Steven (Colin Farrell) est cardiologue. Anna (Nicole Kidman) son épouse ophtalmologue. Ils forment un couple parfait avec leurs deux parfaits enfants, Kim, quatorze ans et Bob douze.
Mais leur vie se dérègle quand une mystérieuse malédiction les frappe lancée par Martin, un adolescent d’un milieu plus modeste dont le père est décédé lors d’une opération dirigée par Steven.
Regardez attentivement cette affiche. Qu’y voit-on ? Une chambre d’hôpital aux murs blancs qui semblent s’élever à l’infini. Elle est meublée de deux lits vides. Face à eux, un homme immobile dont on devine à peine les traits. Que n’y voit-on pas ? Les noms des deux stars hollywoodiennes qui tiennent le haut de l’affiche – ou, précisément, qui ne le tiennent pas : Nicole Kidman et Colin Farrell, excusez du peu. Ce parti-pris illustre bien l’ambition folle du réalisateur Yorgos Lanthimos : vendre son film non pas sur l’identité de ses deux stars mais sur celui de son thème profondément angoissant : le désarroi d’un père face à la souffrance de ses deux enfants.
On avait déjà remarqué ce jeune réalisateur grec originaire d’un pays dont le cinéma ne s’exporte guère. Canine et Alps étaient deux réalisation déroutantes. Après avoir franchi l’Atlantique, Lanthimos a signé The Lobster, un film tout aussi déroutant dont l’action se déroule dans un futur doucement totalitaire qui force les veufs et les célibataires à se marier sous peine d’être transformés dans l’animal de leur choix.
Son film suivant, qui a déchiré la Croisette cette année, n’est pas moins troublant que les précédents. Il donne dans sa première moitié l’illusion d’être ordinaire. On y voit un père, une mère, deux enfants, dans une banlieue américaine semblable à celles qu’on a déjà vues mille fois. Sauf qu’un malaise persistant s’instille. À quoi est-il dû ? Difficile à dire. À certaines paroles échangées, telle cette mention des premières règles de Kim ? Aux pratiques sexuelles de Steven et Anna ? Ou à la relation (amicale ? filiale ? sexuelle ?) entre Steven et Martin dont on ne comprend pas la raison d’être.
Il n’est pas question d’une famille qui cache un lourd secret. Lanthinos est beaucoup plus subtil, qui ne construit pas son film autour d’un ressort si convenu. Non. Le malaise est plus diffus et sa solution moins évidente. C’est l’objet de la seconde partie du film. Un après l’autre, les deux enfants sont frappés de paralysie. Les médecins n’en comprennent pas la cause. Martin lancera son anathème et mettra entre les mains de Steven un pacte faustien.
Je n’en dirai pas plus. Et pas plus n’évoquerai-je la façon, macabre et risible à la fois, dont Steven s’en déliera. J’ai parfois eu l’impression d’une supercherie, macabre, dégoûtante, ridicule. Certains spectateurs ont partagé cette opinion et ont quitté bruyamment la salle. J’ai été fasciné par la bande-son à la fois majestueuse et terrifiante. Je ne sais pas si je garderai un bon souvenir de ce film qui m’a perturbé et parfois déplu. Mais il laissera en moi une marque profonde.