Boîte noire ★☆☆☆

Le nouvel Atrian800, ralliant Paris de Dubaï, s’écrase dans les Alpes, tuant tous les passagers et l’équipage. Le Bureau Enquêtes Accidents (BEA) est immédiatement dépêché sur les lieux pour éclaircir les circonstances du drame.
Matthieu Vasseur (Pierre Niney), un jeune acousticien fraîchement émoulu de l’ENAC, se voit confier le soin de décrypter la fameuse boîte noire. Ses premières investigations le conduisent à des conclusions qui sont immédiatement rendues publiques : l’avion a été victime d’un attentat perpétré par un passager qui a fait irruption dans le cockpit en profitant de l’inattention d’une hôtesse. Mais, au fur et à mesure de la progression de l’enquête, les soupçons de Matthieu Vasseur s’orientent dans une autre direction : la panne technique qui, si elle se confirmait, mettrait en péril l’avenir commercial de l’Atrian800 et menacerait son constructeur.

La bande-annonce de Boîte noire m’avait mis l’eau à la bouche. Elle promettait un thriller nerveux, une sorte de Chant du loup aéronautique, interprété par les meilleurs acteurs français du moment, jeunes (Pierre Niney, Lou de Laâge, Guillaume Marquet) et moins jeunes (André Dussollier, Olivier Rabourdin, Aurélien Recoing, André Marcon).

Quelle ne fut donc pas ma déception durant la première heure du film qui, après la mise en place que j’imaginais (Boîte noire commence par un plan-séquence virtuose dans la cabine de l’Atrian800 quelques instants avant le crash), semble s’installer paresseusement dans une intrigue cousue de fil blanc : la thèse de l’attentat terroriste a été échafaudée de toutes pièces par des industriels véreux qui veulent dissimuler les insuffisances techniques de leur avion, insuffisances que le jeune Matthieu, à force d’intelligence et d’entêtement, réussira finalement à révéler.

Fort heureusement, Boîte noire ne suit pas jusqu’au bout ce scénario trop bateau. Mais il met une bonne heure à s’en affranchir, au risque de décourager en cours de route pas mal de spectateurs, moi y inclus, à force d’incohérences (comment peut-on par exemple concevoir un seul instant que la Commission de déontologie – chargée de valider les départs des hauts fonctionnaires dans le secteur privé – autorise la jeune ingénieure interprétée par Lou de Laâge à aller pantoufler chez l’avionneur dont elle a la charge de certifier le dernier appareil ?).

La seconde heure de Boîte noire est plus surprenante. Elle l’est d’ailleurs trop peut-être. Elle sème le doute sur Matthieu Vasseur, sur la solidité de son diagnostic, sur sa fâcheuse tendance à imaginer des complots partout (le « complotiste » deviendra-t-il le nouveau méchant des films post-Covid ?). Ses soupçons paranoïaques sont-ils fondés ? ou sont-ils le produit de son cerveau malade ? Cette ambiguïté sauve le film du naufrage vers lequel sa première moitié semblait l’entraîner. Mais, les fausses pistes, les loopings et les coups de théâtre sont trop nombreux dans sa seconde moitié, et pas assez virtuoses, pour que Boîte noire remplisse les espérances que sa bande-annonce avait suscitées.

La bande-annonce

Le Fils de l’épicière, le Maire, le Village et le Monde ★★☆☆

Lussas est un petit village du sud de l’Ardèche. Depuis une trentaine d’années, grâce à l’énergie de deux hommes, Jean-Marie Barbe, le président de l’association Ardèche Images, et Jean-Paul Roux, le maire, s’y tiennent chaque été les États généraux du film documentaire. Le documentaire de Claire Simon filme un moment particulier de cette vie associative : la création de Tënk, une plate-forme de vidéos documentaires à la demande, et la construction de L’Imaginaire, un espace de formation et de post-production.

Le Fils de l’épicière, le Maire, le Village et le Monde a une immense qualité : il filme, dans la durée, la vie associative, l’énergie incroyable qu’elle exige, la fierté qu’elle procure quand les objectifs sont atteints, mais aussi la somme de petits tracas quotidiens qu’elle provoque.

Il suscite évidemment notre empathie pour ses deux héros : Jean-Marie Barbe et Jean-Paul Roux sur les épaules desquelles l’entreprise repose. La question de leur succession se pose comme elle se pose toujours, un jour ou l’autre, à ce genre d’entreprises : comment les pérenniser au-delà de leurs pères fondateurs ?

Il montre surtout les difficultés quotidiennes d’une petite structure associative. On imagine le temps qu’il aura fallu à Claire Simon pour gagner la confiance des divers protagonistes, pour poser sa caméra et la faire oublier avant de réussir à filmer ces scènes que nous avons tous vécues un jour ou l’autre dans notre vie professionnelle où, autour d’enjeux parfois obscurs sinon ridicules, les egos s’affrontent, pas toujours paisiblement.

Le documentaire est moins heureux quand il esquisse un parallèle avec le patient labeur des vignerons alentour. On comprend aisément le propos et on n’a ni l’expérience ni l’expertise pour en réfuter la thèse : les agriculteurs de Lussas cultivent la vigne avec la même patience que les employés de Ardèche Images essaient péniblement d’arriver au seuil de 10.000 abonnés qui garantira la viabilité de Tënk. Ce sont les mêmes difficultés qu’ils rencontrent et auxquelles ils doivent réagir, avec un mélange similaire de rouerie paysanne et de fatalisme.

La bande-annonce

Laila in Haifa ★☆☆☆

Amos Gitaï est originaire de Haïfa, la grande ville portuaire du nord d’Israël. il y a découvert le club Fattoush, un café-restaurant doublé d’un espace d’exposition, où se côtoient Juifs et arabes, Israéliens et Palestiniens, hommes et femmes, homos et hétéros. Il aurait pu y filmer un documentaire. Il préfère la fiction.

Unité de temps. Unité de lieu. Tout se passe l’espace d’une soirée, quasiment en temps réel. Tout aurait pu d’ailleurs tenir sur une scène de théâtre. Tout aurait pu être filmé en un long plan séquence, techniquement magistral et dont d’ailleurs le premier plan du film – qui commence par une bastonnade sur le parking du club – laisse augurer ce qu’il aurait pu être.

L’affiche du film évoque « 5 femmes. 5 histoires ». J’ai dû aller regarder le casting pour les identifier. Car ces cinq histoires là, d’importance inégale, ne sont pas immédiatement identifiables.

À tout seigneur tout honneur, commençons par Laila, la propriétaire du club. Elle donne son nom au film alors qu’elle n’en est pas au centre. La raison en est peut-être dans l’allitération que son prénom permet.
Khawla travaille au Club. Elle est mariée à Hisham le cuisinier qui aimerait lui faire un enfant, mais entretient une liaison avec Gil, le photographe que Laila expose – et dont elle est, elle aussi l’amante.
Naama est israélienne et la demi-soeur de Gil. De passage dans le bar, elle y rencontre un séduisant palestinien avec lequel elle ira immédiatement faire l’amour sur le siège arrière de sa voiture.
Bahira est une activiste palestinienne qui déborde de haine. Elle est venue au club pour racketter Kamal, le mari de Laila, beaucoup plus âgé qu’elle, dont l’immense fortune finance les hobbies de sa jeune épouse.
Hanna, la soixantaine bien entamée, est une veuve qui cherche encore l’âme sœur. Un rendez-vous en ligne la confronte à un date passablement surprenant.
On pourrait encore évoquer Roberta qui veut faire jouer son carnet d’adresse pour exposer Gil à Los Angeles. Mais on a déjà épuisé le quota féminin annoncé sur l’affiche.

Vous n’y avez rien compris ? Moi non plus ! Et c’est bien là que le bât blesse.
Car, si l’on voue une admiration révérencielle à Amos Gitaï qui, depuis plus de trente ans, surplombe de son oeuvre impressionnante le cinéma israélien, si l’on ne peut qu’applaudir au projet interculturel de son film, on doit hélas, constater que le résultat en est fort brouillon sinon totalement incompréhensible.
Ces chassés-croisés polyglottes (les personnages s’expriment en hébreu, en arabe et en anglais selon leur identité culturelle) me sont restés passablement obscurs. Et quand j’en ai enfin compris le sens – ou plutôt quand j’ai cru les avoir compris – j’y suis resté insensible.

La bande-annonce

Une histoire d’amour et de désir ★★★★

Ahmed et Farah se rencontrent le premier jour de la rentrée à la Sorbonne, sur les bancs de la fac de lettres, dans un cours consacré à la poésie arabe galante. Lui (Sam Outalbali), fils d’immigré algérien, vient du 9-3. Elle (Zbeda Belhajamor) débarque tout droit de Tunisie. Entre eux, c’est le coup de foudre immédiat. Mais chacun l’exprime à sa façon. Lui, engoncé dans les codes virilistes des cités, combat le désir qu’il éprouve. Elle, plus libérée, ne comprend pas ce garçon qui lui résiste.

Disons-le tout net : Une histoire d’amour et de désir est le meilleur film du mois. Et à ceux qui, perspicaces, m’opposeront qu’il est sorti le 1er septembre et que j’écris sa critique dès le 5 du mois, je renchérirai : Une histoire d’amour et de désir est le meilleur film d’un été qui, ces jours-ci, à Paris tout au moins, semble délicieusement jouer les prolongations !

Comme son titre l’annonce, Une histoire d’amour et de désir est d’abord un film qui raconte les premiers émois d’un couple amoureux et sa découverte de la sexualité. Il le fait avec une sensualité débordante, avec pudeur mais sans pruderie, en convoquant les plus belles pages de la littérature arabe érotique, un moyen – certes un peu téléphoné – d’exciter les sens des personnages – et des spectateurs avec eux – mais aussi de rappeler que l’Islam n’a pas pour seul visage celui des Talibans obscurantistes de Kaboul.

Le sujet du premier amour pourrait sembler convenu. il a déjà été si souvent traité dans la littérature et au cinéma. Mais Leyla Bouzid le renouvelle en renversant les rôles. Contrairement aux usages, ce n’est pas la fille, timide et vierge, qui résistera au garçon, mais l’inverse. Ici, c’est Ahmed qui, malgré le désir qui l’enflamme, repousse les avances de Farah. Son attitude, qui désarçonne la jeune fille, a plusieurs causes. Elle s’explique par son inexpérience (Ahmed est puceau), par sa timidité (il est maladivement incapable d’exprimer ses sentiments et de prendre la parole en public). Elle s’explique aussi par les valeurs dans lesquelles il a grandi, dans sa famille et dans sa cité, où la fille doit impérativement conserver sa virginité jusqu’au mariage et où celles qui ne respectent pas cette règle – comme Farah dont la sexualité débridée le choque – ne méritent pas le respect.

Car, Une histoire d’amour et de désir, comme son titre ne l’annonce pas, est aussi un film social sinon politique. Ahmed et Farah incarnent deux façons archétypales d’être magrébin en France aujourd’hui. Le père d’Ahmed est un intellectuel algérien déclassé qui a dû fuir les années de plomb en Algérie. Au chômage de longue durée, il nourrit une double rancœur contre l’Algérie qui l’a rejeté et contre la France qui l’a si mal accueilli. Son fils a été élevé dans l’ignorance de la culture et de la langue de ses origines avec comme seule planche de salut la poursuite d’études supérieures à Paris. Farah a un profil bien différent. Double autobiographique de la réalisatrice Leyla Bouzid, elle est issue de la classe moyenne tunisienne, francophone et francophile. Elle est née et a grandi à Tunis, y a passé son baccalauréat. Mais, douloureusement consciente du manque d’opportunités que son pays lui offre, elle vient à Paris, poussée par ses parents, y poursuivre ses études (comme Leyla Bouzid qui, après des études de lettres à la Sorbonne, intégra la Fémis).

J’avais adoré le premier film de Leyla Bouzid, sorti fin 2015, À peine j’ouvre les yeux. Je lui ai préféré encore le deuxième. Espérons qu’il ne faudra pas attendre si longtemps le troisième. Quant à Sam Outalbali, l’acteur si juste qui joue Ahmed, on devrait le revoir très bientôt sous la direction de Cédric Jimenez, le réalisateur de BAC Nord, dans Novembre, le film qu’il vient de tourner sur les attentats du 13-Novembre avec Jean Dujardin, Anaïs Demoustier, Sandrine Kiberlain….

La bande-annonce

Chers camarades ! ★★☆☆

Le 1er juin 1962, suite à la brutale augmentation des prix de la viande et du beurre, les ouvriers de l’usine ferroviaire de Novotcherkassk, dans le sud de la Russie, se mettent en grève. Ils marchent sur la mairie. Une fusillade éclate tuant vingt-six manifestants, en blessant des dizaines d’autres. Les autorités déclarent immédiatement l’embargo sur cet événement qui ne sera révélé que trente ans plus tard après la chute de l’URSS.

Le vétéran Andreï Konchalovsky, quatre-vingts ans bien sonnés, qui faisait ses débuts derrière la caméra à cette époque là, s’est directement inspiré des faits pour en faire son dernier film. Il arrive sur les écrans quelques mois à peine après Michel-Ange, d’une toute autre facture.

Konchalovsky aurait pu tourner un documentaire ; mais il préfère réaliser une fiction centrée sur le personnage de Lioudmila, magistralement interprétée par Ioulia Vyssotskaïa, une des grandes dames du théâtre contemporain russe. Ancienne infirmière durant la Grande Guerre patriotique, staliniste chevronnée qui regrette la mort du Petit père des peuples et la prudente libéralisation initiée par Nikita Khrouchtchev, Lioudmila est membre du conseil municipal. Elle est partisane de la ligne dure face aux manifestants et exige qu’ils soient sévèrement punis. Mais elle ignore que sa propre fille, encore étudiante, âgée de dix-huit ans à peine, qu’elle élève seule, est dans leur rang. De l’hôpital, à la morgue, à la fosse commune où les corps des tués ont été enterrés en catimini, elle cherche sa trace.

L’originalité du film est de nous présenter les événements, non pas du point de vue des manifestants (les héros sont d’habitude deux jeunes gens pris sous le feu des balles qui réussissent miraculeusement à survivre et y gagnent la sympathie des spectateurs), mais de celui des autorités, d’abord débordées par l’ampleur de l’hésitation et hésitant à la réaction à lui opposer.

Chers camarades ! a remporté le prix spécial du jury à Venise en 2020. Ce genre de prix honore autant sinon plus le réalisateur auquel il est décerné, souvent en fin de carrière, dont on veut une dernière fois saluer l’oeuvre, que son film lui-même. C’est peut-être le cas de ce Chers camarades ! qui ne brille pas par ses qualités cinématographiques.

Certes l’interprétation de Ioulia Vyssotskaïa est impressionnante qui habite son rôle et qui, dans le feu de la manifestation et en réaction au drame intime qui la frappe, est obligée de reconsidérer toutes ses valeurs. Mais le reste de l’interprétation est guindée. Et le film est bien académique. Konchalovksy l’a tourné en noir et blanc parce que, dit-il, le souvenir que nous avons de cette époque est définitivement constitué d’images en noir et blanc. Le problème est que son noir et blanc est trop élégant, trop velouté, pour être crédible et retrouver la patine des images de l’époque.

La bande-annonce

Un triomphe ★★☆☆

Etienne (Kad Mérad) est un acteur en galère. Sa vie privée est un champ de ruines : sa femme, actrice elle aussi, l’a quitté et sa fille étudiante s’est éloignée de lui. Sa vie professionnelle n’est pas en meilleur état : il n’est plus remonté sur les planches depuis des années.
Aussi accepte-t-il le job alimentaire que lui propose son ami Stéphane (Laurent Stocker) : animer un atelier de théâtre en prison. La tâche s’avère difficile pour Etienne qui doit se faire accepter des détenus et convaincre la directrice de la prison (Marina Hands) de l’autoriser à monter avec eux En attendant Godot.

Un triomphe fait partie de ces films noyés de bons sentiments dont on imagine, à la seule lecture du résumé, le moindre des rebondissements. On sait par avance les difficultés qu’Etienne rencontrera pour réussir à faire jouer la pièce de Beckett par des acteurs amateurs, brochette soigneusement représentative de tous les profils qu’on rencontre en prison (le caïd algérien, l’immigré burkinabé, le Kevin blanc analphabète….). On pressent que son énergie et son enthousiasme vaincront tous les obstacles et que le film se terminera sous les ovations du public avec des acteurs soudainement touchés par la grâce des planches et un metteur en scène réconcilié avec lui-même et, qui sait, avec sa fille et sa femme en prime.

Un triomphe ne remplit qu’en partie ce cahier des charges un peu trop formaté pour susciter un réel enthousiasme. Certes Kad Mérad, qui n’a plus grand chose à prouver, parfait dans le rôle, réussit à entraîner avec lui la petite bande de détenus qu’il a réussi à recruter. En attendant Godot sera monté, la troupe et son metteur en scène ovationnés. Le film aurait pu s’arrêter là et je me serais rengorgé de mon infaillible clairvoyance – et de mon cynisme mesquin.

Mais Un triomphe dure un quart d’heure de plus. Je n’en dirai rien pour ne pas en gâcher le plaisir, sinon que ce quart d’heure s’inspire de l’histoire vécue en 1986 en Suède par le metteur en scène Jan Johnsson. L’épisode suscita un commentaire amusé de Samuel Beckett qui était encore en vie à l’époque : « C’est ce qui est arrivé de mieux à ma pièce depuis que je l’ai écrite ». Je vous laisse le découvrir.

La bande-annonce