Sept jeunes gens organisent une série d’attentats simultanés dans Paris. Leurs crimes commis, ils se retrouvent à la nuit tombée dans un grand magasin de la capitale.
Nocturama démarre bien. Pendant sa première demie-heure, Bertrand Bonello filme sans paroles sur fond de musique électro l’arrivée des protagonistes sur les lieux de leurs méfaits : la Bourse de Paris, la Tour Global (sic) de La Défense, le ministère de l’Intérieur (bizarrement situé rive gauche), l’appartement du PDG de HSBC France… Comme dans un film de Melville ou « 24 heures chrono », la nervosité des poseurs de bombes est contagieuse. On s’interroge : quels sont leurs cibles ? quels sont leurs motifs ? parviendront-ils à leurs fins ?
Hélas, Nocturama n’est pas un film d’action. Les bombes explosent en split screens – manifestement le budget effets spéciaux a été réduit à la baisse. Et le film s’encalmine dans un grand magasin (La Samaritaine ? Le Grand Marché ?) où les jeunes gens ont l’idée particulièrement peu avisée de se regrouper (pourquoi diable ne rentrent-ils pas tranquillement chez eux ?).
Des motivations de ce groupe, on ne saura pas grand’chose si ce n’est à travers quelques flashbacks patauds où on en voit les membres s’initier au maniement du Semtex. Dans ce grand magasin, on les voit céder aux sirènes de la grande consommation et du luxe, contre lesquels pourtant ils viennent d’orchestrer des actions terroristes. Ils forment un groupe hétérogène venant d’horizons variés : le 9-3, Sciences Po (un jeune con encravaté parlant d’égal à égal à un ministre ami de son père) ; mais Bertrand Bonello ne brosse pas un portrait de groupe.
Si Nocturama n’est ni un film d’action, ni un portrait de groupe, alors qu’est-ce ?
De deux choses l’une. Soit Nocturama est une pure œuvre d’art. Mais où est passée l’élégance du réalisateur de L’Apollonide aussi maladroit à éclairer ses jeunes acteurs qu’à les diriger ? Soit Nocturama est une prophétie politique, annonçant l’inéluctable basculement d’une jeunesse nihiliste dans la violence aveugle. Pour radical qu’il soit, ce point de vue se révèle d’une navrante pauvreté faute d’être exploité.
Quand dans un film, je sens que le décollage avec le réel s’opère, je laisse faire… et je vois après.
La bande d’ados de Nocturama déclenche sa violence sur la société et ses représentations du pouvoir, signe qu’elle ne s’y projette pas. Elle est composite. Pas d’analyse sociologique, ici, c’est la voix, radicale, d’un artiste, sa représentation de « la » jeunesse.
Dans le film, la jeunesse a un plan qui s’annonce très sûr, très construit (oui, je trouve aussi que la première partie du film est tendue à souhait pour montrer cela). Ce plan aboutit au refuge dans le grand magasin.
Cette seconde partie est pour moi aussi (voire encore plus) réussie que la première. C’est le petit écart, cher Yves, qu’il y a dans nos perceptions de Nocturama !
Cette seconde partie donc, vient exposer progressivement toutes les failles du plan et de la bande elle-même (absence de Greg, tensions entre les ados, chacun ayant des secrets, révélant ses propres aspirations) dans un décor parfait pour cela.
Chaque rayon est un trompe l’œil, renvoie à la fois sa froideur inaccessible, sa fragilité et sa vacuité. Chaque ado y puise quelque chose de différent qui ne le comble pas, chacun semble y faire sa propre exploration. En vain.
Alors que la première partie du film avait quelque chose de géométrique, rigoureux, programmé, la seconde prend des couleurs baroques (jeu avec les musiques, vêtements), règne de l’aléatoire, du doute, du remord, du chaos.
Je suis sortie sous le choc d’un film lyrique, audacieux, qui dit notre époque comme une œuvre d’art peut le faire avec force et distance.
Je reconnais volontiers Isabelle que Nocturama est un film intéressant.
Me dérange toutefois chez Bonello l’entre deux dans lequel il se réfugie confortablement.
Il refuse de donner à son film une dimension politique alors même qu’il véhicule un message politique.
Contre quoi ces terroristes prennent-ils les armes ? Quelles sont leurs revendications ? leurs objectifs ?
Et que dire des forces de l’ordre qui les exécutent sans sommation en violation de toutes les règles d’intervention ?
Je ne suis pas sûr que Nocturama dise grand’chose de notre époque – même si je dois lucidement reconnaître que mon jugement découle de ce que je réprouve ce que Nocturama dit de notre époque.
Ping Disco Boy ★★☆☆ | Un film, un jour