The Third Murder ★☆☆☆

Le cadavre calciné d’un chef d’entreprise est retrouvé sur les berges d’une rivière. Misumi, un ancien employé qui venait d’être licencié, avoue immédiatement aux policiers sa culpabilité. Son lourd passé criminel (il a commis trente ans plus tôt un double homicide) fait de lui le coupable tout désigné.
Le jeune et brillant avocat Shigemori est chargé de le défendre. Le comportement de l’accusé, qui semble appeler de ses vœux la condamnation la plus lourde, ne lui facilite pas la tâche. Mais les indices qu’il glane au cours de son enquête, notamment en rencontrant la fille handicapée de la victime, jette un doute sur la culpabilité de son client.

Hirokazu Kore-Eda s’est fait un nom dans le cinéma japonais en filmant des drames familiaux. Le premier film que j’avais vu de lui en 2004 m’avait enthousiasmé : Nobody knows racontait l’histoire d’une fratrie de quatre jeunes enfants abandonnés à eux mêmes par une mère irresponsable. Fidèle à sa signature, j’avais vu ses films suivants qui mettaient en scène, sur un mode plus ou moins tragique, des familles dysfonctionnelles : I Wish, Tel père, tel fils, Notre petite sœur, Après la tempête

Avec The Third Murder, Hirokazu Kore-Eda semble changer de style. Il passe du drame acidulé au polar le plus noir. Il raconte une enquête policière, doublée d’un film de prétoire autour d’un crime crapuleux. Mais il retrouve au bout du compte ses obsessions, celles des familles dont on hérite et celles des familles qu’on se choisit.

Pour autant, avant d’en arriver là, The Third Murder s’étire sur plus de deux heures. Le cinéaste est accoutumé à ces formats-là. Mais ici, rien n’y obligeait. Ni la chronologie de l’histoire, ramassée sur quelques semaines le temps d’une instruction judiciaire, ni les rebondissements de l’enquête qui, pour complexe qu’elle soit, ne sont pas si nombreux qu’ils n’auraient pu être racontés en trente minutes de moins.

En soi, cette durée excessive ne condamne pas le film. C’est son classicisme paresseux, qui tangente parfois le téléfilm policier, qui le fait. Ponctué par les parloirs avec l’accusé, dont le reflet dans la vitre séparatrice est complaisamment calqué sur celui de son avocat pour souligner, au cas où on ne l’aurait pas compris, la proximité des deux êtres, l’histoire suit mollement Shigemori dans ses investigations. Il est affublé non pas d’un – comme c’est l’usage dans les bons scénarios – mais de deux collaborateurs : un vieux procureur cynique revenu de tout pour qui seule compte l’efficacité de la défense et un jeune avoué fraîchement émoulu de l’université, viscéralement opposé à la peine de mort, pour qui seule importe la recherche de la vérité. Cette tension entre la vérité du procès et celle des faits constituait un joli thème. On se souvient qu’elle était au centre du très réussi L’Hermine avec Fabrice Luchini. Mais, Hirokazu Kore-Eda ne l’exploite pas jusqu’au bout préférant, comme hélas les polars ont souvent le défaut de le faire, dénouer une intrigue captivante par une élucidation décevante.

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Mobile Homes ★☆☆☆

Dans le nord des États-Unis, en plein hiver, Ali et Evan tirent le diable par la queue. Ils dorment à la cloche de bois ; ils se nourrissent de resto-basket ; ils vivent de petits larcins : combat de coqs, deals de drogues auxquels Bone, le fils d’Ali, âgé de huit ans à peine, est de plus en plus régulièrement associé.
Ali a un rêve inaccessible : s’acheter un toit. Après une énième dispute avec Evan, Ali et Bone trouvent refuge dans un mobile home, une maison sur roue. Ils espèrent commencer une vie plus saine.

Mobile Homes est le premier film d’un jeune réalisateur français. Il est l’adaptation du court métrage qu’il avait tourné sur le même thème en 2013. L’idée du film repose sur la différence entre house et home : la maison et le foyer. Le titre se voudrait un oxymore : comment Ali et Bone réussiront-ils alors qu’ils se déplacent sans cesse à se construire un foyer stable ?

Les white trash sont à la mode. Le cinéma de la marginalité blanche américaine devient un genre à part entière. En attendant l’excellent Katie says Goodbye qui sortira mercredi prochain, on a pu voir récemment Moi, Tonya, LuckyThe Florida Project ou American Honey. Même abrutissante misère sociale, économique et intellectuelle. Mêmes paysages unanimement déprimants, sous le soleil de Floride ou le blizzard des Grands Lacs. Mêmes héros tristes aux caractères échaudés par les épreuves de la vie qui font vaillamment face.

Sans doute Ali tient-elle honorablement son rang parmi eux. Elle est servie par l’interprétation inspirée d’Imogen Proots, déjà remarquée dans Green Room et Knight of Cups. Mais le scénario de Mobile Homes n’est pas assez original pour le distinguer du tout venant.

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Kings ★☆☆☆

Avril 1992. Los Angeles. Un an plus tôt, quatre policiers ont tabassé Rodney King. La vidéo de leurs agissements a fait le tour du monde. Lorsqu’ils sont acquittés, la communauté noire laisse éclater sa colère.
Millie habite South Central, un quartier populaire de Los Angeles, au cœur des émeutes. Elle met tout son amour à accueillir et élever des enfants placés chez elle par l’assistance sociale. Saura-t-elle les protéger du délire de violence qui menace de tout emporter ?

Deniz Gamze Ergüven réalise son deuxième film qu’elle avait écrit avant Mustang, dont le succès critique autant que populaire (quatre César, le Golden Globe du Meilleur Film en langue étrangère et une nomination à l’Oscar du Meilleur film en langue étrangère) lui aura enfin permis de le tourner. On l’attendait au tournant. Hélas, elle rate dans les grandes largeurs son expatriation à Hollywood.

Pourtant ce n’était pas faute de s’entourer des précautions d’usage. Un casting en or, mais curieusement décalé, les hottissimes Halle Berry et Daniel Craig n’étant pas les choix les mieux adaptés pour interpréter la courageuse Millie et son voisin, moins acariâtre qu’il n’en donne l’air. Un sujet historique et polémique – les émeutes qui embrasèrent L.A. suite à l’acquittement des agresseurs de Rodney King – comme Hollywood aime ces temps-ci les filmer, qu’il s’agisse des émeute de 1967 dans le Michigan (Detroit de Kathryn Bigelow) ou de la marche de Martin Luther King contre la ségrégation dans l’Alabama en 1965 (Selma de Ava DuVernay).

Ergüven, en se focalisant à tort sur le personnage de Millie, tourne une guimauve sans saveur. Aussi bien jouée soit-elle par Halle Berry, qui a à cœur de démontrer par moult embrassades affectueuses et inquiétudes larmoyantes quelle mère aimante de substitution elle fait, Millie n’a pas grand intérêt. Et ce n’est pas la romance cousue de fil blanc, et soulignée par un rêve érotique embarrassant, qui confère au personnage plus d’intérêt.

La jeune réalisatrice turque est passée à côté de son sujet. Elle aurait dû concentrer son scénario dans le temps, autour des quelques heures durant lesquelles la violence se déchaîne et le désordre règne. Elle aurait dû se délester de tout sentimentalisme. Elle aurait dû, comme Kathryn Bigelow l’avait fait avec tant de maestria, gratter jusqu’à l’os la rancœur accumulée des Noirs, le racisme à fleur de peau des Blancs. Elle y parvient un instant quand un policier met en joue Millie et ses enfants apeurés et déverse sur eux sa bile. Mais la scène, trop courte, cède vite la place à la suivante, inutilement étirée qui met en scène Halle Berry et Daniel Craig menottée… à un réverbère.

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Southern Belle ★★☆☆

Taelor Ranzau a vingt-six ans. Dix ans plus tôt, son père est mort et lui a laissé une fortune. Mais la vie de Taelor n’est pas rose pour autant.

Southern Belle a marqué les spectateurs du Festival international de cinéma de Marseille l’été dernier. Il arrive sur nos écrans neuf mois plus tard. Il a pour héroïne une Paris Hilton texane, fille unique d’un père qui, pour punir la mère de Taelor dont il divorçait, a spolié sa femme pour léguer sa fortune de 500 millions de dollars à sa fille.

On imaginerait volontiers que, grâce à cet argent, Taelor vit une vie de princesse. Hélas il n’en est rien. Comme n’importe quelle white trash, de ceux qu’on voit dans 3 Billboards ou 8 Mile, Taelor passe ses journées avec une bande d’amis aussi décérébrés et oisifs qu’elle, à boire, se droguer et tirer au fusil d’assaut sur des lapins inoffensifs.

Le documentaire du Français Nicolas Peduzzi – qui fut un temps le boyfriend de Taelor avant de s’en séparer – suscite des sentiments ambigus. À première vue, il s’agit de l’accumulation complaisante, comme on en voit treize à la douzaine sur YouTube, de scènes d’alcool et de drogue, toutes plus trash les unes que les autres. Mais cette accumulation produit précisément un écœurement et une mise à distance. Beaucoup plus moral qu’il n’en a l’air, Southern Belle constitue en fait le procès en règle d’une certaine dérive de l’Amérique de Trump, pourrie par l’argent facile, sans boussole morale.

Entre un oncle cinglé, une père parano, une grand-mère mourante et quelques soi-disants amis camés jusqu’aux yeux, la belle Taelor constitue paradoxalement un môle de stabilité et de bon sens. Et la scène ultime qui clôt le film donne à son personnage une dimension que ses vaines déambulations dans Houston et ses environs ne laissaient pas augurer.

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Luna ★★★☆

Luna (Laëtitia Clément) n’a pas vingt ans – et ne laisserait personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. D’ailleurs elle n’a pas lu Nizan. L’école n’était pas vraiment son truc. Elle vient de décrocher son CAP d’horticulteur et travaille dans la petite entreprise de Fruits & Légumes de Sébastien (Frédéric Pierrot).
Luna est amoureuse de Ruben, le bellâtre qui dirige la petite bande dont sa copine Chloé et elle font partie. Ils ont même conçu un enfant ensemble dont Luna doit aller avorter dans quelques jours. Un soir de beuverie, la bande croise Alex, un graffeur solitaire. Le ton monte. La situation dérape.
Les mois passent. Luna se teint en rousse. Elle finit par quitter Ruben qui ne la méritait pas. Elle croise Alex, embauché pour l’été par Sébastien, qui ne la reconnaît pas. Entre les deux jeunes gens, l’attirance est réciproque. Mais Luna craint que le passé ne refasse surface.

Luna est un bijou. Un bijou d’autant plus admirable qu’il est l’œuvre de Elsa Diringer, une jeune réalisatrice venu du court métrage dont c’est le premier long. Elle s’est entourée des conseils d’un vieux limier, Claude Mouriéras, qui co-signe avec elle le scénario et les dialogues. Mais sa maîtrise dans la mise en scène, la photo nimbée des chaudes couleurs de l’été languedocien (il y manque quelques scènes de plage et des filles en bikini pour rappeler Mektoub de Kechiche) et surtout dans la direction d’acteurs.

Faire jouer une bande d’ados est un enfer pavé de bonnes intentions. Nombreux s’y sont cassé les dents telle Hélène Zimmer dans l’hyper-ratée À 14 ans. D’autres ont réalisé des chefs d’œuvre : L’Esquive, Chante ton bac d’abord, Bande de filles, Keeper, Divines… Les premières scènes de Luna n’augurent rien de bon, qui filment les jeunes en meute. Mais Elsa Diringer n’est jamais meilleure que quand elle resserre son objectif sur Luna. Laëtitia Clément, dont c’est le premier rôle, est une révélation. En brune ou en rousse, cette jeune blonde dont c’est le premier rôle illumine la pellicule avec ses faux airs d’Emmanuelle Béart ou d’Ariane Ascaride.

Son talent est mis au service d’une histoire qui a la simplicité des films des Dardenne. Un personnage est placé face à un dilemme. Ici c’est Luna qui retrouve par hasard Alex dont elle a été témoin voire acteur quelques semaines plus tôt de l’agression dont il a été la victime. L’attirance qu’elle ressent est freinée par la crainte d’être reconnue. L’impossible aveu de sa participation tient le film en suspens tout comme le retour de Ruben qui briserait immanquablement l’idylle entre les deux amoureux. L’intrigue se dénoue en deux temps. Ce passage obligé, trop longtemps attendu, trop longtemps différé n’est pas la meilleure partie du film. Mais ses imperfections ne suffisent pas à ternir le plaisir qu’on y aura pris.

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La Fille aux deux visages ☆☆☆☆

Clarisse suit Marc, un chirurgien, à son domicile pour une nuit d’amour. Mais Marc l’endort, la ligote et s’apprête à pratiquer sur elle une greffe de visage. On comprend que Marc entend donner à la blonde Clarisse les traits de sa femme défunte, la brune Hélène.

Tout est raté dans La Fille aux deux visages. Son noir et blanc esthétisant qui louche trop ostensiblement vers Les yeux sans visage, l’indépassable chef d’œuvre de Franju auquel le jeune Romain Serir a bien du culot de se frotter dans son premier film. Son scénario difficilement crédible. Sa durée bâtarde (soixante-quinze minutes) trop longue pour un court, trop courte pour un long. Son montage qu’une musique envahissante peine à cacher les maladresses. Son éclairage désastreux. Le jeu de ses acteurs affolant de nullité. Le dénouement inutilement compliqué.

On peine à comprendre qu’un tel film puisse se tourner – il est vrai avec un budget des plus modestes – et, pire, se diffuser – il est vrai dans une seule salle parisienne dont il y a fort à parier qu’il en quitte rapidement l’affiche.

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Red Sparrow ★★★☆

Dominika Egorova (Jennifer Lawrence plus séduisante que jamais), danseuse étoile au Bolchoï dont la carrière vient d’être brisée par une mauvaise fracture, est recrutée par son oncle (Matthias Schoenaerts plus méchant que jamais) dans les services secrets russes. Elle reçoit une formation de choc de la directrice de l’École d’État n° 4 (Charlotte Rampling plus sadique que jamais) aux techniques les plus manipulatrices du sexpionnage. Sa première cible est un espion de la CIA (Joel Edgerton plus américain que jamais) qui protège une « taupe » russe logée dans l’appareil de sécurité de l’État. 

Adapté d’un thriller à succès de Jason Matthews, Red Sparrow ajoute une corde à l’arc déjà richement rempli de Jennifer Lawrence. Dirigée par Frances Lawrence – qui avait déjà réalisé les trois derniers opus de la tétralogie Hunger Games – le geai moqueur devint moineau rouge. Elle paie de sa personne dans le rôle d’une jeune Russe contrainte de rejoindre les rangs des services secrets. Son personnage n’est pas sans rappeler celui de Nikita de Luc Besson ou celui de Charlize Theron dans Atomic Blonde (même perruque platine, même ambiance de guerre froide). Les féministes s’émouvront de l’image dégradante donnée des femmes, condamnées à user de leurs charmes pour réussir et à subir la violence et la domination masculines. Elle n’auront pas tort. On leur répondra que, comme dans les revenge movies, Jennifer Lawrence retourne contre ses bourreaux la violence qu’ils lui ont infligée.

On ressent un plaisir assez primaire à ce blockbuster bien ficelé, bien joué, une sorte de James Bond féminin, filmé entre Moscou et Budapest, Vienne et Heathrow. Sa conclusion est aussi complexe que jubilatoire. Si le succès public est au rendez-vous, une suite sera sans doute tournée. On ne s’en plaindra pas…

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