Hors-saison ★★★☆

Mathieu (Guillaume Canet quasiment dans son propre rôle) est un acteur célèbre en pleine crise de la quarantaine. Noué par la peur de l’échec, il vient de laisser en plan la pièce de théâtre qu’il devait interpréter deux semaines avant la première. Loin de Paris, il se réfugie à Quiberon pour une semaine de thalassothérapie. Alice (Alba Rohrwacher) l’y retrouve. Elle fut son amoureuse quinze ans plus tôt avant de venir s’installer en Bretagne, s’y marier et y avoir un enfant.

Stéphane Brizé délaisse « les terres brûlantes du cinéma social et engagé » (l’expression est superbe, mais hélas Télérama l’a écrite avant moi). Il délaisse aussi Vincent Lindon, son acteur fétiche. Après La Loi du marché (2015), En guerre (2018) et Un autre monde (2021), une trilogie qui, à mes yeux, compte parmi les meilleurs films réalisés en France ces dernières années, Stéphane Brizé revient à une veine intimiste, qu’il avait déjà fait résonner avec l’adaptation du roman de Eric Holder, Mademoiselle Chambon, que j’avais elle aussi adorée.

Hors-saison renferme deux films en un. Le premier a pour seul héros Guillaume Canet, dans un registre autobiographique proche de celui qu’il avait déjà emprunté pour l’hyper-réussi Rock’n Roll et le terriblement raté Lui. C’est l’histoire houellebecquienne d’une star triste qu’une cafetière détraquée fait fondre en larmes : la monotonie des soins, les repas pris seul à table, les rares conversations téléphoniques avec sa femme à Paris (Marie Drucker, star du 20h, qui a cosigné le scénario avec Stéphane Brizé) les clients de l’hôtel et ses employés qui lui demandent timidement un selfie que Mathieu/Guillaume accepte de bonne grâce…

Avec l’arrivée d’Alba Rohrwacher commence un second film. Il est frappé au sceau de la nostalgie, celle des amours passées, des regrets sinon des remords. Quinze ans plus tôt, Mathieu a quitté Alice. Fatalement blessée, elle a quitté Paris et s’est lentement reconstruite dans cette petite ville littorale de Bretagne. Tandis que Mathieu volait de succès en succès, devenait la star qu’il avait vocation à être, Alice s’est éteinte dans une vie routinière de professeure de piano, d’épouse et de mère, dont elle ne parvient pas à déterminer si elle la comble ou la frustre. Les anciens amants se retrouvent, se réconcilient, se pardonnent, caressent l’espace d’une nuit l’espoir de renouer la chaîne des temps, avant de finalement se quitter. Mais j’en ai peut-être trop dit…

Je suis un fan de la première heure de Guillaume Canet. J’ai le sentiment, totalement fantasmagorique, qu’on pourrait devenir les meilleurs amis du monde (quel intérêt pourrait-il trouver à un conseiller d’Etat narcissique ?!). J’aime son humour, ses yeux étrécis, sa barbe de trois jours, son auto-dérision…. Je trouve qu’il fait des choix de carrière intelligents et qu’il accepte de prendre des risques. J’aime la lucidité dont il fait preuve sur la célébrité dont il jouit, ses ressorts et aussi sa fragilité. Rock’n Roll précité restera pour moi l’un des films les plus culottés qui soit.
Au contraire, je n’étais jusqu’à présent guère convaincu par Alba Rohrwacher. Réincarnation contemporaine de la Gelsomina de La Strada, je lui reprochais d’être dans l’excès. Je l’ai au contraire trouvée impeccable, plus taiseuse, plus retenue, dans Hors-saison. Elle n’a pas un rôle facile. Elle le joue pourtant à la perfection.

Je comprends fort bien qu’on puisse ne pas aimer ce film, qu’on puisse même s’y ennuyer, comme l’ont manifesté plusieurs spectateurs de la salle où je l’ai vu qui l’ont quittée en soupirant bruyamment. Une amie a même parlé d’un « kolossal NAVET » (en majuscules).
Pour autant, je le conseille chaleureusement à tous mes amis un peu neurasthéniques qui, lorsqu’ils jettent un regard rétrospectif sur leur vie, jugent lucidement, comme Mathieu/Guillaume que « tout ne va pas bien mais que le tout va bien ».

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Chroniques de Téhéran ★★★☆

Chroniques de Téhéran n’est pas un documentaire, même si son sujet s’en rapproche, mais un film de fiction. Il est composé de neuf saynètes toutes filmées selon un protocole identique. On y voit un seul personnage, en plan américain comme le montre son affiche. On comprend bientôt qu’il s’agit d’une galerie d’Iraniens et d’Iraniennes filmés aux différents âges de leur vie. Ils sont confrontés à un interlocuteur invisible, un détenteur d’une autorité exercée sur eux avec violence et arbitraire : un père de famille se voit refuser d’enregistrer son enfant sous le prénom de David au motif qu’il véhiculerait une influence étrangère, une conductrice de taxi doit acquitter une amende pour avoir conduit sans hijab, un réalisateur est contraint de dénaturer son scénario s’il veut obtenir le visa de la censure, etc.

Le procédé pourrait devenir répétitif. Chroniques de Téhéran a l’intelligence de durer une heure et dix-sept minutes seulement et évite ainsi la lassitude qu’il aurait pu faire naître.

Il est diablement efficace. Chaque scène est étouffante sinon irrespirable – ainsi de celle d’une gamine ravissante obligée de cacher sa splendide chevelure rousse dans un hijab informe. La question du port obligatoire du voile revient régulièrement, comme celle de la norme ou de la normalité à laquelle chaque personnage est renvoyé.  Chacun aspire à une petite parcelle de liberté qui lui est refusée par une autorité arbitraire. Le seul moyen d’en échapper, comme le fait la lycéenne menacée par sa directrice d’être dénoncée à son père, est d’entrer dans son jeu et d’utiliser les mêmes armes qu’elle.

Tourné au nez et à la barbe (!) des mollahs, Chroniques de Téhéran ne se réduit toutefois pas à un procès à charge contre le régime iranien. La société totalitaire qu’il décrit, qui enserre chaque citoyen dans les limites indépassables de ce qui lui est autorisé et de ce qui lui est interdit pour chaque geste de la vie quotidienne, n’est d’aucun lieu ni d’aucun temps. L’entretien d’embauche que subit une jeune femme sur qui son futur employeur entend exercer son droit de cuissage, l’examen humiliant d’un homme obligé de se dénuder devant le fonctionnaire censé lui délivrer son permis de conduire sont deux situations qui pourraient survenir n’importe où.

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Boléro ★★☆☆

En 1928, Maurice Ravel (Raphaël Personnaz) est au sommet de sa gloire. Il part en tournée de concert aux Etats-Unis. Son amie Ida Rubinstein (Jeanne Balibar) lui a commandé un ballet. Cloîtré dans la villa qu’il vient d’acquérir à Montfort-l’Amaury, il s’échine à mettre en musique les bruits du monde. Son projet expérimental sera créé à l’Opéra-Garnier et suscita immédiatement l’enthousiasme. Le Boléro est devenu l’un des rares « tubes » planétaires de la musique classique – au point que les ayants droit de Ravel ont jusqu’à ce jour engagé une longue bataille judiciaire afin qu’il ne tombe pas dans le domaine public et qu’il continue ainsi à produire de considérables royalties.

À soixante ans passés, Anne Fontaine est une réalisatrice installée. Son oeuvre est éclectique : on lui doit Nettoyage à sec, Gemma Bovery, Police ou Présidents… Elle s’était déjà frottée au film à costumes avec Coco avant Chanel et ses toilettes d’une classe folle.

Je suis ressorti du cinéma, où j’avais tardé à voir ce film sorti depuis bientôt deux semaines et porté par un bouche-à-oreille révérencieux, partagé. D’un côté, j’ai été sensible à sa grande élégance. Elegance de la musique bien entendu, tant Ravel incarne, au croisement de la musique classique et de la musique contemporaine, une forme de perfection. Elegance des décors et des costumes (ah ! les tailleurs de Doria Tellier ! ah ! les bijoux de Jeanne Balibar !). Mais aussi élégance des sentiments qui traversent le film où la passion de la musique sublime tout, notamment la relation qui unit Maurice Ravel à sa muse, Missia Sert.

Mais, de l’autre, je dois hélas avouer m’être un peu ennuyé à ce film très académique et paradoxalement assez plat. je ne suis pas certain de la qualité du jeu de ses acteurs, enfermés dans les stéréotypes qu’ils sont censés incarner. Raphaël Personnaz aurait, dit-on, perdu dix kilos pour jouer un Ravel sec de corps et de cœur, atteint d’une maladie dégénérative qui transformera l’enfant pathologiquement attaché à sa mère (Anne Alvaro) en vieillard précoce. Il joue un personnage beaucoup plus terne, beaucoup moins excentrique que ne l’était le vrai Ravel si on en croit les anecdotes croustillantes rapportées à son sujet par Jean Echenoz (Ravel) ou J.M.G. Le Clézio (Ritournelle de la faim) (mais il faut reconnaître que Anne Fontaine, en puisant à la source de la somme du musicologue Marcel Marnat, a prévenu tous les procès en infidélité). Jeanne Balibar fait du Jeanne Balibar en multipliant les roucoulades et en rentrant le ventre pour danser le Boléro sur scène à cinquante-cinq ans. Dora Tellier déploie son mètre quatre vingt en affichant toujours le même sourire compassé (Anouk Grinberg  dans Bonnard, Pierre et Marthe, donnait du personnage fantasque de Missia Sert une interprétation autrement plus inspirée). Quant à Emmanuelle Devos et Vincent Perez, ils en sont réduits à jouer les faire-valoir de luxe.

Boléro a un dernier défaut : réduire l’oeuvre de Ravel à ce seul chef d’oeuvre si connu qu’il en devient – comme la Cinquième de Beethoven ou Les Quatre Saisons – insupportable. Il serait pour autant injuste de lui reprocher d’ignorer ses autres oeuvres, notamment ce sublime Concerto en sol, que le film m’a donné envie de réécouter et qui, de mon point de vue, constitue peut-être la forme la plus élevée de musique jamais écrite.

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Le Pion du général ★☆☆☆

Comme son père et son grand-père avant lui, le jeune Rakib voue une indéfectible loyauté au général Purna. Homme à tout faire, gardien, cuisinier, chauffeur, il assiste le vieil homme, revenu habiter sa maison de famille pour briguer les suffrages de ses concitoyens qui le craignent et le vénèrent.

Le Pion du général est un film indonésien, le quatrième pays le plus peuplé au monde, le plus grand pays musulman par sa population, mais dont la production cinématographique n’est pas au diapason de sa taille. L’Indonésie, on le sait (ou pas !) a connu pendant la Guerre froide trente années de pouvoir autoritaire sinon de dictature, pour se démocratiser tardivement à la fin des années 90. Elle porte encore les stigmates de ces temps troublés  comme l’ont montré les deux documentaires époustouflants de Joshua Oppenheimer sur les massacres de 1966 : The Act of Killing et The Look of Silence.

Makbul Mubarak, dont la famille servit sous le régime de Suharto, interroge la figure de l’autorité et les limites de la loyauté. Le titre original du film, Autobiography, souligne cette inspiration personnelle. La traduction française n’en est pas moins habile, qui fait référence au goût du héros pour les échecs.

Pour le jeune Rabik, le général Purna est tour à tour un mentor, un père de substitution et un ogre dont il doit à tout prix, sauf à y perdre son âme, échapper à l’emprise carnassière. Mais, comme d’ailleurs un autre film diffusé en France l’an passé, Une femme indonésienne, Le Pion du général souffre d’une mise en scène trop taiseuse et empesée, qui étire le scénario sur près de deux heures sans qu’on comprenne le retournement de son héros, qui passe de la soumission la plus totale à l’insubordination.

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Shikun ★☆☆☆

Amos Gitaï est sans doute le plus grand réalisateur israélien. C’est par lui que le cinéma de ce pays s’est fait connaître au monde dans les années 90, avec des oeuvres aussi saisissantes que Kadosh ou Kippour. À soixante-dix ans passés, il n’a rien perdu de son énergie et de sa détermination. Alors qu’il aurait pu céder aux sirènes du mainstream et de l’entertainment, il continue à bricoler ses films sans rien euphémiser de son engagement politique en faveur de la paix.

L’idée de Shikun lui est venue alors qu’il travaillait sur la mise en scène de House, une pièce de théâtre inspirée de son tout premier film, House, tourné en 1980, sur la reconstruction d’une maison à Jérusalem qui avait appartenu à des Palestiniens avant 1948. Alors qu’Amos Gitaï manifestait chaque jour contre le projet de Benjamin Netanyahou de réduire l’indépendance de la Justice, le réalisateur relisait Rhinocéros de Ionesco. Il a été frappé par l’actualité de cette pièce, métaphore anti-totalitariste écrite en 1959 par un écrivain roumain réfugié en France.

Il a décidé de la mettre en scène – en y intercalant d’autres textes, un poème de Mahmoud Darwich et un texte de Amira Hass. Il a tourné dans un immense immeuble HLM de la périphérie de Beer-Sheva, dans le Néguev, qui a donné son nom au film, ainsi que dans les sous-sols abandonnés de l’ancienne gare routière de Tel Aviv.

Le résultat est déconcertant sinon décevant. La raison de ma déception s’explique peut-être par ma relation à la pièce de Ionesco, que j’avais étudiée au lycée (ou au collège ?) sans y rien comprendre, ce qui avait fait naître chez le bon élève que j’étais alors une immense frustration.

Amos Gitaï opte pour le plan-séquence pour suivre l’héroïne interprétée par Irène Jacob – qui est venue à l’Arlequin présenter ce film – dont on comprend qu’elle interprète non seulement le rôle de Daisy, mais celui de tous les protagonistes de la pièce. Tout au long du film, elle porte le même T-shirt vert, censé peut-être rappeler la couleur de la peau des rhinoceros. Son interprétation est impressionnante mais la tâche qu’on lui assigne lui fait perdre toute cohérence. On la voit à la fois, comme Jean, se transformer en pachyderme et, comme Bérenger, refuser de capituler jusqu’au dernier souffle : « Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitule pas ! »

Shikun est un geste politique. C’est un hymne à la résistance et à la fraternité, notamment envers les réfugiés. C’est aussi un happening théâtral. Mais tout cela ne fait pas un film, aussi grande que soit notre déférence à son réalisateur.

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La Beauté du geste – Danse et éternité ★☆☆☆

Xavier de Lauzanne, reporter au long cours, a choisi de retourner au Cambodge qu’il connaît bien pour y avoir consacré un précédent film à l’association Pour un sourire d’enfant. Il y raconte l’histoire du Ballet royal du Cambodge, une forme d’art sacré longtemps pratiqué à la cour du roi.

Le Ballet royal se produisit pour la première fois hors du Cambodge en France en 1906. Auguste Rodin, qui était alors au sommet de sa gloire et au crépuscule de sa vie, assista à une de ses représentations à Paris et en fut fasciné. Il décida de le suivre à Marseille et, pendant la semaine qu’il passa en sa compagnie, dessina plus d’une centaine d’aquarelles.

La dramaturgie est rigoureusement codifiée. Quatre personnages principaux interagissent. La gestuelle des danseuses, muettes, au visage hiératique, est leur seul langage.

L’histoire du Ballet royal reflète celle du Cambodge, protectorat français qui accède à l’indépendance en 1953 et qui constitue un îlot de prospérité avant de sombrer dans la guerre civile en 1970. En particulier, le Ballet royal a été frappé, comme l’ensemble de la population cambodgienne, par les crimes de masse commis par les Khmers rouges. 90 % des membres du Ballet royal auraient péri entre 1975 et 1979.

Le documentaire de Xavier de Lauzanne, qui suit le fil de l’histoire, collecte des images d’archives et interviewe quelques grandes figures, notamment la princesse Buppha Devi, la fille du roi SIhanouk, qui fut danseuse, puis chorégraphe et même ministre de la culture, a le grand mérite de nous faire découvrir cet art. Il suit la création du spectacle Métamorphoses, supervisée par la princesse, présenté en 2013 avant de venir à Paris en 2018, et notamment ses deux actrices principales.

Il a toutefois l’inconvénient rédhibitoire de son format guindé, qui conviendrait mieux à une longue publicité de l’office de tourisme cambodgien ou au making-off de Métamorphoses qu’à une œuvre de cinéma.

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Blue Giant ★★☆☆

Dai Miyamoto, un adolescent du nord du Japon, fou de saxophone, décide de venir vivre sa passion à Tokyo. Il débarque chez son ami Shunji Tamada auquel il a tôt fait de transmettre sa passion pour le jazz. Ensemble, avec Yukinori Sawabe, un pianiste surdoué, ils vont former un trio. Leur ambition : jouer au SoBlue, la boîte de jazz la plus célèbre du Japon.

Je ne connais pas assez les mangas pour juger de la qualité du roman graphique publié en dix tankōbon par l’éditeur Shōgakukan entre 2013 et 2016 dont Blue Giant est l’adaptation. Mais j’imagine volontiers la gageure de résumer une telle oeuvre dans un film de deux heures à peine.

L’histoire édifiante du film n’a rien de très original. Blue Giant, comme beaucoup avant lui, raconte la naissance d’une vocation. Il joue sur les caractères bien distincts de ses trois personnages : la détermination irréductible de Dai de devenir « le meilleur jazzman au monde », l’amateurisme de Tamada, compensé par son désir de s’intégrer et son acharnement à progresser, les états d’âme de Yuki…

Blue Giant est destiné aux amoureux de jazz qui s’y régaleront. Il réussit, ce qu’un film ordinaire ne peut faire, à mettre en image la musique grâce à une utilisation intelligente et inventive de toutes les ressources que l’image animée permet : la motion picture, les délires psychédéliques façon Yellow Submarine… Même si sa fin est convenue et prévisible, elle nous transporte et nous transcende.

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Il reste encore demain ★★★☆

Nous sommes au printemps 1946 dans le Testaccio, un quartier populaire du sud de Rome. Delia (Paola Cortellesi) y vit sous l’emprise de son mari, Ivano (Valerio Mastandrea). Elle élève sa fille aînée qui est sur le point de se marier, au risque de reproduire les erreurs que sa mère a commises, et deux garçons turbulents. Son mari, aussi machiste que violent, la bat comme plâtre au vu et au su de ses trois enfants et de ses voisins qui n’y peuvent mais. Delia rêve à la vie qu’elle aurait pu avoir si elle avait épousé Nino, le mécanicien qui l’avait courtisée plus jeune et qui est toujours épris d’elle. Dans quelques jours se tiendra le référendum qui marquera la fin de la monarchie en Italie et auquel les femmes auront, pour la première fois, le droit de participer.

Il reste encore demain nous vient d’Italie où il a rencontré un succès époustouflant. Sorti en octobre dernier, il y est devenu un phénomène de société, plébiscité par plus de cinq millions d’entrées comme le proclame triomphalement son affiche française, au risque d’en faire son principal argument de vente. C’est le premier film de Paola Cortellesi, qui y interprète le rôle principal.

C’est un film étonnant, qui mérite amplement son succès.
C’est bien sûr au premier chef un film féministe, dont la sortie en France coïncide opportunément, à quelques jours près, avec la Journée internationale des droits des femmes. Le sort de son héroïne brise le cœur. Sa résilience suscite une empathie immédiate. La conclusion du film, qu’on imaginait se diriger gentiment vers une fin attendue, surprend et, à la réflexion, convainc.

Mais c’est surtout un film remarquablement mis en scène, qui fait preuve d’une maîtrise étonnante pour une première réalisation. C’est un film en noir et blanc et en format carré, qui convoque par son esthétique les grands classiques du néo-réalisme : Delia occupe un logement similaire à celui de l’héroïne de Bellissima de Visconti et, comme elle, administre des piqûres à domicile à ses patients. Comme Sofia Loren dans Une journée particulière, elle étend son linge sur les toits plats de Rome, avec le monument à Victor-Emmanuel II en arrière-plan.

Mais c’est pour autant un film très contemporain qui emprunte à plusieurs genres : au naturalisme, au thriller (la dernière scène est construite autour d’un suspense haletant) et même à la comédie musicale. La musique, très riche, fait le pari – que je trouve moyennement convaincant – de l’anachronisme.

Un aspect du film m’a chiffonné. Ses personnages sont monolithiques : Ivano, comme son père, y est unanimement détestable, Delia, comme sa fille, y est totalement admirable. Cette caractérisation prend en otage le spectateur, condamné à haïr Ivano et à prendre fait et cause pour Delia, autant qu’il prive le film d’une grande partie de sa subtilité.

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Scandaleusement vôtre ★★☆☆

Littlehampton, une paisible cité balnéaire du Sussex, est brusquement agitée par une sombre affaire. Edith Swan (Olivia Colman), une vieille fille confite en religion qui vit auprès de ses parents, y reçoit des lettres anonymes particulièrement salées. Les soupçons se portent vite sur sa voisine, Rose Gooding (Jessie Buckley), une jeune veuve irlandaise qui mène une vie de débauche. Mais cette culpabilité trop évidente ne convainc pas Glady Moss (Anjana Vasan), jeune officière de police, qui, contre l’avis de sa hiérarchie, va mener sa propre enquête pour innocenter Rose et retrouver l’auteur de ces lettres anonymes.

Wicked Little Letters, joliment traduit Scandaleusement vôtre, est une comédie sans prétention qui a trouvé son motif dans un fait divers qui remonte aux années 20. Tous les fans de Downton Abbey – et j’en suis plus souvent qu’à mon tour – retrouveront avec gourmandise cette période si policée et si élégante. Ils se délecteront du jeu des deux héroïnes, Olivia Colman (La Favorite, The Crown, The Father, Empire of Light….), en grenouille de bénitier étouffée par un père autoritaire (Timothy Spall, l’ignoble Peter Pettigrow de la saga Harry Potter) et Jessie Buckley (Jersey Affair, Wild Rose, Chernobyl…), épatante de naturel en femme libérée et en mère aimante.

L’intrigue rebondissante et son traitement survolté font penser aux bandes dessinées bon enfant de Tintin. On ne s’ennuie pas une seconde et on sort de la salle le sourire aux lèvres et la larme à l’oeil. Pour autant, aussi agréable soit-il, Scandaleusement vôtre est un produit périssable et oubliable qui ne laisse guère de traces.

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Les Carnets de Siegfried ★☆☆☆

Rejeton de la haute bourgeoisie anglaise, Siegfried Sassoon s’engage patriotiquement en 1915 mais découvre vite les horreurs de la guerre. Il manque de peu être passé par les armes pour ses prises de position pacifistes et est envoyé par le conseil de guerre en hôpital psychiatrique en Ecosse. Ses premiers poèmes portent la trace de ses années éprouvantes. Durant les années folles, il mène une vie de dandy et fréquente le grand monde. Il ne fait pas mystère de son homosexualité et accumule les liaisons tapageuses. Il se marie néanmoins en 1933 et a même un fils. Après s’être converti au catholicisme, il meurt octogénaire dans les années 60 et laisse une oeuvre abondante.

Terence Davies, qui est mort l’automne dernier, lui a consacré son dernier film. J’avais vu début 1989 le film qui l’a rendu célèbre, Distant Voices, Still Lives, l’évocation autobiographique de son enfance dans un milieu populaire, à Liverpool dans les années 40 et 50. J’avais vu ses films suivants, notamment The Deep Blue Sea, qui se déroulait dans le Londres neurasthénique de l’immédiat après-guerre, asphyxié par le rationnement et par le smog, et Emily Dickinson, A Quiet Passion, que ma critique descend en flèche. J’aurai la main à peine moins lourde pour ces Carnets, qui m’avaient pourtant été chaudement recommandés par une amie au goût très sûr et par les yeux en cœur de Pénélope, la nouvelle mascotte de Télérama.

On y reconnaît la mise en scène élégante de Terence Davies, à rebours de tout naturalisme. Les décors, ostensiblement artificiels, rappellent ceux d’une pièce de théâtre. La caméra effleure les visages, les riches étoffes, même si un budget limité interdit les grandes scènes de foule. On ne quittera guère les intérieurs où Siegfried étouffe, le cabinet d’un psychiatre, la chambre à coucher où ses amants se succèdent. On entend parfois en voix off quelques uns de ses poèmes. Un saut dans le temps nous le montre, vieilli et aigri, finissant ses jours dans un modeste cottage du Wiltshire où lui rend visite un ancien amant.

Cette mise en scène très léchée, volontiers austère ne fait naître chez moi, dans ce film-ci, comme dans les précédents de Terence Davies, aucune émotion. Ils me glacent. Pire, ils me lassent….

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