Envole-moi ★☆☆☆

Thomas (Victor Belmondo), vingt-six ans, est un jet-setteur invétéré qui a abandonné ses études et passe ses nuits en boîte. Après une énième avanie (il a noyé le coupé BMW dans la piscine familiale), son père (Gérard Lanvin), chirurgien en pédiatrie, décide de le mettre au pied du mur : Thomas sera jeté dehors s’il n’accepte pas de s’occuper de Marcus (Yoann Eloundou), un jeune garçon de douze ans affecté d’une grave malformation cardiaque. Entre les deux jeunes gens naîtra une amitié improbable qui les fera mûrir tous les deux.

Le pitch de Envole-moi vous fait fuir par son trop-plein de bien-pensance dégoulinante ? Fuyez-le ! C’est ce que j’aurais dû faire si ma curiosité maladive pour tout ce qui fait le cinéma français et le mauvais temps qui s’entêtait à Paris durant le dernier week-end de mai ne m’avaient pas conduit à en pousser les portes. Pour autant, ai-je perdu mon temps ? Pas vraiment !

Envole-moi est construit sur le modèle désormais breveté du binôme de deux personnages unis pour le bien de l’un au corps défendant de l’autre. Intouchables en a déposé le brevet et il est à craindre qu’il soit utilisé jusqu’à la corde. Envole-moi en joue jusqu’à la caricature : Victor est blanc, Marcus est noir ; Victor est riche, Marcus est pauvre ; Victor est bien portant, Marcus est malade, etc.

Comme il fallait le craindre, Envole-moi est un feel good movie qui ne recule devant aucun moyen pour nous arracher une larme. Comme dans le cochon, tout est bon pour y parvenir : le charme irrésistible du petit-fils Belmondo, le courage émouvant du jeune Yoann Eloundou (qui aurait, ceci étant, été plus émouvant encore s’il avait eu quatre ans de moins, des taches de rousseur et des couettes), le courage plus émouvant encore de sa courageuse maman, mère célibataire d’un enfant qu’elle entoure d’un amour infini, l’amitié improbable et pourtant immédiate qui naît entre les deux héros, la bucket list des vœux de Marcus que Thomas s’emploiera à exaucer et qui constituera le fil rouge du film, etc.

Quelle déception de la part d’un réalisateur comme Christophe Baratier dont le premier film, Les Choristes, en 2004, avait nourri tant d’espoirs et qui, depuis maintenant quinze ans, ne cesse de les décevoir avec une belle constance ?

On pourrait en rester là et attribuer à ce film racoleur un zéro pointé. Pour autant, la vérité oblige à dire qu’aussi racoleur et bien-pensant soit-il, Envole-moi m’a arraché cette petite larme qu’il s’emploie démonstrativement à nous faire couler. Des centaines de milliers de spectateurs sont allés le voir, auront versé la leur et en garderont le souvenir d’un film émouvant. Qui sommes nous pour leur donner tort ?

La bande-annonce

Nomadland ★★★☆

Après la mort de son mari, après la fermeture de l’usine où elle travaillait avec lui qui provoqua la désertion de leur petite ville du nord du Nevada, Fern (Frances McDormand), la soixantaine, n’a d’autre solution que de quitter sa maison et de s’installer rudimentairement dans sa camionnette. Le temps des fêtes de fin d’année, elle trouve un emploi chez Amazon avant de prendre la route. Au Dakota du Sud, elle travaille dans un parc national puis va faire la récolte des betteraves au Nebraska. Sur sa route, Ferne croise d’autres vagabonds qui, comme elle, par choix de vie ou par nécessité, refusent de se sédentariser.

Nomadland arrive – enfin – sur nos écrans, précédé d’une réputation écrasante. Lion d’Or à Venise, quatre BAFTA, deux Golden Globes et surtout trois Oscars dont celui de la meilleure réalisation pour Chloé Zhao et celui de la meilleure actrice pour Frances McDormand (son troisième, excusez du peu, après Fargo et Three Billboards). N’en jetez plus ! la coupe est pleine !

Tant de louanges laissent augurer un chef d’oeuvre… et risquent immanquablement de frustrer les espérances des spectateurs. Car, pour le dire d’une phrase, si Nomadland est certainement un bon film, ce n’est pas un grand film qui mériterait sa place au Panthéon du cinéma à côté de Parasite, Moonlight, Twelve years a Slave ou La la Land (ah… zut …. La la land s’est vu souffler l’Oscar du meilleur film par Moonlight justement).

Nomadland a plusieurs défauts.
Le premier, diront les anti-Modernes, est d’être un peu trop à la mode. Son sujet fleure bon l’anti-trumpisme qui, à tort ou à raison, a fait florès pendant quatre ans à Hollywood. Rien de tel que de filmer l’Amérique pauvre, celle des working poor, des white trash, des minorités discriminées pour ravir les suffrages aux Oscars.
Les anti-féministes en rajouteront une couche : si Chloé Zhao a emporté la statuette, c’est en raison de son genre, pour que l’Académie qui n’avait jusqu’alors couronné qu’une seule femme dans cette catégorie (Kathryn Bigelow pour l’oubliable Démineurs) se rachète une respectabilité.
Les autres – et j’en fais partie – diront qu’ils se sont ennuyés, que ce film de cent-huit minutes, qui enfile à la queue leu leu les épisodes interchangeables et souvent répétitifs de l’odyssée de Fern, aurait pu sans préjudice en durer vingt de plus ou de moins.
Enfin d’aucuns renâcleront aux récompenses qui pleuvent sur la tête de Frances McDormand que la caméra ne quitte pas d’une semelle et qui ne fait pas grand-chose sinon regarder le soleil se coucher sur les plaines désolées du Grand Ouest américain. Sa prestation, diront-ils, est honnête, mais ne mérite pas de la placer au-dessus de Meryl Streep, d’Ingrid Bergman ou de Bette Davis qui n’ont jamais réussi à décrocher leur troisième statuette aux Oscars

Ces arguments sont recevables. Mais ils ne sont pas fondés.
Nomadland est un film modeste, qui refuse le sensationnel. Chloé Zhao refuse la facilité qui aurait consisté à ajouter à la vie de Fern des rebondissements dramatiques (une agression une nuit dans son van ? les retrouvailles lacrymales avec un fils ou une fille perdue de vue ?). Elle utilise une base documentaire – l’enquête de Jessica Bruder sur les Van Dwellers, ces Américains, souvent âgés qui ont quitté leur maison pour prendre la route – pour en faire une fiction élégiaque où souffle la poésie qui traversait déjà ses précédents films : The Rider (2017) et Les chansons que mes frères m’ont apprises (2015).

Nomadland est un film qui m’a surpris et qui m’a interrogé.
Les résumés que j’en avais lu me laissaient présager un livre sociologique, une illustration sinon une démonstration des ravages que la crise des subprimes puis les inégalités creusées par Trump avaient causées. Or, tel n’est pas le cas. Ou, pour être tout à fait exact, tel n’est peut-être pas le cas. Certes, Fern s’installe dans son van, nécessité faisant loi, faute d’autre alternative. Mais elle y trouve bientôt des habitudes et une liberté qu’elle chérit (« houseless but not homeless » résume-t-elle dans une formule parlante). Sur la route, en Arizona, elle croise toute une communauté de vagabonds qui ont fait le même choix qu’elle et embrassé le même mode de vie alternative. Fern pourrait y renoncer : en s’installant chez sa sœur qui lui ouvre les bras, ou chez Dave (épatant David Strathairn que l’interprétation de Frances McDormand a injustement éclipsé) qui lui ouvre son cœur. Elle n’en fait rien.

Pour moi, Nomadland est moins un film sociologique qu’un film psychologique sinon métaphysique. Il interroge moins notre société que nos choix de vie individuels. C’est cette ambiguïté, cette richesse qui au bout du compte m’a plu dans ce film, contrebalançant l’ennui que sa langueur revendiquée avait fait naître.

La bande-annonce

Billie Holiday, une affaire d’État ★☆☆☆

La Seconde Guerre mondiale vient de se terminer et dans l’Amérique, encore ségrégée, Billie Holiday (Andra Day) est au sommet de sa carrière. Son interprétation de Strange Fruit, une métaphore déchirante du lynchage, lui vaut l’hostilité du FBI qui utilise ses deux points faibles pour la discréditer : son instabilité sentimentale et sa consommation inquiétante de drogue. Jimmy Fletcher (Trevante Rhodes), un inspecteur sous couverture qui se fait passer pour un soldat, réussit à se faire admettre parmi son premier cercle pour récolter la preuve des trafics qui y sévissent et faire emprisonner la chanteuse. Mais, tombant sous son charme, l’inspecteur repenti va vite se rapprocher de la chanteuse et tenter vainement de la guérir de ses addictions.

La vie et l’oeuvre de Billie Holiday (1915-1959), la célèbre chanteuse de jazz, vient de faire l’objet d’un documentaire, Billie, réalisé par le Britannique James Erskine, sorti en France en septembre 2020. Ce film en diffère puisqu’il s’agit d’une fiction. Mais la proximité des deux sorties est si grande que les deux oeuvres se répètent immanquablement. Elles racontent, avec une grande fidélité aux faits, la même histoire : le combat d’une femme contre ses démons intérieurs et contre la dureté d’une époque encore profondément raciste.

Billie Holiday, une affaire d’État est adapté d’un essai d’un journaliste britannique publié en français sous le titre explicite de La Brimade des Stups. Cet essai traite de la guerre menée aux Etats-Unis depuis un siècle contre les trafics de drogue, des moyens démesurés mis en oeuvre et de la pauvreté des résultats. Il évoque notamment la figure de Harry Anslinger, un des personnages secondaires du film, qui dirigea pendant plus de trente ans le Bureau fédéral des narcotiques (FBN), affichait un racisme décomplexé, considérait le jazz comme une musique dégénérée et poursuivit Billie Holiday jusque sur son lit de mort. En revanche, la figure de Jimmy Fletcher est fictive.

Billie Holiday, une affaire d’État vaut incontestablement pour l’interprétation de Andra Day dans le rôle titre qui lui a valu le Golden Globe de la meilleure actrice et qui a bien failli lui valoir l’Oscar si Frances McNormand ne lui avait pas été préférée. Il est vrai qu’elle est stupéfiante dans le rôle : d’une beauté saisissante quand elle monte sur scène, les lèvres purpurines, une fleur de magnolia plantée dans les cheveux, elle est méconnaissable, les traits effroyablement creusés, quand elle se shoote.

Mais ni sa prestation ni celle, honnête, des seconds rôles qui l’entourent (Trevante Rhodes avait été révélé dans Moonlight), ne réussissent à hisser ce biopic trop conventionnel au-dessus du tout-venant auquel Hollywood nous a habitués.

La bande-annonce

Au travers des oliviers (1994) ★☆☆☆

Dans un petit village du nord de l’Iran, une équipe de cinéma tourne un film. Toute l’équipe s’agite autour du réalisateur qui procède à un casting dans une école. Il porte son choix sur Tahereh, une jeune fille dont les parents sont morts dans le tremblement de terre qui a dévasté la région. Pour remplacer au pied levé l’acteur bègue incapable de lui donner la réplique, le réalisateur choisit Hossein, un jeune maçon qui avait demandé sans succès la main de Tahereh à sa grand-mère.

En 1987, Abbas Kiarostami tourne dans la petite ville de Koker Où est la maison de mon ami ? un court film qui le fait connaître à l’étranger et notamment en France. Les lieux du tournage sont frappés trois ans plus tard par un tremblement de terre meurtrier. Kiarostami y retourne en 1991 pour y filmer Et la vie continue. Au travers des oliviers, qui constitue une sorte de making-off de ce film-là, vient clore cette trilogie.

Le film jouit d’une réputation élogieuse. Il le doit au prestige de son auteur, Abbas Kiarostami, qui passe pour le plus grand réalisateur iranien contemporain, le seul à avoir jamais reçu la prestigieuse Palme d’or (en 1997 pour Le Goût de la cerise). L’oeuvre de l’illustre octogénaire fait actuellement l’objet d’une rétrospective en salles. C’est aussi avec beaucoup d’humilité que je m’autoriserai une critique moins enthousiaste.

Sans doute ce film plonge-t-il avec une grande douceur dans la vie quotidienne d’un petit village iranien, loin de la capitale et de ses artifices, et filme-t-il avec beaucoup de pudeur le deuil qu’il continue à porter. Sans doute aussi constitue-t-il une mise en abyme du cinéma en train de se faire, avec ses hésitations, ses temps morts, ses répétitions. Mais, pour autant, une fois signalées ces qualités-là, force est de constater qu’on s’ennuie ferme pendant plus de cent minutes à regarder derrière le pare-brise d’une voiture cahotante les paysages, certes majestueux, de la campagne iranienne. Et nos nerfs sont mis à rude épreuve, pendant le dernier tiers du film, devant la répétition irritante de la même prise que les acteurs, débordés par leurs sentiments, ne parviennent pas à jouer correctement.

La bande-annonce

Les Séminaristes ★☆☆☆

Dans la Tchécoslovaquie des années 80, l’Église catholique est divisée. Une partie d’entre elle a dû accepter de se placer sous la férule du régime communiste pour continuer à former ses prêtres, à les ordonner et à leur confier une paroisse avec l’autorisation d’y dire la messe ; une autre a au contraire refusé cette compromission et est entrée dans la clandestinité. C’est dans ce contexte troublé que Juraj et Michal entrent au séminaire de Bratislava. Très vite, comme leurs aînés, ils devront effectuer des choix cornéliens qui mettront en péril leur foi, leur amitié sinon leur vie.

Les Séminaristes est une production slovaque distribuée en France par l’ARP pour des motifs qui défient le bon sens. On voyait mal a priori, alors que, dit-on, des dizaines sinon des centaines de films attendent en vain une date de sortie, comment les spectateurs seraient attirés en foule par ce film en noir et blanc au sujet plombant. On le voit encore plus mal quatre-vingt minutes plus tard, une fois sorti d’une salle quasi-déserte (cinq spectateurs au total).

Certes, au-delà de la question purement historique de la subordination du clergé catholique au régime communiste tchécoslovaque, Les Séminaristes tangente un sujet universel : la disposition chez l’homme à accepter de compromettre ses valeurs. Mais il le traite avec des effets de style trop encombrants : un son saturé, des cadrages millimétrés, des noirs et blancs très travaillés, un scénario qui multiplie les ellipses et les flashbacks au risque de ne plus rien comprendre (merci à mon intelligente voisine d’avoir éclairé ma lanterne). Même bien disposé à l’égard du cinéma slovaque, même curieux de l’histoire du communisme, le spectateur ne pourra qu’être déboussolé par le manque de contextualisation et écrasé par ce trop-plein de formalisme.

La bande-annonce

Villa Caprice ☆☆☆☆

Le milliardaire Gilles Fontaine (Patrick Bruel) est visé par la justice qui lui reproche les conditions opaques de l’acquisition de la luxueuse Villa Caprice dans la presqu’île de Saint-Tropez. Pour le défendre, il choisit le meilleur avocat parisien, Luc Germon (Niels Arestrup). Les deux hommes au tempérament bien trempé ne se font pas spontanément confiance mais sont condamnés à faire cause commune pour résister à la vindicte du juge d’instruction (Laurent Stocker) qui s’est juré d’avoir la tête de l’homme d’affaires.

Villa Caprice a tout pour appâter le chaland : deux stars en affiche, une bande-annonce qui montre des décors paradisiaques et laisse augurer une histoire vénéneuse, un cocktail de coups tordus, de manipulation et de chantage sexuel.

Hélas, tout se dégonfle très vite face à ce film vieillot tourné par un réalisateur de 78 ans. Bernard Stora en a co-écrit le scénario avec Pascale Robert-Diard, la célèbre chroniqueuse judiciaire du Monde. Mais cette signature prestigieuse, si elle réhausse le cachet du film, ne le rend pas plus juste pour autant. Tout y est en effet outré, paroxystique, caricatural. On y voit Patrick Bruel passer des coups de téléphone depuis son Falcon (on me rétorquera que c’est désormais possible…. mais je n’ai pas assez souvent voyagé en Falcon pour le savoir avec certitude), Niels Arestrup recevoir ses clients dans des bureaux qui ressemblent plus à un palais de satrape babylonien qu’à un cabinet d’avocats.

Le film aurait pu être tourné à peu près à l’identique vingt ans plus tôt. Il y aurait peut-être gagné : ses acteurs en auraient été moins décrépits. Certes, Niels Arestrup y est, comme d’habitude, magistral ; mais on le sent si proche de l’apoplexie qu’on a envie de lui signer un arrêt maladie. Quant à Patrick Bruel, à soixante ans passés, et avec les accusations de harcèlement sexuel qui lui collent à la peau, il est moins séduisant que vaguement malaisant.

On escomptait un scénario alambiqué à double fond. Et on en est pour son argent. Car le double fond s’avère vite coquille vide. Les démêlés de Gilles Fontaine avec la justice se dénouent miraculeusement ; quant au face-à-face final entre les deux hommes, dont je ne dirai mot à la fois parce que je ne veux pas divulgâcher et que je ne suis pas sûr d’en avoir compris tous les ressorts, il se solde par une conclusion ridicule.

Restent les décors. Le cap Taillat est superbe sous le soleil méditerranéen. Mais, aussi joliment filmé soit-il, il ne suffit pas à lui seul à donner une seule étoile à ce Villa Caprice trop poussiéreux.

La bande-annonce

Des hommes ★★☆☆

Bernard alias Feu-de-bois (Gérard Depardieu) est un vieil homme rongé par la solitude, la haine de soi et des autres. L’esclandre qu’il provoque à l’anniversaire de sa sœur Solange (Catherine Frot), devant son cousin Rabut (Jean-Pierre Darroussin), conduit les trois personnages à plonger dans leurs souvenirs enfouis de la guerre d’Algérie où Bernard et Rabut avaient été enrôlés.

Des hommes est d’abord un roman poignant de Laurent Mauvignier publié en 2009 aux Editions de Minuit, distingué par le Prix des libraires 2010. C’est un texte magnifique dont Lucas Belvaux, à tort ou à raison, a du mal à s’éloigner et dont il fait lire de longs extraits par les voix immédiatement reconnaissables de ses trois acteurs.

Cette fidélité excessive au texte n’est pas le seul défaut d’un film qui en compte beaucoup. Le principal est peut-être la présence encombrante de trois monstres sacrés du cinéma français. Gérard Depardieu n’a jamais été aussi obèse, aussi lent, aussi apoplectique, en un mot aussi depardien. Son tarin est si gros (ce qui n’est pas la moindre ironie pour l’interprète de Cyrano) qu’il finirait presque par le cacher si l’acteur n’était pas si massif. Quand il apparaît à l’écran, on a du mal à prendre au sérieux le personnage qu’il est censé jouer. C’est un peu le même problème pour Jean-Pierre Darroussin et Catherine Frot qu’on a décidément trop vus dans des rôles très proches : le bon bougre le cœur sur la main et la sœur de province un peu coincée.

Des hommes n’en a pas moins une grande qualité : parler de ces « événements » d’Algérie sur lesquels le pouvoir politique et le cinéma français ont longtemps voulu jeter un voile pudique. L’affirmation un brin simpliste selon laquelle, à la différence d’Hollywood et la guerre du Vietnam, le cinéma français aurait ignoré la guerre d’Algérie, est toutefois à tempérer. Il n’en reste pas moins que les films sur le sujet sont rares et plutôt mineurs. Des hommes a le mérite de traiter le sujet de front – même si paradoxalement, le livre ne cessait de répéter que « il n’y [avait] pas de mots pour dire cela ». Prenant le point de vue d’hommes du rang embarqués dans un conflit qui les dépasse, il filme avec beaucoup de justesse l’ennui des cantonnements, la vulgarité des comportements auxquels cet ennui émollient conduit et le déchaînement inattendu et sidérant d’une violence inhumaine.

La bande-annonce

Suzanna Andler ☆☆☆☆

Suzanna Andler (Charlotte Gainsbourg), la quarantaine, est mariée et mère de famille. Son mari, Jean, la trompe éhontément. Suzanna a pris un amant, Michel (Niels Schneider). Venue sur la Côte d’Azur à la morte saison pour y louer une maison, elle s’interroge sur ses sentiments pour Jean et pour Michel.

Quelle mouche a piqué Benoît Jacquot, qu’on connaissait plus inspiré, ses acteurs et ses producteurs, pour aller ressusciter cette pièce démodée de la dramaturge la plus démodée des Trente Glorieuses ? Marguerite Duras était déjà exaspérante de son vivant. On la soupçonne d’ailleurs d’en avoir fait profession. Elle l’est encore plus vingt ans après sa mort. Son théâtre sans rythme, sans vie, qui s’étire en d’interminables face-à-face, qui triture le vide de nos existences avec un plaisir masochiste, était vain. Le temps qui passe ne lui a pas conféré la valeur qu’il n’a jamais eue.

J’avais eu la main lourde en mettant un zéro pointé à India Song – qui passe, aux yeux d’un grand nombre, pour un chef d’oeuvre. Benoît Jacquot y fut le premier assistant de l’auteure du Barrage contre le Pacifique et de Moderato Cantabile qui s’était piquée, alors qu’elle n’y entendait rien, de faire du cinéma ; et c’est sans doute à ce lointain héritage qu’on doit aujourd’hui de sa part ce retour au source. Ma main ne tremble guère au moment d’évaluer ce Suzanna Andler tant ce film m’a semblé dépourvu du moindre intérêt. Les spectateurs qui ont lentement déserté la salle pendant la séance, écrasés comme moi par un trop-plein de vacuité, me confortent dans ma sévérité.

Habillée par Yves Saint Laurent dans un improbable manteau ocellé, Charlotte Gainsbourg a l’air de s’y ennuyer autant que nous. Elle embrasse sans sensualité un Niels Schneider aussi mollasson qu’elle. Deux personnages secondaires viennent compléter le casting : un agent immobilier et une ancienne maîtresse de Jean. Tel est l’avantage de l’adaptation des pièces de théâtre : les acteurs ne sont guère nombreux et le budget n’est pas gaspillé dans la rémunération des figurants (Benoît Jacquot a fait une économie supplémentaire en jouant lui-même Jean qu’on ne voit pas à l’écran mais qui s’entretient longuement avec sa femme au téléphone)

Le film d’ailleurs, qui ne quitte guère les quatre murs d’une villa au charme vieillot (l’action est censée se dérouler dans les années soixante – comme elle aurait pu aussi bien se dérouler en 2090), surplombant la baie de Cassis (l’action est censée se dérouler à Saint-Tropez …. mais bon….), n’aura pas coûté grand-chose. Heureusement pour lui : sa billetterie rapportera encore moins !

La bande-annonce

Petite maman ★★☆☆

Nelly, huit ans, vient de perdre sa grand-mère. Sa mère, Marion (Nina Meurisse), son père et elle vident la maison où Marion a grandi. C’est dans la forêt qui la jouxte, où Marion, enfant, construisit une cabane, que la petite Nelly rencontre son double : une enfant qui lui ressemble comme une goutte d’eau, qui a huit ans comme elle et qui se prénomme Marion. S’agit-il de sa propre mère ? Nelly rêve-t-elle ?

Céline Sciamma est devenue une icône lesbienne avec quatre films qui ont attiré un public de plus en plus nombreux : le déjà très réussi Naissance des pieuvres, tourné à la fin de ses études à la Fémis et qui a révélé Adèle Haenel, l’excellent Tomboy et sa jeune héroïne androgyne, Bande de filles et enfin en 2019 Portrait de la jeune fille en feu, un film incandescent auxquels son sujet, les révélations concomitantes d’Adèle Haenel sur les agressions sexuelles qu’elles avaient subies et la polémique des Césars autour du J’accuse de Polanski eurent tôt fait de conférer un statut d’oeuvre emblématique.

Petite maman raconte une histoire toute simple et pleine d’une poésie charmante. Son scénario flirte avec le fantastique, sans pourtant avoir recours à aucun effet spécial, et tient en une ligne : une enfant rencontre sa mère au même âge. Ce genre de voyage dans le temps n’est pas inédit : dans Peggy Sue s’est mariée et dans Camille redouble, l’héroïne adulte retrouvait le vert paradis de son adolescence. Ces films-là étaient construits sur le ressort de la nostalgie ; ce film-ci est construit sur un ressort plus complexe : celui d’une impossible rencontre avec ses propres parents qu’on n’imagine pas avoir eu un jour le même âge que nous.

Le résultat, disé-je, est poétique et charmant. Mais il risque de décevoir les fans de la réalisatrice qui, sur la seule foi de sa signature, vont se ruer en salles (ce qui ne fera pas de mal aux recettes d’un cinéma français en pleine convalescence, encalminé dans des Suzanna Andler ou des Villa Caprice nullissimes). Ou, pour le dire autrement : quelles critiques et quel succès auraient accueilli ce Petite maman s’il n’avait pas été réalisé par Céline Sciamma ?

La bande-annonce

Promising Young Woman ★★☆☆

Cassie (Carey Mulligan) fut longtemps une jeune femme à l’avenir prometteur. Mais, à l’aube de la trentaine, elle végète chez papa-maman dans un job minable. Chaque week-end, outrancièrement maquillée, elle va en boîte où elle simule la gueule de bois pour donner une leçon aux prédateurs qui feignent de jouer au bon Samaritain pour abuser d’elle. Quel drame dans sa vie explique un tel comportement ? La rencontre de Ryan (Bo Burnham), un ancien camarade de faculté, qui lui fait une cour assidue, la conduira-t-elle à enfin tourner la page ?

Promising Young Woman, premier film d’Emerald Fennell, l’actrice qui campe Camilla Parker Bowles dans la série The Crown, vient d’obtenir l’Oscar du meilleur scénario original. Original, son scénario l’est en effet, qui est construit autour d’une énigme qu’on découvre peu à peu et qui nous ménage jusqu’à sa conclusion d’étonnants rebondissements.

Ces énigmes, ces twists, compliquent la tâche de la critique bien en mal de parler d’un film dont elle s’interdit de divulgâcher ce qui en fait tout le prix. Dire, comme on en lit partout, qu’il relève du rape and revenge, c’est déjà trop en dire – sauf à ajouter immédiatement, pour contredire la conclusion à laquelle vous avez, cher lecteur, trop vite sauté, que, non, Cassie n’a pas été violée durant ses études. Mais cet ajout – dont le seul but était de vous éviter de vous lancer sur une fausse piste – n’est-il pas déjà de trop, l’un des ressorts du film étant peut-être justement de laisser imaginer au spectateur qu’elle avait en fait été violée ? Oh la la… je sens que je m’enfonce…..

Bref, comme on l’aura compris (ou pas !), Promising Young Woman est construit autour d’un concept (mais n’en dis-je pas déjà trop en l’écrivant ?) : l’espoir post #MeToo de modifier les comportements prédateurs masculinistes qu’on a subis en frappant ceux qui les ont fait subir.

Le sujet est d’actualité. Il est même d’utilité publique. Il parlera, espérons-le, aux jeunes spectateurs, garçons ou filles, auxquels le film s’adresse. Reste maintenant, au-delà de toutes considérations éthiques ou politiques, à apprécier sa valeur cinématographique. Et c’est là peut-être que le bât blesse.

Car, après s’être laissé prendre au jeu d’une bande annonce aguichante, on se retrouve face à un rouleau compresseur. Le personnage de Cassie, loin de susciter l’empathie, et aussi remarquablement interprété qu’il soit par la toujours excellente Carey Mulligan (Une éducation, Drive, Shame, Gatsby le magnifique, Loin de la foule déchaînée, Wildlife, The Dig …), se réduit à une seule dimension : être l’instrument d’une vengeance voire d’une croisade. Une fois qu’on a compris son rôle, on prend moins d’intérêt aux événements qu’elle traverse. On en prend d’autant moins que leur crédibilité se réduit de plus en plus jusqu’à un dénouement certes surprenant, mais totalement abracadabrantesque.

La bande-annonce