Lazzaro est un benêt. Il vit parmi les siens, des paysans pauvres qui exploitent un champ de tabac pour le compte d’une aristocrate, la marquise Alfonsina De Luna, qui, avec le concours de son contremaître, les maintient dans un état anachronique de servitude. Lazzaro se rapproche du fils de la marquise en pleine rupture de ban et l’aide à se cacher dans la montagne en faisant croire à une prise d’otage doublée d’une demande de rançon.
Mais Lazzaro fait une chute mortelle. La demande de rançon a attiré l’attention des Carabiniers qui libèrent les paysans de leurs jougs et les escortent en ville. Les années passent. Miraculeusement, Lazzaro se réveille. Il n’a pas vieilli d’un jour. Il marche jusqu’à la ville et y retrouve ses amis.
Heureux comme Lazzaro est le troisième film de Alice Rohrwacher. Ses deux premiers étaient remarquables. Corpo Celeste (2011) racontait l’histoire d’une petite fille en Calabre à la veille de sa première communion. Les Merveilles (2014) campait une famille de joyeux marginaux vivant de la culture du miel dans les montagnes de l’Ombrie.
Dans sa première partie, Heureux comme Lazzaro rappelle les drames pastoraux de Ermanno Olmi (L’Arbre aux sabots) ou des frères Taviani (Padre, padrone). L’action se déroule hors du temps (sommes-nous au début du vingtième siècle ou à sa fin ?). La vie de la communauté est rythmée par les travaux des champs. La terre est dure à l’homme. Lazzaro est un simple qui oppose un sourire inaltérable et une gentillesse sans fon à la méchanceté du monde.
Et brutalement, basculant dans le réalisme fantastique, Heureux comme Lazzaro bifurque. Son héros meurt pour renaître à lui-même plusieurs années plus tard. Il n’a pas pris une ride. Mais le monde autour de lui a changé. Ses proches ont quitté la campagne après que les pratiques d’un autre âge de la marquise De Luna ont été démasquées. Pour autant, entassés dans des abris de fortune au bord des rails, bruyants et pollués, ils ne vivent guère mieux.
La parabole prend vite son sens. On comprend qu’il s’agit de dénoncer le sort des opprimés, hier à la campagne, aujourd’hui à la ville. La fable pourrait être lourdement démonstrative. Elle réussit à ne pas l’être. Le mérite en revient aux acteurs, notamment à Alba Rohrwacher, la propre sœur de la réalisatrice, qui jouait déjà dans Les Merveilles, qui interprète ici le rôle d’Antonia, la gamine de la première partie devenue une belle adulte dans la seconde.
Heureux comme Lazzaro, ses deux films en un, pourront laisser le spectateur sur le bord du chemin ou le séduire par son subtil équilibre entre poésie et politique.