Après l’avant-première de son film, Malcom rentre à minuit passé dans la superbe villa que la production a louée pour lui à Malibu avec sa petite amie Marie. La soirée s’est bien passée. L’avant-première a été un triomphe. Malcolm jubile. Mais Marie lui en veut pour l’avoir oubliée dans son discours de remerciement. Une violente dispute éclate entre les deux amoureux.
Malcolm & Marie partait à mes yeux avec un lourd handicap. Huis clos théâtral mettant en scène deux personnages qui se disputent le temps d’une nuit, il avait toutes les caractéristiques de ces films statiques, bavards et artificiels dont j’ai déjà eu si souvent l’occasion de dire tout le mal que j’en pensais par exemple dans mes critiques de Fences ou du Blues de Ma Rainey – sans parler du Bonheur des uns ni du Dindon.
Preuve qu’il faut savoir aller au-delà de ses a priori – et preuve aussi que, faute de sorties au cinéma, on en est réduit ces temps ci à regarder toutes les nouveautés sur Netflix – j’ai regardé Malcolm & Marie et ne le regrette pas. Au contraire. J’y avais été incité par l’identité de son réalisateur, Sam Levinson, dont j’avais adoré le précédent film, le trop méconnu et punk Assassination Nation qui faisait partie de mon Top 10 en 2018.
En revanche, je ne connaissais pas Zindaya et dois reconnaître que l’héroïne de Spider-Man: Homecoming a du talent. C’est elle qui crève l’écran, dans un rôle en or qui lui permet de déployer toute la palette de son jeu. Vamp en robe de soirée au décolleté époustouflant, femme-enfant en débardeur blanc et petite culotte, forte et fragile à la fois, elle dit ses quatre vérités à John David Washington (le héros jamesbondien de Tenet) qui, lui, convainc moins. Son rôle est plus ingrat, son orgueil plus ridicule, son ingratitude plus antipathique.
Pendant près de deux heures filmées dans un noir et blanc soyeux, jusqu’à un ultime plan d’une sublime beauté, rien ne nous fera échapper à ce face-à-face étouffant. Sans doute pourrait-on lui reprocher un rythme un peu répétitif : 1. une engueulade 2. une réconciliation 3. un morceau de jazz. Mais ce serait lui faire un méchant procès car on, ne s’ennuie pas une seconde en compagnie de Malcolm et Marie.
En donnant à un réalisateur noir le rôle principal, Malcolm & Marie nous parle de cinéma, de la façon dont il se construit, de la part des expériences personnelles dans l’écriture d’une fiction, de l’assignation à laquelle un réalisateur afro-américain est souvent condamnée. Mais l’essentiel de son propos n’est pas là. Malcom & Marie est avant tout un film sur le couple, comment il se construit, sur quel pacte, tacite ou explicite, il dure, la part de concessions qu’il suppose, le dialogue et l’écoute auxquels il oblige et surtout peut-être la douce félicité qu’il apporte.