Derniers jours à Shibati ★★☆☆

Au cœur du Sichuan, sur les bords du fleuve Yang Tse, Chongqing se targue d’être la plus grande conurbation au monde avec trente-quatre millions d’habitants.
La ville champignon connaît une croissance urbaine galopante. Les immeubles s’y multiplient, les vieux quartiers sont irrémédiablement condamnés.
Le documentaliste français Hendrick Dusollier a posé sa caméra dans le vieux quartier de Shibati, en plein centre-ville, à la veille de sa destruction. Il a mis ses pas dans ceux de trois de ses habitants à la veille de leur déménagement dans une banlieue aseptisée : un petit garçon espiègle, un coiffeur féru d’histoire et une vieille dame un peu foldingue.

Derniers jours à Shibati est le premier documentaire distribué en salles de Hendrick Dusollier. Ses précédentes réalisations étaient des compositions beaucoup plus élaborées sur des thèmes proches : Obras, un court métrage de douze minutes, racontait à partir de photos animées par ordinateur la recomposition d’un quartier de Barcelone, Babel, en quinze minutes à peine, s’essayait à résumer les mutations de la Chine contemporaine.

Le procédé utilisé dans son dernier film est différent. Caméra à l’épaule, sans quasiment parler un mot de chinois, le documentariste a arpenté les rues de Shibati – au risque de susciter de la part de ses habitants méfiance et hostilité. Il s’est finalement attaché à trois personnages qui, sans constituer un échantillon sociologique représentatif, incarnent à leur façon la Chine en mutation.

Derniers jours à Shibati frappe par sa modestie. Il dure moins d’une heure, un format inhabituel qui nous frustrerait presque par sa brièveté. Sur le même thème, Frederick Wiseman aurait signé un long métrage de quatre heures. Pas sûr qu’il aurait été plus pertinent ni plus touchant.

La bande-annonce

Ma mère est folle ☆☆☆☆

La cinquantaine bien frappée, Nina a vécu toute sa vie comme un oiseau sous la branche. Mais le fisc la rattrape qui lui réclame de payer sous un mois cinquante mille euros. Sur les conseils d’Emir, un réfugié bosniaque rencontré dans le métro dont elle coproduit le disque de rap (sic), Nina décide de ramener un go fast de Rotterdam (re-sic). L’accompagne dans son road trip à bord du SUV prêtée par une riche douairière (Arielle Dombasle) un garçonnet mutique (Jules Rotenberg) dont Emir lui a confié la garde.
Ce périple sera l’occasion pour Nina de renouer avec son fils Baptiste (Vianney) qu’elle n’a plus vu depuis deux ans et avec Alvaro (Patrick Chesnais) un amant de jeunesse.

Née en 1948, Diane Kurys a commencé sa carrière cinématographique il y a plus de quarante ans avec des films d’une étonnante fraîcheur : Diabolo Menthe (Prix Louis-Delluc en 1977), Cocktail Molotov (qui révèle François Cluzet en 1980), Coup de foudre (qui représente la France aux Oscars en 1984), Un homme amoureux (sélectionné à Cannes en 1987). Puis, la jeune réalisatrice et son mari Alexandre Arcady se sont lentement mués en notables du cinéma, enchaînant les réalisations sans âme (À la folie avec Anne Parillaud et Béatrice Dalle), les films en costumes qui sentent la naphtaline (Les Enfants du siècle avec Juliette Binoche et Vincent Magimel), les comédies pas drôles (Je reste ! avec Sophie Marceau et Vincent Perez), .

Ma mère est folle, hélas, ne redorera pas son blason. Il aurait pu indifféremment être adapté au théâtre ou au cinéma, il y a vingt ans ou aujourd’hui. Le film repose sur un seul ressort : la folie douce de Fanny Ardant qui cabotine dans le rôle d’une mère gentiment foldingue. Les personnages sont caricaturaux, de ce fils que sa mère insupporte (mais qui lui reste néanmoins indéfectiblement attaché) à cet ex-amant désormais homosexuel installé dans une villa digne de La Cage aux folles en passant par Nono, ce malheureux gamin mutique réduit au rôle de faire-valoir. Les dialogues pèsent des tonnes (« J’ai vécu comme un oiseau sur la branche … jusqu’au jour où la branche s’est cassée »). Les situations n’ont pas une once de crédibilité.

C’est du café théâtre filmé à l’économie entre Rotterdam et Bruxelles histoire de donner du mouvement à un film qui en est cruellement dépourvu. À fuir…

La bande-annonce

Leto ★★★☆

Leningrad. Début des années quatre-vingts. L’URSS étouffe sous la chape de plomb bréjnievnienne. Les jeunes chassent leur ennui en écoutant la musique importée d’Occident sous le manteau. Mike est le chanteur du groupe Zoopark. Il est marié à Natacha. Débarque Viktor un jeune guitariste plein de talent.

Leto arrive sur nos écrans précédé d’une réputation encombrante. Il a raté de peu la Palme d’Or à Cannes en mai dernier. En résidence surveillée à Moscou pour des accusations montées de toute pièce, son réalisateur, Kirill Serebrennikov, est légitimement considéré, avec son compatriote Oleg Sentsov, comme un martyr de la liberté d’expression. Ces a priori risquent de brouiller la réception de ce film.

Car Leto n’est pas le meilleur film de l’année. La Palme d’Or – même s’il y en eut dans l’histoire de Cannes qui tombèrent rapidement dans un oubli mérité – aurait été un peu trop lourde à porter pour ce film certes touchant et original, mais qui n’a rien d’extraordinaire.

Car Leto n’est pas non plus un documentaire sur le rock underground pendant le communisme ou une ode à la liberté d’expression. Leto n’est pas un film politique – sauf à considérer que la politique est partout. C’est plutôt, comme l’écrit mieux que je ne saurais faire le critique du Monde, « un espace esthétique hors du monde et de la société ».

C’est d’abord un film musical qui comblera les amateurs de rock, jeunes ou moins jeunes, de Bowie à Blondie en passant par Iggy Pop, T-Rex et Bolan. La musique est omniprésente. Le travail sur le son est remarquable, jouant sur la frontière entre son diégétique (la musique jouée par les acteurs à l’écran) et extradiégétique (la BO ajoutée aux scènes muettes).

C’est ensuite un film qui joue avec l’image qu’il s’agisse du superbe noir et blanc ou des clips urbains réalisés en draw-on-film animation façon Michel Gondry avec des plans où se rajoutent des dessins crayonnés à la main.

Mais c’est surtout un film d’une paradoxale douceur aux antipodes du rock’n roll traditionnellement associé à la drogue et au sexe. Si on fume des cigarettes à la chaîne dans Leto, on ne s’y drogue pas et ses héros ne meurent pas d’une overdose. Si la joyeuse troupe prend un bain de minuit dans la Baltique en tenue d’Adam, ses musiciens restent sagement monogames. Si un narrateur facétieux prend parfois la parole pour raconter face caméra ce qui aurait pu être mais n’a pas été, c’est pour souligner le calme et la mesure de ces musiciens rebelles mais pas violents. Et enfin, ni Viktor ni Mike n’ont connu le destin suicidaire de leurs alter ego occidentaux Kurt Cobain ou Ian Curtis.

Le triangle amoureux formé par Mike, Natacha et Viktor est d’une étonnante délicatesse. Si Natacha est immédiatement attirée par Viktor, si Viktor n’est pas insensible aux charmes de la belle, le dénouement attendu – sur lequel le réalisateur laisse planer le suspense – n’adviendra pas. C’est Mike qui a le rôle le plus subtil. Loin d’endosser l’habit caricatural du mari jaloux ou du leader tyrannique, il est à la fois respectueux de la liberté de sa femme et accueillant au jeune talent de Viktor.

Leto n’est pas sans longueur. Son formalisme artie frise parfois l’esbroufe. Mais l’originalité de sa forme et la délicatesse de son sujet laissent une marque durable.

La bande-annonce

Touch Me Not ★☆☆☆

La réalisatrice Adina Pintilie a décidé de consacrer un film à la sexualité, au désir et à la peur d’être touché.e.

Elle a longuement interrogé trois personnages. Laura, la cinquantaine, dont on comprend qu’elle vit un drame familial, refuse tout contact physique et a recours à des prostitués qu’elle regarde se caresser. Elle cherche à se réconcilier avec son corps en discutant avec Girt, un travesti, et en suivant les protocoles de Seani Love, escort et sexologue.
Christian est lourdement handicapé. Frappé d’amyotrophie spinale, il n’a l’usage ni de ses jambes ni de ses bras. Mais son sexe fonctionne normalement et il peut prendre du plaisir et en donner.
Tomas est parfaitement valide ; mais une maladie rare l’a rendu complètement chauve à l’adolescence, changeant son apparence et sa relation aux autres.

Touch Me Not est un film audacieux qui filme crûment des corps disgracieux, à mille lieux des canons de la beauté traditionnelle. Sa réalisatrice accepte de se mettre elle aussi en danger, comme elle met en danger ses acteurs, en apparaissant à l’écran et en se renvoyant les questions qu’elle leur pose.

Dès sa toute première scène, Touch Me Not nous bluffe. La caméra en très gros plan y caresse le corps d’un homme d’âge indéterminé, couvert de poils, au centre duquel se niche un sexe flasque. La vision de ce sexe détumescent en gros plan nous déconcerte, habitué qu’on est à ce que de telles images soient occultées dans des films grand public – ou au contraire à voir des sexes masculins glorieusement dressés dans des films X.

On se dit qu’on va s’embarquer pour une expérience fascinante sans totem ni tabou. Mais bien vite, le malaise gagne. Il ne gagne pas tant devant la crudité des propos ou des situations. Car il en faudrait plus qu’une boîte à partouze et que les quelques scènes BDSM qui y sont filmées pour choquer le bourgeois qui en a vu d’autres. Mais il gagne par la faute de la vacuité du propos. Car une fois qu’on a dit qu’il faut se réconcilier avec son corps et jouir sans entrave, on a tout dit, on n’a rien dit.

Si bien qu’au bout des deux heures interminables que dure mollement Touch Me Not, c’est l’ennui viscéral qui l’emporte et, avec lui, le désintérêt pour un film dont on peine à comprendre qu’il ait emporté l’adhésion du jury du Festival de Berlin qui lui a décerné son Ours d’Or l’hiver dernier.

La bande-annonce

L’Exorcisme de Hannah Grace ★☆☆☆

Megan Reed (Shay Mitchell remarquée dans Pretty Little Liars) est une ex-policière en cours de désintoxication affectée au service de nuit de la morgue d’un hôpital.
Elle reçoit la dépouille de Hannah Grace, une jeune femme décédée au milieu d’une séance de désenvoûtement dont l’entité démoniaque qui a pris le contrôle n’a pas dit son dernier mot.

Aimez-vous vous faire peur ? Avez-vous regardé la bande-annonce de L’Exorcisme de Hannah Grace ? L’irrépressible décharge d’adrénaline qu’elle aura provoquée vous a-t-elle causé de l’effroi ? ou du plaisir ?

Dans le premier cas, fuyez ce film qui vous fera dresser l’échine d’horreur. Dans le second courez le voir : vous passerez 1h25 à trembler de peur. Dans un cas comme dans l’autre, débranchez votre cerveau : le scénario n’a aucun intérêt, ni d’ailleurs aucun sens (comment une ex-policière se retrouve-t-elle à assurer le service de nuit dans une morgue ?).

La bande-annonce

Les Confins du monde ★☆☆☆

Le 9 mars 1945 en Indochine. Les troupes japonaises attaquent par surprise l’administration coloniale française. Trois mille Français seront tués. Robert Tassen, un jeune militaire (Gaspard Ulliel) échappe de peu au massacre. Remis sur pied au cœur de la jungle dans un village, il rejoint les rangs de l’armée française. Il n’a qu’une idée fixe : se venger.

Guillaume Nicloux tisse une œuvre parmi les plus intéressantes du cinéma français. Longtemps il a signé des polars atypiques : Le Poulpe, Une affaire privée, Cette femme-là… Puis son cinéma a pris le large : avec François Cluzel au départ du Vendée Globe (En solitaire),  avec Gérard Depardieu et Isabelle Huppert dans la Vallée de la Mort (Valley of Love).

C’est au Vietnam qu’il nous entraîne dans un film historique qui rappelle inévitablement La 317ème Section et Apocalypse Now. Comme dans le film de Pierre Schoendoerffer, il suit les traces de quelques hommes de troupe, abandonnés à eux-mêmes dans la moiteur tropicale, se battant contre une ennemi invisible dans un milieu hostile. Comme dans le film de Francis Ford Coppola, Les Confins du monde a pour héros un soldat perdu dans sa folie.

Il est difficile de dire si Gaspard Ulliel est un bon acteur tant son regard bizarrement louche, ses yeux étonnamment bleus détournent l’attention du reste de son jeu. Guillaume Nicloux en tire le meilleur parti, y trouvant l’illustration la plus frappante de l’obnubilation contagieuse.

Mais la mécanique tourne à vide. Le personnage interprété par Gaspard Ulliel, muré dans son désir de vengeance, n’évolue pas. Fou au début, il est fou à la fin. Et ce n’est pas le contact d’un frère d’armes (Guillaume Gouix), d’un écrivain philosophe (Gérard Depardieu) ou d’une prostituée au cœur pur (Lang Khê Tran) qui le fera changer.

Le montage n’arrange rien qui alterne des scènes brèves presqu’impressionnistes à d’autres d’une longueur dilatée, comme s’il s’agissait de reproduire le rythme syncopée du temps sous l’équateur, de ses brusques orages, de ses chaleurs immobiles.

On aurait aimé être transporté par ce film ambitieux tourné aux confins du monde, avec une brochette de stars, sur une page méconnue de notre histoire. Hélas, on n’est pas touché par cette histoire désincarnée alors même qu’elle a le corps (corps assassinés, démembrés, malades, blessés par balles…) comme centre de gravité.

La bande-annonce

Assassination Nation ★★★★

La petite ville de Salem est sens dessus dessous depuis qu’un hacker pirate le contenu des téléphones portables de chacun des membres de sa communauté. Toutes les turpitudes privées sont désormais publiques : adultères minables, selfies érotiques, textos haineux…
Au milieu du chaos, Suzy et sa bande de copines délurées : Sarah, Bex et Em.

Rien de pire que le pitch et l’affiche de ce film made in US qui se présente comme un mille et unième teen movie, vaguement épicé par le charme sexy de ses quatre héroïnes et leur violence trash.
Rien de plus surprenant, de plus décoiffant, de plus enthousiasmant que cette excellente surprise qui, à partir des codes convenus du film de genre, accouche d’un brûlot.

Sam Levinson, inconnu au bataillon quoique fils de son père (Barry, réalisateur de Rain Man), signe un film d’une étonnante audace formelle. Le scénario, loin de se dérouler paresseusement, ne se révèle que progressivement. La musique est épatante. Et la caméra sait se faire aérienne comme dans cette scène, pourtant si convenue, où les jeunes femmes réfugiées dans une maison, sont sur le point d’être agressées par une bande d’assassins masqués, filmée en un plan-séquence d’une bluffante virtuosité.

Au-delà de la forme, il y a le fond. Un fond sacrément transgressif. Qui dit merde à la bienséance et à l’hypocrisie de l’Amérique de Trump, phallocratique et ivre d’armes à feu (d’où son titre), d’autant plus prompte à dénoncer les soi-disant maux qui la corrompent qu’elle s’y adonne elle-même en privé. On prendra un plaisir jubilatoire à ce jeu de massacres qui n’épargne rien ni personne : ni les hommes politiques (le maire conservateur pratique le BDSM à ses heures), ni la police (dont le chef obèse et bas du front prend la tête d’une vendetta bien éloignée de l’État de droit) ni horresco referens de la famille (deux parents confits en religion jettent leur fille à la rue quand ils apprennent qu’elle entretenait une liaison avec un homme marié).

Assassination Nation est un film intelligent qui interroge nos relations aux écrans, ce que nous y exposons, le narcissisme de nos selfies, les sociabilités électroniques qu’ils nous permettent de nouer ainsi que les comportements parfois tangents qu’ils nous conduisent à adopter dans le confort d’un soi-disant anonymat.

Enfin Assassination Nation est un brûlot féministe porté par son héroïne Odessa Young et par les trois actrices qui partagent l’affiche avec elle. Il culmine dans une scène finale volontiers décalée, qui désamorce par ses outrances, les violences parfois traumatisantes que le film égrène. Assassination Nation est le meilleur film #MeToo de l’année.

La bande-annonce

Yomeddine ★☆☆☆

Beshay, la quarantaine, n’a jamais quitté la léproserie où son père l’a abandonné dans son enfance. Mais, à la mort de son épouse, il découvre son dossier administratif et l’adresse de sa famille.
Accompagné d’Obama, un jeune orphelin nubien, il va traverser l’Égypte pour la retrouver.

Difficile de ne pas être touché par le sort de Beshay dont les stigmates de la lèpre le condamnent à vivre en marge de la société. Difficile de ne pas admirer sa sourde détermination à retrouver ses racines familiales. Difficile de ne pas partager la rage de cet Elephant Man égyptien à être admis comme un être humain digne de respect dans la communauté des hommes. Difficile de ne pas être ému par les laissés-pour-compte qu’il rencontre durant son voyage initiatique au travers de son pays.

Mais difficile non plus aussi de ne pas relever les facilités d’un film qui se contente paresseusement d’utiliser toutes les ficelles de l’écriture scénaristique : le road movie, la quête d’une identité familiale perdue comme fil rouge, le duo attachant d’un adulte et d’un enfant unis entre eux sinon par les liens du sang du moins par une filiation de substitution autrement plus forte.

Difficile enfin de ne pas être gêné par l’épilogue de Yomeddine qui renvoie ces bannis à leur condition initiale au lieu de leur trouver une place dans une société qui continuera à les ignorer sinon à les rejeter. À quoi sert de retrouver sa dignité si elle n’est pas reconnue ?

La bande-annonce

Amanda ★★☆☆

David est un adulescent de vingt-quatre ans qui vit à Paris de petits boulots. Son père vient de mourir ; il est sans nouvelles de sa mère qui, peu après sa naissance, est partie refaire sa vie à Londres. David est très proche de sa sœur aînée, Sandrine, et de sa nièce, Amanda.
La vie de David bascule quand Sandrine est tuée dans un attentat terroriste. Il doit faire le deuil de sa sœur et prendre en charge la petite Amanda.

Les vingt premières minutes de Amanda ne paient pas de mine. On y découvre la vie banale de Parisiens ordinaires : David court d’un job à l’autre, Sandrine enseigne l’anglais au collège, Amanda mange avec gourmandise des Paris-Brest. Mais ce bonheur sans histoire est brisé par un attentat, d’autant plus monstrueux, d’autant plus glaçant qu’il se déroule un jour d’été sur la pelouse du bois de Vincennes.

Mikhaël Hers aurait pu signer un film sur le Bataclan ou sur Charlie Hebdo : comment le terrorisme a sidéré la France en 2015. Mais tel n’est pas l’objet de Amanda. On ne saura quasiment rien de l’attentat proprement dit, de ses commanditaires, des poursuites au pénal ou au civil qui en résulteront.

Comme il l’avait fait dans son film précédent, Ce sentiment de l’été, le réalisateur s’intéresse au travail de deuil. Un deuil paradoxal puisqu’il se déroule pendant le temps suspendu de l’été, dans une lumière douce et chaude.

Le travail de deuil de David est compliqué par la présence d’Amanda. Un tel duo, formé d’un adulte et d’un enfant que les aléas de la vie rapprochent, est une figure rebattue du cinéma depuis Le Kid de Chaplin. C’est souvent le gamin qui en constitue le maillon faible, horripilant de cabotinage. Ici c’est l’inverse. La petite Isaure Multrier n’en fait pas trop. En revanche, Vincent Lacoste est exécrable. Tout en lui m’horripile : sa silhouette dégingandée, sa bouche molle, son rire idiot.

Ce sentiment de l’été démontrait une maîtrise achevée de l’ellipse. Il valait par ce qu’il ne montrait pas. Amanda est plus maladroit qui en montre trop. Ainsi de la mort de Sandrine. Ainsi de son annonce par David à Amanda sur un banc dans un square. Ainsi de la scène finale sur le court central de Wimbledon. Trois scènes inutilement démonstratives dont Amanda aurait pu faire l’économie.

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La Permission ★★☆☆

Afrooz est la charismatique capitaine de l’équipe iranienne de football féminin en salle qui s’est qualifiée pour la finale de la Coupe d’Asie en Malaisie. Mais, Afrooz est dans l’incapacité de quitter le pays. La raison : son mari lui a refusé la « permission » de voyager à l’étranger.

Nous viennent régulièrement d’Iran des films qui, avec une saine audace, critiquent les ressorts du régime des mollahs et d’une société patriarcale. Certains sont tournés sous le manteau comme ceux de Jafar Panahi ; d’autres sont l’œuvre de réalisateurs exilés tel Téhéran Tabou ; d’autres enfin, comme ceux d’Ashgar Farhadi, jouant au chat et à la souris avec la censure, ont été réalisés en Iran. C’est le cas du film de Soheil Beiraghi.

Son sujet ne peut que scandaliser le spectateur occidental. En Iran, les femmes sont placées dans une situation de minorité. Obligées de se voiler dans l’espace public, interdites d’accès aux manifestations sportives (Jafar Panahi en avait fait le sujet de son film Hors jeu), les iraniennes, si elles ont le droit de conduire et de voter, ne peuvent voyager à l’étranger sans l’autorisation de leur « tuteur », père, frère ou époux. Ce fut le cas en 2017 de huit athlètes iraniennes dont l’histoire vraie a inspiré ce film.

Malgré sa popularité, Afrooz se retrouve ainsi l’otage du bon vouloir de son mari qui, pour faire pression dans la négociation d’un divorce chaotique, l’empêche de participer au match qui aurait couronné sa carrière sportive et lui aurait peut-être permis d’être recrutée par un club espagnol.

La Permission compte quelques non-dits subtils. Ainsi de la scène où Afrooz se lave rageusement les dents après avoir amadoué son mari. Ou de la relation avec une autre joueuse dont on peut se demander si elle est allée au delà de la camaraderie. Mais sinon, ce premier film manque de la finesse et de l’ambiguïté qui fit le prix de Une séparation de Fahradi. Le mari est un présentateur de télé ringard, bellâtre et prétentieux. Aurait-il eu un peu plus de qualités, Afrooz en aurait-elle eu moins, le film aurait gagné en crédibilité et en intelligence.

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