Ondine ★☆☆☆

Le jour même d’une brutale rupture sentimentale, Ondine (Paula Beer) fait la connaissance de Christoph (Franz Rogowski). Entre l’historienne spécialiste de l’urbanisme de la capitale et le scaphandrier, c’est le coup de foudre immédiat. Mais la relation entre les deux êtres semble influencée par des forces qui les dépassent.

Christian Petzold est en passe de devenir le cinéaste allemand  le plus connu de ce côté-ci du Rhin où il accumule les succès : Transit, Phoenix, Barbara racontaient des relations amoureuses incandescentes ancrées dans l’histoire allemande contemporaine (l’exode à Marseille des opposants au nazisme avant la Seconde guerre mondiale, la reconstruction du pays après 1945, la dictature du prolétariat en RDA…).

Le lien d’Ondine, qui se déroule dans le Berlin contemporain, avec l’histoire allemande est moins immédiat et aura échappé à tous ceux qui, comme moi, n’auront découvert la vieille légende populaire qui l’inspire qu’après être allé farfouiller dans son dossier de presse. Créature des eaux vives d’une beauté extrême, l’ondine ne peut vivre parmi nous que par l’amour inconditionnel d’un humain. Si cet amour vient à disparaître, l’ondine tuera l’être aimé avant de retourner dans l’eau qui l’a vue naître.

C’est cette histoire que va revivre Ondine, interprétée par Paula Beer, découverte chez Ozon et déjà vue, en compagnie du même Franz Rogowski, dans le précédent film de Petzold. Ondine travaille dans un musée où elle présente aux touristes, en les guidant dans d’immenses maquettes, l’histoire de la ville de Berlin, construite au Moyen-Âge sur des marais asséchés.

On croit comprendre, sans en être tout à fait sûr, qu’Ondine est un film sur l’amnésie collective, celle qui ronge le peuple allemand et sur laquelle s’est (re)construit Berlin. Mais si cette interprétation inscrit le film dans la succession des précédentes réalisations de Christian Putzold, elle est peut-être trop tarabiscotée  et trop intellectuelle.

Le problème est que, réduite à ce qu’elle est – une histoire d’amour fusionnel nimbée de mystère – Ondine se réduit à presque rien et nous laisse, au sortir de la salle, dubitatif. Certes on aura entendu – pas moins de cinq fois – le si bel adagio du concerto en ré mineur de Bach. Il y a pire épreuve. Mais cette musique, si majestueuse soit-elle, ne suffit pas à faire aimer un film.

La bande-annonce

Blackbird ★★★☆

Atteinte dune maladie neurologique dégénérative, Lily (Susan Sarandon) a demandé à son mari Paul (Sam Neill) de l’aider à mourir avant la perte irréversible de son autonomie. Elle a réuni autour d’elle ceux qu’elle aime : Jennifer, sa fille aînée (Kate Winslet), son mari et son fils de quinze ans, Anna, sa cadette avec sa compagne Chris, et enfin Liz son amie de toujours.

Sortez vos mouchoirs ! Vous allez au cinéma pour vous distraire, pour rire en famille devant une comédie et oublier vos soucis quotidiens ? Ce film n’est pas pour vous.
Si l’automne qui commence, les jours qui raccourcissent, le thermomètre qui chute – sans oublier le virus qui circule – vous fichent le bourdon, réfléchissez-y à deux fois avant d’aller voir un film sur le suicide assisté et la mort inéluctable.

Réfléchissez-y à deux fois…. et allez le voir ! Car Blackbird est le film le plus émouvant du mois qui réussit, sur un sujet plombant, à nous faire pleurer des torrents de larmes bien sûr, mais aussi à nous faire rire , la dignité de Susan Sarandon face à la mort n’ayant d’égal que l’ironie sardonique qu’elle lui oppose.

Blackbird est le remake d’un film danois sorti en 2014 qui avait valu à son réalisateur Bille August (bi-palmé en 1989 et en 1992 avant de sombrer dans l’oubli) et à son actrice principale deux Bodil, les Césars danois. Il est signé par Roger Michell, un réalisateur touche-à-tout qui connut son heure de gloire avec Coup de foudre à Notting Hill. Il rassemble une belle affiche : Susan Sarandon, impériale dans le rôle de Lily, Kate Winslet, à contre-emploi dans celui de sa fille aînée, psycho-rigide à souhait, Mia Wasikoska (qui ressemble de plus en plus à Jodie Foster) dans celui de la cadette, instable et fragile.

La réalisation, la mise en scène, le montage, rien n’est très original dans Blackbird qui se déroule, l’espace de deux jours dans une immense maison ultra-moderne sur le littoral désert du Connecticut, symbole des contradictions d’une génération qui avait vécu Woodstock, au moins par procuration, avant de céder aux sirènes émollientes du conformisme bourgeois et du Bourgogne siroté dans d’immenses verres à pied.

Mais Blackbird réussit sans se forcer à toucher au cœur sur un sujet déchirant. Est-ce parce qu’il m’est de plus en plus personnel, les années passant ? Je me souviens combien Quelques heures de printemps où Vincent Lindon accompagnait sa mère, interprétée par Hélène Vincent, s’euthanasier en Suisse m’avait bouleversé. Immanquablement, Blackbird m’a fait le même effet. Les joues ravinées par les larmes, je lui ai pardonné ses faiblesses, ses tentatives pas toujours réussies de pimenter une histoire sans aspérité par des rebondissements artificiels.

Mais je ne veux pas en rajouter dans l’exposition impudique de mes tourments intérieurs et de ma dépression automnale. Je vous laisse, cher lecteur, découvrir Blackbird. Quant à moi, c’est l’heure de mon pentobarbital…

La bande-annonce

Éléonore ★☆☆☆

Éléonore (Nora Hamzawi) a trente-quatre ans et sa vie est dans une impasse : sans relation  amoureuse stable (elle enchaîne les rencontres d’un soir), sans emploi (elle vient de se faire virer du fast food où elle travaillait sans passion), sans avenir dans la littérature (son manuscrit, trop volumineux, trop plombant, est systématiquement refusé), elle sombre dans la dépression. Sa mère (Dominique Reymond) et sa sœur (Julia Faure) l’exhortent à se reprendre en main et lui trouvent un travail auprès d’un éditeur acariâtre (André Marcon).

La bande-annonce d’Éléonore m’avait donné envie de le voir. Elle est passée en boucle en pré-séance durant tout le mois de septembre et, à chaque fois, j’y riais à la même répartie (« Sophistiquée, audacieuse, féline » – « Féline ?! Ca veut rien dire ! c’est juste une façon polie de dire cochonne ! »). J’étais par avance séduit par le personnage joué par Nora Hamzawi, par son auto-dérision, par ses déboires amoureux et professionnels à la Bridget Jones.

Hélas, mes attentes ont été déçues. Et force m’est d’adresser à Éléonore les mêmes reproches qu’à Antoinette dans les Cévennes la semaine dernière.

Les deux films sont organisés autour d’une actrice dont on se doit, dans un cas comme dans un autre, de reconnaître les qualités. Comme Laure Calamy, Nora Hamzawi est immensément attachante, sait nous faire rire et nous toucher. Elle a le charme et la simplicité de la girl next door avec qui on adorerait prendre un verre et rigoler. Il suffit de jeter un œil à son studio orné d’un poster des Ramones pour trouver immédiatement sympathique cette « adulescente attachiante » (dixit Les Inrocks).

Le problème vient d’ailleurs. D’un scénario décidément faiblard qui, comme dans Antoinette, ne décolle jamais vraiment. Pire : à la différence d’Antoinette, il ne nous fait même pas franchir le périphérique, enfermant Éléonore dans un métro-boulot-dodo quotidien pas vraiment glamour. Elle s’y frotte à son éditeur, un père de substitution avec lequel on redoute que se noue une idylle ; elle y tombe mollement amoureuse du fiancé qu’on lui assigne et dont on sait par avance qu’il n’y a rien à attendre ; elle y solde des vieux comptes familiaux avec une mère trop exigeante et une sœur toxique.

Tout cela n’est ni très drôle ni très intéressant. Dommage…

La bande-annonce

Les Apparences ★☆☆☆

Eve Monlibert (Karin Viard), la quarantaine bien entamée, est une femme heureuse. Elle vit à Vienne, en Autriche, avec son mari, célèbre chef d’orchestre. Le couple a remédié à son manque d’enfant en adoptant un petit Guatémaltèque baptisé Malo. Entre réceptions, cocktails, dîners mondains, Eve et Henri mènent la vie luxueuse d’un couple d’expatriés.
Ce bel ordonnancement est malheureusement rompu par la découverte de la relation adultère qu’entretient Henri avec Tina, la maîtresse d’école du petit Malo.
Eve est prête à tout pour sauver son mariage.

Les Apparences va, à n’en pas douter, remporter un grand succès, public et critique, et ramener, espérons-le, sur le chemin des salles un public qui les boude. Il met en scène un duo d’acteurs populaires qui attirera les spectateurs. Il décrit un milieu original et rarement filmé : celui de la communauté des Français expatriés dans une capitale étrangère. Il raconte enfin une histoire à rebondissements qui tiendra en haleine le spectateur jusqu’à son dénouement final.

Pour autant, malgré ses qualités incontestables, Les Apparences m’a déplu. Pour quatre raisons.

Premièrement, son actrice principale. Karin Viard, ma presque contemporaine, joue au cinéma depuis trente ans. Il ne se passe guère d’années sans que je la voie dans un de ses films. je l’ai toujours appréciée pour l’étendue de son jeu, pour sa capacité à passer de la comédie au drame. Mais depuis quelques années, je commence à m’en lasser, à la trouver un peu répétitive, dans des rôles interchangeables de grandes bourgeoises au bord de la crise de nerfs qu’elle interprète le regard durci dans une mimique de froide colère. Est-elle en voie d’Isabelle-huppertisation ? ou est-ce moi qui, vieillissant, ai décidément vu trop de films pour avoir conservé la capacité de me laisser étonner ?

Deuxièmement, son cadre. Abandonnant la bourgeoisie provinciale dans laquelle tant de drames ont été filmés, Marc Fitoussi s’expatrie. Il part en Autriche filmer une société qu’il caricature. Les premières scènes sont calamiteuses qui sont censées planter le décor dans lequel Eve et son mari évoluent. Pascale Arbillot y est horripilante. On y voit quelques expatriés dîner ensemble. Leurs seuls sujets de discussion sont les difficultés à se ravitailler en fromage français, le niveau de leur indemnité d’éloignement et l’incompétence de leurs employées de maison polonaises. Que les expatriés puissent avoir, hélas, de telles discussions n’est pas faux, mais que leurs vies s’y réduisent est en revanche loin de la réalité.

Troisièmement, son histoire. Le scénario des Apparences suit sans temps mort une mécanique rigoureuse. J’avoue une certaine mauvaise foi à trouver à y redire. Néanmoins, comme chez Chabrol du côté duquel Fitoussi louche ostensiblement, il y a dans les rebondissements successifs de cette histoire, un certain dilettantisme. Le mot peut sembler inapproprié. Je m’explique : il y a dans les rebondissements du film, dans les bifurcations qu’il prend, une telle place laissée au hasard qu’on aurait très bien pu imaginer qu’il s’achève différemment. D’ailleurs le roman suédois dont il est librement adapté prend des chemins totalement différents.

Quatrièmement enfin, son « climat ». Comme dans les films de Chabrol, que je ne porte pas dans mon cœur, tout est vieux dans Les Apparences. Même Lætitia Dosch dont Marc Fitoussi réussit le triste exploit de la vider de la folle vitalité qu’elle apportait à Jeune femme. Cette Vienne lugubre, ces dîners crépusculaires, ces personnages mesquins rongés par la jalousie, tout y respire la dépression.

Les Apparences carbure au Xanax. Désolé, ce n’est pas (pas encore ?) ma came.

La bande-annonce

Antoinette dans les Cévennes ★☆☆☆

La trentaine gentiment barrée, Antoinette (Laure Calamy) est professeure des écoles à Paris. Elle est la maîtresse d’Alice, une ravissante gamine de CM2. Elle est aussi la maîtresse de Vladimir (Benjamin Lavernhe), le papa d’Alice qui lui avait promis une semaine en amoureux, loin de sa femme, mais s’en décommande au dernier moment pour partir randonner en famille dans les Cévennes. Sous le coup de la déception, Antoinette prend une décisions irraisonnée : elle partira elle aussi sur les traces de Vladimir et sur celles de Louis Robert Stevenson, sans autre compagnie que celle de l’âne Patrick.

Caroline Vignal a peut-être longuement hésité dans le titre du choix de son film. « Maîtresse » aurait été assez drôle, insistant sur le double statut d’Antoinette – professeure d’école est décidément une profession incline à l’adultère puisque Laetitia Dosch incarne un rôle similaire dans Les Apparences qui sortira demain. Autres options qui auraient mis en avant l’élément asin, en référence et en hommage au célèbre Au hasard Balthazar de Bresson :  « Hystérique avec Patrick » ou bien « Pas de panique avec Patrick » selon qu’on aurait voulu souligner le caractère passionné de l’héroïne ou au contraire l’apaisement qu’elle trouvera en compagnie de son âne.

Finalement la réalisatrice a opté pour « Antoinette dans les Cévennes », affublant son héroïne d’un prénom aimablement désuet, plus versaillais que cévenol – là où la tentation aurait pourtant été grande de l’appeler Solène, Mylène ou Madeleine.

Le titre n’est pas si mauvais ; car c’est bien d’Antoinette dont le film parle, ne la quittant pas d’une semelle alors qu’elle la bat dans les chemins rupestres de Lozère. Antoinette dans les Cévennes n’est pas un énième vaudeville de l’infidélité conjugale, comme le titre « Maîtresse » l’aurait à tort sous-entendu. Cette histoire là, qui constitue le moteur dramatique et comique du film, est pliée en une seule scène, laissant le scénario orphelin à son mitan. Antoinette dans les Cévennes est plutôt le portrait d’une trentenaire hospitalière, qui ouvre généreusement son cœur et son lit, qui réussira à soigner un chagrin d’amour sur les pans du mont Lozère, comme Robert Louis Stevenson un siècle et demi plus tôt.

La critique a accueilli avec enthousiasme la prestation de Laure Calamy. Et elle a eu raison. Elle obtient enfin le grand rôle qu’elle méritait après avoir tenu tant de fois les seconds rôles (Roulez jeunesse, Mademoiselle de Joncquières, La Dernière Folie de Claire Darling, Nos batailles, Seules les bêtes, Une belle équipe…). Excellant dans tous les registres, elle réussit à nous faire rire et à nous faire pleurer.

À nous faire rire et à nous faire pleurer ? C’est vite dit. Conquis par le charme de l’actrice – sans oser évoquer ses mini-shorts de peur de passer pour un goujat – j’en perds mon objectivité. Car les passages les plus drôles d’Antoinette… ont été largement éventés par la bande-annonce. Quant aux passages les plus touchants, il faut vraiment être fleur bleue pour se laisser émouvoir par les bobos, vite consolés, d’une bobo parisienne.

La bande-annonce

J’irai mourir dans les Carpates ★★☆☆

Antoine de Maximy part filmer un nouvel épisode de J’irai dormir chez vous dans les Carpates. Il y fait, comme lors de ses autres voyages, toutes sortes de rencontres. Mais, en s’enfonçant dans le nord du pays, il pénètre dans un territoire hostile. Il a un accident de voiture. Son corps n’est pas retrouvé ; mais la police le tient pour mort. Avec l’aide d’un policier pataud (Maxime Boublil), sa monteuse (Alice Pol) décide depuis Paris d’élucider les causes de cette mystérieuse disparition et peut-être de retrouver Antoine.

Comme un Philippe de Dieleveult qui prendrait son temps (seuls les plus de cinquante ans comprendront la référence), comme un Tintin sans Milou, Antoine de Maximy sillonne le monde avec pour seul bagage ses trois caméras et sa curiosité. Son seul objectif : rencontrer des autochtones, se lier avec eux et, si possible, comme l’annonce le titre de son 52 minutes, se faire inviter à dormir chez eux. En général, il reçoit un bon accueil qui leste ses reportages d’un optimisme bon enfant et en fait une ode à l’hospitalité humaine. Mais parfois, les choses se passent moins bien. De ces déboires est née l’idée d’un film.

J’irai mourir dans les Carpates est un « documenteur », un documentaire qui ne raconte pas tout à fait la vérité. Il se présente comme une fausse enquête policière. Le personnage qui en a la charge est Agnès, la monteuse d’Antoine, le policier assigné à l’enquête étant trop maladroit et trop amoureux d’Agnès pour avoir la moindre utilité. On aurait pu craindre que la romance qui se noue timidement entre les deux personnages interprétés par Alice Pol et Max Boublil ne parasite l’histoire ; mais ils sont l’un et l’autre si attendrissants dans leur rôle qu’on leur pardonne volontiers de nous éloigner du principal sujet du film.

Qu’est-il advenu d’Antoine dans les Carpates ? On l’apprendra en visionnant les minicassettes qu’il a filmées et en prêtant, comme dans Blow Up d’Antonioni, un soin attentif aux détails les plus insignifiants de ces enregistrements. On y découvrira au passage le beau métier du montage et les qualités qu’il nécessite.

J’irai mourir dans les Carpates se conclut comme il a commencé : dans la bonne humeur. Ce faux documentaire n’aura révolutionné ni l’histoire du cinéma ni celle du documentaire ; mais il aura fait passer un moment sympathique avec un animateur débordant de gentillesse et avec deux acteurs pleins de talent. Seul bémol peut-être : l’image caricaturale à souhait qu’il renvoie de la Roumanie, loin de la réalité d’un État membre de l’Union européenne qui a bien changé depuis le temps de Dracula.

La bande-annonce

Un soupçon d’amour ☆☆☆☆

Geneviève (Marianne Basler) est une immense actrice de théâtre. Mère aimante, inquiète de la santé fragile de son fils, elle se désintéresse d’Andromaque, la pièce de Racine qu’elle répète avec André, son mari. Elle prend soudainement la décision de l’abandonner et de céder sa place à Isabelle (Fabienne Babe), une actrice qui entretient aussi, sans s’en cacher, une affaire avec André. Geneviève part avec son fils en Provence dans son village natal où elle retrouve de vieux amis perdus de vue : une ancienne camarade d’école, un amour de jeunesse devenu prêtre après leur rupture.

Paul Vecchiali a quatre-vingt dix ans. Ce polytechnicien réalise des films depuis près de soixante ans. Lorsque je suis arrivé à Paris, le bac en poche, à l’été 1988, le tout premier film que je suis allé voir dans une petite salle du Quartier latin, près de mon pensionnat, était de lui. La productivité de Paul Vecchiali n’a cessé de s’accélérer avec le temps : Un soupçon d’amour est son neuvième film en dix ans.

Cette splendide vitalité mérite le respect. Mais elle ne justifie pas l’indulgence coupable des critiques plutôt positives que j’ai lues en me pinçant dans Le Monde, Télérama ou Première – qui, lecteur fidèle, vous l’aurez compris, constituent ma sainte trinité cinématographique.

Un soupçon d’amour porte un joli titre qui peut renvoyer, selon comment on le lit, à la suspicion ou, au contraire, à un sentiment à peine ébauché. Mais c’est bien là la seule qualité d’un film qui, au demeurant, ne joue pas sur cette ambiguïté.

Car Un soupçon d’amour est un film calamiteux, mal écrit, mal joué, mal monté. Dès son générique, qui n’est pas vintage mais simplement démodé, on flaire le naufrage. On y lit dans chaque plan l’absence criante de budget. Les trois quarts des scènes ont été tournées sur la terrasse et dans le jardin de la maison du réalisateur, retiré à Plan de la Tour dans le Var. Marianne Basler (que Vecchiali avait lancée en 1985) et Fabienne Babe font, sans doute encore, aux yeux du nonagénaire, figure de jeunes premières ; mais elles se ridiculisent en plume et froufrou dans un numéro de music hall mal dansé.

L’histoire d’Un soupçon d’amour déroule le fil paresseux d’un badinage pour troisième âge avant de se révéler dans son dernier plan d’une cruauté dramatique. Mais ce coup de théâtre vient bien trop tard.

J’étais seul dans la salle quand j’ai vu Un soupçon d’amour. La faute à la désaffection post-confinement qui frappe en ce moment les cinémas ? Ou au manque d’intérêt du film qui, à bon droit, a fait fuir les spectateurs et qui aurait dû me faire fuir aussi ?

La bande-annonce

Enorme ★★☆☆

Frédéric (Jonathan Cohen) et Claire (Marina Foïs) forment un couple aussi original que soudé. Claire est une immense pianiste qui court les récitals, aussi douée pour son art qu’incapable de s’assumer dans la vie quotidienne. Frédéric est devenu au fil du temps son agent, son garde du corps, son homme à tout faire, prenant en charge les moindres détails de la vie quotidienne de Claire.
Le couple avait arrêté ensemble une décision : l’agenda très chargé de Claire, ses déplacements à travers le monde leur interdisait d’avoir un enfant. Mais avec la quarantaine vient à Frédéric une pulsion irrésistible : il va faire à Claire un enfant dans son dos.

Pour savoir si Énorme va vous plaire, regardez sa bande-annonce. Croyez-vous à cette histoire surréaliste, mais peut-être finalement terriblement moderne, de père en mal (en mâle ?) de maternité ? Les situations cocasses qu’une telle situation sont susceptibles de faire naître vont-elles vous amuser ?

On connaissait Sophie Letourneur pour les films, d’une énergie folle, féminins et féministes, qu’elle avait réalisés avec deux bouts de ficelle avec des quasi-inconnus : La Vie au Ranch, Le Marin masqué, Les Coquillettes. Comme Justine Triet avant elle, elle passe à la vitesse supérieure avec des stars du box-office : Marina Foïs et Jonathan Cohen (déjà réunis dans Papa et Maman 2 … décidément….).

Le résultat est déconcertant qui louche vers le cinéma grand public avec son lancement marketing à grands frais, sa projection dans plusieurs centaines de salles, la présence systématique des acteurs sur les plateaux (où leur réaction face à l’accusation de s’être faits les promoteurs d’un acte pénalement répréhensible, l’entrave à IVG, est devenue virale). Mais sa facture garde les marques de l’artisanat cher à Sophie Letourneur, qui a mené, en amont du tournage, dans les maternités des Bleuets et de Trousseau, une enquête soigneusement documentée, recueillant le témoignage de sages-femmes, de docteurs, images qu’elle a ensuite montées en filmant en contre-plan ses deux acteurs.

Le film est cocasse, même si ses gags les plus drôles ont été éventés par la bande-annonce. Une bande-annonce qui dévoile déjà largement les enjeux du film, les positions des personnages (un papa poule et une mère absente à sa grossesse) et leur évolution prévisible jusqu’à un accouchement dont on sait qu’il réconciliera les deux parents en tirant une larme aux spectateurs attendris. Mais au-delà de sa drôlerie, il offre en creux une réflexion stimulante sur la paternité aujourd’hui et sur la répartition des rôles face à l’enfant qui vient.

La bande-annonce

Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait ★★★☆

Maxime (Niels Schneider) vient passer quelques jours dans le Vaucluse chez son cousin François (Vincent Macaigne). Mais François étant retenu à Paris, c’est sa compagne, Daphné (Camélia Jordana), enceinte de trois mois, qui l’accueille.
Les deux inconnus sympathisent très vite et se dévoilent leur passé.
Daphné raconte à Maxime comment elle a rencontré François qui était marié de longue date à Louise (Émilie Dequenne) et malheureux en ménage.
Si Daphné semble aujourd’hui heureuse, Maxime soigne un chagrin d’amour. Amoureux depuis toujours de Sandra (Jenna Thiam), il a vécu en colocation avec elle et avec son meilleur ami Gaspard (Guillaume Gouix), traducteur de profession comme lui, dont elle s’était éprise.

Vous n’avez pas tout suivi de la présentation que je viens de faire du dixième film d’Emmanuel Mouret ? Ce n’est guère étonnant. Et ce n’est qu’en partie ma faute. Le réalisateur de Mademoiselle de Joncquières aime les récits à tiroirs.

Emmanuel Mouret aime surtout raconter des histoires d’amour, aussi délicates que cruelles, des marivaudages superbement dialogués et délicieusement démodés. De film en film, qu’elles se déroulent à Marseille ou à Paris, au XVIIIème siècle ou de nos jours, il raconte les mêmes histoires. « J’adore les histoires d’amour des autres qui rappellent les siennes, celles qu’on a vécues, celles qu’on n’a pas vécues » fait-il dire à l’un  de ses personnages, révélant ainsi la clé de son œuvre.

Il y a deux réactions possibles, radicalement opposées au cinéma d’Emmanuel Mouret. La première, la plus hostile, est le rejet épidermique de sa préciosité artificieuse [j’aime bien utiliser des adjectifs précieux pour critiquer la préciosité des autres]. Ce fut ma réaction durant les deux premiers tiers du film dont les dialogues me semblaient trop écrits, péniblement récités par des acteurs qui ne parvenaient pas à se les approprier (en particulier Niels Schneider dont le rôle aurait dû être interprété par le réalisateur lui-même qui n’hésitait pas à passer devant la caméra dans ses précédents films).

Et puis, la longueur du film aidant – il dure plus de deux heures – mes résistances ont fini par céder. Je me suis laissé prendre au fil de ces chassés croisés amoureux, étant tout particulièrement ému par celui, le plus périphérique, qui met en scène Emilie Duquenne. J’ai fini par sourire à l’ironie de ces adultères plus ou moins honteux, à la cruauté de ces séparations plus ou moins dramatiques. La musique omniprésente m’a semblé moins envahissante – d’autant que j’en ai plus ou moins joué un jour ou l’autre, comme n’importe quel étudiant laborieux de conservatoire, la quasi-totalité des extraits au piano. Je me suis laissé enivrer par ses dialogues délicieusement licencieux : « quel mal y a-t-il à ce que deux corps s’entendent bien et prennent plaisir à la compagnie de l’autre ? » et par leur élégance : « l’amour (…) un don, un abandon, un dépassement ».

La bande-annonce

Rocks ★★☆☆

Shola a quinze ans. Elle vit chichement avec sa mère et son jeune frère dans un HLM de l’East End londonien. Elle étudie dans un collège de jeunes filles. Ses amies l’ont surnommée Rocks à cause de sa morphologie et de sa force de caractère.
Sa vie se fissure quand sa mère abandonne brutalement le foyer, la laissant seule avec son frère.

On retrouve avec plaisir Sarah Gavron, une réalisatrice rare qu’on avait découverte en 2007 dans l’adaptation du roman à succès de Monica Ali Brick Lane et qui avait signé huit ans plus tard un film moins personnel sur les suffragettes anglaises du début du vingtième siècle.

Elle retrouve les mêmes horizons que dans Brick Lane : ces banlieues londoniennes cosmopolites où, dans un joyeux melting pot, des immigrés de la deuxième génération, issus de toutes les ex colonies de l’Empire britannique, essaient non sans mal d’inventer une identité hybride. Les copines de Rocks, qu’on voit sur l’affiche, constituent un échantillon presque caricatural de cette mixité sociale avec Sumaya, sa meilleure amie d’origine somalienne, Khadijah, la bengalie, et Agnès, la seule Anglaise de souche.

Les adolescentes sont décidément à la mode au cinéma, qu’on les filme dans le Limousin (Adolescentes), en banlieue parisienne (Bande de filles, Mignonnes) ou à New York (Never Rarely Sometimes Always). Manière de souligner l’originalité de leurs vécus ou, tout au contraire, de montrer que les grands enjeux sociaux de notre temps se vivent de la même façon quel que soit le sexe.

Rocks a l’âpreté des films de Ken Loach Il en a aussi la tendresse. Loin de sombrer dans le désespoir, il nous montre – ce qui relève presque de la science fiction – Londres sous un soleil optimiste et des couleurs éclatantes (cf. l’affiche). Un optimisme un peu surjoué qui voudrait, comme la conclusion du film, nous laisser un message d’espoir.

La bande-annonce