Il n’y a pas d’ombre dans le désert ★☆☆☆

Anna (Valeria Bruni Tedeschi), une écrivaine française dont l’oeuvre est hantée par la mémoire de la Shoah, a convaincu son père de se rendre à Tel Aviv pour y témoigner au procès d’un ancien criminel nazi, sur l’identité et la responsabilité duquel plane un doute. Dans la salle d’audience, elle rencontre Ori qui y a accompagné sa mère qui fait une déposition pleine de dignité. Ori est persuadé d’avoir connu et aimé Anna vingt-trois ans plus tôt à Turin ; mais Anna ne le reconnaît pas et est vite dérangée par son comportement.

La bande-annonce de ce film israélien était attirante. Elle posait les bases d’une intrigue à double fond : le nonagénaire souffreteux assis au banc des accusés est-il ou pas l’officier hongrois responsable de la mort de 1200 Juifs à Novi Sad en juillet 1944 ? cette écrivaine française lost in translation à Tel Aviv est-elle ou pas la femme avec qui Ori prétend avoir couché vingt ans plus tôt à Turin ?

Hélas Yossi Aviram qui a réalisé le film et en a co-signé le scénario avec Valeria Bruni Tedeschi elle-même, ne tire pas tout le parti de cette riche idée de départ. Privé d’enjeu par un coup de théâtre qu’on taira, le film s’égare dans sa seconde moitié dans le désert du Néguev, un peu à la façon des films languissants d’Antonioni (on pense au désert de borite de Zabriskie Point). Les héros s’y perdent. Ils nous y perdent aussi….

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Inchallah un fils ★★★☆

Nawal est la mère comblée d’une petite fille, Nura, et essaie d’avoir un second enfant avec son mari quand celui-ci décède brusquement dans son sommeil. À la perte brutale de son époux s’ajoute bientôt la révélation des conditions de sa succession. En l’absence d’héritier mâle, elle échappera à Nawal au bénéfice du frère de son époux, qui héritera de la moitié de ses biens et de la garde de Nura.

Inchallah un fils nous vient de Jordanie, un pays quasiment absent de la carte des cinémas du monde. C’est le premier film de son réalisateur. C’est aussi le premier film jordanien à avoir jamais été projeté en sélection officielle à Cannes à la Semaine internationale de la critique 2023.

Son pitch pourrait laisser augurer une énième dénonciation, très bien pensante, du patriarcat qui prévaut dans certains pays musulmans où le droit institutionnalise l’infériorité de la femme. Sa sortie le 6 mars, l’avant-veille de la Journée internationale des droits des femmes n’en serait que plus pertinente.

Fort heureusement Inchallah un fils ne se réduit pas à cette dimension-là. Si la condition féminine en terre d’Islam est son motif, son scénario, étonnant de maîtrise, surtout pour un premier film, accumule les rebondissements et pousse Nawal dans ses retranchements.

On pense aux films iraniens qu’on a tant aimés et à leur ambiance étouffante : Une séparation (2011), Nahid (2014) Juste une nuit (2022). J’ai pensé aussi aux films des frères Dardenne et aux dilemmes moraux auxquels leurs personnages étaient confrontés. Dernière référence, en raison de son sujet et de son dénouement : le récent film brésilien Levante.

Tandis que Nawal essaie par tous les moyens d’obtenir un test de grossesse positif – grâce auquel un délai de neuf mois lui serait accordé dans l’attente de l’hypothétique naissance d’un fils avant de régler la succession – qu’elle hésite même à prendre un amant pour tomber enceinte, la fille des riches Jordaniens chez qui elle travaille tombe enceinte et souhaite avorter. Ainsi semblent s’esquisser deux portraits de femme, de milieux très différents, toutes deux confrontées à un ordre inique : celui qui oblige la première à enfanter un fils et qui refuse à la seconde le droit de disposer de son corps. S’ouvre au scénario une issue toute tracée : l’échange des identités et des tests. Mais, Inchallah un fils a l’intelligence de refuser cette facilité et d’imaginer un dénouement à la fois inattendu et crédible.

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Black Tea ★☆☆☆

Pour avoir été trompée la veille de son mariage, Aya (Nina Mélo, l’infirmière de Nina, la série de France 2) dit non à son promis et quitte l’Afrique pour l’Asie. Elle part refaire sa vie en Chine dont elle apprend vite la langue. Elle travaille dans la boutique de M. Cai (Han Chang) qui y vend le thé qu’il cultive sur sa plantation. Entre la jeune femme en rupture de ban et l’homme mûr qui porte depuis son expatriation au Cap-Vert un secret trop lourd pour lui se noue un lien mêlé de respect et d’affection.

Il aura fallu attendre près de dix ans pour que le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako tourne son nouveau film. Le succès étonnant de Timbuktu, César 2015 du meilleur film, nommé aux Oscars, aurait dû lui ouvrir bien des portes. L’a-t-il au contraire inhibé ?

Abderrahmane Sissako choisit de situer l’intrigue de Black Tea à Canton (même s’il a tourné à Taïwan). Le lieu est fascinant qui voit se rencontrer deux univers qu’on n’associe pas spontanément, la Chine et l’Afrique, alors qu’on sait, sans remonter à l’expédition de l’amiral Zheng He sur les côtes africaines au début du XVème siècle, l’importance que la Chine occupe désormais en Afrique, au point d’y concurrencer les vieilles puissances coloniales (voir sur ce point le chapitre 5.2.1.2. de La France en Afrique). C’est à ma connaissance la première fois que le cinéma en fait son argument principal.

C’eût pu être un documentaire sur « Chocolate City », le quartier africain de Canton où les commerçants africains viennent faire leur marché, qu’il s’agisse de thé, de niqabs ou de lingerie coquine, et où les Chinois achètent des produits importés, s’initient au twerk et se font tresser les cheveux. C’est hélas une fiction un peu trop artificielle, aux éclairages millimétrés qui tombent sur la tête des protagonistes, une sorte de Wong Kar-wai afro-asiatique.

Aya, qui change de coiffure et de tenue à chaque scène comme si elle participait à un défilé de mode, parle le cantonais avec une aisance admirable. Mais ses expressions se réduisent au seul sourire pâmé que lui arrache la dégustation d’une tasse de thé. On se croirait dans une pub pour Dammann Frères.

L’intrigue, digne d’un mauvais roman-photo, au lieu de se focaliser sur Aya, s’éparpille. Elle fait la part belle à l’autre protagoniste, M. Cai, avec lequel on s’embarque pour un flashback et/ou un rêve éveillé à Mindelo, dans le nord de l’archipel du Cap-Vert. Une scène le confronte à ses beaux-parents qui accumulent les clichés racistes sur les Africains, au grand dam du fils de M. Cai et de M. Cai lui-même. Ces réactions là auraient mérité de plus amples développements : comment les Africains sont-ils accueillis en Chine ? y sont-ils victimes de racisme ? Mais, là encore, un documentaire eût mieux convenu que cette fade bluette interraciale.

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Mon nom est Personne (1973) ★★☆☆

Jack Beauregard (Henry Fonda) est un cowboy vieillissant qui aspire à aller finir ses jours en Europe après s’être acquitté d’une dernière mission : venger la mort de son frère. Personne (Terence Hill) est un jeune pistolero éperdu d’admiration pour son aîné, qui essaie de le convaincre d’accomplir un dernier exploit avant de tirer sa révérence : affronter la Horde sauvage, une bande de cent-cinq gangsters sans visage qui sèment la terreur dans la région.

Mon nom est Personne est peut-être le western-spaghetti le plus connu. Il fit un triomphe à sa sortie en salles fin 1973, en Italie et plus encore en France où il draina près de cinq millions de spectateurs en salles pendant plus de sept années d’exploitation ininterrompue.

Mon nom est Personne est l’oeuvre de Sergio Leone, même si c’est le nom de Tonino Valerii, l’un de ses collaborateurs à qui il avait délégué la réalisation, qui est crédité au générique. C’est un hommage revendiqué au western, qui ne verse pas dans la parodie, comme le western spaghetti en avait pris l’habitude (On l’appelle Trinita), mais n’en conserve pas moins un penchant avéré pour la comédie sinon la bouffonnerie.

Mon nom est Personne est truffé de références, notamment à la « trilogie du dollar » que Leone avait lui-même tourné quelques années plus tôt et qui lui avait valu la gloire :  Pour une poignée de dollars (1964), Et pour quelques dollars de plus (1965) et Le Bon, la Brute et le Truand (1966). Henry Fonda, la soixantaine grisonnante mais toujours ingambe, y tient avec le jeune Terence Hill – de son vrai nom Mario Girotti – le haut de l’affiche. Son doublage en italien dans la v.o. est assez déroutant.
Le succès du film doit beaucoup à la musique de Enio Morricone qui est devenue immédiatement iconique. La B.O. du film, d’une incroyable richesse, fourmille de références : elle reprend des phrases de La Horde sauvage ou de Il était une fois dans l’Ouest.

Remastérisé en 4K, Mon nom est Personne est ressorti dans quelques salles parisiennes d’art et d’essai fin 2023. Il y a attiré un public nombreux de nostalgiques, qui avaient vu le film plus jeunes, au cinéma ou à la télévision, et de néophytes, curieux de sa célébrité. A-t-il bien ou mal vieilli ? Certains effets visuels, certains gags ne passent plus la rampe. L’humour et la façon dont il s’exprime ont changé depuis cinquante ans. Mon nom est Personne fait moins rire le vieux monsieur de cinquante ans que je suis devenu que l’enfant bon public que j’étais au début des années 80. Reste l’effet madeleine-de-Proust : l’impression de retrouver des sensations et une époque oubliées.

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Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique ★★☆☆

Ce documentaire québécois traite d’un sujet d’une brûlante actualité hélas : la misogynie en ligne. Il prend l’exemple du cyberharcèlement subi par quatre femmes : une étudiante canadienne victime d’un camarade de classe, une élue locale du Vermont afro-américaine violemment prise à partie par des internautes suprémacistes blancs, une bloggeuse française féministe et la présidente de la Chambre des députés d’Italie.
Elles ont toutes les quatre vécu la même histoire : leur exposition publique a provoqué un violent retour de bâton (le titre original Backlash est beaucoup plus intelligent que sa traduction française inutilement sacrilège). Elles sont devenues la cible d’une violence débridée, lâche, grégaire. Après une phase de sidération (« pourquoi tant de haine ? »), puis de révolte (« je refuse d’être agressée de la sorte ») et de combat (« je mets en oeuvre tout ce que la police et le droit m’autorisent pour répondre à cette agression »), les victimes, à bout de nerfs, peuvent être tentées de baisser les bras : effacer leur identité numérique, et donc renoncer à leur cyber-activisme, devient en effet la seule façon d’échapper à leurs agresseurs. Bien entendu, ce documentaire est un plaidoyer en faveur d’une prise de conscience du phénomène et d’une réaction citoyenne et juridique.

La violence en ligne, le cyberharcèlement est une pathologie moderne permise, sinon encouragée, par les nouvelles technologies. Heureusement, elle reste limitée. Internet est un lieu virtuel où s’échangent moins d’injures que d’informations, d’opinions, de déclarations d’amour…. et de photos de chatons ou de vacances. Elle n’en reste pas moins dévastatrice, poussant parfois ses victimes au suicide, comme Rehtaeh Parsons, une adolescente canadienne qui s’est suicidée en 2013 et dont le père est devenu un inlassable militant contre le cyberharcèlement.

Le sujet, de plus en plus étudié, est de mieux en mieux connu. On en identifie désormais mieux les facteurs. L’anonymat permis par les réseaux sociaux encourage des opinions que leur auteur ne se permettrait pas d’exprimer à visage découvert. La distance l’encourage aussi : on s’autorise à écrire en ligne des mots qu’on ne se permettrait jamais de dire dans les yeux à une personne en face de soi. Troisième facteur encourageant : l’entraînement du groupe. On rajoute plus facilement un commentaire désagréable voire haineux à une longue litanie de commentaires similaires qu’on n’ose en écrire un sur une page blanche.

Ses effets sont également bien documentés. Certes le cyberharcèlement reste virtuel. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le droit hésite à l’appréhender – sans parler des difficultés techniques à en identifier l’auteur. Mais pour être virtuel, le cyberharcèlement n’en est pas moins profondément violent et perturbateur. Une injure qu’on reçoit sur son téléphone n’est pas moins blessante que celle qu’on entend au coin d’une rue. Une victime avoue d’ailleurs avoir été moins traumatisée par le viol qu’elle a vécu, limité dans le temps, que par l’interminable cyberharcèlement qu’elle subit, qui s’étend indéfiniment et fait peser sur elle l’épée de Damoclès d’un éventuel passage à l’acte de ses agresseurs. Comme le dit clairement une experte interviewée : « Le cyberharcèlement, c’est du harcèlement. Point »‘

La commission de classification française a proposé l’interdiction aux moins de douze ans assortie d’un avertissement, signe qu’elle a hésité à proposer son interdiction aux moins de seize ans. Je ne comprends pas sa sévérité. Je considère au contraire que ce documentaire est d’utilité publique et qu’il devrait être montré aux adolescents, dès le collège, qui sont hélas exposés très jeunes à ces menaces en ligne.

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La Salle des profs ★★★☆

Carla Nowak (Leonie Benesch, des faux airs d’Isabelle Huppert) vient de prendre un poste d’enseignante dans un collège. Une série de vols y ont été commis. L’enquête pour trouver le coupable et les moyens déployés pour l’identifier vont semer la discorde parmi les professeurs, les élèves et leurs parents.

Il est difficile de présenter ce film dont le scénario, finement ciselé, est constitué d’un enchaînement d’évenements dont on ne peut rien révéler sans gâcher le frisson pris à leur découverte. Si toute son action se déroule entre les murs d’un collège, on est loin de l’ambiance bon enfant des films français qui ont le même cadre, dont on se demande parfois s’ils n’ont pas été financés en sous-main par l’Education nationale pour susciter les vocations : Un métier sérieux, La Vie scolaireLes HéritiersEntre les murs

La Salle des profs est un film à déconseiller aux futurs enseignants. Car leur vocation aura bien du mal à résister au sort réservé à son héroïne. La sympathie spontanée qu’on éprouve pour elle est mise à rude épreuve par la succession d’infortunes injustes qu’elle subit alors qu’elle veut simplement bien faire. Le scénario de La Salle des profs a le don de la placer systématiquement face à ses contradictions, quand elle essaie de se sortir d’un mauvais pas au risque que ses bonnes intentions ne causent des conséquences pires encore.

Avec beaucoup de finesse, La Salle des profs interroge les notions de justice, de culpabilité, de faute, de pardon… autant de grands concepts qui pourraient donner lieu à des développements pontifiants ou à des situations manichéennes, mais dont le film a au contraire l’intelligence de montrer les ambiguïtés sinon les apories.

La Salle des profs est un film étouffant qui n’offre aucune respiration hors des murs où il est enfermé et dont le rythme jamais ne faiblit. Son rythme va crescendo. Son final est un peu décevant et on aurait aimé que son scénariste trouve pour l’achever une ficelle aussi astucieuse que celles dont le film est tout du long tissé.

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Bellissima (1951) ★★☆☆

Maddalena Cecconi (Anna Magnani) vit chichement dans une cité HLM de la banlieue de Rome avec Spartaco, son mari, et Maria, sa fille unique âgée de cinq ans à peine. Elle nourrit pour elle un rêve : en faire une star de cinéma. Elle la présente au casting lancé par les studios de Cinecittà pour le prochain film d’un grand réalisateur. Mais, Maddalena et sa fille vont rencontrer d’amères désillusions.

En 1951, Visconti n’est pas encore l’immense réalisateur qu’il deviendra quelques années plus tard, avec ses chefs d’oeuvre proustiens : Le Guépard, Les Damnés, Mort à Venise… Son cinéma relève encore du néoréalisme dont ses Amants diaboliques (1942) constitue l’acte fondateur. D’ailleurs Cesare Zavattini, une figure majeure du néoréalisme, signe le scénario de Bellissima.

Le même sujet était au centre du roman d’Henri Troyat Grandeur nature, écrit quelques années plus tôt – un roman médiocre que notre professeur de français nous avait fait lire en classe de quatrième au début des années 80 pour des raisons qui défient l’entendement.

Bellissima filme une Italie qui peine encore à se relever de la Seconde Guerre mondiale mais dans laquelle on voit déjà, sur les bords du Tibre, poindre la dolce vita des Trente Glorieuses. La bande de voyous où gravite Alberto Annovazzi (Walter Chiari), le bellâtre qui laisse croire à Maria qu’il lui ouvrira les portes de Cinecittà si elle se donne à lui, évoque déjà celle que Pasolini filmera dans Accattone dix ans plus tard.

Anna Magnani est la star de ce film. Elle a sans doute dix années de trop pour le rôle. Mais elle était au sommet de sa gloire, pimentée par le scandale causé par sa séparation houleuse avec Rossellini qui lui avait préféré Ingrid Bergman. La « Louve romaine », comme elle fut surnommée, est quasiment de tous les plans. C’est un véritable maelström qui crie, éructe, pleure… sans jamais quitter ses hauts talons et son tailleur noir. Infirmière à domicile, qui s’épuise au travail pour un salaire de misère, Maria a reporté ses espoirs d’une vie meilleure sur sa fille. Elle s’y brisera les ailes. Sa chute est d’autant plus poignante qu’on la sait inéluctable et que, pire encore, elle-même est consciente de cette issue fatale.

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Linda veut du poulet ! ★★★☆

Linda a huit ans. Depuis la mort de son père, Paulette, sa mère, l’élève seule. Injustement punie par elle qui, pour se faire pardonner, lui promet de lui passer tous ses désirs, Linda réclame un poulet aux poivrons, souvenir nostalgique de la cuisine que lui mitonnait son père. Mais c’est la grève générale et tous les magasins sont fermés. Pour trouver un poulet, Paulette et Linda se lancent dans une folle odyssée.

Le pitch comme le titre de Linda veut du poulet ! pourraient dissuader bien des adultes d’aller voir ce film d’animation que le festival Télérama a eu la pertinence de reprogrammer en début d’année pour ceux qui, comme moi, en avaient raté la sortie en octobre dernier. Ils auraient bien tort de rater ce petit bijou, cristal du long métrage au dernier festival d’Annecy.

Co-réalisé par Sébastien Laudenbach, qui avait signé La Jeune Fille sans mains, Linda veut du poulet ! en a la même délicatesse de traits, la même gracieuse esthétique, pleine de couleurs et d’énergie. J’ai eu la chance d’entendre sa co-réalisatrice, l’italienne Chiara Malta, venue présenter son film aux dimanches de l’ACID. Elle en parle avec autant d’intelligence que de sensibilité. Linda… est un film pour enfants qui traite de sujets graves. Le deuil : il faut ne pas avoir de cœur pour ne pas verser une larme sur le chagrin de Linda et de Paulette. Le vivre-ensemble : la cité HLM où se déroule l’action (sommes-nous près de Paris ou en province ?) ressemble à un petit village chaleureux dont tous les personnages se tiennent les coudes jusqu’au joyeux sabbat final.

Entrecoupé de séquences musicales dispensables, Linda… est joué par de vrais acteurs dont on reconnaît les voix, Clotilde Hesme, Laetitia Dosch et surtout Esteban à la diction inimitable. C’est un spectacle drôle, tendre, attachant, qui plaira aux grands comme aux petits, à ne pas manquer.

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Walk Up ★☆☆☆

Byungsoo, un réalisateur de cinéma d’une certaine notoriété, amène sa fille rendre visite à une amie de longue date. Architecte d’intérieur, elle est propriétaire d’un petit immeuble de trois étages dans un quartier huppé de Séoul. Byungsso espère qu’elle acceptera de prendre sa fille en stage. Le repas qu’ils partagent est interrompu par l’appel téléphonique de son producteur.

Hong Sangsoo poursuit, au rythme frénétique qui est le sien de deux à trois films par an, sa prolifique carrière. Les  deux précédents – De nos jours et La Romancière, le Film et le Heureux Hasard – sont sortis en 2023 et les deux prochains sont déjà en boîte.

Ses films ont sur moi le même effet que les romans de Patrick Modiano. J’ai le plus grand mal à en comprendre le sujet et les rebondissements, suspectant leur auteur de prendre un malin plaisir à m’égarer dans des temporalités floues et des personnages interchangeables. Je n’arrive plus à me souvenir de chacun, car ils se ressemblent tant les uns les autres que je les confond tous dans un brouillard nébuleux et innommé.

Walk Up pousse ce défaut-là (ou bien est-ce une qualité que je n’ai pas su prendre pour telle) au paroxysme. Son dispositif est minimaliste. Son action se déroule dans un lieu unique, un immeuble dont chaque chapitre se déroule dans un étage différent, le restaurant du rez-de-chaussée, la salle à manger privatisable du premier étage, les deux appartements des deux derniers étages. On ne compte au casting que cinq ou six – je ne suis pas tout à fait sûr du nombre exact – personnages : le héros, sa fille, la propriétaire, la cuisinière et le cuistot qui a choisi le prénom occidental Jules.

Le film raconte plusieurs épisodes qui se déroulent à plusieurs mois sinon plusieurs années d’intervalle : le réalisateur après avoir réussi à faire recruter sa fille est présenté à la cuisinière qui tombe amoureuse de lui. Ils vivent ensemble quelque temps avant de se séparer, laissant le réalisateur, malade, aigri, occuper seul l’appartement du dernier étage. Mais, si j’ai bien compris Walk Up, ces scènes sont le produit de l’imagination du héros, qui les a fantasmées le temps d’un somme (ou bien le temps de son rendez-vous avec son producteur ?).

Je suis ressorti de la salle, comme chaque fois des films de Hong Sangsso, passablement perplexe et furibard. Perplexe d’être passé à côte de quelque chose que je n’avais pas compris, dans l’intrigue elle-même dont un détail m’aurait échappé, ou alors dans l’atmosphère de ces films auxquels je ne suis pas sensible. Et furibard à la fois contre ce réalisateur que décidément je ne goûte pas et dont je m’entête pourtant à voir tous les films et contre moi-même qui ne suis pas assez subtil pour les apprécier.

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La Mère de tous les mensonges ★☆☆☆

Asmae El Moudir est née en 1990 au Maroc. Elle a grandi à Casablanca avant de faire des études de cinéma et de devenir documentariste. Elle a entrepris de reconstituer en miniature le quartier de son enfance, avec des figurines en argile fabriquées par son père et des costumes confectionnés par sa mère. La confrontation de sa famille à cette reconstitution est l’occasion d’exhumer des souvenirs enfouis.

La Mère de tous les mensonges documente une page méconnue de l’histoire marocaine contemporaine : les émeutes du pain du 20 juin 1981, violemment réprimées par les autorités qui en ont systématiquement effacé les traces. À cette occasion, une voisine de la famille d’Asmae a mystérieusement disparu.

Asmae El Moudir use d’un procédé original pour raconter une histoire à la fois intime et nationale. Elle aurait pu recourir, comme le font les documentaires classiques, à des images d’archives. Or, il n’en existe guère. Elle aurait pu, comme c’en est devenu la mode, tourner un film d’animation. Elle choisit un autre parti : la reconstitution en miniatures de son quartier, de sa maison, des membres de sa famille.

Elle choisit de réunir sur le plateau de tournage les principaux protagonistes et, au premier chef, sa grand-mère, dragon domestique et gardienne des secrets les mieux enfouis. Ce personnage est au centre du film. Son statut est ambigu : est-ce au fond une personnalité attachante, dont le comportement revêche s’explique par sa biographie ? ou est-elle authentiquement aussi vipérine qu’elle en a l’air ?

La question n’est pas vraiment tranchée. Ou du moins, je n’ai pas compris qu’elle l’ait été. Et c’est peut-être tant mieux ainsi, le personnage – et le film avec lui – gardant ainsi sa part de mystère. Pour autant, cette ambiguïté est plus dérangeante que stimulante. On sort du film en même temps séduit par l’audace de sa mise en scène, entre théâtre de marionnettes et catharsis familiale façon Festen, et frustré d’une montagne qui accouche d’une souris, le motif de cette histoire se révélant tout compte fait bien pauvre.

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