Paris au mois d’août (1966) ★★☆☆

Après le départ de sa famille en vacances en Bretagne, Henri Plantin (Charles Aznavour), un modeste employé à la Samaritaine, reste seul à Paris au mois d’août, avec pour seule compagnie quelques voisins, habitués du troquet du coin. Il rencontre à la sortie de son travail, sur le quai de la Mégisserie, Patricia Seagrave (Susan Hampshire) une Anglaise venue à Paris poser pour des photos de mode. Entre les deux cœurs solitaires, une brève idylle se noue.

Paris au mois d’août affichait complet à la séance de la Filmothèque du Quartier latin où je suis allé le voir. Il faisait partie d’un cycle « Paris au cinéma » opportunément programmé par ce cinéma minuscule d’art et essai de la rue Champollion qui enregistre, quel que soit le film à l’affiche, des taux d’affluence records.

Sans doute y a-t-il un effet de miroir amusant à aller voir Paris au mois d’août à Paris, au mois d’août. D’autant que ce film se plaît à montrer les rues parisiennes, telles qu’on les connaît bien, mais telles aussi qu’elles ont considérablement changé en soixante ans. Henri et Pat traversent le Pont-Neuf, remontent la rue Dauphine, contournent le jardin du Luxembourg avant d’arriver au Panthéon. Le lendemain, ils vont visiter les Invalides. Pat pose pour un photographe sur le toit du CNIT à La Défense et au pied de la Tour Montparnasse qui est en train de sortir de terre [PS : Il ne s’agirait pas de la Tour Montparnasse dont les travaux ont commencé en 1969 seulement].

Mois vide, août est à Paris le mois des célibataires pour ceux qui y travaillent pendant que leur famille est partie en vacances. Dans les quartiers chauds de l’Afrique coloniale avait cours pendant ce mois-là une expression qui ne laissait pas la moindre ambiguïté : le mois du Blanc. Bon mari, bon père de famille,  mais étouffant dans une vie trop étroite pour lui, Henri Plantin ne peut pas ne pas céder au charme et à la pétulance de Pat. C’est un tourbillon qui l’emporte, une nouvelle jeunesse qui s’offre à lui et la promesse d’un nouveau départ.

Revoir Paris en noir et blanc au mois d’août est une joie. Partager avec ces vieux amants leur ivresse est un bonheur. Mais Paris au mois d’août souffre d’un handicap rédhibitoire : Charles Aznavour. Il n’est pas crédible un instant. Bob Lemon l’était un peu plus dans Sept ans de réflexion (1955), un film au scénario très proche. Quant à Marilyn Monroe, inutile de dire que son sex appeal était autrement plus atomique que celui de la bien fade Susan Hampshire

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Matria ★★★☆

Ramona, la quarantaine, vit dans une petite ville côtière de Galice entre un mari alcoolique et infidèle et une fille bientôt majeure en mal d’émancipation. Pour assurer leur subsistance, elle cumule plusieurs emplois, dans une poissonnerie, dont elle démissionne après que la nouvelle direction a décidé de rogner son salaire, à bord d’un bateau de pêche et auprès d’un veuf taiseux.

Matria est le premier film du réalisateur Alvaro Gago qui avait déjà réalisé un court métrage éponyme, inspiré de la femme qui avait pris soin de sa grand-mère. Son action se déroule à Ponteverda, sur les rives de l’Atlantique. Le film est entièrement tourné en galicien, une langue qui ressemble suffisamment à l’espagnol pour qu’un spectateur français en reconnaisse les sonorités, mais en diffère au point de l’empêcher d’en comprendre toutes les nuances.

Matria repose sur les épaules de María Vázquez que la caméra ne quitte pas un seul instant. Ramona partage l’énergie désespérée et la résilience têtue des héroïnes des films des frères Dardenne. Filmée en plans-séquences souvent de dos, en constant mouvement, Ramona m’a fait penser à ce que Rosetta serait devenue vingt ans plus tard. Ramona rencontre dans sa vie quotidienne les mêmes obstacles que les héros des films de Ken Loach. Les paysages pluvieux des bords de l’Atlantique rappellent les cieux bas et lourds de l’Angleterre du Nord. Invoquer ces réalisateurs immenses pourrait écraser ce premier film ; mais la référence, pour intimidante qu’elle soit, se veut louangeuse.

Matria dresse un portrait de femme puissante, pour reprendre un mot à la mode. C’est un film social sans misérabilisme ni cliché. Mal distribué dans une période où les salles de cinéma sont closes ou désertées, il risque de passer inaperçu. C’est bien dommage.

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John McCabe (1971)/Josey Wales hors-la-loi (1976) ★★☆☆

John McCabe (Warren Beatty) est un joueur de poker nonchalant et solitaire qui décide de se poser dans une petite ville du nord-est des Etats-Unis. Il y emploie quelques filles jusqu’à ce que l’arrivée de l’une d’elles, Constance Miller (Julie Christie), ne l’incite à se développer. Sa réussite suscite la convoitise. Une offre de rachat lui est soumise. Mais suite à un malentendu, elle est rejetée et McCabe doit se préparer à combattre les hommes de main chargés de l’éliminer.
Josey Wales (Clint Eastwood) est un paisible colon qui travaille sa terre dans le Missouri quand les troupes nordistes la mettent à sac, tuant sa femme et son fils. Il rejoint une milice sudiste, refuse de se laisser désarmer à la fin de la Guerre de Sécession et, accompagné d’un vieil Indien cherokee, sa tête mise à prix, traverse le Texas pour trouver refuge au Mexique.

John McCabe et Josey Wales hors-la-loi est à l’affiche d’un cycle de westerns programmés cet été au Christine Cinéma Club. Ils ont bien des points communs.
Le premier est d’être quasiment contemporains.
Le deuxième est de porter fièrement le nom de leurs héros – même si Warren Beatty partage l’affiche du premier avec Julie Christie – interprété par deux stars alors omnipotentes à Hollywood, qui y faisaient la pluie et le beau temps, produisant, réalisant, jouant le rôle titre de leurs propres films.
Le troisième, peut-être le plus significatif, est d’appartenir à un genre, le western, et à un sous-genre, le western crépusculaire. Après avoir connu son âge d’or dans les 40ies et 50ies, le western entame dans les 70ies un long déclin. Le temps de la Conquête de l’Ouest, des combats glorieux entre de vaillants cowboys et de perfides Indiens dans les paysages majestueux de la Monument Valley, est révolu. Le western devient moins manichéen et plus amer.

Bien qu’il lui soit de cinq ans antérieur, John McCabe est plus emblématique du western crépusculaire que Josey Wales hors-la-loi. Robert Altman, auréolé par la Palme d’or qu’il vient de décrocher à Cannes pour M.A.S.H. filme avec son chef opérateur Vilmos Zsigmond des paysages sans charme, boueux et brumeux, noyés sous la pluie, recouverts par la neige sitôt l’hiver venu. Pas l’ombre d’un Indien, ni même d’un cowboy, mais des brutes sales et saoules dont le seul commerce qu’elles entretiennent avec des femmes est exclusivement sexuel. Le personnage de John McCabe est un anti-héros. Engoncé dans une énorme pelisse, il ne brille ni par son intelligence – c’est Constance Miller qui fait décoller sa petite entreprise – ni par son courage – face aux trois gâchettes dépêchées pour l’abattre, sa première réaction est la fuite. Altman ne cherche pas à le réhabiliter et lui réservera le destin qu’il mérite.

Josey Wales est une figure plus classique du western. C’est un solitaire qui, s’il combat dans une milice sudiste, ne se réduit pas à cet attachement partisan, pas plus que l’amitié contingente qui le lie à deux Indiens qui croisent son chemin ne font de lui un pro-indien. Ce n’est pas non plus un homme vertueux, mu par des principes éthiques supérieurs, ni même par l’unique désir de venger les siens, supplanté avec les années par celui de sauver sa peau. Il n’en reste pas moins un surhomme, comme on en voyait dans les westerns de John Ford et de Sergio Leone (sous la direction duquel Eastwood a fait ses premiers pas) capable de se sortir des situations les plus dangereuses grâce à son sang-froid et à sa gâchette infaillible.

La bande-annonce de John McCabe
La bande-annonce de Josy Wales hors-la-loi

La Mélancolie ★☆☆☆

Malheureuse dans son couple, Watako a un amant. Elle réussit à ménager avec lui quelques parenthèses privilégiées jusqu’à sa mort brutale quasiment sous ses yeux. Le chagrin de Watako est d’autant plus poignant qu’elle est dans l’obligation de l’étouffer.

Le jeune réalisateur Takuya Katô utilise le triangle amoureux mari-femme-amant d’une façon étonnante. Ce triangle a été usé jusqu’à la trame au cinéma ou au théâtre,  sous le mode du drame (Jules et Jim), de la comédie (Vicky Cristina Barcelona) voire du polar (Liaison fatale). Il en donne une image, à ma connaissance, jamais vue en faisant disparaître l’amant et en interdisant à la femme d’en porter le deuil, sauf à révéler son adultère.

Ce deuil confisqué est le sujet du film. Un sujet d’autant plus intéressant qu’il est inédit. Il plonge son héroïne dans un état qu’on pensait démodé : la mélancolie. Se combinent ainsi deux exotismes : celui du lieu, le Japon, où le film est tourné et celui d’une époque révolue à laquelle on associe spontanément la mélancolie : les années trente et les personnages désespérés des romans de Drieu la Rochelle.

Ainsi présenté, le programme est alléchant. Hélas le résultat déçoit ces espérances excessives. La Mélancolie est un film minimaliste et qui se revendique tel, jusqu’à son refus obstiné jusqu’au tout dernier plan de tout accompagnement musical. Le silence dans lequel il nous plonge est déroutant. Le cinéma contemporain ne nous y avait pas habitués.

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Ludwig : Le Crépuscule des dieux (1972) ★★☆☆

Avec une grande fidélité aux faits historiques, Ludwig raconte le règne tourmenté du roi de Bavière de 1845 à 1886.
Le jeune Ludwig monte sur le trône à dix-neuf ans à peine. Il se désintéresse vite de la gestion de l’Etat alors même que l’Allemagne est en train de s’unifier à marche forcée sous la domination de la Prusse dont la Bavière deviendra en 1871 un vassal. Il lui préfère les arts : la musique (il voue une admiration folle à Richard Wagner dont il est le mécène et satisfait au moindre de ses caprices) et l’architecture (il se fait construire dans les Alpes bavaroises, à Neuschwanstein, à Linderhof et à Herrenchiemsee, des chateaux de contes de fées). Après avoir rompu ses fiançailles avec sa cousine Sophie-Charlotte, il s’isole de plus en plus. Il prend dans sa domesticité de nombreux amants. Un collège de psychiatres lui diagnostique une paranoïa sévère qui ouvre la voie à sa destitution. Le lendemain de son internement dans un asile psychiatrique, âgé de quarante ans, il se noie dans le lac voisin avec son médecin.

Tout dans la personnalité et l’histoire du roi-fou devait attirer Luchino Visconti, qui s’était autoproclamé « biographe de l’Allemagne », lui avait déjà consacré deux films sublimes et crépusculaires, Les Damnés et Mort à Venise, et travaillait à l’adaptation impossible de La Montagne magique qu’il ne réalisa jamais.

Comme Mort à Venise, Ludwig exalte un parfum vénéneux. Tout y est sublime ; tout y est morbide. Comme dans Mort à Venise, l’homosexualité est un thème central du film. Ludwig a tenté sans succès toute sa vie de se battre contre ses penchants. Il a nourri une passion platonique pour sa cousine, l’impératrice Elizabeth d’Autriche et a failli épouser sa sœur cadette. Mais malgré sa foi catholique et l’insistance de son confesseur, Ludwig ne se résoudra pas à concrétiser cette union. Sa passion pour les arts sera pour lui une manière de transcender ses pulsions.

Pour interpréter Ludwig, Visconti choisit son propre amant, Helmut Berger. Il avait déjà tourné sous sa direction dans Les Damnés, travesti en Marlène Dietrich. Le jeune homme – il a trente-quatre ans de moins que le réalisateur – est d’une beauté surnaturelle. Sa mélancolie, son hystérie en font un Ludwig parfait. Le film, très sombre, dont la plupart des scènes se passent la nuit ou, de jour, sous des cieux enneigés, est traversé par un rayon de lumière : Romy Schneider y reprend le rôle qui l’a rendue célèbre et le tire du côté de la vie. Elle convainc Ludwig de s’affranchir de l’étiquette de la cour comme elle a osé le faire elle-même ; mais Ludwig utilisera cette liberté pour se replier sur lui-même et se cloîtrer.

Ludwig est sans doute un chef d’œuvre. Mais c’est un chef d’œuvre qui se mérite. Les producteurs imposèrent une version raccourcie de trois heures. Celle que j’ai vue la semaine dernière, à l’occasion d’une rétrospective Visconti, dure près de quatre heures. Y gagne-t-on au change ? Le propos n’aurait-il pas mérité d’être resserré ?

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Que notre joie demeure ★☆☆☆

Le sauvage assassinat du père Jacques Hamel le 26 juillet 2016, dans son église de Saint-Etienne-du-Rouvray, où il disait la messe, a durablement frappé l’opinion.
Que notre joie demeure retrace en parallèle les derniers jours de la vie du prêtre et ceux de son assassin.

Cheyenne Carron réalise depuis vingt ans des films à l’audience confidentielle. Que notre joie demeure est le quinzième. La réalisatrice autodidacte revendique sa foi religieuse. Elle imprègne ses œuvres. C’est suffisamment rare pour la distinguer du tout-venant.

L’assassinat du père Hamel était pour elle pain bénit, si on ose dire, pour exalter la mémoire de cet homme d’Eglise, dont la réalisatrice documente – sans qu’on sache la part de fiction ou de réalité – la bonté et l’empathie. C’est quasiment la même démarche qu’avait suivie Étienne de Montety, Grand Prix du roman de l’Académie française en 2020 pour La Grande Épreuve.

Comment allait-elle traiter son assassin, Adel Kermiche ? On découvre, loin de l’image qu’on s’en était faite a priori, un jeune homme de bonne famille, aimé par une mère qui avait fui la décennie noire en Algérie. On comprend qu’il a fait de la prison et qu’il s’y est radicalisé. On est loin de la caricature islamophobe qu’on redoutait, mais pour autant, on peine à se sortir de celle d’un homme habité par le Diable (les derniers mots du père Hamel auraient été : « Va-t-en Satan »).

Que notre joie demeure est curieusement monté. On aurait imaginé qu’il commence par les images de l’assassinat et soit construit en flashbacks présentant alternativement des scènes de vie des deux hommes. Sa construction est différente : sa première moitié est consacrée au père Hamel, sa seconde à Abdel Kermiche jusqu’à leur rencontre fatale le 26 juillet.

Baigné de religiosité, Que notre joie demeure est un hymne à un martyr. Il encense la figure héroïque du père Hamel, mais n’éclaire pas celle de son bourreau.

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Full River Red ★☆☆☆

Au XIIème siècle, un meurtre a été commis à la Cour impériale. Une missive de la plus haute importance a été dérobée. L’enquête est confiée à un soldat sans grade qui comprend vite qu’il est le jouet de forces qui le dépassent.

Full River Red est devenu un phénomène de société en Chine où il a battu l’an passé tous les records du box office. Il est l’œuvre de Zhang Yimou qui, après avoir signé quelques uns des plus grands films du cinéma chinois (Le Sorgho rouge, Épouses et Concubines…), est devenu le réalisateur officiel du régime communiste, qui lui a notamment confié la supervision de la cérémonie d’ouverture des J.O. à Pékin en 2008.

Full River Red n’est pourtant pas un film à grand spectacle à l’image de La Grande Muraille, cette ode à peine déguisée au nationalisme chinois que Zhang Yimou avait réalisée à grands frais en 2016 avec Matt Damon en guest star hollywoodienne. On n’y trouve pas de batailles cyclopéennes ou de monstres venus d’une autre planète. Tout s’y passe à huis clos, en petit comité, dans les arrière-cours de la cité impériale.

L’intrigue de Full River Red est particulièrement complexe. Elle réserve son lot de surprises, pas toujours compréhensibles. Le scénario  est constitué d’une succession métronomique de scènes qui mettent en présence les différents protagonistes selon des combinaisons variables : l’inspecteur interroge successivement le chef de la garde, les prostituées qui ont passé la nuit avec la victime, le directeur de cabinet du Grand Chancelier. Entre chacune de ses scènes, les protagonistes se déplacent à l’intérieur du palais au son d’une anachronique musique qui mélange des instruments traditionnels et une rythmique très contemporaine.

Full River Red s’étire sur près de trois heures dont on sort essoré, sans être tout à fait sûr d’avoir saisi tous les ressorts de l’intrigue mais soulagé d’avoir compris son titre. Il fait référence à un des poèmes les plus célèbres de l’histoire chinoise, attribué au général Yue Fei. Une sorte de Marseillaise avant l’heure qui a une résonance toute particulière : son évocation des « territoires perdus » renvoie à la reconquête de Taïwan.

Le succès de Full River Red interroge doublement. Il montre les limites du soft power chinois : ce film-là est trop loin de nos canons, trop long, trop alambiqué, pour séduire un public occidental. Plus tristement, il montre les limites de l’universalité du septième art : ce qui plaît en Chine ne plaît pas nécessairement ailleurs. Tous les spectateurs du monde ne se ressemblent pas et ne vibrent pas aux mêmes spectacles.

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Le Roman de Jim ★★★☆

Aymeric (Karim Leklou) est un gentil garçon. Après un passage en prison, pour un cambriolage auquel de mauvaises fréquentations l’avaient associé, il tombe amoureux de Florence (Laetitia Dosch) et élève Jim, l’enfant qu’elle a eu avec Christophe, comme si c’était le sien. Les années passent, heureuses, dans une ferme retirée du Haut-Jura. Mais l’usure du couple et le retour de Christophe provoquent la rupture. Florence, Christophe et Jim partent au Canada laissant Aymeric seul et détruit. Il se reconstruira auprès d’Olivia (Sara Giraudeau).

Au cœur d’un été bien pauvre en sorties cinématographiques, Le Roman de Jim constitue une surprise bienvenue. Une surprise de la part des frères Larrieu qui ne nous avaient pas habitués à autant de classicisme et dont le cinéma un peu foutraque ne m’avait pas toujours embarqué (j’ai détesté Tralala que d’autres ont pourtant adoré). Une surprise d’un film à la construction originale, qui s’étend sur un quart de siècle sans presque sortir du Jura (on reconnaît Saint-Claude et les bords du lac de Vouglans).

J’ai eu la chance de voir Le Roman de Jim en avant-première, en présence de Karim Leklou, un acteur que j’adore depuis ses tout premiers films. Coup de chaud était un petit film français sans grande ambition qui, de mon point de vue, frôlait la perfection et que j’ai classé en 2015 dans mon Top5. Je l’ai beaucoup aimé dans la série Hippocrate, dans BAC Nord ou, plus récemment encore, dans Temps mort. Cet acteur atypique a une manière unique de mouvoir ses kilos excédentaires. Il a dans le regard, selon les cas, une douceur qui fait fondre ou un éclat de folie qui terrifie.

Il est remarquablement entouré par trois actrices qui ont en commun une étonnante particularité : une voix immédiatement reconnaissable. Laëtitia Dosch, Sara Giraudeau et Noée Abita, hélas sous-employée dans un rôle trop secondaire, ont des voix de petit canard qui, selon les cas, réjouissent ou horripilent. Elles sont aussi toutes les trois, chacune à leur façon, extraordinairement douées.

Le titre du film est trompeur. Son héros est moins Jim qu’Aymeric. La question qui y est posée n’est pas neuve. C’est celle de la filiation et de ses deux dimensions biologique et affective. Tout récemment, deux films espagnols nettement moins réussis que Le Roman de Jim la traitaient : Dos Madres et León. Ici, elle est posée du point de vue du père adoptif sans droit sur l’enfant qu’il a éduqué et chéri.
Mais Le Roman de Jim n’est pas un film à thèse. Son vrai sujet, c’est le destin d’un homme, le roman d’Aymeric, qui est loin d’être un héros, mais qui a une qualité rare : une profonde gentillesse. Un tel sujet pourrait prêter à la caricature. Mais grâce à la justesse de l’écriture, grâce à la qualité de l’interprétation de Karim Leklou et des actrices qui l’entourent, Le Roman de Jim ne tombe jamais dans la mièvrerie.

Le Roman de Jim est l’adaptation d’un livre à succès, sorti il y a trois ans à peine, de Pierric Bailly, que je suis impatient de lire. Des amis au goût très sûr m’en ont déjà dit beaucoup de bien. Il me tarde de le lire et de retrouver à sa lecture l’immense plaisir que j’ai pris à ce film.

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Eat the Night ★★☆☆

Pablo (Théo Cholbi qui avait déjà promené sa tête de mauvais garçon dans La Nuit du 12, Les Harkis, Marguerite ou Coup de Chaud) et Apolline (Lila Gueneau) sont frère et sœur. Ils vivent seuls dans un pavillon de la banlieue du Havre. Leur père travaille au loin et n’y fait que de brèves apparitions ; leur mère est morte ou partie sans donner de nouvelles. Leur complicité s’incarne dans un jeu en ligne, Darknoon, auquel leurs avatars participent depuis des années mais dont la mise hors ligne vient d’être annoncée. Cette nouvelle bouleverse Apolline qui consacre tous ses loisirs à ce jeu. Elle semble moins toucher son frère aîné qui fabrique de l’ecstasy et la commercialise, et qui vient de faire la rencontre de Night (Erwan Kepoa Falé).

Caroline Poggi et Jonathan Vinel forment en couple à la ville et à la scène. Ils se sont rencontrés à Paris durant leurs études de cinéma. Ils avaient signé en 2018 un premier long, Jessica Forever qui jouait avec les codes du jeu vidéo, de l’heroic fantasy et de la science-fiction et qui ne m’avait guère convaincu. Je craignais d’avoir passé l’âge de goûter ce cinéma trop adolescent pour moi et avais hésité à aller voir leur second.

C’eût été dommage. Certes, j’étais probablement le spectateur le plus âgé de la salle – ce qui m’arrive hélas (et logiquement) de plus en plus souvent. La réaction d’un jeune couple à côté de moi, qui a quitté bruyamment la salle après une scène de sexe très explicite entre Pablo et Night, m’a d’ailleurs fait sourire : l’âge n’a rien à voir avec l’homophobie.

Eat the Night est une histoire à deux niveaux. Le premier, c’est le jeu vidéo Darknoon, spécialement créé pour les besoins du film par le DFJ Lucien Krampf et l’artiste 3D Saradibiza. Cet univers virtuel constitue pour Apo à la fois un exutoire et une raison de vivre. C’est là qu’elle retrouve son frère, qui dans la vraie vie est de plus en plus absent ; c’est là aussi qu’elle noue avec Night une impossible relation.
Le second niveau c’est la vie, elle bien réelle, de Pablo, la vie d’un petit trafiquant en butte à l’hostilité d’une bande rivale et dont les horizons s’ouvrent lorsqu’il fait la rencontre de Night.

Eat the Night relève le pari pas évident de mélanger les formes, d’être à la fois un film naturaliste, sur l’entrée dans l’âge adulte de deux adolescents abandonnés à eux-mêmes, sans phare ni balise, et de comporter de longues séquences de jeux videos qu’un vieux boomer comme moi a réussi à trouver convaincantes. C’est aussi une histoire déchirante, aux faux airs de tragédie antique, très bien écrite, aux rebondissements dramatiques qui m’a ému et m’a tenu en haleine tout du long.

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Belle Enfant ★☆☆☆

Emily (Marine Bohin), la vingtaine, a mis de la distance avec ses deux sœurs et sa mère, Rosalyne (Marisa Berenson), une femme artiste et bohême. Emily reproche à sa mère de ne s’être pas assez consacrée à elles. Atteinte d’un cancer incurable, Rosalyne a annoncé par une video qu’elle a mise en ligne son désir de mettre fin à ses jours. La décision et le procédé révoltent sa fille. Seul un subterfuge la conduit à rejoindre ses sœurs, sa mère et son oncle (Albert Delpy) pour une ultime réunion familiale. En chemin, à Gênes, son chemin croise celui de Gabin (Baptiste Lecaplain).

Belle Enfant est le premier film de Thierry Terrasson alias Jim, un auteur de bandes dessinées. Il met en scène des acteurs peu connus dans un cadre idyllique : Gênes et la côte ligure, plongeant à pic dans la Méditerranée. On aimerait connaître l’agent immobilier qui a dégoté l’incroyable villa où se retrouvent les protagonistes…

Le film commence bien. Le premier tiers est l’occasion de camper les personnages, à commencer par l’héroïne Emily, jouée par une débutante, Marine Bohin, sacrément talentueuse. Son naturel, sa fraîcheur font merveille. La spontanéité et la drôlerie de ses échanges avec ses sœurs, Salomé la frigide et Cheyenne la nymphomane, font mouche. Le deuxième tiers du film voit l’arrivée de l’autre personnage principal, Robin. Il est joué par l’humoriste Baptiste Lecaplain, On sait par avance que ces deux-là finiront par tomber dans les bras l’un de l’autre ; mais les détours qu’ils prennent avant d’y parvenir n’en sont pas moins hilarants.

Le film est gâché par son dernier tiers. Une réunion familiale qui tourne au règlement de comptes et à la réconciliation prévisible larmoyante de tous les membres de cette famille dysfonctionnelle. D’autant que cette dernière partie s’étire par des fins à tiroirs, comme si Jim n’avait pas su tirer un trait sur cette histoire. Dommage…

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