High-Rise ☆☆☆☆

En 1975, J.G. Ballard a écrit High-Rise, vite devenu un classique de science-fiction. Quarante ans plus tard, celui-ci est enfin porté à l’écran. Une immense tour d’habitation est un condensé d’humanité : les plus pauvres s’entassent dans les premiers étages, les classes moyennes dans les étages intermédiaires et les plus riches dans les penthouses des derniers étages. Mais les règles qui régissent son organisation cèdent à l’anarchie.

High-Rise vaut surtout par le parti pris de son directeur artistique qui a choisi, pour les costumes et les décors, de conserver l’esthétique des seventies. Mais, passé les vingt premières minutes, l’histoire prend un tour si extravagant, si incohérent qu’on en décroche sans espoir de retour. Le film devient un grand n’importe quoi (scènes d’orgie,  de meurtre) que les spectateurs qui n’ont pas déserté la salle regardent mi-amusés mi-navrés.

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Truth : le Prix de la Vérité ★★★☆

En 2004, CBS News révèle que George W. Bush a réussi à éviter d’être enrôlé au Vietnam. Mais l’authenticité des documents à l’origine de ces révélations est bientôt mise en doute obligeant le présentateur vedette Dan Rather (Robert Redford) et sa productrice Mary Mapes (Cate Blanchett) à mettre fin à leurs carrières.

Deux mois après Spotlight, Truth, adapté de l’autobiographie de Mary Mapes, est un film tout aussi réussi sur le journalisme.

Spotlight racontait l’enquête menée par les reporters du Boston Globe pour dénoncer le silence coupable de la hiérarchie catholique qui avait couvert les actes pédophiles commis par des prêtres. Sujet manichéen – mais excellemment traité.

Le sujet de Truth est autant sinon plus intéressant. Car Truth ne dresse pas le panégyrique d’une journaliste courageuse dont les révélations auraient été discréditées par la censure d’État. Truth, plus subtilement, explore les failles d’une investigation journalistique : l’équipe de Mary Mapes, pressée par les délais de bouclage, ne s’était pas entourée de toutes les assurances lui permettant de garantir l’authenticité des documents en sa possession.

Du coup c’est paradoxalement l’histoire d’une enquête qui tourne mal, d’un tuyau percé, qui est à la base d’un film à la gloire du journalisme. C’est pour avoir fait leur travail à 99 %, pour ne pas avoir satisfait les critères ô combien exigeants d’un métier qui ne laisse rien au hasard, que Mary Mapes sera licenciée et Dan Rather poussé à la retraite. Le destin des vaincus n’est pas moins édifiant que celui des vainqueurs.

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East Punk Memories ★☆☆☆

Jeune étudiante aux Arts déco, Lucile Chaufour avait franchi le Mur au début des années 80 pour aller filmer les punks de Budapest. Trente ans plus tard, elle est retournée en Hongrie, a retrouvé les protagonistes de ses vieux films en 16 mm et les a interviewés. Unis hier dans une même exécration du système communiste, ils ont suivi des chemins bien différents. Les uns se sont parfaitement intégrés au système capitaliste, les autres sont restés des marginaux accrochés à leurs rêves nihilistes.

Lucile Chaufour tenait un matériau exceptionnel qui lui permettait de dresser une radioscopie historique de la Hongrie, avant et après la chute du Mur. Ce matériau, elle le gâche par une mise en scène terriblement plate. Avec une régularité métronomique, elle alterne les interviews « face caméra » et les images d’archives. Les interviews sont organisées autour d’une série de questions qui ne ménagent aucune surprise : comment êtes-vous devenu punk ? aviez-vous des motivations politiques ? avez-vous été en butte à l’hostilité du régime ? comment avez-vous vécu la chute du Mur ? quelle vie est la vôtre aujourd’hui ? que signifient aujourd’hui pour vous les valeurs qui étaient les vôtres à l’époque ?

La morale de ce documentaire est désespérante. Les punks d’hier sont devenus des capitalistes cyniques ou des épaves pitoyables. Éloignés les uns des autres dans le cadre asphyxiant où les enferme la documentariste, ils ont perdu l’énergie festive qui embrasait leur jeunesse. Un film sorti en 2012 du documentariste allemand Marten Persiel, Derrière le mur, la Californie racontait l’histoire similaire des skateboarders de Berlin-Est. Si sa conclusion était la même,  sa façon de restituer cette histoire haute en couleur était autrement enlevée.

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A Bigger Splash ★☆☆☆

Rock star aphone, Marianne (Tilda Swinton) se repose avec son jeune amant Paul (Matthias Schoenaerts) sur une île italienne. Leur retraite idyllique est troublée par l’arrivée intempestive de l’ex-amant de Marianne, Harry (Ralph Fiennes), et de sa fille Penelope (Dakota Johnson). Autour de la piscine, Harry tente de reconquérir Marianne tandis que Penelope trouble Paul.

Pourquoi diable être allé tourner un remake de La Piscine de Jacques Deray ? En 1969, Romy Schneider n’a jamais été plus sexy ni Alain Delon plus beau. Et vice versa. Ils formaient un couple mythique. Indépassable. Alors pourquoi diable ?

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Soleil de plomb ★☆☆☆

« Trois décennies.  Deux nations. Un amour ». Sur le papier, Soleil de plomb est terriblement alléchant : trois histoires d’amours impossibles entre un Croate et une Serbe à dix ans d’intervalle. La première à l’été 1991 : la guerre civile dresse l’une contre l’autre des communautés habituées jusqu’alors à vivre ensemble. La deuxième à l’été 2001 : la guerre est finie mais ses stigmates restent bien visibles dans les villes qui peinent à se reconstruire et dans les cœurs qui tardent à se réconcilier. La troisième à l’été 2011 : la Croatie est sur le point d’entrer dans l’Union européenne et les plus jeunes n’ont pas connu la guerre sinon dans les livres d’histoire ; mais les plaies ne sont pas toutes cicatrisées.

Ainsi présenté, Soleil de plomb du Croate Dalibor Matanic pourrait passer pour le grand film sur le conflit en ex-Yougoslavie. Une sorte de Roméo et Juliette serbo-croate. Hélas ce serait lui faire trop d’éloges.

Car il ne s’agit de rien de plus que de trois moyens métrages d’une quarantaine de minutes chacun. Sans doute leur thème est-il le même : il est croate, elle est serbe, mais leur amour est impossible parce que a/ en 1991 leur communauté le proscrit b/ en 2001 le souvenir de leurs morts le leur interdit c/ en 2011 le divorce du Croate, sous la pression de sa communauté qui lui reprochait son union avec une Serbe, l’empêche de renouer les liens. Mais, comme dans tous les films à sketches, la juxtaposition de plusieurs histoires différentes conduit fatalement à les hiérarchiser (la première est ici meilleure que la deuxième elle-même plus inspirée que la troisième).

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Un monstre à mille têtes ★★★☆

Le monstre évoqué par le titre est l’administration mexicaine de la santé, sourde aux besoins des malades, qui laisse le mari de Sonia agoniser sans lui payer le médicament qui soulagerait ses souffrances. Contre ce monstre, Sonia se dresse, comme nous le ferions, en l’inondant de courriers et d’appels téléphoniques, avec la sempiternelle requête qu’elle introduit poliment en s’excusant du dérangement qu’elle cause.

Un beau jour, n’en pouvant plus et voyant la santé de son mari se dégrader rapidement, Sonia se rend au siège de son assurance sociale en compagnie de son fils. Devant un énième refus, tout bascule : elle dégaine son revolver pour obtenir du médecin référent une signature, le prend en otage pour faire pression sur le directeur seul habilité à accorder une dérogation, déboule dans le club de squash huppé où celui-ci a ses habitudes, etc.

Le film ne dure qu’une heure quatorze. Aucun gras, rien de superflu, juste une narration tendue comme une flèche. Une issue que l’on sait dès le début dramatique dont on découvre à la fin qu’elle l’est plus encore qu’on nous l’avait annoncée.

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Quand on a 17 ans ★☆☆☆

Je suis loin de partager l’enthousiaste critique suscitée par le dernier film d’André Téchiné.

Damien et Thomas ont dix-sept ans. Damien est un fils de bonne famille : papa militaire (bien vieux pour être lieutenant… mais, bon, Téchiné n’a pas fait l’IHEDN) et maman médecin de campagne. La situation de Damien est plus compliquée : il est le fils adoptif d’un couple d’agriculteurs installé en montagne à plus d’une heure du lycée.  Aussi lorsque la mère de Thomas est hospitalisée,  la mère de Damien propose d’héberger Thomas chez elle. Le hic : les deux adolescents se détestent autant qu’ils s’attirent.

Le scénario est cosigné par Céline Sciamma (Tomboy, Bande de filles) et on y retrouve le thème qui lui est cher de la confusion des sentiments chez les adolescents. Damien est attiré par Thomas ; mais Thomas n’est pas au clair avec ses désirs. C’est Marianne, la mère, lumineusement interprétée par Sandrine Kiberlain, qui les rapprochera lentement.

Le Monde s’enthousiasme pour ce portrait d’une « adolescence pleine de grâce et de fureur ». Au contraire, j’ai trouvé ce trio peu crédible sinon caricatural. Les éclats de rire gênés de la salle devant certaines scènes particulièrement ratées en témoignent. La description des premières amours adolescentes, homo ou hétéro, est un sujet cinématographique éculé. André Téchiné lui-même l’a déjà traité avec beaucoup plus de succès dans Les Roseaux sauvages.

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Panique ★★★☆

Simenon est un génie, Michel Simon aussi. La rencontre de deux génies filmée par l’un des plus grands réalisateurs français de l’époque a produit un film injustement oublié, pas loin d’égaler les chefs-d’oeuvre de Marcel Carné, René Clément, René Clair, Jean Renoir…

Un cadavre est retrouvé dans une fête foraine. Le taciturne monsieur Hire connaît l’assassin : c’est l’amant de la femme qu’il aime.

Les romans de Simenon sont de faux polars. L’élucidation d’un crime n’y est qu’un prétexte à l’exploration de l’âme humaine. Panique est un film sur la solitude : monsieur Hire vit seul dans un meublé sordide, inconsolé du départ de sa femme, mis à l’écart par ses voisins qu’intimident son intelligence aiguë et son refus de sympathiser. Mais plus encore, Panique est un film sur la bassesse humaine : la foule cherche un meurtrier pour le crime commis et trouve en monsieur Hire un coupable tout désigné qu’elle poursuivra de son aveugle vindicte. Un thème qui n’est pas sans résonance en 1946.

Panique est l’adaptation des Fiançailles de Monsieur Hire. Patrice Leconte en réalisa un remake en 1989 avec Michel Blanc et Sandrine Bonnaire, moins fidèle au roman de Simenon. Dans ce film, que j’ai vu au jeune temps de ma cinéphilie naissante et dont j’ai gardé un souvenir très vif, l’accent est mis sur la relation entre le solitaire et la demoiselle. Remake réussi mais moins riche que celui de Duvivier.

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Le Convoi sauvage ★☆☆☆

Le saviez-vous ? The Revenant est le remake de Man in the Wilderness (bizarrement traduit Le Convoi sauvage), un western de 1971 où Richard Harris (le directeur Dumbledore des deux premiers Harry Potter) tenait le rôle repris par l’oscarisé Leonardo.

Ce qui frappe, c’est la ressemblance entre l’original et le remake. Une ressemblance qui pourrait être fatale à The Revenant qui n’a pas inventé grand-chose qui ne se trouvait déjà dans Man in the Wilderness : la bataille avec l’ours, la trahison des deux trappeurs, la dépouille de bison disputée aux loups, les Indiens menaçants… Tout y était déjà et même en mieux. Le méchant est le Capitaine Henry joué magistralement par John Hudson, le grand acteur-réalisateur (alors que, dans The Revenant, le méchant est joué par son adjoint laissant au capitaine un rôle moins clair). Il existe entre le capitaine et le héros une relation familiale contrariée (alors que Iñarritu invente à DiCaprio un fils). Dans Man in the Wilderness, les trappeurs halent un bateau, conférant à leur course contre l’hiver une dimension absurde et grandiose, dont Herzog s’inspirera pour Fitzcarraldo. Enfin, la fin de Man in the Wilderness est plus convaincante que celle de The Revenant.

De là à dire que The Revenant ne méritait pas les éloges que je lui ai ici-même adressés, il y a un pas que je ne franchirai pas. Car The Revenant est un film tourné au XXIe siècle, avec une technologie de pointe qui donne au spectateur, comme jamais, l’impression d’être au cœur de l’action. Par contraste, Man in the Wilderness est un film du XXe siècle, bien fade, lent, statique. Et l’interprétation sans profondeur de Richard Harris constitue un repoussoir au talent de DiCaprio.

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Kaili Blues ☆☆☆☆

Kaili Blues a provoqué une polémique dans le petit monde du cinéma. Affligé par le faible nombre de salles qui l’ont programmé, son distributeur a lancé un cri d’alarme. Que le nombre impressionnant de sorties (vingt-et-une cette semaine) condamne à l’invisibilité la plupart des « petits films » relève de l’évidence. Pour autant, Kaili Blues n’est peut-être pas le meilleur ambassadeur d’un cinéma d’art et essai injustement bâillonné.

D’après le synopsis qu’on en lit, le premier film de Bi Gan raconte le périple d’un médecin à la recherche de son neveu. Voilà, dis-je, le résumé qu’on en lit. Car ce qu’on voit est tout autre. Le scénario, totalement incompréhensible, procède par ellipses et flash-back. On y suit un fil, on le délaisse, on y revient. Avec, au milieu du film, un plan séquence de quarante minutes, qui suit le héros à mobylette, tourné par un chef opérateur parkinsonien.

Je suis sorti de la séance doublement en colère. Contre les nombreuses récompenses, injustifiées à mes yeux, que Kaili Blues a récoltées dans les festivals. Et contre ces scénarios chinois, deux semaines après The Assassin, auxquels mon esprit occidental étriqué ne comprend rien.

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