L’Adieu ★☆☆☆

Lorsqu’on diagnostique à Nai Nai un cancer du poumon en phase terminale, la conspiration du silence fait interdiction aux membres de sa famille de révéler à la patriarche la vérité. Bili, sa petite fille, qui vit aux États-Unis avec ses parents est effondrée par cette nouvelle et révoltée par ce mensonge. L’organisation opportune du mariage d’un cousin va lui permettre de revenir une dernière fois auprès de sa grand-mère adorée.

L’Adieu est sorti aux États-Unis l’été dernier. Tourné avec un budget de trois millions de dollars, il en a raflé vingt au box-office. Son actrice principale, la rappeuse Awkwafina a remporté le Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie, le premier décerné à une actrice asiatique.

Le succès public et critique de L’Adieu tient à la combinaison de deux facteurs. Le premier est son sujet, lacrymal à souhait : la maladie d’une grand-mère entourée de l’affection de sa famille. La seconde est son public-cible : la communauté sino-américaine tiraillée entre sa fidélité à ses origines et son expatriation loin de l’Empire du milieu. Après le succès de Crazy Rich Asians et de la série Fresh Off the Boat – qui raconte la vie d’une famille taïwanaise en Floride – L’Adieu exploite un filon prometteur. On pariera sans grand risque que les années à venir verront se multiplier ce genre de films et d’histoires, à cheval sur les deux rives du Pacifique.

Nous, Européens, risquons de nous sentir très loin des personnages de L’Adieu. Un cinéphile sur Twitter évoquait « l’impression désagréable de regarder une fête de famille à laquelle on n’a pas été invité ». Ce serait en vérité faire à L’Adieu un mauvais procès. la douleur ressentie à l’annonce de la maladie fatale d’un être aimé, l’hésitation à lui en révéler l’ampleur ou à lui laisser le bénéfice de l’ignorance, le besoin de lui consacrer le plus de temps et d’amour avant l’issue fatale sont des sentiments universels propres à émouvoir sous toutes les latitudes.

Le problème est plutôt la pauvreté de ce seul ressort, sur lequel le film repose tout entier. C’était d’ailleurs un peu aussi le défaut rédhibitoire de Crazy Rich Asians : être construit tout entier autour d’une seule idée, sans nuances ni bifurcations. Crazy Rich Asians mettait en scène des « Chinois pétés de thune » ; L’Adieu a pour héroïne une petite-fille dévastée par l’annonce de la mort prochaine de sa grand-mère. Point. C’est touchant. Mais c’est peu. Le jury des Oscars ne s’y est pas trompé qui n’a nommé L’Adieu dans aucune de ses catégories.

La bande-annonce

Les Siffleurs ★★☆☆

Cristi (Vlad Ivanov, acteur fétiche de Cristian Mungiu) est un flic ripou en cheville avec la mafia. Gilda (Catrinel Marlon fémininement fatale) lui demande de faire évader Zsolt (Sabin Tembrea révélé par la mini-série allemande Berlin 56) qui cache trente millions d’euros tirés du blanchiment du trafic de drogue. Pour ce faire, il est dépêché aux Canaries sur l’île de La Gomera (qui donne son nom au titre original du film) pour y apprendre le Silbo, une langue sifflée avec laquelle il communiquera le jour de l’évasion de Zsolt.

Projeté à Cannes en compétition officielle, précédé d’une critique élogieuse, Les Siffleurs ne cache pas ses références au film noir américain : Gilda, Psychose… Mais il déçoit pour trois raisons.

Il sent un peu trop l’exercice appliqué du bon élève. Corneliu Porumboiu fait partie de la « Nouvelle Vague » roumaine, aux côtés de Cristian Mungui (Baccalauréat), d’Adrian Sitaru (Illégitime) ou de Cristi Puiu (Sieranevada). Ce mouvement de jeunes cinéastes dénonce avec un réalisme rêche les impasses morales de la société roumaine post-communiste. Les précédents films de Porumboiu s’inscrivaient dans cette filiation (Le Trésor, Football infini) dont il s’éloigne radicalement. Certes, le cinéma roumain n’est pas condamné aux avortements clandestins ou aux prêtres incestueux ; mais on voit la pertinence de ce Gilda transcarpathe que nous propose Les Siffleurs.

Deuxième défaut. Le Silbo. Corneliu Porumboui raconte avoir vu en France avec sa femme un reportage sur cette langue sifflée. Moi aussi, je regarde souvent à la télé des reportages fascinants. Je n’en fais pas pour autant un film. Mis à part l’exotisme de carte postale que le détour par les Canaries insuffle au récit, on voit mal ce que l’utilisation de cet artifice lui apporte.

Troisième et dernier défaut. Le plus grave. Si on se laisse souvent emporter par les films d’arnaque, par leurs personnages archétypaux (et ici, il faut être stylite pour ne pas s’enflammer pour Catrinel Marlon), par leurs tiroirs, c’est à condition d’en comprendre les rebondissements. Ici, hélas, je me suis perdu – je n’ai pas compris le double jeu de Magda. La faute à mon manque de concentration ou à un scénario illisible ? Toujours est-il que j’ai décroché durant la seconde moitié du film jusqu’à un épilogue, il est vrai d’un romantisme inoubliable, malgré son absence de crédibilité.

La bande-annonce

Merveilles à Montfermeil ☆☆☆☆

Montfermeil vient de se donner un nouveau maire (Emmanuelle Béart). L’édile déborde d’idées étonnantes pour changer la vie des Montfermeillois : instaurer une sieste obligatoire, décréter une journée du kilt et du sarouel, fonder une Ecole internationale de langues pour y apprendre le soninké, le kurde et le tamoul. Autour d’elle toute l’équipe municipale se mobilise.

Sur le papier, le second film de Jeanne Balibar (son premier, Par exemple, Électre, tourné en 2012, racontait déjà une aventure collective gentiment surréaliste et avait été boudé par la critique et par le public) avait tout pour séduire : une comédie politique, un ton décalé, un casting de choc… On espérait trouver à ces Merveilles le même plaisir que celui pris récemment à Notre dame.
Mais force est de constater, avec la critique qui s’en est donnée à cœur joie, un fiasco quasi complet. « En abusant de l’absurde, ce film totalement décousu nous perd en route écrit Catherine Balle dans Le Parisien. Eric Neuhoff, qui n’est plus à une méchanceté près, estime dans Le Figaro que « le film est si mauvais qu’il a une chance d’accéder au statut de nanar culte ». Mais c’est Xavier Leherpeur qui porte la banderille la plus affutée dans L’Obs : « Au cinéma, le bordel requiert de la rigueur et Jeanne Balibar en manque ».

Le reproche est cinglant pour une artiste aussi talentueuse, récemment auréolée du César de la meilleure actrice pour son interprétation dans Barbara. Mais il est fondé. Le défaut de ces Merveilles est de partir dans tous les sens. Film politique ? Satire sociale ? Comédie du remariage ? Merveilles à Montfermeil est un peu de tout cela sans qu’on comprenne vraiment ce qu’il est.

Emmanuelle Béart, qu’on n’avait plus vue sur les écrans depuis des lustres et dont il est de bon ton de critiquer les opérations esthétiques ratées, s’en sort plutôt bien dans la première moitié du film avant de disparaître de la seconde. Jeanne Balibar herself et Ramzy Bédia sont censés jouer un couple en plein divorce auquel on ne croit pas une seconde. Le jeune Anthony Bajon (La Prière, Au nom de la terre) écrit des lettres anonymes en compagnie de Bulle Ogier. Le premier mari de Jeanne Balibar, Matthieu Amalric, recherche des locataires évincés ; le deuxième, Philippe Katerine, joue le rôle d’un préfet aux champs. Un rabbin noir arpente les rues de la vie pour prodiguer des conseils aux couples en crise.

Jeanne Balibar, on le savait déjà, n’aime pas Emmanuel Macron. Elle s’est taillée un petit succès en le traitant de « schlag » mardi soir sur le plateau de Canal +. Personne ne lui en conteste le droit. Mais faire écraser par ses personnages des œufs sur l’effigie présidentielle durant une « fête de la brioche » n’est ni drôle ni intelligent.

La bande-annonce

Nina Wu ★★☆☆

Nina a quitté depuis plusieurs années sa ville d’origine, sa famille, sa fiancée pour s’installer à Taipei et y faire l’actrice. Mais la célébrité tarde à venir : elle n’a guère tourné que dans quelques courts métrages et quelques publicités. Aussi, quand son agent lui propose le casting du rôle titre d’un film à grand budget, Nina n’hésite pas, même si le tournage s’annonce exigeant.

Nina Wu est un film spirale qui s’enroule autour d’un événement traumatisant qui ne sera révélé qu’à son tout dernier plan. En parler n’est pas simple car ce qui fait son intérêt est précisément l’attente de sa révélation et sa découverte sidérante. Aussi, cher lecteur qui hésitez à aller voir Nina Wu et ne voulez pas être privé de ce plaisir-là, interrompez ici votre lecture et venez l’achever après la séance.

Nina Wu est donc un film #MeToo qui sort en plein procès d’Harvey Weinstein et qui met en scène une actrice violée durant un casting par le producteur qui l’auditionne. Le viol se déroule dans la chambre 1408 d’un grand hôtel taipéien – Chambre 1408 étant précisément le titre d’un film d’horreur avec John Cusack et Samuel L. Jackson produit par Weinstein en 2007.
Il sera vite éclipsé par Scandale qui sort mercredi prochain en France, en lice pour l’Oscar du meilleur film, de la meilleure actrice (Charlize Theron) et du meilleur second rôle féminin (Margot Robbie), qui traite du même sujet.

Comment raconter un viol et le traumatisme qu’il provoque chez une actrice ? Midi Z opte pour un parti pris doublement réussi en en retardant la révélation. Il tisse un scénario complexe où se mêlent les flash-back et les cauchemars de Nina. Cette construction à laquelle on pourrait reprocher son inutile sophistication colle au contraire à l’état de confusion dans laquelle cette femme est plongée, qui essaie en vain de refouler un traumatisme qu’elle aimerait oublier.

À la différence de Scandale qui joue sur l’empathie avec les personnages, Midi Z et sa scénariste Wu Ke-Xi (qui interprète le rôle titre) ont peint une héroïne glacée et glaçante, une cousine asiatique des héroïnes des films de David Lynch. Nina est sur le fil du rasoir, manifestant une volonté de fer pour mener à terme un tournage éprouvant avec un réalisateur sadique et résistant de toutes ses forces à l’effet dévastateur d’un stress post-traumatique. Elle n’est pas « sympathique » et ne cherche pas à l’être, compliquant le processus d’identification qui attache le spectateur aux héros d’un film. Nina n’en reste pas moins un personnage perturbant dont les pulsions contradictoires ne s’effaceront pas de sitôt de nos mémoires.

La bande-annonce

L’Art du mensonge ★☆☆☆

Roy Courtnay (Ian McKellen) est un arnaqueur professionnel. Quand il ne s’attaque pas à des investisseurs trop crédules, il jette son dévolu sur des veuves fortunées. Sa prochaine cible : Betty McLeish (Helen Mirren) qu’il vient de rencontrer sur Internet. Mais, comme l’annonce pachydermiquement l’affiche « un mensonge peut en cacher un autre » (c’est nettement plus subtil en VO : « Read Between the Lies »).

L’Art du mensonge appartient à un sous-genre bien particulier : le film d’arnaque « troisième âge », lui-même une sous-catégorie à la fois des films d’arnaque (L’Arnaque, La Couleur de l’argent, Engrenages, Les Neuf Reines, Insaisissables…) et des films pour les seniors (L’Échappée belle, Les Vieux Fourneaux, Indian Palace, Sans plus attendre…). Un sous-genre dont se sont fait une spécialité Morgan Freeman, Michael Caine et, précisément, Helen Mirren (Braquage à l’ancienne, Gentlemen Cambrioleurs, Red, Red 2…).

Ce sous-genre, avouons-le, n’inspire a priori guère confiance.

Pour autant, il faut bien admettre ne pas avoir boudé son plaisir devant la première heure de cet Art du mensonge. On y voit Ian McKellen tisser avec jubilation sa toile autour de Helen Mirren, l’amenant lentement, par une savante manoeuvre de séduction, à la convaincre de lui confier la gestion de son patrimoine. Mais surtout, on attend avec gourmandise – car on le sait depuis le commencement sans qu’on puisse crier au spoiler – le moment où le scénario se retournera et où on découvrira que le plus arnaqué des deux n’est pas celui qu’on croit.

La principale réussite de L’Art du mensonge est de retarder ce moment le plus longtemps possible, nous laissant nous creuser sans succès la tête pour identifier la faille par laquelle la candide veuve retournera contre le machiavélique séducteur ses tours.
Mais patatras ! Quand enfin les ressorts de l’intrigue se dévoilent, c’est la déception ! Car les motivations de l’héroïne, lourdement éclairées par d’interminables flashbacks, manquent à ce point de crédibilité que le plaisir pris à les deviner s’évapore dès qu’on nous les explique.

La bande-annonce

Séjour dans les monts Fuchun ★★☆☆

C’est l’histoire d’une famille chinoise sur trois générations. La grand-mère septuagénaire est terrassée par un AVC qui la laisse impotente le jour de son anniversaire. Son fils aîné, qui dirige un restaurant, accepte de la prendre en charge malgré les réticences de son épouse qui a bien du souci avec leur fille qui s’est mis en tête d’épouser un parti que ses parents refusent. Un fils cadet, dont l’immeuble est voué à la démolition, est obligé de se loger temporairement sur un rafiot avec sa femme et son fils, lequel fréquente une jeune fille plus fortunée que lui. Le benjamin, couvert de dettes, poursuivi par la mafia qui en exige le remboursement, s’occupe seul d’un enfant trisomique.

Le film du jeune prodige Gu Xiaogang emprunte son titre à une célèbre peinture chinoise du XIVème siècle, un rouleau de plus de cinq mètres de long. Comme cette peinture, le film de 2h30 se déroule lentement comme un long rouleau. Il fait une grande place aux paysages urbains filmés à Fuyang, la ville natale du réalisateur, une métropole en pleine mutation, lovée dans une boucle du fleuve Fuchun, à une cinquantaine de kilomètres en amont de Hangzhou, la capitale de la province du Zhejiang.

Film choral qui passe sans transition d’un personnage à l’autre (au risque parfois d’y égarer le spectateur), chronique languide de l’histoire d’une famille ordinaire, Séjour dans les monts Fuchun raconte une Chine qui change. Une Chine où la garde des grands parents ne va plus de soi. Une Chine où les enfants n’acceptent plus les projets matrimoniaux que leurs parents ont patiemment élaborés pour eux. Une Chine où les vieux quartiers sont détruits pour laisser la place à des condo rutilants – une mutation que Jia Zhangke avait déjà patiemment filmée.

Objectivement, le film de Gu Xiaogang est admirable. Son rythme, son ambition séduiront peut-être ceux qui l’an passé s’étaient enthousiasmés pour l’épopée narrée dans So Long, My Son (qui durait plus de trois heures). Mais je dois avouer, le rouge au front, ne pas y avoir adhéré. Je suis sans doute passé à côté d’un chef d’oeuvre. Tant pis pour moi. Que cela ne vous dissuade pas d’aller le découvrir.

La bande-annonce

Le Miracle du saint inconnu ★☆☆☆

Un voleur poursuivi par la police enterre un magot au sommet d’une colline  et le dissimule sous une pierre tombale, avant d’être arrêté. Quelques années plus tard, à sa sortie de prison, il découvre à sa grande déconvenue qu’un mausolée a été construit sur cette tombe. Les villageois alentour le fréquentent assidûment et prêtent à l’eau de sa fontaine des vertus miraculeuses. Un garde et son chien y veillent à la nuit tombée rendant délicate sinon impossible l’exhumation du magot.

Le jeune réalisateur marocain Alaa Eddine Aljem, formé à Marrakech et à Bruxelles, s’inscrit dans les pas d’Elia Suleiman ou d’Aki Kaurismäki pour mettre en scène une fable désopilante. Comme ses aînés, il opte pour un humour pince-sans-rire quasiment sans dialogues.

La petite communauté qu’il invente se réduit à quelques archétypes d’ailleurs privés de prénoms : le voleur, bientôt rejoint par son acolyte, un camarade de prison surnommé par dérision « le cerveau » tant il était bête, le gardien du mausolée plus attaché à son chien qu’à son fils, le docteur du village et son aide-infirmier qui se désespèrent de tenir un dispensaire boudé par les vraies malades qui lui préfèrent le mausolée et, enfin, un vieux villageois irréductiblement attaché à sa terre qui refuse à son fils pourtant adulte de la quitter.
On peut, avec beaucoup d’indulgence, y voir un microcosme du Maroc contemporain bloqué entre tradition et modernité.

Présenté à la Semaine internationale de la critique à Cannes en 2019, Le Miracle du saint inconnu ne tient pas tout à fait les promesses que son affiche et son pitch ont fait naître. Une fois le décor planté, une fois les personnages introduits, le scénario fait du surplace qui se contente d’enregistrer les tentatives infructueuses du malheureux voleur de déterrer son trésor. Le film dure une heure quarante. Il aurait pu durer vingt minutes de plus. Il aurait du durer vingt minutes de moins.

La bande-annonce

Play ★★★☆

Max (Maxime Boublil) a bientôt quarante ans. À treize ans, en 1993, ses parents (Noémie Lvovsky & Alain Chabat) lui ont offert une caméra. Avec elle, il a filmé sa vie, ses amis, ses amours, ses emmerdes. Il a surtout filmé Emma (Alice Isaaz).

Osons le dire : Play est un film concept construit à partir de vrais-faux rush, ceux filmés par la caméra de Max tout au long de sa vie. D’où sa structure extrêmement hachée, composée d’une succession de petites saynètes au son dégueulasse, à l’image mal cadrée, et ses nombreuses ellipses qui nous font gaillardement sauter les années (le noir se fait après qu’à quatorze ans Max se fait confisquer sa caméra par sa mère par la faute de ses mauvais résultats scolaires et l’image se rallume quatre ans plus tard au moment où Max passe son bac).

Play est un film générationnel qui raconte les années 90 et 2000. Il le raconte à travers des objets : la PlayStation, les premiers ordinateurs connectés et la stridulation insupportable de leur modem à l’allumage, l’affiche de Romeo + Juliet. Il le fait à travers des événements : la liesse populaire de la Coupe du monde 1998 (mais bizarrement sont passés sous silence le 11 septembre 2001 et le 21 avril 2002). Il le fait surtout à travers des chansons qu’aucun trentenaire ou quadragénaire ne pourra ré-entendre sans taper du pied : Wonderwall de Oasis, Where is my mind des Pixies, American Boy de Estelle, Crazy de Gnarls Barkley…

Play est un film potache qui fait rire aux éclats sans sombrer dans la vulgarité. S’il nous fait tant rire, s’il nous touche autant, c’est qu’il nous fait revivre tous les rites initiatiques que nous avons traversés : le bac, la fac, le permis, la première cuite, le premier joint, les premières amours. Je ne me suis pas encore remis du fou rire piqué devant la scène de l’accident de voiture du jeune Max, qui vient de fêter son permis, avec ses potes et percute un conducteur irascible. On n’avait rien vu d’aussi drôle depuis Les Nouveaux Sauvages.

Et enfin Play est un film romantique sur le vert paradis de nos amours enfantines. Vous savez, fidèle lecteur, qui me lisez depuis plus de quatre ans, combien la nostalgie est un sentiment qui m’émeut. Mettez moi un film qui raconte un souvenir ou une perte, je fonds en larmes et les étoiles pleuvent. Comme de bien entendu, j’ai fondu devant l’idylle contrariée qui, à travers les années, réunit Max et Emma.

Eric Neuhoff a-t-il vu Play ? Ce critique du Figaro vient de commettre un essai rance, couronné par le Prix Renaudot Essai – dont le jury, il est vrai, ne se distingue pas par sa clairvoyance (c’est lui qui en 2013 couronnait Gabriel Matzneff) – dans lequel il conchie le cinéma français. À l’en croire, il n’a rien produit de bon depuis Un taxi mauve et La Gifle. Certes Alice Isaaz ne montre ni ses seins ni son cul – ce qui semble une condition sine qua non pour exciter l’intérêt de Pervers Eric – mais elle a un charme, une fraîcheur, une répartie, une énergie qui nous réconcilient illico avec le cinéma français et avec ses actrices.

La bande-annonce

Les Filles du docteur March ★☆☆☆

Dans la famille du docteur March, je demande le père : il s’est enrôlé durant la guerre de Sécession pour servir en qualité d’aumônier dans les rangs des Unionistes. Je demande la mère : elle élève seule à force d’abnégation ses filles. Je demande les filles : nous, lecteurs français, savons qu’il y en a quatre à cause de la traduction hasardeuse du roman à succès de Louise May Alcott publié en 1868 sous le titre « Little Women ».
Meg (Emma Watson), l’aînée, est la plus raisonnable. Jo (Saoirse Ronan) est un garçon manqué qui rêve d’écrire. Beth (Eliza Scanlen) est la plus timide. Amy (Florence Pugh), la cadette, est la plus frivole.

Au temps où les lectures étaient genrées, au temps où les garçons jouaient au train électrique et les filles à la poupée, ceux-ci lisaient Tom Sawyer et rêvaient de cabanes au Mississipi tandis que celles-là lisaient Les Quatre Filles du docteur March en attendant de rencontrer le prince charmant.

Pourquoi diable Greta Gerwig, icône du jeune ciné indé américain de la Côte Est, est-elle allée signer une énième adaptation de ce roman hors d’âge ? Quel sous-texte féministe pensait-elle pouvoir en exhumer ?

Bien sûr, si on a gardé la nostalgie de ses lectures d’enfance, si on a plusieurs sœurs auxquelles nous unissent des liens d’indéfectible amour, si on aime les films en costumes et les happy endings, on se laissera emporter par le romantisme hors d’âge de ce film. Cela fera, me dira-t-on, beaucoup de monde – auxquels on peut ajouter ceux qui se laisseront séduire par la fougue garçonne de Saoirse (prononcer Seer-sha) Ronan, le nez mutin et les robes éblouissantes de Florence Pugh (prononcer Piou).

Mais les autres bâilleront d’ennui devant cette chronique feuilletonesque que Greta Gerwig essaie de dynamiser sinon dynamiter avec une alternance de flash-back et de flash-forward, désespérément privée de sexe et de sensualité (les jeunes filles en fleurs ne ressentent-elles aucun désir ?), où tous les rêves d’indépendance des héroïnes se fracassent inéluctablement sur des mariages tristement conventionnels.

La bande-annonce

First Love, le dernier yakuza ★★☆☆

Leo, un boxeur auquel on vient de diagnostiquer un glioblastome foudroyant, et Monika, une toxicomane réduite en esclavage sexuel pour rembourser les dettes de jeu d’un père incestueux, n’étaient pas destinés à se rencontrer. Une arnaque improbable, imaginée par un escroc minable, avec la complicité d’un flic ripou, les rapprochera pourtant. Leo et Monika se trouvent à leurs corps défendants plongés dans une guerre de gangs entre un mafieux chinois manchot, un yakuza récemment libéré de prison… et une veuve assoiffée de vengeance.

Takashi Miike aurait, dit-on, réalisé déjà plus de cent films. Seule une minorité est sortie en France, qui ne permet guère qu’une vision partielle de l’oeuvre de ce réalisateur prolifique. J’ai gardé un souvenir vif de l’ambiance sado-masochiste de Audition, au début des années 2000, interdit aux moins de seize ans.

First Love sort en France sous un titre particulièrement niaiseux. Qui attendrait une romance adolescente serait immanquablement déçu. Qui escompte au contraire une série B tarantinesque, choc et pop, en aura pour son argent.

Car First Love ne nous fait pas prendre des vessies pour des lanternes. Un scénario passablement alambiqué, qu’on peine à comprendre pendant le premier quart d’heure mais qui se remet gentiment sur les rails, nous offre le lot promis de violence décomplexée, de gun fights et d’éclairs de sabres.
Tout cela ne va pas très loin. Mais ne boudons pas ce plaisir régressif.

La bande-annonce