À Téhéran de nos jours Pari et son fils muet Élias emménagent dans un grand immeuble d’un quartier populaire. Le mari de Pari est un toxicomane qui purge une longue peine de prison et elle se prostitue pour vivre. À l’étage au-dessus, Sara, qui étouffe entre un mari jaloux et une belle-mère possessive, est à nouveau enceinte après deux fausses couches. À l’étage au-dessous, Babak est un jeune musicien dont les enregistrements psychédéliques ne parviennent pas à franchir la censure islamique. Il a une liaison d’un soir avec Donya qui lui réclame le lendemain l’argent pour une hymenoplastie.
Immeuble Yacoubian à Téhéran. Comme le romancier Alaaa El Aswany l’avait fait pour décrire la société égyptienne (ou Georges Perec dans La Vie, mode d’emploi), le réalisateur iranien installé en Allemagne où la censure ne peut plus l’atteindre, Ali Soozandeh, fait cohabiter les héros de son film chorale dans le même immeuble. Le procédé pourrait sembler un peu facile. Mais le scénario est suffisamment bien tressé pour entrelacer ces trois histoires jusqu’à un final aux fausses allures de thriller qui les réunit toutes.
Prostitution, drogue, corruption, intégrisme religieux. La charge de Ali Soozandeh contre les tares de son pays d’origine est lourde. Elle n’est pas toujours subtile. Téhéran Tabou a parfois des airs de catalogue où chaque défaut de la société iranienne a droit à sa saynète. On y voit des pasdarans arrêter un couple d’amoureux dans un parc public, un mollah lubrique abuser de son autorité pour corrompre une femme, un médecin alcoolique pratiquer dans des conditions sanitaires douteuses un avortement.
Les personnages de Téhéran Tabou frisent le manichéisme. Dans cette société corrompue, ils n’ont à lui opposer que leur courage : Pari, la prostituée au cœur d’or, Sara la Madame Bovary perse, Babak, le musicien au génie incompris. Pour autant, ils ne sont pas parfaits. Pari va mettre sa voisine Sara dans une situation embarrassante. Sara cache un secret inavouable. Quant à Babak, le dénouement du film le révèlera moins chevaleresque qu’on l’aurait cru.
Le procédé utilisé pour les mettre en scène les prive de cette ambiguïté. La rotoscopie crée un effet de déréalisation. Téhéran devient une cité de bande dessinée peinte dans une palette chromatique rouge et noire. Téhéran Tabou perd-il pour autant en force de conviction ? Non. Car on sait par ailleurs, pour l’avoir lu dans la presse et déjà vu au cinéma, que la capitale iranienne vit sous un chape de plomb qui est sur le point d’éclater. Ses tares, même caricaturées, nous émeuvent et nous révoltent. Conquis par avance par le plaidoyer de Téhéran Tabou, nous nous laissons d’autant mieux nous en convaincre.