Au commencement ☆☆☆☆

Yana est l’épouse aimante d’Alex, chef d’une communauté jéhoviste dans un bourg perdu de la campagne géorgienne. Après que la salle du Royaume a été détruite par un incendie criminel, Alex va à la ville demander justice et y recueillir les fonds pour construire une nouvelle salle. Pendant ce temps, Yana, restée seule, reçoit la visite d’un inquiétant officier de police.

Disons-le tout net : Au commencement est un film qui laisse une trace profonde. Une trace d’autant plus profonde que je l’ai vu dans une immense salle de cinéma déserte dont j’étais quasiment le seul spectateur.

Au commencement fait le pari revendiqué d’une radicalité absolue.

Radicalité absolue dans la forme : la jeune cinéaste géorgienne Dea Kulumbegashvili filme en longs plans fixes, sans contrechamps, avec des éclairages parfois déconcertants (certains plans rappellent des maîtres flamands, d’autres laissent augurer une panne de générateur). On pense à Apichatpong Weerasethakul – dont le dernier Memoria  n’a laissé de me déconcerter – à Carlos Reygadas – qui coproduit Au commencement – à Lav Diaz – le cinéaste philippin de l’immobilité dont les courts métrages dépassent les trois heures – aux lents travelings en noir et blanc de Pema Tedsen sur les hauts plateaux tibétains…. Cette austérité culmine au mitan du film dans un plan immobile de six minutes du visage de l’héroïne couchée dans la forêt. Geste transgressif brûlant d’audace ? Ou fumisterie tape-à-l’oeil d’un chef opérateur qui a perdu son clap de fin ?

Radicalité absolue dans le sujet traité qui ne s’éclairera très tardivement ainsi que le titre du film (dont, pour être honnête, je ne suis pas absolument certain d’avoir compris le sens) – même si la lecture du passage de la Bible dans la première scène pouvait mettre la puce à l’oreille. Au commencement donne à voir un film sur le patriarcat, sur la corruption du régime, sur l’intolérance religieuse. Une scène particulièrement dérangeante, qui rappelle le Haneke de la grande époque, oblige Yana à s’humilier devant un officier de police pervers. Mais le pire reste encore à venir : d’abord dans un long plan fixe silencieux, censé se dérouler en pleine nuit au bord d’une rivière, puis à la fin de ses deux heures, plus deviné que vu, le drame qui donne tout son sens au film (ou pas). C’est à Lars von Trier qu’on pense alors et aux outrances déchirantes de Breaking the Waves.

Le paradoxe de Au commencement que j’ai détesté de bout en bout est qu’il m’a conduit pour en faire la critique à convoquer nombre de grands réalisateurs – et j’aurais pu mentionner Dreyer, Bergman, Tarkovski, Malick…. C’est la preuve de son intérêt sinon de sa qualité et c’est la raison de son succès aux festivals de Cannes, de Toronto et de Saint Sébastien (où il a emporté la Coquille d’or du meilleur film, la Coquille d’argent du meilleur réalisateur et la Coquille d’argent de la meilleure actrice).

La bande-annonce

Bad Luck Banging or Loony Porn ★★☆☆

Emi est enseignante d’histoire dans un lycée de Bucarest. La petite quarantaine, elle a une vie sexuelle active avec son mari qui filme leurs ébats pour les pimenter. Pas de chance : une video se retrouve sur les réseaux sociaux, postée par le réparateur de l’ordinateur familial.
Des parents d’élèves l’apprennent et obtiennent la convocation d’une assemblée générale. Emi se retrouve sur la sellette.

Dans la nouvelle Vague roumaine, extraordinairement riche et stimulante, Radu Jude a trouvé sa place bien à lui : celle d’une vigie intellectuelle, mauvaise conscience d’une Roumanie trop prompte à oublier ses vieux démons. Son précédent film, « Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares », évoquait une page sombre et méconnue de l’histoire européenne : ces quelques années où la Roumanie, vaincue par Hitler, s’est alliée avec l’Allemagne nazie sous l’autorité du maréchal Ion Antonescu, un « Pétain roumain » et s’est rendu coupable durant l’opération Barbarossa, sur le front de l’Est, de crimes de guerres et de génocide comme à Odessa en octobre 1941.

Bad Luck Banging or Loony Porn a un titre presqu’aussi long que ce film-là. Un titre à semer la confusion au moment de passer à la caisse du cinéma : « Bonsoir, je voudrais une place pour…. le film porno roumain ! » Son sujet est simple : c’est celui que j’ai résumé ci-dessus. Son traitement est plus tarabiscoté et contient trois parties d’inégale longueur.
La première est un prologue (je n’ose parler d’amuse-bouche) : il s’agit de la courte vidéo tournée par les deux amants. L’image est granuleuse, le cadrage imprécis, le son crachotant. Il s’agit de porno amateur, très cru, qui filme sans détour un sexe en érection, pas vraiment ragoûtant, une fellation et un coït. Pas de quoi étonner les abonnés à Jacquie et Michel, mais assez surprenant au MK2 Beaubourg. Suffisamment en tous cas pour justifier une interdiction en France aux moins de seize ans.
La deuxième partie est plus longue – et moins pornographique. On suit Emi dans une longue déambulation durant laquelle on comprend, à travers ses conversations téléphoniques hachées, qu’elle se rend à sa convocation. Elle traverse Bucarest, une métropole embouteillée dont les habitants excédés multiplient les incivilités.
Troisième partie sous forme de parenthèse godardienne : Radu Jude met en image quelques concepts politiques (colonialisme, sexisme, maltraitance infantile, pollution….)
Il faut attendre la dernière partie pour enfin arriver au cœur du sujet : la confrontation entre la professeure et la meute de parents d’élèves, tous plus agressifs et primaires les uns que les autres, qui entendent obtenir son éviction.

La situation du film aurait soulevé en droit administratif français une question délicate dont la réponse n’est pas certaine. L’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 fait obligation aux fonctionnaires d’exercer leurs fonctions avec dignité.
Au milieu des 90ies, une gardienne de la paix avait été révoquée pour avoir tourné dans des films X. La cour administrative d’appel de Paris avait considéré que de tels faits étaient « contraires à l’obligation de dignité qu’on est droit d’attendre d’un fonctionnaire de police » et constituaient « une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire » ; mais, considérant qu’aucune référence ni mention n’avait été faite dans les films litigieux à la profession de la policière municipale et que par ailleurs, la fonction policière n’avait été, en aucune façon, dans lesdits films mise en cause ni tournée en dérision, le juge avait estimé que la sanction de l’exclusion était excessive eu égard aux faits commis (CAA Paris, 9 mai 2001, Ministre de l’intérieur contre Slujka, n° 99PA00217).

Quelle décision le juge administratif français aurait-il rendu ? Aurait-il considéré que le fait de tourner dans un film pornographique est contraire à l’obligation de dignité qu’on est en droit d’attendre d’un fonctionnaire de l’éducation nationale, notamment d’un enseignant en contact permanent avec des enfants mineurs ? Pas sûr. Sans doute l’aurait il fait sans guère d’hésitation dans l’hypothèse où, comme dans l’affaire Ministre de l’intérieur contre Slujka précitée, ledit enseignant savait que ses ébats feraient l’objet d’une diffusion publique. Mais la circonstance que leur enregistrement n’avait pas vocation à être diffusée, qu’elle était réservée aux seuls amants dans l’accomplissement de leurs fantasmes, pourrait être regardée comme la vidant de tout caractère fautif. La question me semble très indécise.
À supposer qu’une faute ait toutefois été retenue, le juge administratif aurait, en tout état de cause censuré une sanction trop sévère – telle que l’exclusion – et aurait validé non sans hésitation un avertissement voire un blâme.

On me reprochera – et on aura raison – une longue disgression juridique, bien loin du film que je suis censé critiquer.
C’est que Bad Luck Banging or Loony Porn pêche par son manichéisme en mettant face à face deux arguments simplistes : Emi : « J’ai le droit à ma vie privée » vs. les parents d’élèves : « Vous avez des mœurs dépravées ».
Le réalisateur lui-même ne sait pas comment conclure et nous propose trois fins alternatives, la dernière n’étant pas la moins loufoque ni la moins hilarante.

La bande-annonce

Madeleine Collins ★★☆☆

Judith (Virginie Efira) mène une double vie entre la Suisse et la France. Mariée en France à Melvil Fauchet (Bruno Salomone), un célèbre chef d’orchestre, et mère de deux adolescents, elle prend prétexte de son métier d’interprète pour passer la moitié de la semaine en Suisse auprès d’Abdel (Quim Gutiérrez) et de sa fille Ninon.
Mais Judith est bientôt débordée par la somme de mensonges et de secrets dont sa vie est lestée.

Madeleine Collins repose sur deux atouts.

Le premier est son actrice principale. On dirait que la France compte désormais deux moitiés : l’une qui adore Virginie Efira (j’en suis !) et l’autre qui, tout en reconnaissant son charme et son talent, considère qu’on commence à l’avoir trop vue (j’en serai sans doute bientôt). Il est vrai qu’on l’a beaucoup (trop ?) vue ces temps derniers : Lui, Benedetta, Adieu les cons, Police, sans compter En attendant Bojangles qui sortira dans deux semaines. Elle est à chaque fois parfaite dans des rôles de femme puissante aux fêlures bravement affichées. Et Madeleine Collins repose, plus encore que les films précédemment cités, sur ses (graciles) épaules. Bref, selon que vous aimez V.E. ou pas, courez voir ce film ou abstenez-vous.

Mais Madeleine Collins a un second atout et non des moindres : l’épais mystère sur lequel il est construit. Jetez un œil à sa bande annonce, remarquablement construite, qui a l’intelligence de nous mettre l’eau à la bouche sans trop en dire. Pendant une heure, le film nous tient en haleine autour de ce suspense. Son élucidation s’avère un peu décevante. « Tout ça pour ça » a-t-on envie de dire, comme souvent d’ailleurs on se le dit en refermant un polar.

Pour autant, ne soyons pas bégueule et saluons le plaisir pris durant la première heure de Madeleine Collins. Sans oublier le charme et le talent de Virginie Efira qu’on courra revoir dans deux semaines dans En attendant Bojangles sans crier à l’overdose.

La bande-annonce

Matrix Ressurections ☆☆☆☆

De nos jours, à San Francisco, Thomas Anderson (Keanu Reeves) est un développeur de jeu vidéos anonyme. Vingt ans plus tôt, il a créé le jeu Matrix qui remporta un vif succès. On lui demande d’en concevoir la suite. Thomas suit une analyse pour comprendre les réminiscences qui l’assaillent. Dans un café il fait la connaissance de Tiffany (Carrie-Anne Moss) qu’il a aussitôt le sentiment d’avoir déjà rencontrée.
Thomas Anderson est en fait la réincarnation de Neo, le héros qui sacrifia sa vie pour sauver l’humanité à la fin de Matrix 3. Prisonnier de la Matrix, cette réalité virtuelle qui copie à s’y méprendre la réalité, dans laquelle les humains ont été replongés par les machines, Thomas est retrouvé par Bugs, une jeune combattante, puis par Morpheus qui lui proposent de retrouver Trinity et de reprendre le combat.

Voilà dix-huit ans qu’on attendait la suite de Matrix …. ou plutôt qu’on ne l’attendait pas, la trilogie futuriste se terminant par la mort de son héros et par l’assurance de ses deux réalisateurs, les frères Wachowski, qu’elle n’en aurait pas.
Voici donc cette suite – ou ce reboot – avec une curieux assemblage d’anciens acteurs (à commencer bien sûr par Keanu Reeves et Carrie-Anne Moss qui ont pourtant allègrement dépassé la cinquantaine et qu’on voudrait nous faire croire qu’ils ont vingt ans de moins) et de nouveaux dans le rôle d’anciens (Lawrence Fishburne a été remplacé par Yahya Abdul-Mateen, Hugo Weaving par Jonathan Groff sans qu’on sache avec certitude si c’est faute d’accord sur leur cachet ou pour des motifs inhérents à la logique de l’intrigue).

Je l’ai vu hier en « avant-première » dans une salle quasi-comble. « Avant-première » : l’expression est prétentieuse car il s’agissait pour la plupart des cinémas qui le programmait ce mercredi d’en avancer la sortie de quelques heures au mardi soir. Dans la salle, à ma grande surprise, j’étais quasiment le plus vieux spectateur. Je calculais vainement : ces post-adolescents assis à côté de moi étaient-ils en âge d’avoir vu les premiers Matrix au cinéma ? certainement pas ! Ils étaient à peine nés. Mais ils les ont vus – et peut-être revus – en DVD et en ont certainement gardé un souvenir beaucoup plus frais que moi.

Je me souvenais certes – sans en avoir jamais été pour autant un inconditionnel afficionado – de Matrix, de ses innovations visuelles (ah ! l’effet bullet time, tellement copié qu’il en est devenu éculé) et de la thèse dans l’air du temps qu’il défendait alors (rarement un blockbuster fit-il l’objet de tant d’exégèses philosophiques) : nous vivons dans une illusion algorithmique forgée par les intelligences artificielles que nous avons créées mais qui nous ont dépassés. La messe me semblait dite et je ne voyais pas très bien ce qu’un nouvel épisode y rajouterait.
2h28 d’interminables pyrotechnies plus tard, je n’étais guère plus convaincu. Matrix 4 tourne en rond et se mord la queue (fine allusion au chat du psychanalyste) sans rien apporter ni rien démontrer, sinon que l’amour est plus fort que la mort (sic).

Je n’ai pas compris grand-chose à ce Matrix 4. La raison en est d’abord que le film est passablement incompréhensible.  C’est à se demander d’ailleurs si l’inintelligibilité n’est pas devenue un objectif en soi (voilà que je m’exprime comme un vieux réac !), les blockbusters trop faciles à comprendre étant ipso facto déconsidérés. La raison en est ensuite et surtout qu’il n’est pas destiné à un quinquagénaire ramolli qui a vu à leur sortie en 1999 et en 2003 les trois premiers épisodes et n’en a gardé qu’un souvenir très flou. Il est destiné à tous ces geeks de la génération Y ou Z qui regardent Matrix devant leurs ordinateurs et en regarderont bientôt – ou piratent peut-être déjà – le quatrième épisode dans la foulée des trois premiers. Dans ce contexte là, l’intrigue deviendra beaucoup plus compréhensible et les clins d’oeil beaucoup plus savoureux.

La bande-annonce

Les Amants sacrifiés ★☆☆☆

Yusaku Fukuhara est le riche propriétaire d’une entreprise familiale spécialisée dans le commerce de la soie grège. Il mène avec son épouse Satoko une vie aisée dans le Japon impérial du début des 40ies. Il a embrassé un style de vie occidental qui a tôt fait de le rendre suspect aux yeux du régime, de plus en plus xénophobe, et de son représentant à Kobe, Taiji, un ami d’enfance de Satoko. Une mission en Mandchourie ouvre les yeux de Yusaku sur les exactions qu’y commet l’armée impériale et l’incite à les révéler à l’opinion publique internationale. Comment Satoko réagira-t-elle à la décision de son mari ?

Kiyochi Kurosawa – dont on redira une fois encore qu’il n’a aucun lien de parenté avec son illustre homonyme prénommé Akira – est devenu un réalisateur japonais reconnu. Son cinéma très contemporain creuse un sillon original entre fantastique, polar et science-fiction. Ryūsuke Hamaguchi, qui fut son étudiant et qui vient de réaliser Drive My Car – un film à mon avis très surcoté mais qui lui a valu une soudaine célébrité – lui a proposé de tourner à Kobe un film en costumes.

Le résultat est troublant. Les Amants sacrifiés (dont le titre, inepte, se voudrait la traduction du plus approprié « La Femme de l’espion ») est un film de genre qui joue sur les genres. C’est d’abord un film historique qui raconte une page méconnue en Occident de l’histoire de la Seconde guerre mondiale : les exactions commises par une unité de l’armée impériale japonaise en Mandchourie sur des prisonniers chinois sur lesquels elle expérimenta des armes bactériologiques. J’ai moi-même visité près de Harbin, dans le nord de la Mandchourie le siège de cette funeste unité 731 et en ai gardé un souvenir marquant.
C’est ensuite un film d’espionnage qui louche du côté de Hitchcock auquel il emprunte l’élégance des costumes et la sophistication de l’intrigue.
C’est enfin un film très contemporain sur le couple, sur la confiance qui le soude, sur les sacrifices qu’il exige.

Toutes ces qualités intimidantes forcent l’admiration. Elles auraient dû me convaincre, étant un grand amateur de ces genres cinématographiques là. Hélas, le déclic ne s’est pas produit. Je suis resté étranger à cette intrigue et insensible aux personnages qui m’ont semblé très artificiels, austères et théâtraux.

La bande-annonce

The Beta Test ★☆☆☆

Jordan Hines (Jim Cummings) semble tout avoir pour être heureux : une fiancée merveilleuse qu’il est sur le point d’épouser, un boulot valorisant dans une société qu’il co-dirige avec son meilleur ami (PJ McCabe), un physique de playboy et un sourire carnassier.
Mais la vie de Jordan se dérègle quand il reçoit une invitation licencieuse.

Certains films cousus de fil blanc vous conduisent sagement d’un point A à un point B. D’autres au contraire vous enthousiasment par leur capacité à vous surprendre. The Beta Test n’appartient à aucune de ces deux catégories. Il s’agit d’un film agaçant qui prend un malin plaisir à nous surprendre au risque de nous perdre.

Il est réalisé et interprété par Jim Cummings dont le premier film, Thunder Road, a été porté aux nues. Certes, ce film-là comportait une scène d’anthologie où on le voyait interpréter un policier partant en vrille à l’enterrement de sa mère. Un nouveau génie comique, lisait-on, était né. J’avoue que je ne partageais pas cet enthousiasme unanime. Jim Cummings ressemble trop à mes yeux à Jim Carrey – que j’ai du mal par ailleurs à considérer comme une immense star – pour mériter tant d’éloges.

De quoi parle The Beta Test ? Est-ce un thriller ? une comédie de mœurs ? un cauchemar éveillé façon Mulholland Drive ? la plongée dans la psyché détraquée d’un golden boy à l’American Psycho ? Un peu des quatre. Et cette indécision, loin de constituer une richesse, est, à mes yeux sa principale faiblesse. Sans doute pourrait-on, comme certaines critiques qui n’hésitent pas à voir dans The Beta Test le meilleur film du mois, saluer son habileté à jouer avec les genres ; mais au contraire j’y vois, non sans une certaine intransigeance, une marque de dilettantisme, comme si les deux réalisateurs, ne sachant pas trop à quel saint se vouer, nous avaient jeté à la figure une histoire passablement emberlificotée en nous disant : « Tenez ! Débrouillez vous avec ça »

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Un héros ★★☆☆

Rahim est en prison pour dettes. Il veut profiter de la courte permission qui lui est octroyée pour obtenir le pardon de son créancier. Il espère rembourser une partie de sa dette avec l’argent qu’a trouvé par hasard Farkhondeh, sa fiancée. Mais il se ravise et décide de le restituer à son propriétaire en passant une annonce. Cette bonne action va avoir des conséquences inattendues.

Ashgar Farhadi est de retour en Iran après un passage peu convaincant par l’Espagne (Everybody Knows, 2018). Il retrouve, dans la ville de Shiraz, les personnages et les situations qui avaient fait le succès de Une séparation et, dans une moindre mesure Le Passé. habitué des festivals, Fahradi a frôlé la Palme d’Or en juillet dernier à Cannes et obtenu, en lot de consolation, le Grand Prix.

Le titre du film sonne comme un programme. Mais avec Ashgar Farhadi, il faut toujours rester sur ses gardes. Son héros est-il aussi héroïque que le titre du film l’annonce ? Que cache ce rideau qui occulte la moitié de son visage sur l’affiche, laissant suspecter une éventuelle zone d’ombre ? Que scrute ce regard perçant (persan ?) qu’on ne lui voit jamais dans ce film où il arbore perpétuellement un sourire désarmant et un « air de chien battu » – sur la foi duquel sa caution s’est lourdement engagée au risque d’être trahie ?

[Attention spoiler] Tout le long du film, sans doute trop habitué aux scénarios hollywoodiens et à ses twists redoutables, j’ai attendu une révélation qui n’est pas venue : celle d’une arnaque dont ce soi-disant « héros » se serait rendu coupable. J’ai imaginé toutes sortes de scénarios échevelés. J’ai par exemple pensé que Rahim et la femme venue chercher l’argent qu’elle avait perdu étaient en fait de mèche. Ou, plus simplement, j’ai pensé que Rahim avait restitué cet argent dans l’idée machiavélique d’en retirer un bénéfice moral.

La réalité est plus triviale. Je l’ai d’ailleurs trouvée assez peu crédible : pourquoi diable voit-on Rahim d’abord essayer de convertir les dix-sept pièces d’or contenues dans le sac trouvé par Farkhondeh puis soudainement changer d’avis ? La calculette du joaillier qui tombe en panne, son stylo qui ne marche pas sont-ils vraiment les seules causes de ce  brutal revirement ?
La réalité, donc, se dévoile simplement ou, plutôt, ne se cachait nulle part. Ce repris de justice a fait une bonne action. Mais il a fait une bonne action qui se retourne contre lui à cause de quelques libertés qu’il prend avec la vérité : il affirme, sur les conseils de ses geôliers qui y voient le moyen de rehausser l’image de leur établissement, que c’est lui qui a trouvé ledit sac – alors que c’est sa fiancée qui a fait l’heureuse découverte quelques jours plus tôt. Et faute de remettre la main sur la mystérieuse propriétaire, qui disparaît une fois son sac retrouvé sans qu’on ne retrouve jamais sa trace, il ment sur son identité durant sa déposition.

Tout compte fait, et contrairement à ce que j’escomptais pendant tout le film, Un héros n’est pas un film à double fond sur la duplicité humaine et le faux héroïsme. C’est beaucoup plus simplement l’histoire d’un homme pris au piège de ses bonnes actions.

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Chère Léa ★☆☆☆

Jonas (Grégory Montel), la quarantaine bien entamée, est à la croisée des chemins. La petite société de BTP qu’il dirige bat de l’aile par la faute d’un promoteur véreux. Sa vie personnelle ne va guère mieux : Jonas a quitté sa femme (Léa Drucker) pour Léa (Anaïs Demoustier), une jeune soliste avec laquelle il entretenait depuis plusieurs mois une folle liaison adultère. Mais Léa a rompu un mois plus tôt.
Au lendemain d’une nuit agitée, Jonas, qui ne résout pas à oublier Léa, décide de faire le siège de son appartement. Il s’installe dans le bistro d’en face et y entame la rédaction d’une longue lettre avec la complicité de Mathieu (Grégory Gadebois), le barman.

Voilà bientôt vingt ans que Jérôme Bonnell trace un sillon original dans le jeune cinéma français. Son premier film s’intitulait Le Chignon d’Olga. Je m’en suis souvenu en regardant Anaïs Demoustier, filmée de dos, remonter ses cheveux dans un geste plein d’élégance et de sensualité (il est vrai que si Anaïs Demoustier faisait des crêpes ou passait l’aspirateur, je la trouverais immanquablement élégante et sensuelle !). Son dernier en date, À trois, on y va, remonte à presque sept ans ; il n’avait pas reçu un grand écho ; mais la fraîcheur du trio amoureux qu’il mettait en scène (composé de Félix Moati, de Sophie Verbeeck et… d’Anaïs Demoustier) m’avait enthousiasmé et lui avait valu une place dans mon Top 10.

Aussi attendais-je avec gourmandise ce Chère Léa – au risque de faire une overdose d’Anaïs D., deux semaines après La Pièce rapportée et trois mois seulement après Les Amours d’Anaïs. J’en attendais deux qualités auxquelles je suis sensible : légèreté et nostalgie. Quoi de plus touchant en effet que l’histoire d’une rupture amoureuse, surtout lorsqu’elle n’est pas filmée avec les gros sabots du mélodrame ?

Force m’est hélas d’avouer une petite déception. Les acteurs ne sont pas à blâmer. Qu’il s’agisse d’abord de Grégory Montel – dont la voix me rappelle irrésistiblement les intonations de Daniel Auteuil – qui, après trop de seconds rôles, trouve enfin le chemin du haut de l’affiche, de Léa Drucker dont l’unique scène suffit à lui faire crever l’écran, de Gregory Gadebois, toujours parfait dans le rôle du gros nounours empathique et, évidemment, d’Anaïs Demoustier.

Je serais tout aussi ingrat de blâmer le scénario qui, louchant du côté du théâtre, avec un dispositif minimaliste (un bistro au coin d’une rue, une journée qui s’écoule, une demie-douzaine de personnages à peine qui y entrent et en sortent sans guère s’en éloigner), ménage suffisamment de rebondissements pour tenir la durée.

Ce qui m’a peut-être freiné est, tout bien considéré, la sagesse du propos, son manque d’originalité, sa succession prévisible de saynètes appliquées (la rencontre comico-tragique avec un autre amant de Léa, la confrontation avec le beau-frère du promoteur véreux….) qui empêchent à l’ensemble de se hausser au-dessus du niveau de l’aimable et oubliable comédie sentimentale française standard.

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Où est Anne Frank ! ★★★☆

Tout le monde connaît Anne Frank, la jeune adolescente qui se cacha avec sa famille à Amsterdam durant la Seconde Guerre mondiale, qui mourut à Bergen-Belsen quelques jours avant la Libération et dont le journal intime, conservé par son père, devint vite un best-seller.

Le réalisateur Ari Folman s’essaie à dépoussiérer cette figure mythique. Il y parvient remarquablement, malgré toutes les réserves que son entreprise pouvait a priori inspirer.

Le titre de son film d’animation sonne comme un slogan : Où est Anne Frank ! avec un point d’exclamation. Le message est simple sinon simpliste : on n’aurait rien compris à Anne Frank si on la muséifie dans quelques lieux sans vie et si on oublie que les valeurs qu’elle incarne (le respect de l’autre, l’antiracisme, le droit à l’enfance…) sont loin d’être toujours respectées dans nos sociétés contemporaines.

Beaucoup de bons sentiments me direz-vous ? C’est ce que je me disais aussi en allant voir sans enthousiasme ce film dont je craignais légitimement qu’il ne ne me fût pas destiné, ayant dépassé d’une bonne quarantaine d’années l’âge de sa cible, et qu’il m’arracherait des soupirs cyniques.

La première moitié du film m’a conforté dans mes préjugés. On y découvre Kitty, l’amie imaginaire d’Anne, ramenée à la vie de nos jours et partie à la recherche de sa créatrice dans un Amsterdam enneigé où des étrangers sans foyer sont pourchassés par la police. Je me dis que je suis dans un mauvais Candy et je soupire, d’ennui et d’autosatisfaction quant à la clairvoyance de mes funestes intuitions.

Mais le film prend dans sa seconde partie une ampleur que je n’escomptais pas. Il faut dire qu’Ari Folman sait y faire. Valse avec Bachir avait marqué l’histoire du film d’animation tant par sa forme novatrice que par son sujet, la douloureuse anamnèse d’un ancien conscrit israélien engagé au Liban. Ici, sa plume est virevoltante, qu’il s’agisse, très sagement, de rappeler l’enfermement d’Anne dans sa cachette, de peindre la cavale de Kitty de nos jours ou d’imaginer ses songes (une fantastique bataille façon Alexandre Nevski entre les forces du Bien et du Mal).

Bien sûr, la conclusion du film est prévisible et convenue. Et la morale qu’elle véhicule trop bien-pensante pour qu’on n’ait pas un peu honte de s’y rallier aussi spontanément. Mais répétons-le : les quinquagénaires scrogneugneux ne sont pas le cœur de cible de ce film destiné aux enfants. Qu’il les ait touchés, qu’il m’ait en tous cas touché, est un effet collatéral inattendu et réjouissant.

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Rose ★★☆☆

Rose Goldberg (Françoise Fabian) a toujours vécu dans l’ombre de son mari. Elle a consacré sa vie à l’éducation de ses trois enfants. À soixante-dix huit ans, à la mort de son mari, elle se cherche une raison de vivre, elle qui s’est toujours oubliée au profit des autres.

Ces temps ci, au cinéma, qu’on regarde The Father, Falling ou Tout s’est bien passé, les septuagénaires étaient des vieillards cacochymes, frappés d’une maladie dégénérative. Rose Goldberg n’a pas de tels soucis. Elle a encore sa tête et ses jambes. Mais c’est le cœur qui flanche quand son mari disparaît.

Rose raconte un vrai phénomène de société : le veuvage qui touche, on le sait, plus souvent les femmes, dont l’espérance de vie est plus élevée que celle des hommes. D’ailleurs la salle où je l’ai vu était remplie de femmes d’un certain âge (je n’oserais, sauf à passer pour un goujat, préciser lequel) cramponnées à leur sac à main.

Rose déroule une partition sans surprise. À la première phase de sidération, d’abattement que traverse la veuve pas vraiment joyeuse, succède une seconde, plus gaie, qui la voit se reprendre en main, décider de s’assumer voire de se donner le plaisir qu’elle s’était toujours refusé : un verre d’alcool, une virée en voiture, un flirt….
Une belle brochette de seconds rôles accompagnent Françoise Fabian, impériale dans le rôle-titre. Ses enfants l’entourent de leur affection envahissante, dans des dîners de famille joyeux et bruyants. On les voit tour à tour, chacun dans leurs scènes, qui dévient le film de son cours mais qui sont suffisamment attachantes pour qu’on le leur pardonne : le fils aîné (Grégory Montel) est devenu un grand chirurgien ; la fille (Aure Atika toujours parfaite) ne se remet pas de son divorce ; le fils cadet (Damien Chapelle) vit aux crochets de sa mère.

Rose réjouira toutes les spectatrices qui y verront un modèle pour inspirer le dernier tiers (quart ?) de leur vie. Quant aux autres….

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