American Factory ★★★☆

À Moraine, près de Dayton, dans l’Ohio, dans une usine désaffectée, fermée en 2008 par General Motors, le milliardaire chinois Cao Dewang a inauguré en 2016 Fuyao Glass America, un site de production de verre automobile. Steven Bognart et Julia Reichert, qui avaient filmé en 2008 les derniers jours de l’usine GM, ont été invités par la nouvelle direction chinoise à filmer ce qui aurait dû être l’exemple d’un mariage réussi entre deux cultures entrepreneuriales. Mais au fil des mois, un fossé se creuse entre la direction et les employés. Le conflit se cristallise autour d’un sujet : le droit à se syndiquer.

American Factory est un documentaire Netflix sorti en 2019, produit par Higher Ground, la société à laquelle Barack et Michelle Obama sont désormais associés, et couvert d’éloges. Il a raflé une moisson de récompenses à commencer par l’Oscar 2019 du meilleur film documentaire.

L’une des principales qualités d’American Factory est qu’il ne se réduit pas à une thèse. Est-il pro-chinois ? ou anti-chinois ? On pourrait penser, pendant sa première moitié, qu’il tresse les louanges d’une mondialisation heureuse qui verrait le capitalisme chinois voler au secours de l’industrie américaine. Comme un – mauvais – film d’entreprise, American Factory montre l’inauguration des nouveaux locaux sous les applaudissements, des ouvriers américains reconnaissants à leurs nouveaux patrons de leur redonner du travail, puis la visite à Fuqing, au siège de la maison mère, d’une délégation d’ouvriers américains, invités d’honneur de la réception qui marque le Nouvel An chinois.

Mais bientôt le rêve se brise. Là encore, American Factory ne verse pas dans le manichéisme, même si les Chinois, dont on est stupéfait qu’ils n’aient pas exigé l’interruption du tournage, n’ont pas le beau rôle. Les cadences de travail des employés américains sont trop lentes ; les objectifs de production ne sont pas atteints ; plutôt que de se remettre en cause, la main d’œuvre locale ne semble avoir qu’une seule préoccupation : se voir reconnaître le droit de se syndiquer.

American Factory est une œuvre riche qui peut donner lieu à plusieurs conclusions. Elles ne sont guère optimistes. La plus évidente est l’immense fossé qui sépare les cultures d’entreprise américaine et chinoise et qui nécessitera beaucoup de temps pour être franchi sinon comblé. La seconde, plus glaçante encore, renvoie à l’avenir de la main d’œuvre humaine, lentement mais inexorablement remplacée par des robots, moins coûteux, plus fiables et moins revendicatifs.

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Détective (1985) ☆☆☆☆

Dans un hôtel de luxe qui donne sur la gare Saint-Lazare, un manager de boxe (Johnny Halliday) prépare le combat de son poulain. Il compte le truquer et rembourser la dette qu’il a contractée auprès d’Emile Chenal, un pilote de ligne (Claude Brasseur) qui est en train de divorcer de sa femme (Nathalie Baye). Mais un parrain de la mafia, aussi élégant que menaçant (Alain Cuny), lorgne aussi sur le magot. Pendant ce temps, deux policiers, Prospero (Laurent Terzieff) et Neveu (Jean-Pierre Laud) planquent sous les combles.

J’ai beau faire, je n’y arrive pas. Je n’aime pas Godard. C’est épidermique. J’ai déjà du mal avec ses premiers films dont il est pourtant sacrilège d’oser dire que ce ne sont pas des chefs d’œuvre : À bout de souffle, Le Mépris, Pierrot le fou…. Mais plus sa carrière avance, plus mon rejet devient radical. Godard m’égare à partir d’Alphaville et ne me retrouvera jamais. Soigne ta droite est l’un des rares films que je n’ai pas vu jusqu’à la fin (j’avais seize ans à la fin des années quatre-vingts dans un vieux cinéma d’art et d’essai toulonnais transformé aujourd’hui en auto-école – Séquence Nostalgie).

Détective accumule ce que je considère les pires défauts du cinéma de Godard. Un mépris affiché pour le scénario – quoi de plus bourgeois que de raconter une histoire ? Des citations prétentieuses sinon obscures (Shakespeare, Conrad, Gide…). Une musique à contre-emploi (Schubert, Wagner, Chopin). Un montage saccadé qui coupe les scènes en plein milieu. Un son saturé de bruit ambiant. Etc.

Le seul intérêt à mes yeux de (re)voir Détective aujourd’hui est d’y retrouver une pléiade d’acteurs qui étaient à l’époque au sommet de leur célébrité. Johnny Hallyday, Laurent Terzieff, Alain Cuny et Claude Brasseur sont morts. Jean-Pierre Léaud n’est plus que l’ombre de lui-même. Nathalie Baye était belle comme le jour et aura réussi pendant quarante années à ne jamais quitter le sommet de l’affiche. Trois nymphettes à peine majeures, sur lesquelles Godard promène libidineusement sa caméra, jouent à moitié nues des rôles que la censure ne tolèrerait plus : Emmanuelle Seigner, Julie Delpy et Aurelle Doazna. Les deux premières ont fait la carrière qu’on sait ; la troisième n’a jamais percé. Pourquoi ?

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Woman ★☆☆☆

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, France 5 a diffusé ce documentaire sorti l’année dernière en salles, quasiment jour pour jour, à l’occasion de … la Journée 2020 des droits des femmes.

Au cas où on ne l’ait pas encore compris, Woman parle donc des femmes en allant en interviewer quelques deux mille dans cinquante pays au monde. Ce tour du monde immobile produit un effet paradoxal et peut-être voulu à la fois très dépaysant et un peu répétitif. Toutes ces femmes aux parures bariolées, qui s’expriment dans des langues qu’on s’amuse sans succès à essayer de reconnaître, illustrent la diversité du monde ; mais, en même temps, la similitude de leurs destins, le courage dont elles doivent toutes faire preuve pour surmonter les obstacles que la vie place sur leur chemin tendent à accréditer la thèse d’une unité dont le titre au singulier, Woman, se veut sans doute l’indice.

Chacune est filmée face caméra sur un fond noir. La succession de leurs témoignages est interrompue, pour en briser la monotonie, par quelques séquences d’extérieur muettes habillées d’une musique élégiaque qui portent la marque écolo-new age qui a fait la gloire de Yann Arthus-Bertrand et de ses albums : une nageuse qui ondule aux côtés d’un orque, des ouvrières travaillant à la chaîne dans une immense usine de confection, une Bolivienne sur l’Altiplano, une Hollandaise à vélo, une Américaine chevauchant une Harley Davidson…

En 1h48 bien compactes, ces femmes évoquent, du berceau au tombeau, l’ensemble des défis de la condition féminine : l’excision, les premières règles, le premier orgasme, le mariage forcé, la maternité, l’amour inconditionnel qu’on nourrit pour son enfant, les violences conjugales, la maladie et le tribut qu’elle exige, le vieillissement…. Quelques témoignages sont poignants et feraient fondre même les cœurs de pierre : ces jeunes femmes capturées et violées par Daesh, cette Indienne défigurée à l’acide… Chacun.e y sera plus ou moins sensible en fonction de son histoire personnelle ; mais il y a fort à parier que certains vous touchent plus que d’autres. Pour moi, ce fut le témoignage de cette veuve française, la petite soixantaine, dont les larmes montent aux yeux quand elle confesse que le désir qu’elle suscitait n’existe plus depuis que l’homme qu’elle aimait est mort (1’19 »).

Mais Woman souffre d’une tare écrasante : sa bien-pensance. Tout y est terriblement politiquement correct. Tout y résonne comme un tract bien huilé de UN Women. Il est bien sûr difficile sinon impossible de ne pas sympathiser, surtout un 8 mars, avec l’image sulpicienne mais aussi résiliente de la femme, fragile et forte à la fois, que glorifie Woman. Mais on est en droit d’attendre d’une œuvre cinématographique autre chose qu’un plaidoyer politique, aussi nécessaire soit-il.

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Joan Didion : Le centre ne tiendra pas ★★☆☆

Née en 1934, Joan Didion est l’une des plus grandes écrivaines contemporaines. Romancière, essayiste, journaliste, scénariste pour Hollywood, elle n’a cessé de comprendre et d’interpréter l’Amérique de son temps.

Le neveu de Joan, Griffin Dunne, un acteur de cinéma qui tourna dans les années quatre-vingts avec Scorsese et Madonna, l’interviewe et revient avec elle sur sa vie. À quatre-vingts ans passés, Joan Didion est méconnaissable. D’une maigreur maladive (elle pèse à peine trente-cinq kilos), elle n’a plus guère que la peau sur les os. Ses gestes sont compulsifs, sa diction parfois hésitante ; mais le feu qui brûle dans ses yeux n’est pas éteint et le regard qu’elle porte sur sa vie n’a rien perdu de son intelligence.

Joan Didion formait, avec son mari John Dunne, lui aussi homme de lettres, un couple fusionnel jusqu’à sa mort brutale d’un arrêt cardiaque en décembre 2003. Le couple était symbiotique. John et Joan travaillaient ensemble sur des projets communs ou des livres séparés. La renommée de l’un ne fut jamais un obstacle à celle de l’autre. Mais on sent néanmoins un déséquilibre (c’est John qui finissait les phrases de Joan) qui ferait tiquer plus féministe que moi.

Le couple avait adopté en 1966 une fille qui décéda deux ans après la mort de son père. Joan Didion fit de ses deux disparitions quasi-simultanées la substance de ses deux livres les plus poignants, L’Année de la pensée magique et Le Bleu de la nuit. Elle y trouve les mots justes et forts pour décrire le deuil. Un must-read pour tous ceux qui ont traversé la même épreuve ou qui appréhendent de la traverser un jour – ce qui fait, tout bien réfléchi, beaucoup de monde.

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Eastern Plays (2009) ★★★☆

Itso et Georgi sont frères. Itso, l’aîné, a quitté l’appartement familial. Il a plongé dans la drogue et suit un traitement à la méthadone pour s’en sortir. Peintre doué, il tue son mal de vivre à force de médicaments et d’alcool. Georgi le cadet vit encore chez son père violent auprès d’une belle-mère vulgaire à laquelle il dénie toute autorité. En mal de transgression, il sèche le lycée et fréquente une bande de néo-nazis qui, un soir, agressent un couple de touristes turcs. Itso s’interpose, secourt les victimes et s’éprend de Isil, leur fille. Trouvera-t-il avec elle la voie de la rédemption ?

Le cinéma bulgare occupe un angle mort dans le paysage culturel européen. On compte sur les doigts d’une main les films qui y ont été réalisés : The Lesson, portrait d’une femme condamnée à rembourser les dettes de son ivrogne de mari, Glory, dénonciation grinçante de la corruption qui gangrène la société bulgare, Taxi Sofia, portrait kaléidoscopique de la classe laborieuse sofiote à travers six conducteurs de taxi et les passagers qu’ils transportent, Je vois rouge, documentaire autobiographique d’une émigrée bulgare sur les compromissions de ses parents pendant le communisme. Des films rares mais forts – j’ai mis trois étoiles à chacun – qui dessinent de cet ex-satellite soviétique une image peu hospitalière.

Kamen Kalev est peut-être le réalisateur bulgare le plus connu. Habitué de la Quinzaine des réalisateurs cannoise – où il présentait en 2009 son premier long Eastern Plays – cet ancien de la Fémis, venu de la pub, a tourné en 2014 Tête baissée avec Melvin Poupaud.

Je découvre Eastern Plays plus de dix ans après sa sortie grâce à Arte qui le met en ligne gratuitement selon une programmation décidément excellente (Emmanuel Mouret, Aki Kaurismäki, Hong Sang Soo….). Ce film n’a pas pris une ride. Il est inspiré de la vie de son acteur principal, Christo Christov, filmé dans l’hôpital où il vient chercher son traitement, avec le psychiatre qui le suit – nettement moins empathique que Frédéric Pierrot dans En thérapie. Il prend un tour bien tragique quand on sait que l’acteur est décédé avant la fin du film. Le chemin de croix qu’il suit vers une improbable rédemption n’en est que plus beau…

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Derrière nos écrans de fumée ★☆☆☆

Derrière nos écrans de fumée (traduction besogneuse de The Social Dilemma) est un réquisitoire à charge contre les réseaux sociaux. Certes, il ne verse pas dans le complotisme : il n’accuse pas les dirigeants de Facebook, Instagram Twitter, YouTube ou Google de nourrir un projet criminel de manipulation universelle. Mais il montre comment la logique purement entrepreneuriale de ces sociétés, leur désir de capter et de retenir une audience toujours plus large, sont lourds de menaces.

La charge semble d’autant plus légitime qu’elle vient d’anciens dirigeants de ces plateformes qui, comme des mafieux italiens tentant d’obtenir une réduction de peines, comparaissent les uns après les autres devant la caméra de Jeff Orlowski. Pour enfoncer le clou, cette succession d’interviews est entrecoupée par une fiction mettant en scène une famille américaine ordinaire dont les enfants souffrent d’une dépendance accrue aux écrans : la cadette perd confiance en elle après avoir reçu une remarque sur son physique, l’aîné se laisse séduire par les thèses complotistes.

Le sujet est grave : exploitation des données personnelles, dépendance aux réseaux sociaux, propagation de la désinformation, haine en ligne…. Il nous concerne tous – qu’il s’agisse de moi qui suis en train d’écrire cette critique pour la poster sur les réseaux sociaux, ou vous qui êtes en train de la lire alors que vous pourriez consacrer ce temps précieux à de vrais échanges avec de vrais gens dans la vraie vie !

Mais ce documentaire a trop de défauts pour convaincre. Son plus cocasse est d’être produit et distribué par Netflix, une plateforme qui utilise elle aussi les algorithmes pour influencer le choix de ses clients. Ses séquences fictionnelles, qui rappellent un mauvais épisode de Black Mirror, sont particulièrement balourdes. Il ne donne pas la parole à la défense, qui aurait pu souligner par exemple les récents efforts déployés pour lutter contre la désinformation. Enfin, et c’est peut-être le défaut le plus rédhibitoire, il ne contient guère d’informations qu’on ne connaissait déjà sur les réseaux sociaux et les addictions qu’ils suscitent.

Basta ! J’ai piscine ! Zut…. elle est fermée.

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Vénus et Fleur (2003) ★★☆☆

Fleur (Isabelle Pirès) est une timide jeune femme venue passer quelques jours d’été à Marseille dans la villa que lui prêtent son oncle et sa tante. Elle y croise Vénus (Veroushka Knoge), une exubérante Russe, qui tombe amoureuse aussi vite qu’elle se lasse de ses amants successifs. Les deux jeunes femmes sympathisent et passent quelques jours ensemble à déambuler dans la cité phocéenne et à y faire des rencontres plus ou moins réussies.

Emmanuel Mouret est devenu récemment un réalisateur reconnu. Mademoiselle de Joncquières en 2018, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait en 2020 sont autant de succès critiques et publics. Avant d’atteindre la célébrité, le jeune réalisateur marseillais a tourné une demi-douzaine de petits films charmants où il met élégamment en scène les jeux de l’amour et du hasard. Ces films, souvent tournés au bord de la Méditerranée dans la ville natale de Mouret, adoptent volontiers un point de vue féminin : c’est à travers les yeux de ses héroïnes que sont analysées les rencontres amoureuses qui émaillent ses films et les sentiments qu’elles provoquent. Très écrits, les films rohmériens de Mouret frisent parfois la préciosité et provoquent selon les spectateurs deux réactions radicalement opposées : soit on adore, soit on déteste.

Vénus et Fleur, son deuxième long métrage après Laissons Lucie faire !, a l’ensemble de ses caractéristiques. Il a le charme des marivaudages rohmériens d’Emmanuel Mouret.  Il en a à la fois la spontanéité rafraîchissante et l’artificialité parfois horripilante. Il en a la légèreté apparente qui, plus le film avance, se leste d’une étonnante gravité. Il a néanmoins un défaut si on le compare aux autres films d’Emmanuel Mouret : ni Isabelle Pirès, ni Veroushka Knoge n’ont le charme et le talent des actrices dont Emmanuel Mouret a eu la bonne idée de s’entourer dans ses autres films (Frédérique Bel, Judith Godrèche, Julie Gayet, Virginie Ledoyen, Déborah François, Anaïs Demoustier…).

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Les Affamés ★☆☆☆

La campagne québécoise est dévastée par des hordes de zombies. Quelques survivants tentent tant bien que mal de les éviter : Bonin (Marc-Antoine Grondin), Tania (Mona Chokri), Zoé, la gamine qu’ils recueillent, Pauline et Thérèse, deux femmes d’âge mur qui les abritent un temps dans leur maison, Céline (Brigitte Poupart), que la mort de son enfant a durcie à jamais, Réal, un vendeur d’assurances mordu mais pas encore contaminé et Ti-Cul, l’ado qui l’accompagne fidèlement….

Si La Nuit des morts-vivants (1968) de George Romero constitue l’œuvre la plus emblématique du genre, le film de zombies est presqu’aussi vieux que le cinéma. Il connaît son âge d’or dans les années soixante-dix, traverse dans les années quatre-vingt-dix une décennie d’oubli avant de revenir à la mode depuis une vingtaine d’années. 28 jours plus tard (2002) et sa première demi-heure d’anthologie lui redonnent ses lettres de noblesse. L’hilarant Shawn of the Dead (2004) crée un sous-genre : la comédie de zombies. World War Z (2013) est le premier blockbuster à leur ouvrir ses portes. À partir de 2010, la série Walking Dead tient en haleine des téléspectateurs, petits ou grands, en mal d’émotions fortes.

Tabarnak d’ostie d’crisse de calisse ! Les Affamés est une nouvelle déclinaison de ce genre désormais bien balisé. Il n’a guère d’originalité, sinon l’accent à couper au couteau de ses personnages qui rend indispensable le secours des sous-titres. Il a remporté un grand succès au Québec, raflant pas moins de sept Iris, l’équivalent des Césars, dont celui du meilleur film, du meilleur réalisateur et du « film s’étant le plus illustré à l’extérieur du Québec » (sic). Pour autant, il n’est jamais sorti en salles en Europe où Netflix le diffuse depuis mars 2018.

Ce succès laisse rêveur. Car, à regarder Les Affamés, la déception est grande. On n’y trouve rien qui justifie une telle moisson de récompenses. Le scénario voit s’enchaîner, sans originalité, quelques rebondissements attendus. Les personnages incarnent les différentes facettes de la résilience dans une atmosphère estivale et champêtre, aux antipodes de l’image qu’on se fait de la Belle province sous la neige. Grosse déception.

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Vacances à Venise (1955) ★★☆☆

Jane Hudson (Katharine Hepburn) passe seule des vacances à Venise. Le nez au vent, l’appareil photo en bandoulière, escortée du seul Mauro, un jeune Gavroche vénitien, Jane déambule dans la Cité des doges. Elle croise quelques compatriotes dans la pension de famille qui l’héberge : un couple de vieux touristes caricaturaux, un artiste infidèle et sa femme…
Même si elle refuse de l’admettre, Jane, célibataire endurcie, se sent seule. Elle est du coup sensible au charme de Renato (Rossano Brazzi), un bel Italien aperçu à la terrasse d’un café qui tient une boutique d’antiquités.

Vacances à Venise est un film étonnant dont on se demande s’il a horriblement mal vieilli ou si, au contraire, ses défauts le font échapper à l’outrage du temps.

C’est un film de 1955 en Technicolor à une époque où le procédé était encore exceptionnel. Si David Lean l’utilise, c’est pour magnifier la beauté de Venise décrite comme une ville de carte postale. La Cité des doges, filmée en plein été, brille de mille feux – alors que beaucoup de réalisateurs la filmeront l’hiver dans une brume qui la nimbe de mystère (Le Casanova de Fellini, Mort à Venise…)

Dans cet écrin magique, on s’attache aux pas de Jane. L’héroïne est interprétée par l’une des plus grandes actrices du temps – voire de tous les temps. La cinquantaine approchant, on pouvait croire que Katharine Hepburn, qui venait de tourner African Queen avec Humphrey Bogart,  était au sommet de sa gloire. Pourtant, elle gagnera encore trois Oscars (en 1968, en 1969 et en 1982) et mourra en 2003 à quatre-vingt-seize ans, panthéonisée de son vivant.

Le rôle qu’elle joue ici manque toutefois cruellement de profondeur. Elle interprète une vieille fille au mitan de sa vie. La sensualité des chaudes nuits vénitiennes et la conscience angoissée du temps qui passe la pressent de faire une rencontre amoureuse. Elle se laisse séduire par le premier bellâtre venu tout en ayant conscience du caractère éphémère de cette liaison. Quand la vérité éclatera – le bellâtre est marié et père de famille – la déception sera rude.

La conclusion de Vacances à Venise s’avère beaucoup moins frivole, beaucoup plus sombre que ses débuts ne le laissaient imaginer. On y reconnaît la patte du réalisateur de Brève Rencontre, un des films d’amour les plus poignants et les plus tristes que j’aie jamais vu.

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La Maladie du dimanche ★★★☆

Anabel (Susi Sanchez) est une grande bourgeoise de la haute société espagnole. Rien ne peut laisser imaginer qu’elle a eu une jeunesse rebelle et qu’elle a abandonné sa fille, Chiara (Barbara Lennie), qui la retrouve trente ans plus tard. Contre toute attente, Chiara ne lui demande pas d’argent, mais du temps : passer dix jours avec elle dans sa maison natale, perdue au cœur des Pyrénées françaises. Anabel accepte, non sans réticence cet étrange contrat.

Sortie début 2018 en Espagne, La Enfermedad del Domingo a remporté le Grand prix du festival du film espagnol de Nantes. Il a valu à Susi Sanchez le Goya – l’équivalent du César – de la meilleure actrice. Hélas, il n’a jamais trouvé le chemin des salles en France et est sorti directement sur Netflix.

C’est un film poignant sur un duo improbable : la blonde Anabel semble avoir réussi sa vie, à force d’ambition et de sacrifices, la brune Chiara a raté la sienne et le reconnaît sans regrets. La cinquantaine bien sonnée, Anabel entretient son corps avec application, s’habille avec élégance. Les cheveux gras, la clope au bec, la flasque d’alcool à portée de main, Chiara a renoncé à entretenir le sien qui se venge. Tout les sépare sauf ce lien de filiation que la mère a nié trente ans plus tôt par un geste dont on attend qu’elle nous révèle la cause.

Le film est construit sur un suspens. Que veut Chiara ? A-t-elle attiré Anabel dans cette ferme pour se venger d’elle, pour lui faire payer (par la torture ? par le meurtre ? par l’obtention d’un impossible pardon ?) le prix de l’impardonnable abandon qui l’a privé de sa mère sans explication alors qu’elle avait huit ans à peine ?

Le film est long. Trop long. Près de deux heures. Il est peuplé de silences, entrecoupé d’ellipses. Le réalisateur Ramon Salazar a pris le parti radical de l’hyper-stylisation. Il a donné à son héroïne la froideur glaciale des grandes héroïnes hitchcockiennes. Sa façon de filmer les Pyrénées l’hiver flirte avec le fantastique. La dernière scène du film, d’une logique implacable, qu’on a hélas sentie venir un peu trop tôt pour en être surpris, ne s’oublie pas facilement.

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