Roma est le quartier de Mexico où le jeune Alfonso Cuarón a passé son enfance. Roma en raconte une année à cheval entre 1970 et 1971. Il nous plonge au cœur de la vie d’une famille de la classe moyenne supérieure mexicaine. Quatre jeunes enfants, un père absent, une mère qui peine à assumer seule les charges du ménage et deux bonnes corvéables à merci, sans oublier une palanquée de chiens crotteurs.
On a beaucoup parlé de Roma pour des motifs qui n’avaient rien à voir avec ses qualités cinématographiques. Sa diffusion par Netflix, son absence des salles de cinéma, le refus pour ce motif des organisateurs du Festival de Cannes de l’y programmer, l’opportunisme de ceux du Festival de Venise qui lui ont décerné le Lion d’Or : autant d’événements qui ont eu tôt fait de conférer au huitième long métrage de Alfonso Cuarón, le réalisateur mexicain poly-oscarisé en 2014 pour Gravity, le statut d’un symbole : celui de la mort des salles obscures et de l’avènement des plateformes de streaming. Faisons litière de ce débat en notant un paradoxe : son noir et blanc esthétisant, l’ampleur et la complexité de ses plans séquence font de Roma un film qui se prête mal à l’exigüité d’un écran d’ordinateur ou de télévision et aurait mérité d’être visionné en Scope.
Et parlons du film. En commençant par ses évidentes qualités. Son sujet – faire la chronique de la vie d’une famille – le propulse immédiatement, avec Amarcord de Fellini, Fanny et Alexandre de Bergman voire La Recherche de Proust au nombre des fresques artistiques les plus ambitieuses. Sa durée – plus de deux heures – sans se presser lui donne le temps de se déployer. L’humilité de son histoire n’a pas besoin de rebondissements dramatiques pour se tenir. Son point de vue – donner le rôle principal à Cleo la bonne – le rattache à ces films latino-américains où la domesticité et les liens ambigus qu’elle entretient avec les « maîtres » joue un rôle si important : La Nana de Sebastián Silva, Une seconde mère d’Anna Muylaert, Les bonnes manières de Juliana Rojas et Marco Dutra…
Et venons-en à ses défauts. Alfonso Cuarón, on le sait et il le sait hélas, est un grand réalisateur. Le plan séquence des Fils de l’homme est dit-on le plus impressionnant, le plus complexe, le plus réussi jamais filmé. Du coup, il se sent obligé de nous en mettre plein la vue. Chaque plan millimétrique, d’une complexité folle, se veut plus étonnant que le précédent. Pourtant, chacun reproduit peu ou prou les recettes du précédent : un (très) lent balayage latéral de caméra qui finit par endormir le spectateur. Cette esthétique m’as-tu vu devient vite répétitive. Elle ne nous touche pas. Pire elle finit par nous énerver.
Quant au sujet, qui voudrait nous rendre attachant le destin de la bonne (nom commun ? adjectif qualificatif ?) Cléo, la sympathie le dispute à l’amertume. Bien sûr, Cléo suscite l’empathie dont l’amour infini qu’elle donne aux enfants n’a d’égal que la fatalité du déclin qui l’accable – un sombre idiot lui fait un enfant et l’abandonne. Mais le traitement qu’elle subit de la part de cette famille blanche, tout à la fois soucieuse de son bien-être, mais profondément enracinée dans son mépris de classe et de race, laisse un goût amer.