip Seymour Hoffman (que PT Anderson avait souvent fait tourner). Il a quelques kilos en trop, le visage couvert d’acné et une coiffure impossible. Alana Haim est la révélation du film : une jeune Barbara Streisand avec un nez « tellement juif » (c’est pas moi qui le dis mais une directrice de casting), un corps athlétique, toujours en mouvement. Exit Ken et Barbie.

Un mot enfin sur le titre. Sa police rappelle celle d’American Graffiti, le film iconique de Georges Lucas sur cette période. Le surlignage qui l’entoure est le même que celui utilisé pour l’affiche de Grease. On attendra en vain pendant les deux heures du film que s’éclaire sa signification. Le réalisateur confesse dans le dossier de presse qu’il s’agissait d’un diner d’Encino où sa famille se rendait parfois, dont le nom et les sonorités lui rappellent son enfance.

S’agit-il donc d’un film autobiographique ? pas tout à fait. Paul Thomas Anderson est né en 1970. Il a donc une douzaine d’années de plus que Gary. Mais il est né et a grandi à Encino et Licorice Pizza a le parfum de madeleine de ses amours enfantines.

Paul Thomas Anderson est un des plus grands réalisateurs américains contemporains. Il a acquis cette réputation en un quart de siècle et avec moins de dix films qui, tous ou presque, ont enthousiasmé la critique : Boogie Nights, Magnolia, There Will Be Blood (son plus grand succès), Phantom Thread… Son cinéma n’est pas reconnaissable au premier coup d’oeil comme le serait celui de son homonyme, Wes Anderson, ou de Quentin Tarantino. Mais il y revisite souvent les mêmes thèmes (la famille unie, déchirée, recomposée) tire toujours le meilleur parti d’une bande musicale très riche (comme le montre évidemment Licorice Pizza qui puise abondamment dans les standards des 70ies) et attache un prix particulier à la qualité de l’image (il est un des rares réalisateurs à être resté fidèle au 35mm).

Il réussit avec Licorice Pizza une sacrée gageure : réaliser un film surprenant à partir d’une trame éculée. On devine dès sa première image comment il se terminera. Et pourtant on reste en alerte pendant tout le film – les esprits chagrins pourraient estimer que son dernier quart est de trop. Pourquoi ? Parce que cette histoire est faussement commune. Gary et Alana sont des adolescents comme tant d’autres ; mais ils sont uniques. Leur différence d’âge – censée constituer le principal obstacle à leur amour – s’efface très vite. Gary s’avère beaucoup plus mature que ses quinze ans – au point parfois de laisser douter de la crédibilité de certains épisodes de sa vie ; Alana au contraire a la vie cadenassée d’une ado couvée par des parents hyper-protecteurs.

Licorice Pizza est traversé par une immense vitalité, une réjouissante fraîcheur. C’est un film plaisant, sans que se cache derrière cet adjectif dévalorisé la moindre ironie condescendante. C’est un film qui m’a plu. C’est un film qui, je l’espère, vous plaira.

La bande-annonce

Rosy ★★☆☆

En 2015, âgée de vingt-et-un ans à peine, Marine Barniéras apprend qu’elle est atteinte d’une sclérose en plaques (SEP). Elle décide alors d’entreprendre pendant six mois un extraordinaire voyage au bout du monde pour se réconcilier avec son corps. De ce voyage, elle tirera un livre, publié en 2017, Seper hero, puis un film baptisé Rosy, du nom qu’elle donne à la maladie tapie en elle et avec laquelle elle doit désormais cohabiter à jamais.

J’ai lu un jour, je ne sais où, un aphorisme un peu péremptoire, dont la pertinence pourtant ne s’est jamais démentie : une personne dépressive, qui gagne au Loto, redevient malheureuse après six mois d’euphorie ; une personne équilibrée, tétraplégique après un accident de la route, retrouve son équilibre après six mois de déprime noire.

C’est cet aphorisme (mais s’agit-il à proprement parler d’un aphorisme ou d’un adage ou d’un axiome ?) qui m’est revenu en regardant Rosy.

Est-ce un film sur la maladie, sur la sclérose en plaques ? Pas vraiment. Un film de voyages alors sur les splendides paysages de Nouvelle-Zélande, de Birmanie et de Mongolie que l’héroïne visite ? Pas vraiment non plus.
Ce film de Marine Barniéras par Marine Barniéras avec Marine Barniéras est un film sur Marine Barniéras.

La connaître c’est l’aimer. Son charme est irrésistible. Derrière ses longs cheveux blonds, elle a un visage d’ange. Mais surtout c’est son bagout qui nous fait chavirer, son enthousiasme communicatif, sa force de caractère face à l’adversité et bien sûr la compassion que suscite la maladie terrible qui lui est tombée dessus.

Rosy est un hold-up sentimental. Comment ne pas être séduit par son héroïne – dont je viens de dire qu’elle était irrésistible ? Comment ne pas être ému par l’injustice qui la frappe et la force de caractère avec laquelle elle y fait face ?

La bande-annonce