Girls Will Be Girls ★★☆☆

Mira a seize ans. Elle est l’élève modèle d’un pensionnat situé dans l’Uttarakhand, sur les contreforts himalayens. Elle vient même d’en être élue « préfète », une première dans ce lycée mixte. Y règne une discipline de fer qu’elle a désormais la charge de faire respecter en lien avec la proviseure. Toute relation inappropriée entre garçons et filles est prohibée ; mais cela n’empêche pas Mira de flirter avec Srinavas, un séduisant lycéen fraîchement débarqué de Hong Kong. La mère de Mira ne voit pas d’un bon oeil cette relation.

On pouvait craindre que le premier film de la réalisatrice Shuchi Talati manque d’originalité. Son thème est rebattu : le coming-of-age, en bon français la sortie de l’adolescence, les premières amours, l’éveil à la sexualité…
Mais Girls Will Be Girls réussit à faire du neuf avec du vieux.

La raison en est d’abord son cadre : ce pensionnat indien dont on voit plus souvent les cours de récréation et les espaces de circulation que les salles de classe (il n’y a quasiment pas de professeurs dans ce lycée et on n’y voit guère qu’une scène ou deux en classe !).

La raison en est aussi la délicatesse et la bienveillance – deux qualités à la mode – avec lesquelles sont filmés les deux adolescents. Leur innocence, leurs troubles, leurs audaces sont particulièrement touchants.

La raison enfin et surtout en est l’inhabituel trio autour duquel s’organise le film : Mira, son copain Sri et sa mère Anila. Signalons que la bande-annonce – dont je me plains régulièrement qu’elles divulgâchent le miel des films – est ici remarquable d’ambiguïté. En la regardant, on pressent que quelque chose se noue entre la mère, très jeune et peut-être malheureuse dans son couple, et ce séduisant jeune homme, sans en être tout à fait certain : si Anila flirte avec Sri, est-ce pour protéger sa fille en lui montrant que son boyfriend est volage ? ou est-ce pour se prouver qu’elle est encore séduisante ?

L’intrigue aurait pu se limiter à ce trio. Elle ressent le besoin d’ajouter un autre fil narratif en évoquant le sexisme des lycéens. Ce fil renvoie certes à la situation indienne et aux violences sexistes qui y sont fréquentes. Le sujet est grave. Mais il alourdit inutilement l’intrigue qui aurait pu en faire l’économie.

La bande-annonce

The Corridors of Power ★★★☆

Si la fin de la Guerre froide avait suscité l’espoir d’un nouvel ordre mondial pacifié, les dernières décennies ont connu encore leur lot de guerres et de massacres que les Etats-Unis, malgré leur hyperpuissance n’ont pas su prévenir. Dror Moreh interroge les principaux acteurs de la politique étrangère américaine des trente dernières années sur cet échec collectif.

The Corridors of Power est un titre bien banal et bien obscur pour un documentaire aussi exceptionnel qui revisite l’histoire des relations internationales de 1989 à nos jours. Réalisé par un documentariste israélien, achevé en 2022, sorti la même année aux Etats-Unis, il a connu en France une diffusion ultra-confidentielle, dans une seule salle parisienne à des horaires improbables. C’est bien dommage.

Certes, c’est une œuvre exigeante sur les dilemmes de la politique étrangère, qui n’intéressera peut-être que quelques rares spécialistes des relations internationales. C’est aussi un spectacle éprouvant : par sa durée (plus de deux heures) et surtout par les images qu’il montre,de massacres et de charniers. Mais les questions qu’il pose et les réponses qu’il y donne sont d’une rare intelligence.

Dans les premières minutes de ce documentaire, on craint un procès à charge, inspiré par une thèse simpliste et bien-pensante : les États-Unis, malgré leur puissance, ont été incapables de prévenir et d’arrêter les crimes de guerre qui se sont paradoxalement multipliés depuis la fin de la guerre froide dans l’ex-Yougoslavie, au Rwanda, en Syrie…

En se donnant le temps d’examiner cette thèse, The Corridors of Power accepte la complexité. Il aurait été tellement simple de mettre les errements de la diplomatie américaine sur le dos des intérêts financiers ou des petits calculs politiciens. Mais en décortiquant chaque événement, en prenant le temps d’expliquer les positions de chacune des parties prenantes à la prise de décision, le documentaire permet de mieux comprendre et surtout de recontextualiser les positions arrêtées. Il montre par exemple dans quelle mesure l’indécision américaine en ex-Yougoslavie en 1993-1994 s’explique par le manque d’expérience du jeune président Clinton récemment élu, alors que cinq ans plus tard, fort de l’expérience acquise et de sa notoriété grandissante, il prend au Kosovo une position beaucoup plus hardie.
The Corridors of Power montre surtout que, contrairement à l’image qu’on s’en fait ou que l’Histoire reconstruit a posteriori il n’y a pas une « bonne » et une « mauvaise » décision mais que la salle de crise réunit autour du président « des gens imparfaits disposant d’informations imparfaites devant prendre des décisions imparfaites ».

Si ce documentaire avait un seul mérite, outre celui de déchiffrer la complexité du processus de décision, c’est celui de refuser l’opposition manichéenne entre la « mauvaise » abstention et la « bonne » intervention. Car rester inactif face à un génocide qui se commet, ne signifie pas ipso facto que l’intervention militaire pour y mettre un terme soit la bonne solution.
Quelques exemples suffisent à le montrer. Celui de la Libye est particulièrement révélateur. Au nom de la « responsabilité de protéger » que le président Obama venait de théoriser, les Etats-Unis, avec l’aide du Royaume-Uni et de la France, sont intervenus en Libye et ont débarrassé ce pays d’un sanglant dictateur. Mais ils l’ont fait sans l’aval du Conseil de sécurité et ont abandonné le pays à la guerre civile.
Ce précédent éclaire l’inaction occidentale en Syrie, ensanglantée elle aussi par les exactions d’un autre dictateur. En violation de la promesse qu’il avait faite d’intervenir si Bachar utiliserait l’arme chimique, Obama est resté l’arme au pied après les massacres de la Ghouta au gaz sarin en août 2013. The Corridors of Power consacre à cet épisode de longs et éclairants développements.

The Corridors of Power interroge le gratin de la diplomatie américaine de ces quarante dernières années. Son personnage récurrent est Samantha Power. Journaliste, formée à Yale et à Harvard, elle décroche le prix Pulitzer en 2002 pour son volumineux essai A Problem from Hell sur la réponse américaine aux génocides. Proche du parti démocrate, elle a accompagné Obama dans sa conquête du pouvoir, a servi auprès de lui au Conseil de sécurité nationale avant de devenir son ambassadrice à l’Onu. Cette « femme puissante » fut la conscience droitsdelhommiste du président démocrate et dut assumer des décisions qui mettaient à mal ses valeurs.

La bande-annonce

La Prisonnière de Bordeaux ☆☆☆☆

Les chemins d’Alma (Isabelle Huppert), une grande bourgeoise bordelaise, et de Mina (Hafsia Herzi), une modeste employée d’un pressing dans l’Aude, n’auraient jamais dû se croiser. Elles se rencontrent pourtant au parloir de la prison où leurs maris sont emprisonnés : celui d’Alma, un neurochirurgien, a fauché en état d’ivresse deux piétonnes, celui de Mina a braqué une bijouterie. Alma, qui s’ennuie dans sa maison trop grande, propose à Mina d’y emménager avec ses enfants.

Quelques semaines à peine  après Les Gens d’à côté, Isabelle Huppert et Hafsia Herzi se retrouvent. Leur binôme inspire décidément le cinéma français. Il incarne à merveille deux générations d’actrices (Isabelle Huppert a 71 ans, Hafsia Herzi 37) si différentes. L’une a grandi dans les beaux quartiers parisiens ; l’autre est née à Manosque d’un père tunisien et d’une mère algérienne.

La Prisonnière de Bordeaux, un titre au singulier pour un film pourtant dual, imagine leur rencontre. Elle est pour le moins improbable. Et c’est là la première incongruité d’un film qui en compte beaucoup. Certes, le parloir est un lieu d’attente, essentiellement féminin, où des personnes se croisent que rien n’aurait dû rapprocher. L’idée avait inspiré Rachida Brakni qui en avait fait un film en 2017, De sas en sas. On pourrait peut-être imaginer qu’Alma, attendrie par Mina, propose de la raccompagner jusqu’à la gare. Mais de là à lui proposer de l’héberger ! [On me rétorquera que j’ai le cœur bien sec et que je n’ai jamais hébergé un inconnu rencontré dans la rue. Ce qui est vrai. Mais l’avez-vous déjà fait vous-même ?].

La suite du film est mollement construite sur ce postulat improbable. Le sommet du ridicule est atteint dans une soirée donnée par Alma avec quelques amis proches. L’associé de son mari joue quelques notes de saxo [vos amis jouent spontanément du saxo dans vos soirées ? les miens pas !] Mina déboule, que l’avocat d’Alma prend pour la nouvelle femme de ménage. façon lourdingue de souligner la différence de classe sociale entre les deux femmes.
Dans une autre scène, on voit Mina jeter son téléphone par la fenêtre de sa voiture [Ça vous arrive souvent ? Moi pas !].

Ceux d’entre vous qui me connaissent un peu savent mon allergie pour Isabelle Huppert. Ceux qui me connaissent très bien savent que j’en pense autant de Hafsia Herzi. Autant dire que j’ai été servi avec ces deux actrices ! L’honnêteté m’oblige à reconnaître qu’Isabelle Huppert joue très bien, même si décidément ses efforts pour lutter contre l’âge se voient trop et que son hystérie sautillante m’exaspère. Mais c’est à Hafsia Herzi que je veux réserver mon fiel. Depuis la folle énergie dont elle faisait preuve dans La Graine et le Mulet, je ne l’ai jamais trouvée convaincante. Je trouve son jeu monocorde et monotone. Dans Borgo, dans Les Gens d’à côté ou ici, elle est la même : même expression, même diction, même présence anesthésiée…

L’antipathie que m’inspirent ces deux actrices aurait pu être compensée par un scénario intelligent. Mais hélas, trois scénaristes ont beau s’être attelés à la tâche, le résultat, lui non plus, ne m’a pas convaincu et m’a semblé bien pauvre : une sororité – le mot est tellement à la mode qu’il en devient suspect – de deux femmes que tout oppose et qui vont trouver grâce à l’autre la voie de leur libération.

La bande-annonce

Here ★☆☆☆

C’est l’été à Bruxelles. Les constructions s’arrêtent. Les travailleurs du bâtiment rentrent chez eux pour les vacances. Stefan doit attendre que sa voiture soit réparée pour prendre la route vers la Roumanie. Ces quelques jours lui laissent le temps de vider le frigo des légumes qui y étaient restés, d’en faire une soupe et d’aller la distribuer à quelques amis autour de lui. Se réfugiant le temps d’une averse dans un restaurant chinois, il y fait la rencontre de Shuxiu. La belle trentenaire est bryologue. Elle étudie les mousses à l’université et parcourt les bois environnant la capitale belge pour en prélever des échantillons. C’est là qu’elle rencontre une seconde fois Stefan sur le chemin du garage où sa voiture doit être réparée.

Here est un film minimaliste composé de petits riens. Son scénario est étique – même si le résumé que j’en ai fait est bien long. Here est l’histoire d’une rencontre et esquisse les débuts d’un amour en train d’éclore.

Here fonctionne sur des oppositions et des jeux de miroirs. D’un côté la ville, ses bâtiments qui s’y construisent, son artificialité ; de l’autre la nature, la verdeur des bois, l’humidité des sous-bois. D’un côté Stefan, l’ouvrier du bâtiment, de l’autre Shuxiu et ses mousses. Mais les deux milieux ne sont pas inconciliables. Il y a une symbiose entre les deux éléments, une relation d’interdépendance. Interdépendance des écosystèmes : les villes sont couvertes d’arbres et les campagnes traversées par des lignes de chemins de fer. Et deux êtres se croisent que tout devrait opposer, leurs origines, leurs langues, leurs professions, mais qui finissent par se rencontrer et qui peut-être finiront par s’aimer.

On peut trouver très belle cette réflexion poétique et philosophique sur la ville et ses marges. On peut aussi la trouver bien longuette même si elle dure une heure et vingt-deux minutes à peine.

La bande-annonce

Pompo The Cinephile ★★☆☆

Pompo est une productrice qui a hérité de son grand-père la passion du cinéma. Hélas, elle ne produit guère que des séries B sans âme. Elle a toutefois écrit un scénario plus personnel, mettant en scène un vieux chef d’orchestre qui retrouve l’inspiration dans une retraite bucolique au contact d’une jeune paysanne. Pompo décide d’en confier la réalisation à son assistant, le jeune Gene, qui n’a aucune expérience mais a la passion du cinéma chevillée au corps. Pour le rôle principal, elle convainc une vieille star, ami de son grand-père. Et pour la jeune ingénue, elle recrute une inconnue dont Gene tombe instantanément amoureux.

Pompo The Cinephile est un anime, un film d’animation inspiré d’un manga japonais. C’est un genre qui a ses fans et qui est loin de ma zone de confort, qui se situe plutôt du côté des longs plans fixes ouzbeks en noir et blanc et sans dialogue que des pyrotechnies colorées japonaises entrecoupées d’onomatopées roucoulantes. Mais, de sa zone de confort, il faut savoir sortir pour découvrir d’autres genres qui se révèlent stimulants.

Il y a quelques mois, était sorti en France Blue Giant, un anime japonais qui racontait le parcours d’un jeune jazzman plein d’ambition. Cet anime là lui ressemble, par sa forme bien sûr mais par son thème aussi. Il s’agit dans les deux cas de décrire le travail sans concession de deux jeunes artistes prêts à tout pour réaliser leurs rêves.

Car le vrai héros de Pompo n’est pas la productrice, Pompo, mais son assistant, Gene. C’est à lui que le spectateur s’identifie. C’est avec lui qu’il partage l’angoisse et l’excitation de son premier tournage avant de plonger dans les affres du montage et de ses longues nuits sans sommeil d’un travail sans cesse remis sur le métier.

Pompo a une vertu rare : il raconte par le menu l’élaboration d’un film, depuis l’écriture de son scénario, le recrutement de ses acteurs, son tournage proprement dit, jusqu’à son montage enfin, la partie la plus douloureuse durant laquelle il faut sacrifier des heures de rushes pour aller à l’essentiel. Pompo n’est pas exempt d’une certaine naïveté. Mais il n’en reste pas moins un film original sur le cinéma et sa fabrication.

La bande-annonce

La Récréation de juillet ★☆☆☆

Jeune professeur de musique dans le collège où il fut plus jeune lui-même élève, Gaspard (Andranic Manet) profite de la vacance des locaux durant les vacances d’été pour y inviter cinq amis d’enfance. Leur réunion a un but caché : commémorer la mémoire de Louise, la sœur jumelle de Gaspard qui vient de mourir en Argentine.

L’affiche et le pitch de La Récréation de juillet laissent augurer une comédie franchouillarde, comme on en a vu treize à la douzaine, enchaînant quelques scènes potaches entre adulescents liés par une indéfectible amitié d’enfance. Le film est moins drôle qu’on ne l’augurait – ou qu’on le redoutait. Il n’en sombre pas moins dans un sentimentalisme un peu niais exaltant l’amitié-pour-toujours et les amis-pour-la-vie (BFF Kiss Lol…. comme auraient dit mes ados).

Le film n’est pas non plus le film chorale qu’on attendait, mettant en scène une bande de copains. Parmi les six élèves, Edouard est au centre. C’est lui qui est à l’origine de leurs retrouvailles. C’est lui qui est le moteur de l’action. Dans le rôle principal, Andranic Manet (Réparer les vivants, Mes provinciales, Le Roman de Jim…) porte le film à bouts de bras. Le reste de la distribution est plus inégal : on reconnaît Arcadi Radeff, la révélation du Tableau volé et Alba Gaïa Bellugi, trop souvent éclipsée par le succès de sa sœur cadette.

La Récréation de juillet est lesté d’une couche plus grave, une réflexion sur la mort et sur le deuil. Cette strate-là aurait pu être intéressante. Mais elle n’est pas exempte de maladresse. Dans le même registre, je me souviens de Nos futurs qui traitait des amitiés d’enfance et du deuil avec autrement plus de sensibilité et d’intelligence dans l’écriture.

La bande-annonce

Emilia Perez ★★★☆

Avocate pénaliste, Rita Moro (Zoe Saldaña) est recrutée par Manitas del Monte (Karla Sofia Gascón), un seigneur de la drogue mexicain, pour une mission très particulière : organiser son changement de sexe, simuler sa disparition et accompagner en Suisse sa femme (Selena Gomez) et ses enfants.

Tout ou presque a déjà été dit sur le dixième film de Jacques Audiard. À Cannes, en mai dernier, il a raflé deux prix : celui du Jury – ce qui laisse penser qu’il a raté de peu la Palme d’or – et celui de l’interprétation féminine pour ses quatre actrices – solution un peu batarde pour réconcilier ceux qui voulaient l’attribuer à Zoe Saldaña et ceux qui lui préféraient Karla Sofia Gascón. En couverture de Télérama et de PremièreEmilia Perez est accueilli par une critique d’autant plus enthousiaste que l’été cinématographique a été pauvre en sorties retentissantes. Certes quelques voix dissidentes se font entendre (Les Cahiers du cinéma, Les Inrocks) ; mais elles sont largement minoritaires.

Le thème du film est à la fois trop improbable pour être crédible et trop dans l’air du temps pour ne pas être suspect : la réassignation de genre d’un chef de cartel, interprété par une actrice qui, elle aussi, a vécu dans sa chair la même transition. Il n’y a aucun suspens autour de cet enjeu, qui est annoncé dans la bande annonce, révélé dès le début du film et qui en constitue le principal argument publicitaire. L’identité  est un thème passionnant, qui d’ailleurs traverse le cinéma d’Audiard depuis ses tout premiers films (Un héros très discret racontait l’histoire d’un homme ordinaire qui se faisait passer pour un héros de la Résistance). Il aurait pu être plus creusé encore ici : pourquoi Manitas décide-t-il de changer de sexe ? par une irrésistible pulsion refoulée depuis l’enfance ? pour échapper à ses rivaux ? pour consacrer sa vie désormais au Bien ?

Plus que par son sujet, c’est par son traitement que Emilia Perez impressionne. C’est un film hybride, qui mêle les genres. Une comédie musicale servie par la musique de Camille et de son compagnon Clément Ducol et par les chorégraphies endiablées de Damien Jalet. Le genre, artificiel à souhait, est casse-gueule. Il ralentit la narration. Pour un peu que les chansons ou leur interprétation soient ratées, tout peut chavirer. Ce danger est évité de justesse dans certaines séquences dispensables. Mais Emilia Perez tient crânement la route, entre polar et mélo.

Emilia Perez n’est peut-être pas le meilleur film de Jacques Audiard. Un prophète le surpassait à mon avis. Pour autant, la capacité de ce réalisateur, aux soixante-dix ans bien sonnés, de se réinventer dans chacun de ses films (le western avec Les Frères Sisters ou la comédie sentimentale avec Les Olympiades) force l’admiration. Pour son œuvre si puissante et si diverse, il aura à bon droit sa place dans les encyclopédies du cinéma du XXIème siècle.

La bande-annonce

Dead or Alive 1, 2 et 3 ★☆☆☆

Dead or Alive est une trilogie de films respectivement réalisés en 1999, 2000 et 2004, sortis en bloc en janvier 2004 dans les salles françaises et reprogrammés cet été dans quelques salles parisiennes. Ils sont indépendants les uns des autres mais mettent tous en scène le même duo d’acteurs interprété par Riki Takeuchi, dont la coiffure lui donne des faux airs d’Elvis japonais, et Sho Aikawa.

Dead or Alive (DOA) 1 se déroule de nos jours à Yokohama et raconte l’affrontement sanglant qui oppose des yakuzas japonais à une triade chinoise qui cherche à s’y implanter.
Dans DOA 2, les deux acteurs interprètent des tueurs à gages, qui, après un contrat sur lequel ils avaient été mis en concurrence, retournent dans leur village d’enfance et y renouent leur vieille amitié.
DOA 3 se veut futuriste. Il se déroule en 2346 à Yokohama, une ville sous la coupe d’un dictateur qui souhaite stériliser la population en lui faisant consommer une drogue.

Avec un quart de siècle de recul, les sources d’inspiration de Takashi Miike sont plus visibles encore. Il y a d’abord l’hyper-violence des films de Tarantino – qui fut lui-même inspiré par les films de kung-fu chinois et les films de sabre japonais. Il y a ensuite l’influence des mangas futuristes – le combat final de DOA 3 rappelle l’épilogue cyberpunk et body horror de Tetsuo. Il y a enfin, surtout dans le deuxième volet, la même tendresse que chez Kitano qui venait de sortir Hana-bi.

Takashi Miike pratique la surenchère. La crédibilité de ses scénarios est le cadet de ses soucis. DOA 1 se termine dans un combat apocalyptique qui prête à rire. La fin de DOA 3 y prête presqu’autant. Guère crédibles, les scénarios ne sont guère lisibles non plus, à l’exception m’a-t-il semblé du troisième – mais la raison en est peut-être que je commençais à m’habituer à cette forme d’écriture.

Les plus indulgents ne s’en formaliseront pas. Ils apprécieront ce réalisateur prolixe, qui tourne comme il respire (il aurait dirigé 59 longs-métrages depuis 1991), sans prendre le temps de peaufiner son œuvre. Il faut quand même être très bon public et aimer les plaisirs régressifs pour y trouver de l’intérêt.

La bande-annonce

Le Médium ★★☆☆

La trentaine, carrément à l’ouest, Michael (Emmanuel Laskar, des faux airs d’Edouard Baer) est au tournant de sa vie. Sa copine le plaque le jour de l’enterrement de sa mère (Noémie Lvovsky). Sa sœur (Maud Wyler) est persuadée que Michael a hérité d’elle ses dons de médium et l’incite à marcher dans sa voie. Quand une jeune veuve (Louise Bourgoin) vient lui demander de l’aider à se libérer du fantôme de son mari, Michael, sous le charme, accepte de l’aider.

Acteur des Chiens de Navarre, la troupe de comédiens électrisés fondée par Jean-Christophe Meurisse, Emmanuel Laskar a tourné deux courts-métrages avant de réaliser son premier long. Il en tient le rôle principal, mais s’entoure d’actrices reconnues. Louise Bourgoin, toujours aussi séduisante, y tient un rôle improbable de veuve pas vraiment joyeuse mais plus si triste ; Noémie Lvovsky déploie toujours la même verve, cette fois-ci d’outre-tombe ; Maud Wyler confirme qu’elle est décidément la meilleure BFF (Best Friend Forever) de cinéma qui soit.
Emmanuel Laskar a choisi de tourner dans le Var, dans une région qui m’est chère et que bizarrement le cinéma boude alors qu’elle est tellement cinégénique. On reconnaît le village de Collobrières niché au cœur du massif des Maures, l’abbaye du Thoronet et la plage de l’Almanarre, où j’allais me baigner enfant, avec à l’arrière-plan les îles d’Hyères. Le tout filmé durant un splendide été indien, vidé des touristes qui y affluent en juillet-août.

Le Médium hésite entre deux registres. Ce n’est ni une comédie burlesque sur un métier suspecté de charlatanerie ni un drame sur la mort et les moyens d’en exorciser la peur. Cet entre-deux se justifie – on aurait reproché au réalisateur d’être trop léger s’il avait penché vers la comédie et trop grave s’il avait penché vers le drame – mais il n’en est pas moins inconfortable. Le Médium cherche le bon ton mais les quatre-vingts minutes que dure le film ne lui laissent pas le temps de le trouver.

La bande-annonce

Dieu peut se défendre tout seul ★☆☆☆

Richard Malka est depuis 1992 l’avocat de Charlie Hebdo. Il a défendu le directeur de sa publication en 2007 et en 2008 dans les procès que lui avaient intentés l’Union des organisations islamiques de France et la Mosquée de Paris pour avoir repris les caricatures de Mahomet publiées par le journal danois Jyllands-Posten et obtenu sa relaxe en première instance puis en appel. Ces procès avaient fait l’objet en 2008 d’un film, C’est dur d’être aimé par des cons, et d’un livre, Éloge de l’irrévérence, rassemblant les plaidoiries de Richard Malka et de Georges Kiejman lors de ces procès.

Le même dispositif est déployé autour de la plaidoirie qu’il prononce en décembre 2020, en qualité d’avocat des parties civiles au procès qui se tient devant la cour d’assises spéciale contre les complices des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher. Elle est publiée chez Grasset en 2021 sous le titre Le Droit d’emmerder Dieu. Elle fait aujourd’hui l’objet d’un documentaire sous un titre légèrement moins provocateur.

Sorti en catimini, dans deux salles parisiennes et cinq villes de province à peine, au cœur de l’été 2024, près de quatre ans après le procès, le documentaire d’Isabelle Cottenceau peine, par sa durée – une heure vingt à peine – et par sa qualité à se différencier du docu TV de 52 minutes. Il est tout entier centré sur Richard Malka, laissant à penser que l’homme travaille seul, sans associé ni collaborateur. Il lit face caméra le texte de sa plaidoirie et revient sur la généalogie de ce procès.

Richard Malka a donné un visage à un combat : celui de Charlie Hebdo pour la liberté d’expression et même pour le droit au blasphème. Il a raison d’affirmer qu’en France, société pluraliste et laïque, le respect de toutes les croyances doit pouvoir se conjuguer avec le droit de critiquer toutes les religions. Pour autant, le vibrant plaidoyer de Richard Malka serait plus convaincant encore si l’avocat ne prenait pas la défense de Manuel Valls dans le procès intenté en 2015 contre Dieudonné pour injure publique, celle de la crèche de Baby Loup demandant le licenciement d’une salariée voilée, celle enfin de Charlie Hebdo dans le procès qui l’opposait à une publication pastiche Charpie Hebdo. Dans ces trois instances là, Malka reprochait précisément à ses adversaires ce qu’il revendiquait à raison dans sa plaidoirie de 2020 : la liberté d’expression.

La bande-annonce