Aline ★★☆☆

Toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé ne serait pas purement fortuite. Aline Dieu, c’est Céline Dion. Une Céline Dion qui ne prétendrait pas à la parfaite authenticité, pour permettre à Valérie Lemercier quelques libertés avec la réalité – et lui éviter aussi des tracas juridiques.

Ce vrai-faux biopic était attendu depuis de nombreux mois. Sa sortie prévue en novembre 2020 a été repoussée une première fois en février 2021 puis en novembre.

Valérie Lemercier a joué dans tellement de comédies, elle a un tel potentiel comique, qu’on pourrait croire que Aline est une parodie. Ce serait faire un grave contresens. Loin de se moquer de la chanteuse québécoise, Valérie Lemercier signe un biopic bienveillant, dépourvu de toute ironie.

Il y aurait eu pourtant matière à moquerie dans la carrière de la chanteuse, dans son goût pour le kitsch et le bling-bling, dans son répertoire désespérément sirupeux. Et il y aurait eu de quoi médire aussi sur sa relation avec son manager, René Angélil, de vingt-six ans son aîné, qui la découvrit quand elle n’était encore qu’une enfant, l’épousa en 1994 et eut avec elle trois enfants en 2001 et 2010 avant de mourir en 2016 d’un cancer de la gorge. Mais ce n’est pas le parti pris retenu par Aline qui raconte au contraire une histoire d’amour au premier degré.

Le film repose sur les épaules de Valérie Lemercier qui en assure la réalisation, en a co-écrit le scénario et en interprète le rôle principal. Seul aspect qu’elle a accepté de déléguer : ce n’est pas elle mais une chanteuse nommée Victoria Sio qui interprète les titres de Céline/Aline.
Valérie Lemercier est époustouflante de charisme, de présence, de justesse. Elle administre avec éclat la preuve qu’aucune Camille Cottin ne saura jamais la détrôner. On voit mal comment le César de la meilleure actrice pourrait lui échapper en mars prochain (elle a déjà obtenu deux fois celui de la meilleure actrice dans un second rôle pour Les Visiteurs en 1994 et Fauteuils d’orchestre en 2007).

Pour autant, Aline souffre d’une tare congénitale. Sa bienveillance à l’égard de son sujet, son refus de toute dramatisation (il n’y a pas de « méchant » dans le film) le privent de tout enjeu. Tout se déroule selon une lente et interminable chronologie (le film dure deux heures mais j’ai eu l’impression qu’il en durait le double) : l’enfance d’Aline auprès de ses treize frères et sœurs (la partie peut-être la plus réjouissante du film qui m’a rappelé le tempo effréné d’Amélie Poulain), la révélation de son talent, la gloire soudaine et l’histoire d’amour qui se noue avec son manager.

Il ne manque pas un bouton de guêtre – ni un stiletto – à cette émouvante biographie. On ne peut qu’être emporté par la communicative énergie qui s’en dégage. Mais c’est précisément son absence de faiblesse, de défaut qui fait de cet objet trop lisse, trop parfait, un film qu’on admirera mais qu’on n’aimera pas nécessairement.

La bande-annonce

La Fracture ★★★☆

Des dizaines de patients attendent, une nuit de décembre 2018, au service des urgences de l’hôpital Lariboisière à Paris, après une manifestation des Gilets Jaunes. Parmi eux, Raf (Valeria Bruni-Tedeschi), la quarantaine, une dessinatrice en pleine crise conjugale avec son épouse Julie (Marina Foïs) qui tremble pour son fils Kevin, parti manifester et dont elle est sans nouvelles. Yann (Pio Marmaï), un routier nîmois en colère, monté à Paris pour manifester, dont la jambe a été blessée par une grenade de désencerclement. Et Kim (Aïssatou Diallo Sagna) qui enchaîne sa sixième nuit de garde, alors même que sa fille est malade, et qui tente avec toute la bonne volonté du monde et des moyens cruellement insuffisants, d’accueillir et de soulager la douleur des patients.

Catherine Corsini, figure installée de l’establishment cinématographique, réalisatrice notamment de Un amour impossible, adapté de Christine Angot, et La Belle Saison, mon coup de cœur de l’année 2016, s’attaque à un sujet casse-gueule et ouvertement politique. Son titre au singulier qui, au premier degré, évoque la fracture du coude qui conduit Raf à l’hôpital, est en fait pluriel. La fracture dont elle parle est triple.
Premièrement, fracture dans le couple. Le film raconte la crise conjugale de deux femmes qui vivent ensemble depuis dix ans. L’hystérie de chaque instant de Raf a achevé d’éloigner Julie qui souhaite rompre et déménager. Hantée par la peur de l’abandon, hyper-possessive, Raf ne l’accepte pas et invente tous les prétextes pour retenir Julie.
Deuxièmement, fracture dans la société. C’est la crise des Gilets Jaunes bien sûr qui est évoquée à travers le personnage de Yann, bouillant de rage et de colère, contre une vie de petits boulots, un salaire de misère et le sentiment humiliant de n’être ni écouté ni respecté.
Troisièmement, fracture à l’hôpital. Un service public gratuit où l’on soigne tous les malades sans considération de son statut. Mais un service public menacé par le manque de moyens et les cadences infernales.

La barque aurait pu être lourde et La Fracture sombrer. Tel est d’ailleurs l’avis de quelques amis particulièrement critiques avec ce film. Tel n’est pas le mien.
J’ai au contraire particulièrement goûté la fluidité de l’écriture de ce scénario qui maintient le rythme et l’intérêt sans temps mort. Unité de temps, unité de lieu, unité d’action : après un court prologue, tout se passe entre les quatre murs de l’hôpital bientôt assiégé par les forces de l’ordre qui veulent y poursuivre les Gilets jaunes qui y ont reflué.

Outre la qualité de son écriture, le principal atout de La Fracture est dans son interprétation. Avec une double mention pour Valeria Bruni-Tedeschi et Pio Marmaï. Le registre de la première n’est pas nouveau : l’hystérie ; mais elle l’interprète avec un tel talent qu’on ne peut qu’applaudir à sa prestation. Pio Marmaï lui aussi ne sort guère de sa zone de confort : celle du chien fou à la Dewaere ; mais là encore, il y est excellent.

La bande-annonce

Compartiment n° 6 ★★☆☆

Laura (Seidi Haarla) est une jeune Finlandaise venue en Russie dans les années 90 pour y étudier et en apprendre la langue. Elle y est devenue l’amante de Laura (Dinara Drukarova), une archéologue russe, qui, à la veille de leur départ pour Mourmansk, où les deux archéologues avaient l’intention d’aller voir des peintures rupestres, lui fait faux bond.
Laura décide de prendre seule le train. Le voyage s’annonce long et inconfortable. D’autant qu’elle doit partager le compartiment de Ljoha (Yuriy Borisov), un jeune Russe passablement alcoolisé, qui se rend au même endroit pour y travailler à la mine.

Auréolé du Grand Prix du jury au dernier festival de Cannes, précédé par une critique élogieuse, Compartiment n° 6 portait la promesse d’un rail movie aux confins de la Russie, « entre Lost in Translation et In the Mood for Love », comme l’annonce son affiche. Traduisons : une histoire d’amour déchirante entre deux inconnus que les hasards de la vie font se croiser dans un pays étranger dont ils ne comprennent pas la langue – avec la réserve qu’ici Ljoha est russe et que Laura comprend et parle fort bien sa langue.

Le film provoque parmi ses spectateurs deux types de réactions très tranchées. Les premiers crient au chef d’oeuvre, saluent la poésie de ce long voyage immobile, dans le huis clos d’un compartiment minuscule, mais ouvert sur l’immense toundra subarctique. Ils sont touchés par la délicatesse de l’histoire d’amour qui rapproche lentement les deux passagers. Les autres, plus laconiques, disent s’être beaucoup ennuyés devant un film trop long à l’intrigue prévisible et à la morale convenue (« Le voyage importe plus que la destination »).

Je dois humblement avouer qu’aussi dissemblables soient ces deux points de vue, je les reprendrai volontiers tous les deux à mon compte. Tout en étant touché par la délicatesse de cette histoire, j’ai trouvé le temps bien long. Tout en ayant souvent regardé ma montre et bâillé d’ennui, je garderai un souvenir fort de ce film émouvant.

La bande-annonce

Albatros ★★★☆

Laurent (Jérémie Rénier) est sous-officier de gendarmerie. Il commande une petit brigade en Seine-maritime, sur les bords de la Manche où il aime naviguer sur le bateau qu’il a acheté avec son meilleur ami. Il vient de demander la main de sa compagne, Marie, dont il partage la vie depuis dix ans et avec qui il a eu un enfant (interprétée par la propre fille du réalisateur et auquel elle ressemble étonnamment). La vie de la brigade et de ses militaires est ponctuée de petits drames ordinaires : un suicide du haut des falaises d’Etretat, un jeune qui circule sans casque et sous emprise, un poivrot qu’il faut raccompagner chez sa mère (Xavier Beauvois en caméo), un agriculteur qui part en vrille…
Tout semble aller pour le mieux dans la vie heureuse de Laurent jusqu’à ce qu’un drame ne fende sa vie en deux.

Xavier Beauvois est un réalisateur qui s’est toujours attaché à filmer le groupe : les membres d’une congrégation religieuse dans Des hommes et des dieux, les policiers dans Le Petit Lieutenant, les femmes laissées seules par les hommes partis au front en 1914 dans Les Gardiennes (qui avait révélé Iris Bry qu’on retrouve ici dans un rôle secondaire). C’est avec la même réussite qu’il filme dans Albatros le quotidien d’une caserne de gendarmerie. Le film devrait devenir iconique dans les écoles de gendarmerie – comme Le Chant du Loup l’est déjà à l’Ecole navale – tant il donne une image à la fois documentée et valorisante du métier de gendarme.

Cette (trop ?) longue exposition constitue la première partie d’un film qui en compte deux. Il est coupé en son milieu par un drame que la bande-annonce a montré mais dont je ne dirai rien pour ne pas encourir de procès en divulgachage. C’est la meilleure partie du film si on la considère non pas comme un préambule, mais bien comme l’objet du film : la narration humble d’un quotidien sans histoire fait de mille histoires.

Dans sa seconde partie, le film bascule. Il raconte la lente reconstruction d’un homme brisé par un drame qui a fait éclater sa vie. Il emprunte pour se faire un cheminement étonnant, quasi mystique, qui nous transporte loin des horizons minuscules de la première partie. Il faut sans doute y voir la marque du mysticisme de Xavier Beauvois dont le cinéma est traversé par des interrogations existentielles. Si le film y gagne peut-être en profondeur, il y perd malheureusement en fluidité et risque de se noyer (c’est le cas de le dire !) dans un fatras métaphysique. Il est sauvé de justesse par son dernier plan, d’un étonnant romantisme qui , fleur bleue que je suis, m’a immanquablement fait fondre.

La bande-annonce

Les Olympiades ★★★★

De nos jours, dans le quartier des Olympiades, à Paris 13ème, quatre jeunes gens se croisent, se séduisent, s’aiment, se quittent, se retrouvent….
Emilie (Lucie Zhang) cherche à s’émanciper d’une famille chinoise étouffante. Son diplôme de Sciences po en poche elle s’est installée dans l’appartement de sa grand-mère, internée en EHPAD, et a trouvé un emploi sous-qualifiée de télévendeuse.
Camille (Makita Samba) a répondu à l’annonce passée par Emilie pour devenir son colocataire. Professeur de français dans un lycée du quartier, il prépare mollement l’agrégation. Il séduit instantanément Emilie qui couche avec lui et en tombe amoureuse ; mais il refuse de s’engager dans cette relation.
Nora (Noémie Merlant) est une jeune provinciale récemment arrivée à Paris pour y reprendre des études de droit après une première expérience professionnelle dans l’immobilier. Ses camarades de fac croient reconnaître en elle Amber Sweet (Jehnny Beth), une star du porno. Elle quitte la fac et rencontre Camille qui, pendant l’année de césure que l’Education nationale lui a accordée pour préparer l’agrégation, a repris l’agence immobilière d’un cousin.

Jacques Audiard est peut-être l’un des plus grands réalisateurs français – certains disent même mondiaux – contemporains. Palme d’or en 2015 pour Dheepan, il a eu trois fois le César du meilleur réalisateur pour De battre mon cœur s’est arrêté, Un prophète et Les Frères Sister. Le film que j’ai préféré de lui est peut-être De rouille et d’os, l’adaptation d’une série de nouvelles de l’écrivain canadien Craig Davidson. J’en ai retrouvé la structure dans Les Olympiades qui adapte trois nouvelles graphiques du bédéiste américain Adrian Tomine.

Avec une extrême fluidité, Jacques Audiard et ses co-scénaristes Céline Sciamma et Léa Mysius entrelacent trois récits. Le résultat est beaucoup plus réussi que The French Dispatch, construit sur un principe similaire mais où les trois histoires racontées n’avaient entre elles aucun rapport.

Cette fluidité dans le récit est la première qualité des Olympiades. Mais c’est loin d’être la seule.

Le film est d’une étonnante fraîcheur. D’autant plus étonnante que le réalisateur qui le signe a près de soixante-dix ans. Cette fraîcheur, il la doit à ses trois interprètes principaux. On connaissait déjà Noémie Merlant, notamment mais pas seulement pour son rôle dans Portrait de la jeune fille en feu. On la reverra bientôt dans A Good Man dans le rôle d’une mère transgenre (sic) sous la direction de Marie-Castille Mention-Schaar. Lucie Zhang est la révélation du film. Âgée de vingt ans à peine, elle incarne Emilie et toutes les contradictions des jeunes femmes d’aujourd’hui : le désir de rompre avec sa famille et un profond attachement à sa grand-mère en fin de vie, les difficultés à trouver un métier qui satisfasse ses aspirations et un logement qui corresponde à son budget, une liberté sexuelle qui ne va pas toujours de pair avec les attachements du cœur.
Makita Samba enfin. Un acteur follement sexy, à la grâce féline, qui m’a rappelé John David Washington (le héros de Tenet) et André Holland (celui de la série The Eddy). J’ai adoré l’intonation de sa voix. Et j’ai aimé que le personnage qu’il interprète ne se définisse pas par la couleur de sa peau et aurait pu tout aussi bien, sans changer une ligne au script, être interprété par un Blanc.

Dans un registre qui n’était pas le sien jusqu’alors, et qui n’est pas sans rappeler la Nouvelle Vague et l’oeuvre de Rohmer, Audiard dissèque les émois amoureux des vingtenaires d’aujourd’hui. Il parle de sexe et n’hésite pas à le montrer – les scènes très crues auraient peut-être justifié une interdiction aux moins de douze ans. Il parle surtout d’amour avec un romantisme étonnant. Il se clôt par deux scènes portées par la grâce, dont le souvenir m’accompagnera longtemps.

La bande-annonce

Barbaque ★★★☆

Vincent (Fabrice Éboué) et Sophie (Marina Foïs) tiennent une petite boucherie dans le centre d’une ville de province. Leur couple bat de l’aile et leur commerce périclite qui, un beau matin, est la cible d’un coup de main d’une bande de vegans. Vincent a reconnu l’un d’eux et, quelques jours plus tard, veut lui donner une leçon et l’écrase par mégarde. Son cadavre, débité en morceaux, se retrouve bientôt dans l’étal de sa boucherie et remporte un succès inespéré auprès de la clientèle. Pour répondre à la demande, Vincent et Sophie se transforment en tueurs en série.

Dans le petit monde pas toujours drôle de la comédie française, coincé entre un postier ch’ti (Danny Boom) et une couple vieille-France en mal de gendres (Christian Clavier et Chantal Lauby), Fabrice Éboué a su trouver sa place en faisant rire sur des sujets sensibles : l’esclavage aux Caraïbes (Case départ), la France-Afrique (Le Crocodile du Bostwanga), le vivre-ensemble interreligieux (Coexister).

Comme ses précédents films, Barbaque s’attaque à un sujet d’actualité : le véganisme, ses excès, ses travers (que celui qui a failli rajouter « de porc » se dénonce et se taise). Il le fait avec une jubilation communicative, dans une comédie trash et gore, qui revendique l’outrance. Son sujet n’est pas nouveau : en 2003 était sorti au Danemark Les Bouchers verts mettant en scène deux bouchers faisant commerce de viande humaine. La recette – si l’on ose dire – était excellente, mélange d’humour très noir et de fable sociale.

Barbaque a quelques – grosses – faiblesses. Son affiche, sa bande annonce en dévoilent un peu trop l’objet, tuant tout suspense. Son scénario tourne en rond : une fois que l’intrigue est installée, il fait du surplace. Mais, grâce notamment à l’interprétation toujours parfaite de Marina Foïs, « véritable Lady Macbeth du steak haché » (l’expression est de Jacques Mandelbaum dans Le Monde), grâce surtout à des dialogues hilarants qui font mouche, Barbaque constitue un divertissement aussi drôle qu’intelligent.

La bande-annonce

The French Dispatch ★★☆☆

À la mort de leur rédacteur en chef, Arthur Howitzer Jr. (Bill Murray), tous les journalistes de The French Dispatch, l’antenne française d’un quotidien américain, se réunissent pour publier un ultime numéro. Il comprendra une rubrique nécrologique et trois articles écrits par les trois meilleures plumes du journal. Le premier sera centré sur un artiste peintre emprisonné dans un établissement pénitentiaire psychiatrique ; le deuxième évoquera la révolte étudiante qui a semé le chaos dans la petite ville d’Ennui-sur-Blasé ; le troisième racontera le kidnapping du fils de la police locale, libéré grâce au courage d’un grand chef.

C’est peu dire qu’on attendait avec une folle impatience la sortie du dernier film de Wes Anderson.
Parce qu’elle a été retardée par le Covid.
Parce que Wes Anderson est incontestablement – même si je ne communie pas dans l’enthousiasme unanime qui entoure The Grand Budapest Hotel – l’un des réalisateurs contemporains les plus stimulants, au style immédiatement reconnaissable.
Parce que son dernier film, qui se déroule dans un Paris fantasmé, est l’oeuvre d’un francophile revendiqué et flatte notre orgueil cocardier.
Parce qu’enfin son casting est sans doute le plus dingue de l’année sinon du siècle, avec les plus grandes gloires américaines et françaises du moment : Benicio del Toro, Tilda Swinton, Frances McDormand, Timothée Chalamet, Léa Seydoux, Adrien Brody, Owen Wilson, Willem Dafoe, Saoirse Ronan, Elisabeth Moss, Edward Norton, Mathieu Amalric, Cécile de France, Guillaume Gallienne, Benjamin Lavernhe, etc.

Face à une telle distribution, face à un tel réalisateur au sommet de son art, on ne peut être que saisi d’une admiration révérencielle. Et c’est bien là que le bât blesse.
Je serais bien incapable de dire autre chose que ce que j’entends répéter autour de moi depuis dix jours. J’aurais bien aimé le dire plus tôt ; mais hélas, l’avant-première à laquelle j’aurais dû aller assister en galante compagnie affichait complet.

The French Dispatch impressionne par sa somme de qualités, par sa parfaite maîtrise, par le sentiment qui ne nous lâche pas qu’on assiste au déploiement d’une oeuvre qui touche à la perfection. Mais The French Dispatch a aucun moment ne touche. Ses acteurs au jeu corseté ne suscitent aucune émotion – à la seule exception de Lyna Khoudri, la décidément surdouée interprète de Papicha qui tient la dragée haute à Timothée Chalamet. Les historiettes qu’ils racontent manquent d’unité pour retenir l’intérêt, aussi charmantes soient-elles prises isolément. On lit qu’il s’agirait d’un hommage à la presse écrite et tout particulièrement au New Yorker qu’a biberonné le jeune Wes Anderson durant toute sa formation intellectuelle. On veut bien le croire…. mais ces réminiscences n’éveillent aucun écho en nous.

La bande-annonce

Le Genou d’Ahed ☆☆☆☆

Y. est un réalisateur israélien en colère. Il est en plein casting de son premier film, Le Genou d’Ahed, qui aura comme figures principales Ahed Tamimi, une jeune Palestinienne condamnée à huit mois de prison pour avoir giflé un soldat de Tsahal, et Bezadel Smotrich, un député d’extrême-droite qui a affirmé qu’il aurait fallu lui tirer dessus « ne fût-ce que dans le genou ».
Y. se rend à bord d’un petit avion au milieu du désert du Néguev pour présenter son précédent film. Il y est accueilli par Yahalom, une jeune employée du ministère israélien de la culture qui lui demande de renseigner un formulaire, indiquant l’objet de sa conférence. Y. se braque contre cette formalité qu’il assimile à une censure.

J’ai tout détesté dans Le Genou d’Ahed, le dernier film de Nadav Lapid, revenu de Cannes auréolé du Prix du Jury, dont le précédent, Synonymes, m’avait déjà inspiré quelques réserves.

J’ai détesté sa forme, sa caméra épileptique qui m’a donné la nausée. Nadav Lapid pousse au paroxysme ce qui, de plus en plus, semble devenir une norme : la caméra portée et tremblotante qui a ringardisé le plan fixe, trop académique. Pour filmer la vie, pour filmer la rage, il faut une caméra vivante, rageuse. Le cadreur souffre donc de la danse de Saint-Guy et agite la caméra dans tous les sens. Le réalisateur tente en vain de s’en expliquer : « La chose la plus compliquée à filmer au cinéma, ce sont sans doute les dialogues. Ces mouvements de caméra servent à casser les formalités de présentation… Ils nous préviennent qu’on va arracher le film à ce classicisme. »

Mais j’ai aussi détesté son sujet. Dans Le Genou d’Ahed, Nadav Lapid, qui s’est depuis exilé à Paris, vomit sa haine contre son pays natal. L’origine de son courroux semble bien futile : ce formulaire que la jolie Yahalom lui demande de signer. Il y a mille et une raisons de critiquer son pays, qu’il s’agisse de la France, d’Israël ou du Timor-oriental. Je ne suis pas sûr que l’obligation de renseigner un formulaire indiquant le sujet de la conférence qu’on s’apprête à donner soit le plus convaincant.

Le patriotisme pas plus que l’anti-patriotisme ne me semblent pas des vertus estimables. Le premier est aujourd’hui définitivement démodé sinon raillé. Le second connaît au contraire une mode à mon sens délétère : renier son pays est « tendance ». La meilleure réponse est celle du ministère de la culture israélien qui, avec un masochisme admirable, a financé le film de Nadav Lapid, démontrant ainsi magistralement l’inanité de sa vaine colère et l’artificialité de sa posture soi-disant transgressive.

La bande-annonce

Le Kiosque ★★☆☆

Chez les Pianelli, on est kiosquière de mère en fille. Alexandra, la petite dernière, a eu beau aller faire une école d’art à Strasbourg, son destin l’a rattrapée : pour joindre les deux bouts, elle donne un coup de mains à sa mère dans le kiosque que tenaient avant elle sa grand-mère et son arrière grand-mère, place Victor-Hugo dans le cossu seizième arrondissement de Paris. Elle y filme avec son téléphone portable les clients qui passent et la vie qui va.

Le Kiosque est un documentaire minuscule, qui n’est pourtant pas dénué d’ambition. Il raconte deux histoires : la grande et la petite.

La grande, c’est l’histoire de l’inexorable déclin des kiosques à journaux et de la presse écrite, victimes de la concurrence d’Internet. Qu’on soit parisien ou provincial, on pourra tous témoigner du phénomène : il y avait jadis trois kiosquiers place du Palais-Royal, où j’allais religieusement acheter chaque jour à 14h30 Le Monde ; il n’y en a plus qu’un seul – et je me suis abonné au Monde en ligne.

La petite, c’est celle des clients qui défilent : le chauffeur de l’ambassade d’Allemagne qui vient chaque matin récupérer son paquet, le clodo qui a perdu son chat, le voisin qui a déjà un coup dans le nez à dix heures du matin, la retraitée permanentée toujours très chic mais pas dénuée d’autodérision…. Cette galerie baroque est attachante.
La petite histoire c’est celle de la vie du kiosque, des horaires dingues, du local minuscule ouvert aux quatre vents, du flux des arrivées et des invendus et de la paperasserie qu’il génère. C’est enfin celle de la faillite inéluctable qui menace.

Au doigt (très) mouillé, Le Kiosque a dû coûter environ dix secondes du budget du dernier James Bond. Pourtant, j’aurai pris plus d’intérêt et de plaisir à le voir.

La bande-annonce

Cigare au miel ★☆☆☆

Selma (Zoé Adjani, nièce de) a dix-huit ans. Elle a grandi à Neuilly dans une famille aisée originaire d’Algérie. Son père (Lyes Salem) est architecte, sa mère (Amira Casar) était gynécologue avant d’arrêter son travail pour se consacrer à l’éducation de sa fille. On est en 1993 et l’Algérie est en train de basculer dans la guerre civile. Aussi libéraux soient-ils, les parents de Selma entendent contrôler son éducation, lui interdire de fréquenter les garçons qui lui tournent autour dans l’école de commerce qu’elle vient d’intégrer et l’encourager à leur préférer ceux, bien nés, qu’ils lui présentent.

La bande-annonce de Cigare au miel est volontiers racoleuse. Elle nous montre Selma dans son lit de jeune fille, lisant les Mille et une nuits, intimement émue (c’est un euphémisme pour éviter d’écrire « en train de se masturber »). Scène suivante : dans les couloirs de son école, elle croise un garçon, beau et ténébreux, qui la drague sans détour. Scène d’après, Selma s’engueule avec sa mère et son père qui la privent de sortie. Tout est dit en trois plans : 1. L’éveil à la sensualité d’une jeune fille en fleurs 2. Les premières amours estudiantines 3. La brutale censure familiale et la difficulté de s’en dégager.

L’émancipation d’une jeune fille. Le sujet n’est pas nouveau. Il a été traité de tous les temps et sous toutes les latitudes : Bonjour Tristesse, À nos amours, La BoumMustang, La Vie d’Adèle, Divines … et, plus près de nous, deux films récents qui m’ont bouleversé, Papicha et Une histoire d’amour et de désir.

Le problème de Cigare au miel est de s’inscrire dans cette longue généalogie et de ne pas y apporter grand-chose de neuf ni de mieux. On a le droit à tous les poncifs attendus sur la perte de la virginité, la prédation masculine et les conflits père/mère-fille. Le tout est lesté d’un arrière-plan historique encombrant : l’action se déroule en 1993-1994 alors que l’Algérie bascule dans la guerre civile, ce qui nous vaut un retour au pays natal qui leste le film d’un quart d’heure supplémentaire et dispensable. Zoé Adjani, de tous les plans, sauve-t-elle la mise ? Même pas….

La bande-annonce