El Agua ★☆☆☆

Les adolescents meublent l’ennui d’un été étouffant dans un petit village du sud-est de l’Espagne. Ils traînent, boivent, fument, dansent… Une idylle se noue entre Ana, dont la mère tient le bar du village, et José, qui a longtemps vécu à l’étranger, dont le père est le propriétaire d’un champ de citronniers.
Une vieille rumeur court : la rivière qui traverse le village peut tomber amoureuse d’une jeune fille, déborder de son lit et l’entrainer avec elle.

La jeune réalisatrice Elena Lopez est allée tourner dans son village natal, à mi-chemin d’Alicante et de Murcie, un film de fiction à la forte teneur ethnographique. On y voit, comme dans un documentaire, plusieurs habitantes raconter face caméra la légende qu’elles se transmettent de génération en génération.

Cette légende fantastique constitue l’arrière-plan de ce film dont le sujet sinon serait banalement classique : il s’agit de raconter, comme on l’a déjà fait mille fois, les premières amours d’un groupe d’adolescents (peut-être parce que le film se déroule en Espagne et que les sonorités me l’ont rappelé, j’ai pensé au long documentaire de Jonás Trueba Qui à part nous ?).

Pendant tout le film, l’orage couve. Il se déchaînera dans son tout dernier quart d’heure. Pour le montrer, la réalisatrice utilisera des images tournées, parfois à partir d’un simple téléphone portable, pendant l’ouragan qui a submergé la petite ville d’Orihuela en septembre 2019.

Mais jusqu’à ce dénouement apocalyptique – que je ne suis d’ailleurs pas sûr d’avoir compris – le film pâtit de sa longueur et de sa langueur. Ses deux héros, Ana et José, tombent si vite amoureux l’un de l’autre qu’aucune tension, aucun suspens n’a le temps de s’installer. Le film fait du surplace, ne raconte rien et ne montre pas grand’chose.

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Sois belle et tais-toi ! (1977) ★★☆☆

Sois belle et tais-toi ! est construit à partir de vingt-trois interviews données à Delphine Seyrig par des actrices françaises et américaines en 1976 et 1977. Elles témoignent du sexisme dont elles sont victimes dans leur métier, de l’omnipotence des hommes à tous les postes d’influence (réalisateurs, producteurs, agents…), de la pauvreté et du formatage des rôles « de mère ou de putain » qui leur sont proposés, du jeunisme qui les condamne, passé un certain âge, à l’invisibilité…

La grande actrice Delphine Seyrig fut une féministe engagée. Elle signa le manifeste des 343 et organisa dans son appartement la première IVG réalisée en France avec la méthode Karman (sujet du film Annie colère). À la tête du collectif des Insoumuses, elle tourne des vidéos féministes. Sois belle et tais-toi ! est l’une d’entre elles, qui n’avait pas vocation à sortir en salles et n’y sortit d’ailleurs que tardivement en 1981 et brièvement. Fort de l’actualité que MeToo lui redonne, il est ressorti dans quelques salles parisiennes le mois dernier. La projection à laquelle j’ai assisté a été suivie d’un débat haut en couleurs.

Deux voix antagonistes s’y sont fait entendre. La première salue l’actualité toujours brûlante du procès instruit par ce documentaire avant-gardiste. Elle dénonce les inégalités dont souffrent toujours les femmes dans le milieu du cinéma, mentionne les révélations d’abus sexuels qui l’ont entaché (dont Sois belle et tais-toi ! ne parle pourtant pas).
La seconde rend également hommage à cette oeuvre pionnière mais insiste plutôt sur les progrès réalisés, mettant en avant, même si elles restent minoritaires les réalisatrices qui ont réussi, non sans mal, à se faire un nom, et surtout la place accrue que les films, même s’ils restent tournés par des hommes, donnent aux femmes. Certes en effet, on peut légitimement regretter que les cinq films nommés aux derniers Césars du meilleur film aient tous été réalisés par des hommes ; mais il faut avoir l’honnêteté de saluer qu’ils faisaient quasiment tous la part belle aux femmes (La Nuit du 12, En corps, L’Innocent, Les Amandiers…).
L’une voit le verre à moitié vide, l’autre à moitié plein…

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Mon crime ★★★☆

Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz) et Pauline Mauléon (Rebecca Marder) partagent une chambre de bonne dont elles ne parviennent plus à payer le loyer. La première est une artiste sans cachets, la seconde une avocate sans clients.
Mais la chance semble leur sourire quand Madeleine est suspectée du crime d’un célèbre producteur retrouvé tué d’une balle dans la tête juste après avoir reçu la jeune actrice sur la promesse d’un rôle et avoir tenté d’abuser d’elle. Pauline y voit l’occasion pour son amie, qui s’accusera d’un crime qu’elle n’a pas commis et plaidera la légitime défense, et pour elle qui en assurera brillamment la défense, de devenir célèbres et de sortir de la pauvreté.

François Ozon, décidément l’un des tout meilleurs réalisateurs français contemporains, est de retour, comme chaque année, avec la même régularité métronomique qu’Amélie Nothomb à chaque rentrée littéraire. Après l’adaptation de deux romans en 2020 (Été 85 dont la jeune révélation Felix Lefebvre tient un petit rôle dans Mon crime) et 2021 (Tout s’est bien passé), Ozon adapte à nouveau, comme il vient de le faire en 2021 avec Peter von Kant, une pièce de théâtre.

Il s’agit d’une pièce de boulevard, signée Georges Berr et Louis Verneuil, qui fut un grand succès dans les années 30 avant de sombrer dans l’oubli. Ozon est amateur du genre : il avait déjà ressuscité des pièces surannées – la première datait de 1958, la seconde de 1980 – pour réaliser Huit femmes et Potiche.
Ozon n’a pas son pareil pour s’emparer de ce matériau-là et en assumer avec une sympathique effronterie toute l’artificialité.

La Grande Magie réunissait quasiment les mêmes ingrédients : l’une des réalisatrices les mieux introduites de la place de Paris, une pléiade d’acteurs tous plus bankables les uns que les autres – y inclus Rebecca Marder – l’adaptation d’une pièce de théâtre à succès et une intrigue qui se déroulait dans l’entre-deux-guerres. Et pourtant La Grande Magie ne m’a pas plu. Pourquoi ? Parce que La Grande Magie, sous des dehors de légèreté, se prenait au sérieux, alors que Mon crime n’a pas ce travers.

Mon crime est léger comme une coupe de champagne qui se consomme le sourire aux lèvres en grignotant des fraises. Tout y est spirituel et pétillant.
Ozon – qui sait attirer autour de lui les meilleurs acteurs du moment – réunit le duo le plus prometteur du jeune cinéma français : Nadia Tereszkiewicz, auréolée de son récent César du meilleur espoir féminin pour son rôle dans Les Amandiers et Rebecca Marder, coiffée au poteau par la précédente pour cette distinction qu’elle aurait amplement méritée pour son interprétation dans Une jeune fille qui va bien.

Mon crime fait le pari audacieux de les entourer d’une luxueuse galerie de seconds rôles, qui ont tous l’âge d’être leurs grands-parents et qu’on avait, pour certains, perdu l’habitude de voir à l’écran : Daniel Prévost, Régis Laspalès, Franck de La Personne (blacklisté pour ses sympathies frontistes), Myriam Boyer, Evelyne Buyle… Je ne peux évidemment pas ne pas évoquer Fabrice Lucchini, qui tente désespérément d’arriver à la cheville de Louis Jouvet, et Isabelle Huppert dont l’honnêteté m’oblige à reconnaître qu’elle est désopilante d’autodérision dans le rôle d’une vieille actrice sur le retour.

Sorti le 8 mars, mettant en vedette deux héroïnes, Mon crime s’affiche volontiers comme un film féministe. Mais on peut s’interroger sur cette classification flatteuse. Grâce à la chaleureuse sororité qui l’unit à Pauline, Madeleine, dont son fiancé veut faire sa maîtresse et que le juge d’instruction prend pour une grue, va prendre sa revanche sur la phallocratie. Mais cette revanche n’est nullement subversive. Madeleine et Pauline ne renversent pas les règles d’un monde honni mais y cherchent et y trouvent leur place.

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Tel Aviv – Beyrouth ★☆☆☆

C’est l’histoire éclatée sur trois moments (1984, 2000 et 2006) de deux femmes libanaise et israélienne qui partagent des racines françaises. La première, Tanya, a un père officier dans l’Armée du Sud Liban qui a collaboré en 1984 avec l’envahisseur israélien et qui n’a eu d’autre issue en 2000, lorsque Tsahal s’est retiré, que de quitter le Liban. La seconde, Myriam, de quelques années plus âgée, est mariée à un officier du renseignement israélien qui combat au Liban et qui y a connu le père de Tanya. Elle a eu un fils qui part faire son service militaire en 2006 et qui est fait prisonnier au front.

La réalisatrice Michale Boganim a grandi en Israël avant l’installation de ses parents en France. Son précédent film était un documentaire consacré aux Mizrahim, ces Juifs orientaux, originaires du Maroc, d’Algérie, de Syrie, du Yemen, attirés en Terre promise par la promesse d’une vie meilleure, mais souvent relégués dans des cités pionnières, en lisière du désert, et cantonnés à des tâches subalternes. Tel Aviv – Beyrouth prend la forme de la fiction mais aurait pu tout aussi bien nourrir un documentaire, voire une série tant son sujet est riche.

Son titre est trompeur : de Tel Aviv ou de Beyrouth on ne verra pas une seule image. Mais son titre n’est pas idiot : il s’agit d’étudier la relation complexe entre deux pays voisins sinon frères, déchirés par une guerre permanente dont on ne voit pas l’issue. Il aurait pu tout aussi bien s’intituler La Frontière ; car c’est à ce point précis que tout se joue et c’est là que le destin toujours ramène Tanya et Myriam.

Le problème de ce film est sa densité et sa complexité. Le résumé que j’en ai fait, qui ne brille pas par sa lisibilité, simplifie pourtant largement une intrigue qu’il faut patiemment reconstituer à la sortie de la salle si on veut la comprendre. Il y a trop de personnages, trop de faits dans ce film surchargé où l’on saute, sans qu’on le comprenne toujours, d’un lieu à l’autre, d’une période à l’autre. Dommage….

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L’Homme le plus heureux du monde ★☆☆☆

Asja, la quarantaine, s’est inscrite à une journée de speed dating. Elle y retrouve Zoran, un homme de son âge, avec qui elle avait déjà échangé quelques messages électroniques. Mais rien ne se passera comme prévu.

Du lard ou du cochon ? Le titre du film, son affiche, le résumé qu’on en lit sèment la confusion. L’Homme le plus heureux du monde s’annonce comme une joyeuse comédie de mœurs. On attend quelques scènes cocasses et drôles sur le speed dating, les rencontres improbables qu’il provoque, les alchimies étonnantes qu’il suscite parfois…

Rien de tel en fait. Ou plutôt, pas vraiment ça ; car L’Homme le plus heureux…. ne peut pas s’empêcher d’utiliser cette toile de fond très fertile pour caractériser la situation et développer quelques intrigues secondaires.

Mais son sujet n’est pas là. On le découvre très vite. Le film se déroule en Bosnie et cette localisation n’est pas anodine. Il s’agit d’y cicatriser les plaies encore ouvertes d’un passé douloureux. Une trentaine d’années plus tôt, lors du siège de Sarajevo, Zoran, enrôlé de force par les milices serbes avait pris dans sa ligne de mire Asja et lui avait décoché entre les omoplates une balle qui l’avait durablement plongée dans le coma.
C’est cette confession un peu folle que Zoran fait à Asja en implorant son pardon.

Cette information nous parvient dès le premier tiers du film. Et elle en épuise l’intérêt. Car les deux tiers restants se retrouvent privés de carburant, à n’avoir rien à dire.
C’est d’autant plus dommage que ce second film d’une réalisatrice nord-macédonienne, dont on avait vu avec intérêt le premier (Dieu existe, son nom est Petrunya), avait attisé notre curiosité.

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La Romancière, le Film et le Heureux Hasard ★★☆☆

Une célèbre romancière retrouve dans un quartier excentré de Séoul une ancienne amie qui tient une librairie. Elle croise ensuite un réalisateur et sa femme, une jeune actrice de cinéma qui vient de décider de faire une pause dans sa carrière et, de retour dans la librairie de son amie, un vieux poète qu’elle avait connu de nombreuses années plus tôt.
Après cette journée riche en rencontres, elle décide avec la jeune actrice de réaliser un court métrage.

Six mois après son dernier film en date, Juste sous vos yeux, six mois avant la sortie de son prochain, Walk up, déjà diffusé en festival, le prolixe réalisateur coréen Hong Sangsoo est de retour sur les écrans avec sa vingt-neuvième réalisation.

Avec le masochisme qui me caractérise, j’en ai vu une bonne vingtaine depuis que ma belle-soeur me raconta avec hilarité l’état d’hébètement dans lequel l’avait laissée son tout premier, Le jour où le cochon est tombé dans le puits (ex aequo à l’Index familial avec Khroustaliov, ma voiture !).

Le cinéma de Hong Sangsoo m’a fait passer par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. J’ai d’abord salué la fraîcheur de ce « Rohmer coréen » – l’expression a tellement été utilisée que je ne devrais la mentionner qu’en rougissant. Puis, très vite, je me suis lassé de ses dispositifs répétitifs : des rencontres hasardeuses  dans les rues de Séoul et de longs dialogues vite brouillés par les vapeurs de l’alcool avec de brusques ellipses qui en rendaient la compréhension malaisée. Cette lassitude a ensuite laissé la place à l’irritation : j’ai même reproché à Hong Sang soo de se ficher de nous avec son stakhanovisme, ses scénarios indigents, ses zooms épileptiques (Introduction). Et finalement, je suis revenu à un jugement plus mesuré.

À quoi est due cette évolution vers plus d’aménité ? Le cinéma de Hong Sangsoo a-t-il changé ? La soixantaine approchant, il se serait lesté de sujets plus graves comme dans Hotel by the River ou dans Juste sous vos yeux. Mais surtout, me semble-t-il, je me suis lentement mais sûrement accoutumé à sa grammaire. Comme le café sans sucre que j’ai d’abord trouvé insupportablement amer avant de m’y habituer – au point de ne plus tolérer de le boire sucré – j’ai fini par me faire au cinéma de Hong Sangsoo.

Je lis ici ou là des critiques cinglantes de La Romancière…. Je les comprends volontiers car j’aurais pu les signer au mot près : scénario inconsistant, noir et blanc sans poésie, personnages sans relief, plans fixes interminables, etc.
Pour autant, je ne les ferai pas miennes. Car j’ai pris un certain plaisir à ce film, comme celui que l’on prend à prendre un verre avec un vieil ami dont on aurait cessé de réprouver les défauts les plus irritants.

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La Syndicaliste ★☆☆☆

Maureen Kearney, militante CFDT, secrétaire du comité de groupe européen d’Areva, en conflit ouvert avec Luc Oursel, le nouveau PDG du groupe, affirme avoir été agressée à son domicile le 19 décembre 2012, cagoulée, ligotée et violée. L’enquête menée par la gendarmerie ne retrouve pas la trace de son agresseur et se retourne bientôt contre elle, l’accusant d’avoir dénoncé un crime imaginaire. Elle est condamnée de ce chef en première instance en 2017 mais blanchie de ces accusations en appel en 2018.
Ces faits ont été relatés dans un livre écrit en 2019 par une journaliste d’investigation, Caroline Michel-Aguirre. C’est ce livre, La Syndicaliste, que Jean-Paul Salomé, qui avait déjà dirigé Huppert dans La Daronne, a porté à l’écran.

Levons d’abord quelques malentendus autour de ce film, son titre et son affiche. Découvrir que la grande Isabelle Huppert tournerait dans un film intitulé La Syndicaliste et en découvrir l’affiche où on la voit en tête d’un défilé au milieu de ses camarades de lutte, m’avait arraché – ainsi qu’à quelques autres – des sarcasmes narquois. J’imaginais assez mal en effet que l’immense interprète de Phèdre, de Mary Stuart ou de Orlando enfile un bleu de travail ou tienne un piquet de grève sur un rond-point. Je me trompais bien sûr. Car une grande artiste peut tout jouer et Isabelle Huppert a déjà joué bien des rôles de prolétaires : dans La Cérémonie par exemple où elle interprétait une employée de maison qui, avec Sandrine Bonnaire, fomentait l’assassinat de ses patrons façon Les Bonnes.

Mais je me trompais surtout sur le sujet de ce film dont le titre est trompeur. Il n’y est guère question de lutte syndicale mais plutôt de manoeuvres au sommet de l’Etat et de lanceurs d’alerte. Loin du préjugé que j’avais conçu, Huppert n’y joue pas une syndicaliste en grève, mais plutôt une femme de pouvoir, occupant un bureau à l’étage noble du siège d’Areva, siégeant à son conseil d’administration et vivant, en famille, grand train avec résidence principale à Versailles et luxueuse résidence secondaire les pieds dans l’eau du lac d’Annecy. Plus Nicole Notat que Philippe Martinez en somme.
Cette précision m’en autorise, en réplique, une autre : reprocher à Huppert d’interpréter encore et toujours le même rôle, celui d’une grande bourgeoise tirée à quatre épingles, juchée sur de vertigineux stilettos, le maquillage et le chignon impeccables, la bouche pincée, éternelle victime de la violence des hommes (Philippe Bouvard lui avait décoché : « Vous êtes la femme la plus violée du cinéma français »), mélange de faiblesse et de force.

Un dernier mot sur l’affiche du film, puisqu’elle a fait beaucoup jaser. Isabelle Huppert y fait une bonne trentaine d’années de moins que son âge. Miracle de Photoshop ou du lifting ? On souligne la ressemblance entre Huppert et le personnage qu’elle incarne. Soit. Mais à quoi bon faire ressembler une actrice à un personnage dont personne ne connaissait jusqu’alors les traits ? Et surtout, pourquoi avoir voulu rajeunir de trente ans une sexagénaire, en photoshoppant son image, pour incarner un personnage de … dix ans sa cadette ?

Mais revenons au film.
Et c’est bien là que le bât blesse.
La Syndicaliste veut révéler un « complot d’Etat » – Clémentine Autain, députée LFI a d’ailleurs appelé à la création d’une commission parlementaire d’enquête pour l’élucider. Mais n’est pas Claude Chabrol qui veut, qui, avec Isabelle Huppert déjà, avait réalisé un film, L’Ivresse du pouvoir, sur l’affaire Elf et l’instruction menée par Eva Joly avec autrement de talent.
Ici tout est manichéen. À commencer par le nouveau PDG d’Areva, Luc Oursel, interprété par Yvan Attal, ambitieux et sanguin. Sa veuve et ses enfants viennent d’ailleurs de signer dans le JDD une tribune accusant le film d’avoir sali la mémoire du défunt.

Paradoxalement, c’est l’interprétation de Huppert qui sauve le film de ce manichéisme. Car elle est  – comme elle sait si bien l’être dans tous ses films – tellement désagréable, revêche et hystérique que, à rebours de l’intention du livre, qui faisait de Maureen Kearney la victime innocente d’un crime odieux, elle finit par semer le doute sur son éventuelle culpabilité dans les événements du 19 décembre 2012, dont pourtant en 2018, la justice l’a blanchie.

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Droit dans les yeux ★★☆☆

Pendant deux années, Marie-Francine Le Jalu a filmé les étudiants de la clinique juridique créée à la faculté de droit de Paris-Saint-Denis. Ils reçoivent des justiciables qui leur exposent leurs difficultés : certains sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français, d’autres réfléchissent à leur succession, d’autres encore veulent s’assurer, avant de postuler à un emploi, de l’effacement de leur casier judiciaire de peines auxquelles ils ont été condamnés. Sous le contrôle de leurs professeurs, les étudiants fournissent à leurs interlocuteurs des conseils juridiques.
Accompagnée de deux d’entre eux, la réalisatrice est venue présenter son film à l’Escurial dimanche dernier et a débattu avec la salle.

Quel joli titre. Droit dans les yeux parle de regards – même si sa curieuse affiche ne permet pas de comprendre qui les lance. Il est constitué essentiellement de gros plans sur les visages des deux étudiant.e.s qui reçoivent des administrés et qui essaient, le plus impassiblement possible, et tout en essayant de mettre leurs interlocuteurs à l’aise, de consigner les faits utiles à l’instruction de leurs requêtes.

Mais Droit dans les yeux parle surtout de droit. De droit et de justice et du fossé qui parfois les sépare. Il le fait sans manichéisme, sans tomber dans les chausse-trappes de la bien-pensance. Si un avocat parisien franchit le périphérique pour une intervention devant les étudiants de Saint-Denis dans laquelle, croyant les caresser dans le sens du poil, il entonne l’air bien connu « La banlieue a du talent », le montage montre la réaction d’un étudiant qui n’apprécie guère cette démagogie. Lorsqu’une enseignante tient des propos (d)étonnants sur le droit des étrangers, le même pointe à juste titre son militantisme et son absence de neutralité.

Droit dans les yeux est particulièrement touchant parce qu’il met face à face des étudiants et des justiciables qui viennent des mêmes milieux. Les premiers sont d’autant plus enclins à aider les seconds, d’autant plus enclins aussi à prendre fait et cause pour eux qu’ils se sentent proches d’eux. Au risque parfois de brouiller leur discernement.
Tel est le sujet central du documentaire qui, à mon sens, est un peu trop envahissant car il se résout dans la pratique quotidienne assez simplement : quelle est la bonne distance entre l’avocat et son client ? Récemment, Maîtres l’évoquait aussi, qui filmait le travail de trois avocates strasbourgeoises spécialisées en droit des étrangers.

Le cas de la mère d’Ilhame, une étudiante en licence, qui réclame une pension de réversion après la mort de son mari, sert de fil rouge au documentaire. Cette pension lui est refusée au motif que son père avait une autre épouse au Maroc. Il l’avait certes répudiée ; mais cette répudiation vaut-elle divorce en droit français ? Ce cas très concret éclaire deux aspects essentiels de ce documentaire. Ilhame, qui s’était saisie du cas de sa mère, réalise qu’elle a besoin de prendre de la distance avec cette affaire qui lui est trop intime et demande à ses camarades de la recevoir comme n’importe quel usager. Leur analyse approfondie révèlera, à rebours de la réaction spontanée que l’injustice de ce refus de pension suscite, que l’affaire est plus compliquée qu’il ne semblait – même si la mère d’Ilhame finira par gagner le procès qui l’oppose à la Sécurité sociale et à obtenir le versement de sa pension.

Droit dans les yeux n’a qu’un défaut : mal distribué, mal promu, il est passé inaperçu.

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Goutte d’or ★★☆☆

Ramses (Karim Leklou) a monté un business lucratif. Il se fait passer pour médium et, avec quelques complices, il abuse de la crédulité des personnes qui viennent le consulter en les renseignant sur leurs proches disparus sur lesquels il a préalablement collecté quelques informations.
Si elle ne connaît pas la crise, sa petite entreprise est constamment sur la corde raide, sous la menace des caïds qui veulent le racketter, des autres médiums qui se plaignent de son succès, de ses clients qui pourraient comprendre qu’ils ont été bernés…
Une nuit, une bande de gamins, sans feu ni lieu pénètre par effraction dans l’appartement de Ramses et exige de lui qu’il les aide à retrouver un des leurs disparu.

Après Entre le ciel et la terre, un faux film de guerre teinté de fantastique, après Braguino, un documentaire filmé au cœur de la Sibérie, après Indes galantes, la captation de sa mise en scène ébouriffante à l’Opéra-Bastille du célèbre opéra baroque de Rameau, on attendait avec gourmandise le prochain film de Clement Cogitore. L’attente valait la peine.

Goutte d’or est un polar fiévreux, tourné sous amphet’ dans la nuit noire et les matins blêmes du dix-huitième arrondissement parisien entre la fourmilière de Barbès et ses petits trafics, et les friches urbaines de la porte de la Chapelle où se terre le secret autour duquel Goutte d’or gravite.
Goutte d’or est à la limite de la fiction et du documentaire. J’ai adoré la scène, que j’imagine volontiers tournée avec des acteurs amateurs et des vrais médiums, où Ramses doit faire face à ses confrères et ses consœurs qui lui reprochent sa concurrence déloyale.

Goutte d’or m’a rappelé Médecin de nuit qui se déroulait dans les mêmes quartiers et partageait avec lui la même ambiance poisseuse. Les deux films ont en commun d’être portés par leur personnage principal : Vincent Macaigne là, Karim Leklou ici. Cet acteur est formidable. Je ne supporte pas qu’on parle de sa « découverte » ; car on l’a découvert depuis bien longtemps. Pour moi ce fut en 2015 et ce fut un coup de foudre : Coup de chaud, un petit film français sans publicité auquel je mis, contre toute attente, quatre étoiles et que je vous recommande chaleureusement. Ensuite, il y eut Le monde est à toi, la série Hippocrate, la polémique BAC Nord, La Troisième Guerre, le petit bijou Un monde et pas plus tard que le mois dernier Pour la France

Il y a toutefois dans le cinéma de Cogitore une idée à laquelle je peine à adhérer : celle qu’il existerait, sous le vernis de la réalité, une couche de fantastique qui parfois jaillit.

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Empire of Light ★★★☆

Hilary (Olivia Colman) travaille dans une vieille salle de cinéma d’une petite ville balnéaire du sud de l’Angleterre. Elle vit seule ; sa santé mentale est fragile. Stephen (Micheal Ward) y est recruté. Il est noir, en butte au racisme qui grandit dans l’Angleterre des 80ies et n’a qu’un rêve : quitter cette vie et entrer à l’université.

Après James Gray (Armageddon Time), après Steven Spielberg (The Fabelmans), c’est au tour de Sam Mendes, l’un des réalisateurs britanniques les plus célèbres de Hollywood (American Beauty, Jarhead, Les Noces rebelles, deux James Bond crépusculaires et 1917) de nous livrer son film le plus autobiographique. À l’instar de The Fabelmans – ou de Babylon ou de Cinema Paradiso qui ressort ces jours ci dans quelques salles – Empire of Light se présente comme une ode au cinéma et à sa magie perdue. C’est peut-être le signe d’une époque où le monde du cinéma, inquiet de la prophétie récurrente de sa disparition prochaine, en ravive le culte nostalgique. Mais Empire of Light est moins un film sur le cinéma – on ne verra guère que quelques affiches défraichies des Blues Brothers, de Elephant Man ou des Chariots de feu – que sur la salle de cinéma.

Hollywood a inventé un mot pour ce genre de film-là : workplace comedy. Faute d’en avoir une, Hilary s’est créé une famille sur son lieu de travail, entre un patron détestable (Colin Firth) qui s’imagine que les entretiens qu’il a avec elle porte close trompent son monde, un collègue facétieux et compréhensif (Tom Brooke) et un projectionniste taiseux (Toby Jones). Cette petite routine sera bousculée par l’arrivée d’un corps étranger, Stephen.

Deux histoires se mélangent. La première, celle de Hilary, de sa dépression chronique façon Requiem for a Dream, était, à mon avis, la plus intéressante, d’autant qu’elle est servie par l’interprétation hors pair d’Olivia Colman. Quel parcours incroyable que celui de cette actrice qui, à rebours de tous les standards, a été découverte à la quarantaine seulement ! Sam Mendes, dans les interviews qu’il donne, raconte qu’il s’est inspiré de sa mère, poétesse et géniale et schizophrène récidiviste.
Le problème de Empire of Light réside dans la seconde histoire qu’il tisse avec la première. J’ai trouvé que le personnage de Stephen, ses ambitions, le racisme auquel il est confronté, manquaient d’originalité. Plus grave : j’ai trouvé que le couple qu’il formait avec Hillary, de vingt ans son aînée, ne fonctionnait jamais.

Pour autant, tous ces défauts, bien visibles, n’ont pas suffi à gâcher mon plaisir. J’ai aimé l’ambiance feutrée de ce film, son image superbe, ses personnages mélancoliques.

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