Prendre le large ★★☆☆

Édith travaille dans une usine textile en cours de délocalisation au Maroc. À quarante cinq ans, son mari décédé, son fils monté à Paris, seule et sans attaches, elle décide de « prendre le large » : elle renonce à ses indemnités de licenciement et accepte la proposition de reclassement qui lui est faite au Maroc.

Gaël Morel est une réalisateur original. Il a commencé sa carrière comme acteur, devant la caméra d’André Téchiné (Les Roseaux sauvages, Loin), avant de passer derrière.

Sa dernière réalisation se déroule à Tanger, une ville qui a été souvent filmée : par Téchiné lui-même (Loin, Les Temps qui changent), par Bertolucci (Un thé au Sahara), par Jarmusch (Only Lovers Left Alive). Mais le personnage d’Édith est différent de ces touristes blancs qui déambulent dans la casbah. Elle est une ouvrière comme les autres, qui prend le même minibus chaque matin, où le port du voile est de rigueur, pour aller dans une usine textile de la zone franche où la paie est misérable et les conditions de travail bien loin des standards occidentaux.

Cet angle est intéressant. Il nous capte dans la première moitié du film, le temps qu’Édith s’installe dans sa nouvelle vie, entre l’usine où elle travaille et la pension de famille où elle a trouvé à s’héberger. Mais Prendre le large fait ensuite du surplace, jusqu’à un épilogue attendu et convenu.
Autre bémol : Sandrine Bonnaire. Il est de bon ton de la tenir pour une star depuis Sans toi ni loi qui lui valut le César de la meilleure actrice à dix-huit ans à peine. Je n’ai jamais été convaincu par son joli sourire et son jeu très pauvre. Ici elle manque cruellement de crédibilité : elle a une élégance, une diction, un port de tête beaucoup trop aristocratique pour rendre crédible le personnage d’Édith.

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Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia ★★☆☆

Un parrain mexicain, El Jeffe, met à prix la tête d’Alfredo Garcia qui a mis sa fille enceinte. Le million de dollars promis attise les vocations. Bunny, un pianiste de bar, apprend de Elita que Garcia vient de se tuer dans un accident de voiture. Il décide de traverser le Mexique pour aller exhumer son cadavre et en ramener la tête à El Jeffe.

Sam Peckinpah est un réalisateur emblématique des années 70. Les États-Unis se cherchent après le Vietnam et Woodstock. Hollywood est le reflet fidèle de ces temps d’incertitudes.
Peckinpah fait son entrée fracassante dans l’arène des grands avec un western crépusculaire : La Horde sauvage (1969). Obsédé par la violence, rongé par ses démons intérieurs (il est alcoolique et cocaïnomane), il enchaîne les chefs d’œuvre : Les Chiens de paille (1971), Le Guet-apens (1972), Pat Garrett et Billy the kid (1972).

Apportez-moi la tête… est son chant du cygne. Warren Oates, qui avait déjà interprété le rôle principal de La Horde sauvage, double autobiographique du réalisateur, promène son cynisme et son grand cœur sur les routes du Mexique – où Peckinpah s’était installé pour fuir Hollywood. En chemin, accompagné d’une prostituée au cœur tendre, il rencontre des motards sadiques (on reconnaît Kris Kristofersson dans l’un de ses tout premiers rôles), d’autres chasseurs de prime, des villageois inhospitaliers…

La scène finale n’est pas aussi connue que celle de La Horde sauvage. Mais elle en a la même sauvagerie absurde, la même énergie désespérée.

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La Lune de Jupiter ★☆☆☆

Aryan, un jeune migrant syrien, est blessé par arme à feu en tentant de franchir la frontière serbo-hongroise. Le docteur Stern qui le soigne découvre que son patient est désormais doté de dons surnaturels. Il décide d’en tirer un parti lucratif.

La Lune de Jupiter s’inscrit au croisement de plusieurs genres.
Son affiche et son pitch pourraient laisser augurer un film de superhéros doté de superpouvoirs se battant contre des super-méchants.
Mais La Lune de Jupiter ne joue pas dans la cour des Superman ou des Batman. Et c’est tant mieux. Réalisé et tourné en Hongrie, c’est avant tout un drame politique en lien avec l’actualité dramatique de la crise des réfugiés qui interroge la capacité – ou l’incapacité – de nos sociétés à accueillir dignement ces migrants.
Enfin La Lune de Jupiter est l’histoire de la rédemption d’un homme, le docteur Stern, un ripoux que la rencontre avec Aryan obligera à reconsidérer ses valeurs.

La mise en scène de Kornél Mundruczó est bluffante. Trop peut-être. Un premier plan-séquence nous fait partager la peur des migrants qui franchissent sur de frêles embarcations et sous le feu des balles des garde-frontières la rivière les séparant de l’espace Schengen. On croit qu’il s’agit d’une mise en bouche, comme on en voit souvent, annonçant un film au cours plus paisible. Mais ce n’est pas le cas. Chaque scène est filmée avec autant de brio : on assiste tour à tour au sac d’un appartement, à un attentat terroriste dans le métro, à une course poursuite au ras du bitume de Budapest et enfin à une fusillade dans un grand hôtel.

Du coup, époustouflé par autant de talents, on se détourne de l’histoire pour ne plus regarder que la technicité de chaque plan en se demandant ébahi : « mais comment diable a-t-il réussi à filmer ça ? ». La Lune de Jupiter est un exemple – assez rare – de film dont le brio de son réalisateur réussit à gâcher l’intérêt. Tant pis pour le film. Tant mieux pour Kornél Mundruczó dont je parie mon quatre-heures qu’il aura été repéré par Hollywood et qu’on le retrouvera bientôt, pour le meilleur ou pour le pire, aux manettes de Fast & Furious 10 ou Star Wars 11.

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Le Narcisse noir ★★★☆

Sœur Clodagh (Deborrah Kerr) est envoyée par son ordre religieux construire un école et un dispensaire dans un harem désaffecté, niché en haut d’un vertigineux à-pic, sur les contreforts de l’Himalaya.
En dépit de l’aide d’un baroudeur anglais (David Farrar), la tâche s’avère ardue, notamment du fait d’une des moniales, sœur Ruth (Jean Simmons), qui entre en conflit avec sa supérieure.

Le Narcisse noir est un film à nul autre pareil. Fidèlement inspiré du roman éponyme de Rumer Godden, son action est censée se dérouler dans l’Inde himalayenne. Il s’agit d’un Orient de pacotille – dont les études post-coloniales prendront un malin plaisir à dévoiler les ressorts – le même que celui dix ans plus tôt des Horizons perdus de Frank Capra ou dix ans plus tard du Roi et moi de Walter Lang. Dans ce lieu exotique, on place des personnages qui ne le sont pas moins : des nonnes qui cachent mal leurs blessures intérieures (sœur Clodagh a pris le voile pour soigner un chagrin d’amour, sœur Ruth est gravement déséquilibrée).

Si Le Narcisse noir est entré dans la légende, c’est en raison des décors de Alfred Junge. Powell et Pressburger ont en effet pris le parti de filmer en studio à Londres – au grand désarroi de l’équipe du film qui escomptait plusieurs semaines de tournages dépaysants en Inde. Le résultat est saisissant. Même si les arrières-plans sont des toiles peintes dont on perçoit sans peine l’artifice, l’illusion fonctionne et on se croit volontiers sur un piton himalayen battu par les vents.
Le directeur de la photographie, Jack Cardiff, saisit tout le parti qu’on peut tirer du tout nouveau technicolor. Les deux co-réalisateurs le savent, qui signeront l’année suivante leur chef d’œuvre Les Chaussons rouges, où la couleur joue un rôle central.

Un défaut. Un seul. Le titre qui évoque plus un polar hollywoodien à la Ellroy qu’un drame indien.

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El Presidente ★☆☆☆

Le nouveau président argentin, Hernan Blanco, participe à son premier sommet international dans les Andes chiliennes. Le Brésil souhaite créer une alliance pétrolière latino-américaine ; mais le Mexique s’y oppose. Pour le président néophyte, sans expérience internationale, élu sur la promesse d’une présidence « normale », ce sommet est un test. Mais son passé le rattrape.

Santiago Mitre avait réalisé en 2011 un premier film prometteur. El Estudiante racontait l’initiation politique d’un jeune homme révolté. On se plaît à imaginer que ce jeune homme talentueux a mûri pour être élu une vingtaine d’années plus tard président d’Argentine, décalque latino-américain du président « normal » François Hollande. On le retrouve sous les traits de Ricardo Darín, l’acteur le plus séduisant de l’hémisphère sud (Kóblic, Truman, Les nouveaux sauvages, etc.).

El Presidente aurait pu être un passionnant thriller géopolitique. On en voit l’esquisse durant le premier quart d’heure, le temps de planter le décor à trois mille mètres d’altitude, dans un luxueux hôtel de haute montagne. En quelques mots, l’intrigue est posée. Le Brésil pousse la création d’une OPEP latino-américaine sur laquelle il aurait la haute main. Le Mexique, instrumentalisé par les États-Unis, ne voit pas ce projet d’un œil favorable qui donnerait trop de puissance à Brasilia. L’Argentine est en position d’arbitre.

Hélas El Presidente se perd en chemin.
Il se perd en ajoutant à cette trame géopolitique un drame privé dont il n’avait aucun besoin. Le président a une fille qui vient de divorcer et qui souffre de troubles mentaux. Sans aucune crédibilité, il lui demande de le rejoindre – alors que la pauvrette aurait mieux fait de se faire soigner à Buenos Aires – et passe à son chevet un temps incompatible avec ses obligations protocolaires
Il se perd en caricaturant la négociation internationale. On voit ainsi le président argentin rencontrer en catimini un obscur fonctionnaire américain (Christian Slater dont on se demande ce qu’il vient faire dans cette galère) qui lui propose un pacte faustien.

C’est dommage. car El Presidente avait l’étoffe d’un grand film.

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Burn Out ★☆☆☆

Tony n’a qu’une passion : la moto. Son talent l’a fait repérer par une prestigieuse écurie et il est sur le point de passer pro. Mais la mère de son fils est en dette avec la pègre. Seul moyen pour Tony de la sortir de ce mauvais pas : se mettre au service des dealers en transportant à plus de 200 km/h de la drogue entre Rotterdam et Paris. Go-faster la nuit, pilote de course le jour, le burn out menace.

Pour son troisième film, Yann Gozlan tourne un Fast and Furious à la française. Avec des motos au lieu des quatre-roues. Où les bords de la Marne remplacent les rues de Los Angeles. Avec François Civil dans le rôle de Paul Walker, l’obsédé de vitesse.

Les fans de moto adoreront. Quant aux autres…

Dès la première séquence, filmée sur un circuit moto, l’adrénaline monte. Elle n’aura guère le temps de redescendre, le scénario multipliant les courses poursuites et la réalisation réussissant à les rendre excitantes. Filmées au ras du bitume, à travers le casque embué de sueur de Tony ou depuis le bord de la route, ces rodéos impressionnent. Le problème est que l’énergie dépensée à les mettre en scène semble inversement proportionnelle à celle consacrée au reste du film.

Si les acteurs font honnêtement leur job, de François Civil en motard au bord de l’épuisement à Olivier Rabourdin dans le rôle du méchant de service en passant par la ravissante Manon Azem, le scénario ne suit pas. Il tire trois fils narratifs : la sélection d’un motard professionnel par l’écurie Ducati, la réconciliation de Tony avec son ex-femme et bien sûr ses déboires avec les manouches qui contrôlent le trafic de drogue dans son quartier.

On peut s’amuser pendant le film à pronostiquer son dénouement. Le plus caricatural, bien sûr, aurait été que tout se termine bien : Tony rembourse sa dette, reconquiert sa fiancée et passe pro. Le scénario nous évite cette conclusion prévisible et affligeante. Pour autant, la voie dans lequel il s’engage n’est guère plus convaincante.

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Western ★★★☆

Dans une région reculée de la Bulgarie, un groupe de manœuvres allemands construit un ouvrage hydroélectrique. Mais les travaux sont interrompus par le manque d’eau et de graviers. Tandis que ses collègues paressent au soleil dans leur campement, Meinhardt se rapproche des habitants du cru. Le contact n’est pas simple faute de parler la même langue ; mais il se noue lentement.

De l’importance d’un titre. Western aurait pu s’intituler Meinhardt. Car c’est autour de son héros, maigre comme un clou, sec comme une trique, aussi habile de ses doigts qu’avare de ses paroles, cachant peut-être dans un passé qu’il dévoile par bribes des secrets qu’il veut taire, que le film se construit.

Mais Valeska Grisebach voit plus loin. La réalisatrice allemande entend donner à son film une ambition plus grande. Elle transpose aux frontières orientales de l’Europe les recettes du western américain. Soit l’arrivée d’hommes soi-disant civilisés dans un milieu peuplé de peuplades hostiles qu’il s’agit de subjuguer ou, à défaut, de détruire.

Comparer des paysans bulgares à des Commanches ou à des Navajos est un parallèle audacieux voire provocateur. C’est déjà sur ce hiatus, au sein même de l’Europe des 28, que Maren Ade, qui co-produit Western, avait construit Toni Erdmann dont l’action se déroulait en Roumanie. Autant je n’avais pas aimé dans ce dernier film l’histoire du père et de sa fille, autant j’avais été sensible à la justesse de l’analyse des relations dissymétriques entre la businesswoman allemande et son staff roumain.

Dans Western, Valeska Grisebach met en scène une situation que nous avons tous vécus, en accueillant un correspondant anglais incapable de parler deux mots de français, ou en tentant de négocier une babiole dans un souk égyptien : l’incommunicabilité. Comment se faire comprendre de gens qui ne parlent pas notre langue ? Avec deux mots d’anglais ? avec des gestes ? des mimiques ? La réalisatrice nous facilite la tâche en sous-titrant le bulgare que Meinhardt ne comprend pas et ses réponses en allemand que ses interlocuteurs bulgares ne comprennnent pas plus. Pour rendre plus frappantes encore ces difficultés de communication, elle aurait dû enlever ces sous-titres, au risque de perdre complètement le spectateur.

Pour donner du nerf au récit, le scénario invente une rivalité au sein de la troupe allemande entre Meinhardt, qui souhaite resserrer les liens avec la population bulgare, et son chef de chantier, Vincent, qui y est hostile et ne l’envisage que dans une perspective utilitaire (draguer les femmes, voler de l’eau, acheter du gravier…). Cette hostilité latente, qui pourrait à chaque instant basculer dans la violence, maintient, tout le long du film, une tension électrisante. On attend qu’elle explose dans son dénouement. Celui-ci déjoue toutes nos attentes. Les déçoit-il pour autant ? Je vous laisse en juger.

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Le Rire de madame Lin ★★☆☆

Madame Lin vieillit. Ses enfants semblent plus soucieux de s’en débarrasser que de s’inquiéter de son bien-être. Ils décident d’un commun accord de la placer dans un hospice sordide. Mais en attendant qu’une place s’y libère, ils acceptent une dernière fois de l’accueillir à tour de rôle.

Âmes sensibles s’abstenir. Vos parents sont retraités ? leur santé décline ? ne leur proposez pas d’aller voir ce film avec vous. Ils pourraient y voir malice de votre part.

Le Rire de Madame Lin n’est pas une comédie. Si on rit comme Madame Lin, c’est nerveusement, pour cacher un malaise, pour étouffer un sanglot. Car rien n’est épargnée à cette Grand Mère Courage, ballottée d’un foyer à l’autre, qui encore et toujours y fera l’expérience de l’ingratitude humaine. Fils, filles, beaux-fils, belles-filles, tous sont plus égoïstes les uns que les autres. L’un empoche la tontine assemblée par la famille pour payer son docteur ; l’autre la chasse parce que sa présence silencieuse nuit au petit commerce qu’ils dirigent ; une troisième la fait dormir avec les bêtes au motif que le rire nerveux de Madame Lin lui est devenue insupportable.

Il y a dans cette succession d’avanies un procédé un brin répétitif. Le Rire… aurait pu durer un quart d’heure de plus si Madame Lin avait eu un cinquième enfant. Il a l’élégance de se conclure après une heure vingt-deux par un épilogue traumatisant. C’est un film chinois qui décrit l’âpreté des relations humaines en Chine – comme le documentaire Argent amer vient de le faire – et le paradoxal individualisme que trois quarts de siècle de collectivisme y a généré. Mais c’est aussi un film universel qui nous touchera tous. Car la question qu’il traite – que faire de nos aînés – se pose sous toutes les latitudes.

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Le Grand Jeu ★★★☆

Molly Bloom (Jessica Chastain) est une fille du Colorado élevée par un père tyrannique (Kevin Costner) qui rêve d’en faire une championne olympique de ski. Ses rêves de médaille évaporés suite à une mauvaise chute, elle débarque à Los Angeles et devient l’assistante d’un joueur de poker qui organise des parties homériques avec quelques stars de Hollywood. Elle apprend tant et si bien de son mentor qu’elle se met à son compte. À Los Angeles d’abord puis à New York. Molly Bloom a beau tout faire pour rester honnête, son succès insolent causera bientôt sa chute et son arrestation par le FBI. Défendue par un ténor du barreau (Idris Elba), sera-t-elle blanchie par la justice ?

L’ascension, la chute et la rédemption d’une idole déchue racontée avec une voix off et des flashbacks. Un air de déjà vu ? Sans doute. Le Loup de Wall Street, Lord of War, Boogie Nights étaient écrits sur le même schéma et constituent des modèles difficilement dépassables. D’autant que Molly Bloom  n’a pas le charisme du trader Jordan Belfort ou du trafiquant d’armes Yuri Orlov. Le Grand Jeu, inspiré de son autobiographie, tente de façon trop voyante de la réhabiliter pour être tout à fait honnête.

Sauf que Le Grand Jeu a pour héroïne Jessica Chastain et pour réalisateur et scénariste Aaron Sorkin.

Jessica Chastain is back. Moins de deux ans après Miss Sloane, la WonderWoman de Hollywood est à nouveau seule à l’affiche. Juchée sur de vertigineux stilettos, maquillée comme une star du X, coiffée à la Veronica Lake, habillée dans les tenues les plus provocatrices, les seins moulés dans de vertigineux décolletés, elle est de tous les plans. Froidement dominatrice. Magistralement impériale. Follement séduisante. Comme dans Zero Dark Thirty où, dans une tenue moins élégante, elle endossait déjà un rôle similaire de maîtresse femme. Qu’elle fasse ainsi la nique à tous les seconds rôles masculins réduits au rôle de faire-valoir n’est pas anodin à l’époque du scandale Weinstein qu’elle n’a pas hésité à dénoncer. Ce film, cette actrice participent d’une évolution de Hollywood qui n’hésite plus à donner le premier rôle à une femme qui n’est ni mère ni putain. Julia Roberts avait ouvert la voix avec Erin Brockovitch en 2000 ; les Jessica Chastain movies sont en train d’en faire une autoroute.

Après avoir scénarisé l’une des meilleurs séries (The West Wing) et l’un des meilleurs films (The Social Network) de la décennie précédente, Aaron Sorkin passe (enfin) derrière la caméra. Sa marque de fabrique : des conversations à bâtons rompus, des joutes verbales d’une folle intensité, d’incessants allers-retours temporels. Accrochez vous à votre fauteuil. Ne perdez pas un détail. Et révisez vos règles de poker si vous ne voulez pas être complètement largués. Dextérité vaine ? Brio inutile ? Le reproche serait excessif. Car Aaron Sorkin a une vertu rare. Il parie sur l’intelligence du spectateur. Pas sur son cœur. Le Grand Jeu est un film froid, cérébral – qui aurait pu s’éviter une séquence inutile entre le père et sa fille au bord de la patinoire de Central Park. Laissons à d’autres réalisateur de RomCom le soin de nous attendrir. Remercions Sorkin de nous rendre moins bêtes.

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Un homme intègre ★★★☆

Reza vit à la campagne avec sa fille et son fils. Son exploitation piscicole bat de l’aile car des promoteurs immobiliers ont décidé de s’accaparer sa terre. L’eau lui est coupée, la banque menace de saisir sa maison hypothéquée, la police l’accuse à tort d’avoir cassé le bras d’un contremaître.

Un homme intègre arrive sur nos écrans lesté d’un parfum de scandale. Car son réalisateur s’est vu assigné à résidence, son passeport retiré, à la suite de sa projection à Cannes et à la publicité dérangeante que lui a valu le prix Un certain regard. Mohammad Rasoulof inscrit désormais son nom au panthéon des réalisateurs persécutés pour leur liberté de parole, à côté notamment de Jafar Panahi ou de Keywan Karimi.

C’est qu’il ne fait pas bon chatouiller le régime des mollahs et en dénoncer les dérives. Ce qui est autorisé en Russie (Léviathan, Une femme douce), en Égypte (Le Caire confidentiel), en Algérie (Les Bienheureux) ou en Bulgarie (Taxi Sofia) ne l’est pas en Iran. Tous ces films ont en commun de dresser le portrait d’une société, d’en démonter les mécanismes corrompus, d’en pointer les hypocrisies.

Un homme intègre le fait avec une particulière efficacité. L’histoire a des allures de western et en reprend certains des codes. Si Reza se fait dès la première séquence du film confisquer son fusil, il utilisera ses poings et surtout son intelligence pour défendre sa famille.

« Manger ou être mangé ». Un homme intègre excelle à décrire les dilemmes moraux auxquels le régime accule. Pour défendre sa famille, Reza voit son intégrité mise à mal. Il a le choix entre tout perdre ou retourner contre ses agresseurs les armes qu’il a jusqu’alors refusé d’utiliser. Sa femme vit le même dilemme. Elle dirige une école de jeunes filles. Son emploi garantit au couple un revenu stable. Mais, si elle veut le conserver, elle est obligée, elle aussi, de prendre le même type de décisions iniques que celles qui sont opposées à son mari.

Comme quoi, il  n’est pas besoin d’aller voir Star Wars pour toucher du doigt les ambiguïtés de la Force. Ou pour réaliser qu’entre le bien et le mal, l’intégrité et la compromission, il n’y a pas l’épaisseur d’un sabre laser ou d’une pastèque iranienne.

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