« Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va. » Un beau matin d’hiver, Clarisse (Vicky Krieps) prend sa voiture et quitte sa maison, son mari (Arieh Worthalter) et ses deux enfants, Louise et Paul, pour dit-elle « rouler vers la mer ». Mais bien vite la narration se brouille et les questions surgissent, entretenues par les paroles de Clarisse, « Ce n’est pas moi qui suis partie, j’invente » : qui quitte qui ? qui rêve qui ? qui pleure qui ?
On l’aura compris : Serre moi fort est un film sur la séparation et sur la perte. On n’en dira pas plus pour ne pas révéler le ressort sur lequel tout le film repose, même si le réalisateur lui-même n’en fait pas mystère et le dévoile dans ses interviews. Une accumulation d’indices minuscules le laisse augurer jusqu’à ce qu’il s’éclaire, au milieu du film environ, sans pour autant être expressément nommé.
Tout l’art de Serre moi fort est dans ce lent dévoilement. Si un film doit recevoir le César du meilleur montage, une récompense souvent décernée sans qu’on en comprenne vraiment les motifs (qu’y avait-il de si original dans le montage des Misérables, de Jusqu’à la garde ou de 120 bpm pour que ces oeuvres là soient récompensées ?), c’est bien celui-là, qui entrelace avec un art achevé flashbacks et flashforwards, souvenirs et projections.
Il est aussi dans le talent des interprètes, au premier chef de sa tête d’affiche, l’étonnante Vicky Krieps qui mène depuis sa révélation dans Phantom Thread une carrière étonnante. On l’a vue récemment dans Bergman Island, dans Old. Elle y était déjà remarquable. On la verra bientôt dans The Survivor, un film hollywoodien du vétéran Barry Levinson. 2021 aura décidément été son année.
Il y a un autre acteur à part entière dans Serre moi fort : la musique omniprésente que joue au piano la petite Louise, à laquelle Clarisse imagine un brillant avenir de soliste. On aurait aimé qu’il s’agisse d’une fugue de Bach pour filer la métaphore. Il s’agit surtout de pièces de Rameau, mais aussi de Beethoven ou de Debussy. Elle n’en pare pas moins ce film d’une élégance à couper le souffle.
Seule réserve très subjective, qui pourrait être de taille et qui explique d’ailleurs les réserves de nombreux spectateurs. Le sujet du film aurait pu, aurait dû m’émouvoir jusqu’au tréfonds. Car il est de ceux qui me font sangloter. Pourtant, j’y suis resté extérieur. Je n’ai pas été touché.
Je sors de ce film séduite par la subtilité du récit, par le jeu des acteurs, par la musique, mais je suis restée spectatrice, extérieure, pas d’émotion ni d’empathie. … Dommage.
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