La Maison est inspiré du livre éponyme d’Emma Becker qui fit scandale à sa sortie en août 2019. L’autrice, une jeune écrivaine française, y racontait les deux années qu’elle avait décidé de passer dans une maison close berlinoise pour y trouver la matière de son quatrième roman.
Le sujet est sulfureux. Il appelle le scandale et peut d’ailleurs être suspecté de vouloir s’en nourrir. L’affiche du film accentue ce biais, qui pourrait être celle d’un porno chic, sur laquelle les mots encadrés « Interdit aux moins de 16 ans » semblent constituer un argument supplémentaire de vente (comme ces films d’horreur qui perdent toute crédibilité si la commission de classification ne leur reconnaît pas ce label).
D’ailleurs, dans la salle où j’ai vu le film hier soir, la proportion dangereusement élevée de sexagénaires patibulaires en imperméables douteux (il est vrai qu’il pleuvait à Paris comme vache qui pisse) aurait dû me mettre la puce à l’oreille sur les motivations des spectateurs.
Tous ces vieux cochons – au nombre desquels je dois lucidement m’inclure – en auront eu pour leur argent. La Maison mérite sans guère de doute son interdiction. Il contient son lot d’images chocs de porno chic, de sexes, masculins et féminins, dénudés, d’hôtesses en hauts talons et en lingerie fine…
Toute cette imagerie stéréotypée accompagne un discours qui rassérénera lesdits cochons et hérissera le poil (non épilé ?) des féministes de stricte obédience : la prostitution, quand elle est librement consentie et quand elle est exercée dans un environnement réglementé, n’a rien d’infamant. Autre argument connexe : le bordel est un lieu clos où des femmes, qui entretiennent entre elles une sororité chaleureuse, gagnent beaucoup plus d’argent que des caissières de supermarché en y effectuant un travail beaucoup moins pénible. Dernier jalon de la démonstration : les hommes ne sont, à quelques rares exceptions près, pas de dangereux pervers mais des êtres vaniteux qu’il est facile de berner en feignant l’orgasme ou des nounours déprimés qui trouvent au bordel la chaleur humaine qui leur est refusée au dehors.
C’est à ce stade d’un raisonnement qui, s’il s’arrêtait là, conduirait irrévocablement à une conclusion sans appel, qu’il faut ajouter deux bémols.
Le premier est que ce discours se tient. J’entends d’ici les cris d’orfraie des abolitionnistes qui, à bon droit, répliqueront que la prostitution est dans la majorité des cas exercée par des femmes fragilisées et non consentantes et n’enrichit que leurs proxénètes et que, quand bien même elle serait librement consentie et serait exercée dans un environnement protégé, elle constitue toujours une entreprise détestable de réification du corps humain. J’entends cette opinion, je la comprends et, au fond de moi, je la partage. Pour autant, sans la partager, j’entends aussi l’opinion inverse, celle défendue dans La Maison ou, tout récemment, dans un autre film allemand (ces Allemands décidément !) qui traitait exactement du même sujet, Seule la joie
Le second bémol, le plus significatif à mon sens, est que le vrai sujet du film est ailleurs. On se tromperait en considérant qu’il traite de la prostitution. Quel est alors son sujet ? Il s’agit d’une écrivaine en train d’écrire un livre, du défi qu’elle se lance, des sacrifices qu’elle consent, de l’obligation de sincérité qu’elle s’impose.
Un tel sujet est sans doute moins glamour que la lingerie fine d’une cocotte. Il n’en est pas moins intéressant. Il est dommage que le film l’ait occulté là où le livre lui laissait logiquement plus d’espace.
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