Le Musée des merveilles ★☆☆☆

Deux époques : 1927 et 1977. Deux enfants fugueurs du même âge : Ben et Rose, douze ans. Une même ville : New York. Un même handicap : ils sont sourds tous les deux. Ben a perdu sa mère dans un accident et recherche son père. Rose, elle, a ses deux parents mais recherche désespérément leurs amours. Entre Ben et Rose un lien mystérieux passe par le musée d’histoire naturelle et une maquette géante de la ville de New York.

On avait laissé Todd Haynes, l’un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération, avec Carol l’an passé, un film d’une sublime délicatesse avec les inoubliables Cate Blanchett et Rooney Mara, sans doute l’un des tout meilleurs de l’année 2016. On le retrouve fin 2017 dans l’adaptation du livre de Brian Selznick Wonderstruck. Cet auteur américain avait déjà signé Hugo Cabret qu’avait adapté Martin Scorsese dans l’un des films les moins personnels, les moins scorsesiens du réalisateur de Taxi Driver et Casino.

Pareille malédiction semble frapper Todd Haynes qui livre un film peu haynesien. Où est passée la délicatesse de Carol ? l’originalité de I’m not there – biographie diffractée de Bob Dylan ? Le Musée des merveilles – au titre étonnamment mièvre – est la réalisation d’un honnête faiseur. Il a certes le mérite de filmer New York, dans un noir et blanc romantique en 1927, dans des couleurs contrastées en 1977, tels que le voient des jeunes fugueurs, avec un mélange de gourmandise et d’effroi. Mais c’est bien le seul.

Le Musée des merveilles met en scène deux adolescents frappés de surdité – le rôle de Rose est d’ailleurs interprété par une actrice sourde. Il ambitionne de nous faire partager les sensations de ces deux malentendants. Mais il n’y parvient pas vraiment. Certes les séquences en noir et blanc censées se dérouler en 1927 sont muettes. Mais elles sont encombrées d’une musique omniprésente. Les sourds entendent-ils de la musique dans leur tête ? Quant aux séquences tournées en 1977, elles bruissent de mille sons alors que Ben est censé n’en entendre aucun.

Dernier défaut : la construction du film. Tresser deux fils narratifs donne du rythme à un récit. Mais, ces deux fils sont condamnés à se rejoindre. Tout l’intérêt du film repose dès lors sur la surprise et l’intelligence de cette jonction. Or, ici, le suspens est vite éventé, le point de rencontre facile à pronostiquer. Il intervient aux trois quarts du film, vidant sa dernière demie-heure de tout intérêt.

La bande-annonce

Maryline ★★☆☆

Maryline, la vingtaine, quitte son petit village et monte à Paris faire l’actrice.

Quatre ans après Guillaume et les garçons à table !, on attendait avec impatience le deuxième film de Guillaume Gallienne. D’ailleurs, un public nombreux lui fait honneur depuis sa sortie, que ne décourage pas une critique pourtant très mitigée.

J’avoue que le César du meilleur film 2014 m’avait inspiré quelques réserves. J’avais bien sûr ri au portrait grinçant d’une certaine bourgeoisie homophobe. Mais l’épilogue paradoxal du film, où Gallienne faisait sur scène l’aveu de son hétérosexualité, m’avait laissé un arrière-goût désagréable.

Pour autant, la bande-annonce de Maryline m’avait mis l’eau à la bouche. On y découvre une inconnue, Adeline d’Hermy, que Gallienne est allé chercher parmi les sociétaires de la Comédie-française – et qui devrait logiquement décrocher le César du meilleur espoir féminin en mars prochain. Avec ses faux airs de Anouk Grinberg et de Marie Gillain, elle joue le rôle d’une jeune fille en mal de reconnaissance naviguant à vue entre petits rôles et grosses déconvenues.

Le film est plus déconcertant, moins linéaire que la bande-annonce le laissait augurer. Après une première scène en province où l’on voit Maryline répandre non sans mal les cendres de son père dans le champ familial puis prendre le bus vers Paris, on la retrouve en plein tournage d’un film en costumes sous la férule d’un réalisateur allemand sadique (Werner Herzog ? Fritz Lang ?). Puis sans transition la voici alcoolique employée dans un centre de tri postal. Un réalisateur lui donne une seconde chance et la fait tourner à côté d’une star interprétée par Vanessa Paradis – qui jadis jouait des rôles de midinette et désormais des rôles de prima donna déchue.

La mise en scène de Gallienne ne s’embarrasse pas de transitions. C’est son droit. Mais ces ellipses incessantes perdent le spectateur. Pire : elle prive le personnage de Maryline de toute cohérence et de toute crédibilité. On la voit ivre et bégayante et, la minute d’après, resplendissante et flamboyante. On peut être enthousiasmé par ce pur joyau qui brille de mille feux. J’aurais aimé l’être. Mais j’ai plus été désorienté que conquis.

La bande-annonce

Diane a les épaules ★★★☆

La vingtaine bien entamée, Diane est la copine qu’on rêve tous d’avoir. Fêtarde et la main sur le cœur. Toujours prête à rendre service. Même à Jacques et Thomas auxquels elle a prêté son ventre pour porter leur enfant. La grossesse se déroule sans encombre dans la maison familiale que Diane rafistole avec l’aide de Fabrizio, un bel électricien dont le charme ne la laisse pas indifférente.

« Être enceinte et avoir un enfant ? Mais ça n’a rien à voir ! » « Mais comment tu le sais puisque tu en as jamais eu ? « Ben je le sais, je le vis ».
Cet échange résume bien le film. Être enceinte et avoir un enfant a, bien sûr, « à voir ». Soutenir le contraire est provocateur. Provocateur mais pas faux pour Diane qui « arrive à séparer sa tête de son ventre ». Être enceinte, c’est dans son corps. Avoir un enfant c’est (aussi ? surtout ?) dans sa tête.

Le film s’arrêterait ici à une œuvre militante pour la GPA et le droit des homosexuel(le)s d’y recourir si le personnage de Diane était tout d’un bloc, sans doutes, ni hésitations. Or, justement, si Diane a les épaules, elle a aussi une fâcheuse tendance à se les déboiter souvent. Si Diane a décidé d’offrir son ventre à ses copains, elle ne réussit pas à le faire sans s’interroger sur son geste.

Elle le fait après avoir rencontré Fabrizio. Cette béquille n’était pas indispensable. Le film aurait gagné en densité sans ce quatrième personnage. Mais sans doute aurait-il été plus difficile pour les scénaristes de montrer sans lui ce que Diane ressent.

Clotidle Hesme est impeccable. Elle joue à merveille la femme enceinte, écrasée de sommeil, lestée d’un ventre énorme qui complique chaque geste de la vie quotidienne, alternant des phases d’euphorie et de dépression. Pendant la première moitié du film, j’ai trouvé son jeu de fille « cool » un peu outré pour une actrice à l’élégance et à la classe si naturelles. Mais mes réticences ont été levées par deux scènes que je vous laisse découvrir. La seconde est la scène finale. Je ne sais pas si elle convaincra les opposants à la GPA. J’en doute. Mais elle les émouvra à coup sûr.

La bande-annonce

L’Orage africain ★☆☆☆

Le réalisateur béninois Sylvestre Amoussou s’était fait connaître en 2007 avec une fable réjouissante. Africa Paradis imaginait une Afrique prospère menacée d’invasion par des hordes d’immigrés en provenance d’une Europe qui aurait sombré dans la misère. Son film renversait avec une saine insolence les stéréotypes qui polluent les représentations Noir-Blanc.

Il continue dans la même veine avec son dernier film. Son action se déroule dans les rues d’un pays africain imaginaire – même si on reconnaît sans peine celles de Cotonou envahies d’une nuée de mobylettes. Un président démocratiquement élu a décidé d’y nationaliser les moyens de production et d’en renvoyer les Occidentaux. Mais il se heurte à la résistance d’Occidentaux aussi racistes que fourbes et à la trahison de quelques Africains corrompus.

La charge est lourde. Sans nuance. Elle n’est guère servie par une direction d’acteurs affligeante – à commencer par Sylvestre Amoussou lui-même qui s’est arrogé le rôle principal – et par un scénario sans éclats qui se conclue en épingle à cheveux. Le manque de moyens se voit. Une musique envahissante ne parvient pas à le cacher.

Elle est révélatrice aussi des apories d’une certaine pensée anti-occidentale. Car la revendication – légitime – du président Eso de reprendre le contrôle des richesses nationales le conduit logiquement à des décisions dérangeantes : se rapprocher de la Russie et de la Chine (qui vont utiliser leur veto au Conseil de Sécurité pour empêcher le vote de sanction contre son pays … comme ils l’avaient fait pour la Syrie d’Assad !), voir la main de l’étranger dans les troubles qui agitent le pays (comme Gbagbo qui instrumentalisait la thèse de l’ivoirité pour hystériser ses partisans), revendiquer une souveraineté intégrale contre l’ingérence droits-de-lhommiste de la communauté internationale (comme Goebbels qui rappelait à la tribune de la SDN que « charbonnier est maître chez lui »).

La bande-annonce

M ★★★☆

Lila ne sait pas parler. Mo ne sait pas écrire. Ils vont se rencontrer, s’apprivoiser, s’aimer, se guérir.

Le premier film de Sara Forestier ne chipote pas. Pas de romance parisienne sur les bords de Seine ; un coup de foudre en banlieue qui chamboule tout. Pas d’étudiants embourgeoisés qui refont le monde rue Saint-Guillaume ; des familles déclassées en rupture de ban, cabossées par la vie.

Je suis tombé sous son charme dès la première scène, sorte d’épigraphe au film. On y voit un groupe de bègues réunis autour d’un praticien qui expliquent leur handicap, chacun avec leurs mots, plus ou moins difficilement énoncés. C’est probablement une scène que la réalisatrice a filmé durant ses repérages. Puis l’animateur se tourne vers Sara Forestier, qui fait elle aussi partie du groupe, et lui donne la parole. Celle-ci, incapable de prononcer le moindre son, roule des yeux terrifiés bientôt remplis de larmes. En une scène, sans un mot, l’actrice-réalisatrice administre la preuve de son immense talent.

Je l’avais découverte avec L’Esquive qui lui valut le César ô combien mérité du Meilleur espoir féminin en 2005 à dix-neuf ans seulement. Et je l’ai suivie tout au long de sa jeune carrière : Le Nom des gens, Suzanne, La Tête haute, Primaire… J’aime sa gouaille, sa voix, son charme, sa fragilité, sa drôlerie. J’aime surtout l’émotion de son jeu, dont elle n’est pas avare au risque de trop en faire.

C’est un risque qu’elle assume dans son premier film. La critique ne l’a pas épargnée qui s’en moque méchamment, trouvant M naïf, excessif. C’est vrai que l’histoire est manichéenne. Mo est une racaille, exclu trop tôt du système scolaire, qui s’est construit à force de violence faute de pouvoir s’intégrer. Le handicap de Lila est plus visible, qui est incapable de prendre la parole en public, alors même qu’elle cache une étonnante sensibilité artistique dont son professeur de français en classe de première a bien perçu l’immense potentiel. Elle s’ouvrira comme une fleur grâce à l’amour de Mo. Lui en revanche, n’ose pas lui confesser son handicap jusqu’à un dénouement qui, pour prévisible et convenu qu’il soit, n’en émeut pas moins.

La bande-annonce

Braguino ★★☆☆

Braguino est le nom d’un minuscule campement au cœur de la taïga sibérienne en amont du fleuve Ienissei fondé par le clan Braguine. Une autre famille est venue s’y installer, les Kiline. Entre les deux , une haine sourde prévaut.

Clément Cogitore est un jeune réalisateur français qui s’est fait connaître par un premier film couturé de défauts et rempli de bonnes idées Entre le ciel et la terre. Il revient sur les écrans avec un documentaire de cinquante minutes seulement. Il est allé le tourner au bout du bout du monde, à plus de sept cent kilomètres de la première terre habitée. Pourtant, son film ne porte pas les traces des difficultés de sa réalisation. On voit simplement une rivière et, sur ses bords, quelques cabanes et une population d’adultes et d’enfants d’une blondeur hyperboréenne.

On pourrait croire que Braguino a pour thème la recherche d’un monde vierge, préservé des tares de la civilisation. Son affiche nous le laisse penser qui renvoie à une iconographie de conte de fées avec des enfants et un chien-loup photographiés au bord d’un plan d’eau qui baigne dans une lumière surnaturelle.

Mais le vrai sujet de Braguino est ailleurs. Dans la découverte effrayante d’une violence pré-hobbesienne qui oppose les Braguine à leurs voisins. Des Kiline on ne saura rien sinon ce que nous en disent les Braguine et ce qu’en montrent quelques plans volés au téléobjectif. Ils ressemblent à leurs voisins si l’on en croit les mines de leurs enfants qui s’approchent de la rivière quand y passe le canot des Braguine. Cette quasi-gémellité loin de les rendre plus rassurants en font des menaces plus effrayantes encore.

Le moyen-métrage de Clément Cogitore dure cinquante minutes à peine. Il décrit une situation potentiellement explosive, fait monter la tension… et s’arrête. Honnêteté du documentariste qui n’a pas voulu filmer une violence qui ne s’est pas déchaînée ? Ou rouerie sadique du scénariste conscient de l’efficacité de son procédé ? Toujours est-il que ce point d’orgue frustrant combiné au format inhabituel de ce moyen-métrage m’ont doublement laissé sur ma faim.

La bande-annonce

A Beautiful Day ★☆☆☆

Joe est un tueur à gages. Un sénateur le recrute pour retrouver sa fille et se débarrasser des pédophiles qui l’ont kidnappée.

Ne vous laissez pas abuser par le titre gentillet de ce thriller esthétisant – qui s’intitule dans sa version originale You were never really here que les distributeurs français ont dû estimer imprononçable par un spectateur de Charente-maritime. Fiez vous plutôt au regard fou de Joaquin Phoenix, qui n’a pas volé son prix d’interprétation masculine à Cannes et au marteau qu’il agite fiévreusement.

L’affiche évoque « le Taxi driver du 21ème siècle ». La comparaison n’est pas usurpée. Comme dans le film de Scorsese, Lynne Ramsay – l’auteur du chef d’œuvre We need to talk about Kevin – donne le premier rôle à un vétéran brutal, solitaire et névrosé qui trouvera sa rédemption en secourant une gamine. On se souvient de la coupe iroquois de Robert de Niro ; on n’oubliera pas de sitôt le corps massif de Joaquin Phoenix, couturé de cicatrices.

Mais le bât blesse quand cette comparaison tourne à la répétition.
Une comparaison d’autant plus déplaisante que je dois avouer, le rouge au front, ne pas tenir Taxi driver pour un chef d’œuvre.
J’ai fort logiquement trouvé à la copie les mêmes défauts qu’à l’original. Un héros trop sombre dont la personnalité ne me touche pas. Un scénario trop simpliste – qui, comble du paradoxe, s’est vu décerner un prix à Cannes faute sans doute pour les jurys de s’accorder pour lui décerner la Palme d’or. Une esthétique trop stylisée qui, sous couvert de dénoncer la violence, la filme avec une complaisance malsaine.

La bande-annonce

La Bombe et nous ★☆☆☆

La Bombe et nous est un documentaire qui ne cache pas ses partis-pris. Son titre inutilement racoleur et son affiche l’annoncent sans fards : la bombe atomique constitue la principale menace à « notre » monde, une menace d’autant plus dangereuse qu’elle reste cachée.

Pourtant l’histoire de la bombe atomique contient suffisamment d’enjeux dramatiques et politiques pour mériter une grande fresque façon Apocalypse (un titre qui, au demeurant, lui conviendrait mieux qu’aux deux guerres mondiales).

Le documentaire de Xavier-Marie Bonnot souffre de son approche partisane et de ses moyens limités. Le réalisateur a certes rassemblé des archives impressionnantes. Mais il les expose sans rigueur, passant des essais français dans le Sahara au « Projet Manhattan » pour revenir au 6 août 1945 et aux témoignages émouvants des hibakusha, les survivants de l’explosion d’Hiroshima.

L’histoire de la bombe atomique aurait mérité une présentation plus structurée. Son invention d’abord au milieu de la Seconde guerre mondiale, sous l’aiguillon de la menace nazie. Ses deux premières utilisations non pas contre Hitler mais contre Hiro Hito et la question, toujours lancinante, de leur pertinence stratégique. L’acquisition de sa technologie par l’URSS qui ouvre l’âge de la destruction mutuelle assurée. La crise des missiles de Cuba en 1962 et la périlleuse acquisition par les deux Supergrands des règles de l’équilibre de la terreur. La doctrine nucléaire française et chinoise de la dissuasion du faible au fort. La constitution d’un « club nucléaire » en 1968 constitué des seuls États dotés qui interdit aux États non dotés de franchir le seuil nucléaire et le contrôle des armements dans les années 1970-80 (les accords SALT, START…). La reconnaissance internationale des mouvements anti-nucléaires : Pugwash puis ICAN, prix Nobel de la paix respectivement en 1995 et en 2017.

Soixante-dix minutes sont bien courtes pour présenter cette riche histoire. Et pour le faire avec objectivité. D’autant que la parole n’est guère donnée qu’à des anti-nucléaires – à la notable exception de Hubert Védrine dont le réalisme fait souvent mouche. Le documentaire de Xavier-Marie Bonnot n’aurait pas dû passer en salle. D’ailleurs, sorti le 1er novembre il n’a guère été diffusé que dans une seule salle confidentielle de la montagne sainte-Geneviève dont il a disparu, dès la seconde semaine, de la programmation après une ultime séance-débat hier soir.

La bande-annonce

En attendant les hirondelles ★☆☆☆

Trois histoires dans l’Algérie contemporaine. En commun dénominateur : la lâcheté humaine. Un riche homme d’affaires assiste sans réagir au tabassage d’un inconnu. Une jeune femme retrouve un amour de jeunesse la veille de son mariage. Un neurologue est accusé d’avoir participé à un viol collectif durant les années de guerre civile.

Karim Moussaoui s’était fait connaître en 2015 par un moyen-métrage minimaliste Les Jours d’avant qui racontait l’amour impossible de deux jeunes gens dans l’Algérie des années 90. Il passe au long s’en changer sa façon de faire. Et c’est bien là le problème.

Certes, les trois (ou quatre) histoires que compte son premier long-métrage ont la même délicatesse que celle racontée dans Les Jours d’avant. Par petites touches, un portrait de l’Algérie contemporaine se dessine. Une Algérie filmée, à rebours de l’image de carte postale qu’on en a depuis Camus, sous un soleil froid, où les protagonistes grelottent dans des manteaux trop fins. Une Algérie prisonnière du passé. Du passé collectif de la guerre civile dont les blessures sont loin d’être refermées. Et du passé individuel lesté des petites lâchetés auxquelles oblige un système corrompu fondé sur le clientélisme, le respect hypocrite des traditions et le conformisme. Une Algérie irrespirable où l’on attend ces hirondelles qui annoncent l’arrivée du printemps (arabe).

Mais le sujet aurait mérité un traitement plus habile que celui de ces trois histoires maladroitement juxtaposées. Je ne goûte guère les films à sketches au cinéma ou les nouvelles en littérature. J’ai déjà eu l’occasion de le dire dans ma critique, mitigée, du film américain Certaines femmes sorti en début d’année et pourtant accueilli par une critique élogieuse. Raconter trois courtes histoires, c’est en reconnaître implicitement mais nécessairement la modestie, puisqu’on ne consacrera à chacune qu’une dizaine de minutes. C’est placer un chronomètre au cœur du film (« la première est finie ; plus que deux. La deuxième s’achève ; plus qu’une »). C’est surtout conduire à des palmarès inconscients : ici c’est la première qui pêche par son insignifiance et la troisième qui est de loin la plus émouvante.

La bande-annonce

Jeune femme ★★☆☆

Paula a trente-et-un ans. Ou vingt-neuf. Ça dépend. Elle se retrouve à la rue après une rupture traumatisante avec pour seul bagage le chat de son ex-copain, une cicatrice au front et un manteau rouge volé à l’hôpital.

Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, Jeune femme  révèle une actrice hors pair. De tous les plans, la rousse Laetitia Dosch promène sa grande silhouette dégingandée dans un Paris pluvieux avec une grâce et une fragilité qui la rendent immédiatement attachante. Elle pleure, elle rit, elle crie, elle danse… Tour à tour forte et fragile, volcanique et éteinte, sophistiquée et naturelle, solaire et lunaire, elle démontre, d’un plan sur l’autre, une étonnante richesse de jeu.

Jeune femme croque une héroïne de notre temps. Comme Cléo de 5 à 7 en 1962, l’unité de temps en moins. Une femme en galère dans un Paris qui ne lui est pas spontanément accueillant – et qu’elle dit détester même si on l’imagine mal vivre ailleurs. Une femme en galère amoureuse mise à la porte par l’homme qu’elle a aimé pendant plus de dix ans et qui rencontre tour à tour une lesbienne qui aimerait la glisser sous sa couette (Léonie Simaga qui fut mon étudiante à Sciences Po avant d’entrer à la Comédie-française) et un vigile prêt à la prendre sous son aile protectrice. Une femme en galère professionnelle qui trouve non sans mal un CDI dans le « bar à culottes » (sic) d’un centre commercial anonyme (Italie 21 à 500m de chez moi) et un boulot de fille au pair chez une bourgeoise faussement sympathique (Erika Sainte remarquée dans Baron Noir).

Tant les critiques que les spectateurs réservent depuis dix jours un accueil enthousiaste à ce premier film. J’aurais aimé partager une telle euphorie. Hélas, j’ai quelques réserves. Sans rien trouver à redire au jeu (d)étonnant de Laetitia Dosch, il ne m’a pas fait vibrer ; il ne m’a pas touché. Le personnage de Paula m’a semblé trop hystérique, trop indécis, trop incohérent, trop tout. Suis-je déjà trop vieux pour comprendre les émois des jeunes femmes de notre temps ? Quant au scénario de Léonor Séraille, si j’ai aimé sa conclusion, ouverte, j’ai trouvé qu’il cédait à une certaine facilité, en accumulant les rencontres à la va-comme-je-te-pousse au risque de réduire les personnages secondaires à des silhouettes.

La bande-annonce