Une famille ☆☆☆☆

Née en 1959 à Châteauroux, Christine Schwartz n’est reconnue qu’à quatorze ans par son père qui lui transmet son patronyme. Christine Angot est violée par son père entre treize et seize ans. Elle révèle l’inceste qu’elle subit en 1999. Elle en fait le sujet de plusieurs de ses livres : L’Inceste, Un amour impossible, Le Voyage dans l’Est. Elle a décidé de poursuivre au cinéma son entreprise littéraire.

Depuis vingt-cinq ans maintenant, Christine Angot est devenue un personnage de la scène littéraire. On connaît ses livres, qui ont fait naître un courant littéraire prolifique, l’ego-histoire. On connaît ses interventions médiatiques transgressives dans des émissions de grande écoute. On connaît surtout le traumatisme qu’elle a subi adolescente, dont elle ne s’est jamais remise et qui constitue l’objet sans cesse recommencé de sa création littéraire.

La soixantaine bien entamée, Christine Angot n’a pas changé. La colère qui l’anime ne s’est pas apaisée. Alors même qu’elle avoue que son histoire l’écrase, elle continue à la ressasser et en fait le sujet central de son premier documentaire. Questionnant la famille qui l’entoure, elle sillonne la France pour rencontrer ses proches – sa belle-mère, sa mère, son ex-mari, son actuel compagnon, sa fille…- et les interroger sur le sens qu’ils donnent au crime qu’elle a subi.

Une famille débute par une séquence sidérante. Elle a été tournée en septembre 2021 à Strasbourg où Christine Angot était allée présenter son dernier livre. À cette occasion, elle se rend au domicile de la veuve de son père. Elle n’en cache ni le nom ni l’adresse. Elle sonne à sa porte, en force l’entrée et lui impose la présence d’une équipe de tournage pour recueillir son témoignage. L’atteinte à la vie privée de cette personne, filmée contre son gré, est flagrante. La défense de l’avocat de Christine Angot, qui estime qu’en révélant les dénis des conséquences de l’inceste sa cliente accomplit une œuvre d’intérêt général à laquelle l’intimité de la plaignante ne saurait être opposée, ne tient juridiquement pas la route.

Si elle est bien plus violente que celles qui suivent, cette première séquence est au diapason du film et en donne le ton. Dans une démarche vengeresse, Christine Angot se filme sillonnant la France pour aller demander des comptes à ses proches. Qu’elle ait été victime d’un crime odieux, qu’elle en porte encore les séquelles, nul ne le lui conteste et, mieux encore, tous aujourd’hui en conviennent – alors que fut un temps, heureusement révolu, où sa parole a été mise en doute et son traumatisme euphémisé. Que sa « famille » ne lui ait pas montré à l’époque des faits et, dans une certaine mesure, renâcle encore aujourd’hui à lui témoigner la solidarité qu’elle aurait méritée, chacun aujourd’hui le reconnaît volontiers et le déplore.
Mais l’outrage qu’elle a subi ne saurait exonérer l’autrice-réalisatrice de toute mesure. Elle n’a pas le droit, en son nom, de tout ramener à son statut de victime. Si sourcilleuse sur sa vie privée et les violences qu’elle a subies, elle gagnerait à l’être de temps en temps sur celle de ses proches et les atteintes que sa violence leur cause.

La bande-annonce

7 commentaires sur “Une famille ☆☆☆☆

  1. La vengeance est un plat qui se mange froid . A vous entendre le plat de Christine Angot fait froid dans le dos. Dessert il la cause de «  liberation de la parole »
    ? Il semble que oui ?

  2. ..En fait Christine Angot nous exposerait une fois de plus le traumatisme qu elle a subi …. Hier sur la 5, elle ne voulait pas se prononcer sur le sujet général de l inceste…. Si toutes les victimes de crime dans ce pays hurlaient autant qu elles, la cacophonie serait intenable
    Je verrai le film pour me faire mon avis

  3. On ne guérit jamais d’un tel traumatisme… je compatis pleinement aux dégâts qu’a pu causer l’inceste sur la vie de cette femme … et il en faut des victimes qui parlent de leurs blessures ( même exagérément aux yeux de certains ) et de leur souffrance pour que ces pratiques secrètes … cachées … ces non dits intra familiaux ralentissent… voire soient sévèrement punis par la loi quand ils sont dénoncés .
    Que chaque personne ( homme ou femme) disant qu’Angot en fait trop imagine que c’est leur fille ou leur garçon qui est victime d’un inceste … et ils changeront leur façon de voir.

  4. « Elle n’a pas le droit de tout ramener à son statut de victime « dites vous … je crois qu’elle en a le devoir ! Et surtout le courage.
    Je n’ai pas encore vu le film mais je l’ai beaucoup entendue puisqu’elle parcoure les médias pour présenter son film et son discours posé et fort m’a convaincue d’y aller.
    Les victimes parlent enfin et on les écoute ce qui est assez nouveau. L’inceste doit être dénoncé et surtout du huis clos familial étouffant. Il broie des vies à jamais et les hommes coupables sont rarement condamnés (comme le père de christine Angot qui a toujours soutenu qu’elle fabulait !) En parler encore et encore me paraît la seule façon de vaincre (si possible) ce tabou Ancienne avocate j’ai connu des femmes qui, en limite de prescription, ont renoncé à déposer plainte et que je n’ai pas réussi à convaincre de franchir le pas et cela me hante encore. J’apprécie beaucoup vos critiques et votre style -homme érudit que vous êtes – mais là votre critique est celle d’un homme … puissiez vous y réfléchir (ceci dit sans agressivité à l’égard de votre statut masculin !) je ferai un autre commentaire après avoir vu le film.

  5. J’ai vu le film hier. Il peut susciter beaucoup d’interrogations et de débats C’est un documentaire fort et troublant sur les « dommages collatéraux » de ce crime et surtout sur l’effet de l’emprise qui empêche la victime de dénoncer son agresseur auprès duquel elle revient ce qui peut paraitre incompréhensible pour qui n’a jamais vécu l’emprise. C’est un sujet si sensible et traumatisant qu’il faut me semble t il se garder de « juger » la parole de la victime. Je recommande de voir ce film documentaire

  6. mais pourquoi attendre 25 ans pour en faire un film ?Ce ressassement continuel , qui n’en finira jamais ne finit
    il pas par lui nuire ?Bien d’autres comme elle ont subi le même traumatisme, je pense par ex à la chanteuse Barbara, n’est il pas possible de reconstruire sa vie en tournant courageusement la page ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *