Veuve à dix-neuf ans, Ratna a fui son village pour Bombay. Elle a un rêve : ouvrir un magasin de couture. Mais pour le moment, elle n’a trouvé qu’un poste de domestique dans le penthouse luxueux d’Ashwin, un riche fils de famille. Ashwin étouffe : il vient de refuser d’épouser la fiancée que ses parents avaient choisie pour lui et préfèrerait aller aux États-Unis mener une vie de bohème plutôt que de reprendre l’entreprise de BTP de son père.
Monsieur nous vient d’Inde mais n’a pas grand-chose à voir avec Bollywood. Ici pas de musiques filmi, de ballets virevoltants, de bluettes romantiques. Par son scénario, par sa durée, par sa retenue, cette production franco-indienne, tournée par une réalisatrice formée aux États-Unis, respecte les canons du cinéma occidental.
Son titre pourrait nous induire en erreur sur l’identité de son héros : c’est moins Ashwin que Ratna qui est au centre du film. Mais ce titre solennel a l’avantage de souligner l’infranchissable fossé social qui sépare ses deux protagonistes.
Car c’est des liens de domesticité dont il est ici question. Le sujet est passé de mode en France depuis Octave Mirbeau et son Journal d’une femme de chambre où plus grand-monde n’a aujourd’hui de domestique. Il est toujours d’actualité dans les pays en voie de développement où les inégalités de revenus permettent aux plus riches de se payer les services des plus pauvres. C’est d’ailleurs du Chili que nous vient La Nana (2009) qui décrit l’ambiguïté de la relation qui unit des « patrons » à leur domestique, associée à l’intimité du foyer, mais toujours infériorisée.
Monsieur creuse la même veine. Il le fait en imaginant une relation amoureuse entre la servante et son patron auxquels leur histoire personnelle fait partager les mêmes frustrations. Ce ressort scénaristique s’avère décevant. Parce que d’abord, à l’écran, aucune étincelle amoureuse ne jaillit entre les deux protagonistes. On est loin de l’érotisme moite des amours refoulées de In the Mood for Love dont se revendique la réalisatrice dans le dossier de presse. Parce qu’ensuite, une fois que l’amour s’est déclaré entre Ratna et Ashwin, il n’y a pas grand-chose à en dire ni à en faire sinon constater l’impasse dans lequel il s’est enferré.
Pour décrire les paradoxes de la condition ancillaire, le film brésilien Une seconde mère (2015) utilisait une piste plus intéressante : la relation qui unissait la domestique avec les enfants de ses patrons.