La Ruse ★★☆☆

En 1943, les Alliés, après avoir envahi l’Afrique du Nord, s’apprêtent à mettre pied en Europe et à débarquer en Sicile. Mais l’opération amphibie s’avère délicate et la résistance des forces italiennes et allemandes féroce. Pour la faciliter, le MI5 va essayer de convaincre le renseignement allemand que le débarquement aura lieu en Grèce et non en Italie. L’opération Mincemeat fut menée à bien par une unité du MI5 dirigée par le commandant Montaigu (Colin Firth) et le lieutenant Cholmondeley (Matthew Macfayden).

La Ruse (sortie au Royaume-Uni sous le titre Operation Mincemeat dont on se demande pourquoi il n’a pas été conservé à l’identique) raconte avec un soin scrupuleux l’une des opérations de désinformation les plus audacieuses menées par l’espionnage britannique. Le réalisateur John Madden (Shakespeare in Love, Indian Palace) a pris soin de respecter la vérité historique. Il reconstitue les bureaux du MI5, dans un sous-sol poussiéreux de l’Amirauté, près de Downing Street, ainsi qu’en quelques plans extérieurs un Londres plongé dans l’obscurité par le Blitz où les rares passants se déplaçaient avec des lampes-tempête faute d’éclairage public.

Tout est authentique dans La Ruse, sinon peut-être la romance platonique qui se noue entre le commandant Montaigu et une jeune veuve séduisante de son équipe. Ce rôle est interprété par Kelly Macdonald, une actrice écossaise révélée par Trainspotting et qui fut notamment l’héroïne d’une mini-série que j’avais binge-watchée dans les années 2000, State of Play. Le plaisir concupiscent que j’ai pris à la revoir et qui m’a ôté toute subjectivité explique pour beaucoup mon indulgence pour ce film historique que la critique a trouvé exagérément classique et qui, aux Etats-Unis, a été diffusé par Netflix sans trouver le chemin des salles.

La bande-annonce

En même temps ★★☆☆

Après une soirée bien arrosée lors de laquelle le premier (Jonathan Cohen), élu macroniste cynique, était censé arracher l’accord du second (Vincent Macaigne), écologiste bon teint, pour la construction d’un parc de loisirs à l’emplacement d’une forêt centenaire, deux maires de province se retrouvent suite à l’action d’un commando féministe collés l’un à l’autre. Comment se sortiront-ils de cette situation embarrassante ?

Le dixième film du tandem Kervern-Délépine est sorti sur les écrans quatre jours avant le premier tour de la présidentielle. Une échéance qui décidément a aimanté la production cinématographique dont on a vu plusieurs films de plusieurs genres sortir autour de cette date (Les Promesses, La Campagne de France, Le Monde d’hier…). En même temps emprunte à la comédie sinon à la parodie. Le projet était séduisant et la présence derrière la caméra de ce duo de réalisateurs, parmi les plus incisifs que le cinéma français connaisse, dont les précédents films (Effacer l’historique, I Feel Good, Saint-Amour…), grâce à un cocktail unique d’humour absurde et de poésie misérabiliste, avaient réussi à merveille à croquer la « France d’en bas », mettait l’eau à la bouche.

Les critiques pourtant faisaient grise mine et le public n’a pas suivi. En même temps a fait un bide et n’était plus à l’affiche, quatre semaines après sa sortie, que dans quelques rares salles parisiennes. cela ne m’a pas empêché d’aller l’y voir et de m’y amuser.

Même si son scénario est un peu faiblard qui, une fois les deux héros collés l’un à l’autre (après une scène hilarante que je vous laisse découvrir), se borne à leur faire enchaîner une succession de rencontres improbables (avec un vétérinaire, une naturopathe, des policiers étonnamment gauchistes, etc.), les situations sont drôles et les gags fonctionnent. J’ai souvent souri, j’ai parfois ri et, cul-serré comme je suis, c’est suffisamment rare pour ne pas être salué !

Car En même temps fait mouche en se moquant gentiment du macronisme (Jonathan Cohen caricature avec férocité ces petits maires clientélistes qui naviguent à vue entre l’extrême droite et l’extrême centre), de l’écologisme (Vincent Macaigne a la lourde responsabilité d’incarner une écologie obligée de se frotter au réel – sa voiture électrique tombe en panne, sa secrétaire de mairie aimerait payer son plein d’essence avec sa « prime vélo »…) et du féminisme (India Hair joue avec sa folle énergie une féministe radicale qui a bien du mal avec l’écriture inclusive).

Aux côtés de ce trio d’acteurs ont été invités pour des caméos plus ou moins brefs, une brochette de seconds rôles attachants : Yolande Moreau, Laetitia Dosch, François Damiens, Anna Mouglalis (dont la voix grave suffit à m’envoûter aussi courte que soit sa scène).

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My Favorite War ★★★☆

My Favorite war est un film d’animation autobiographique qui raconte l’enfance et l’adolescence de sa réalisatrice, Ilze Burkovska-Jacobsen, qui est née et a grandi en Lettonie derrière le rideau de fer.

Comme tous les enfants du même âge, elle a été endoctrinée par le régime soviétique et obligée de communier dans la mémoire de la Seconde guerre mondiale, sa « guerre favorite », durant laquelle l’Armée rouge, apprend-elle, s’est vaillamment sacrifiée face à l’envahisseur nazi. La jeune Ilze découvre peu à peu une vérité moins manichéenne, notamment dans le « réduit de Courlande » où les forces allemandes et soviétiques ont manifesté une barbarie aussi sauvages l’une que l’autre, au détriment des civils lettons, jusqu’à l’armistice de 1945.

Ilze doit supporter le joug soviétique. Il lui faut déjouer la vigilance des militaires pour aller avec ses parents jusqu’à la mer, pourtant située à quelques kilomètres à peine, qui était interdite d’accès aux Lettons de peur qu’ils prennent le large. Elle doit supporter la pénurie et les longues files d’attente devant les magasins d’alimentation. Son grand-père, un peintre enthousiaste, disparaît mystérieusement : Ilze apprend qu’il a été déporté en Sibérie. On lui apprend à se taire, à cacher ses opinions, à mentir (on pense au formidable travail d’histoire orale de Orlando Figes sur les Russes sous Staline intitulé de façon éclairante Les Chuchoteurs).
Manque peut-être dans ce film stupidement anglophone une dimension pourtant centrale dans la vie des Lettons durant l’occupation : la pratique clandestine de la langue lettone, en violation des consignes soviétiques, et son utilisation comme un marqueur politique.

La réalisatrice raconte comment, alors qu’elle achevait son adolescence, la Lettonie s’est libérée du joug de l’occupant. Des images d’archives montrent l’espoir de libéralisation qu’a fait naître Gorbatchev et l’incroyable chaîne humaine qui s’est constituée en août 1989 à travers les trois Etats baltes, prémisses de l’indépendance proclamée un an plus tard après le putsch conservateur qui avait failli le renverser.

Bien sûr, My favorite War intéressera au premier chef les spectateurs intéressés par la Lettonie, par les Pays baltes et par toutes les ex-Républiques soviétiques dont les habitants ont grandi sous occupation étrangère avant de recouvrer leur indépendance. Mais ce film d’animation dont l’alternance de prises réelles et de dessins rappelle la construction si novatrice de Valse avec Bachir touche à l’universel en montrant l’éveil de la conscience politique d’une jeune femme et son émancipation.

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