Pierre a repris seul l’élevage bovin familial. Il met toute son ardeur à s’occuper de son troupeau qui obtient aux compétitions agricoles les meilleurs classements. Ses parents, qui se sont retirés sur l’exploitation et l’exaspèrent de leur encombrante sollicitude, et sa sœur qui est devenue vétérinaire et qui l’aide dans le suivi médical du troupeau, sont sa seule compagnie.
Mais l’univers de Pierre menace de s’effondrer quand apparaissent les premiers symptômes d’une terrible épizootie. Lorsque la première bête décède, Pierre n’en dit mot de peur que tout son troupeau soit abattu par les services sanitaires. C’est le début d’un engrenage dont il ne sortira pas.
L’affiche de Petit Paysan annonce la première scène du film – qui n’est pas sans rappeler les fantasmagories d’un Dominik Moll. Pierre fait un cauchemar dans lequel ses vaches ont envahi sa maison au point de l’étouffer. Tel est le propos du film : un homme qui se laisse étouffer par son travail. Sauf que l’action ne se passe pas dans une tour de La Défense et que son héros n’est pas un cadre en col blanc au bord du burn out. Toute l’originalité de Petit Paysan est de planter sa caméra dans une ferme, un lieu que le cinéma ne visite plus guère sinon pour en donner une image artificielle comme dans La Famille Bélier ou Je vous trouve très beau.
Le réalisateur Hubert Charuel sait de quoi il parle : il est le fils et petit-fils d’agriculteurs et il a tourné dans l’exploitation familiale. Si bien que son film a des faux-airs de documentaire. Mais il n’emprunte pas les mêmes recettes que Bovines – qui filmait en interminables plans fixes des vaches broutant les prés – ou We feed the world – qui dénonçait la course au rendement de l’industrie agroalimentaire. Il le fait avec les codes du thriller psychologique.
La maestria de sa mise en scène impressionne pour un premier film. Le regard échangé entre Pierre et sa sœur devant le vétérinaire-inspecteur apprend au spectateur qu’elle ne s’est pas laissée berner par son subterfuge. La coiffure si soignée de la fille de la boulangère, qui se déplace en personne pour livrer à Pierre son pain, explique plus qu’un long discours son entreprise de séduction
Les acteurs sont tous parfaits. À commencer par Swann Arlaud de tous les plans. On avait vu trop brièvement son visage en lame de couteau dans un tas de films (Une vie, Ni le ciel ni la terre, Les Anarchistes) ; on ne l’oubliera plus. Sara Giraudeau, l’espionne de La Saison des légendes, promène la même silhouette longiligne et la même voix de nez. Boulli Lanners, Isabelle Candelier et Marc Barbé font des personnages secondaires convaincants.